2002

Quand les étudiants évaluent la prestation de leurs professeurs

Sujet tabou il y a encore une dizaine d'années, l'évaluation de l'enseignement par les étudiants est désormais entrée dans les moeurs de l'Université de Genève. C'est ce qui ressort du rapport publié cette semaine par le Secteur formation et évaluation de l'Université. Globalement bien perçue par les étudiants comme par les enseignants, la démarche ne fournit pas moins matière à débats. N'est-ce pas céder à la tendance à tout vouloir quantifier? L'évaluation par les étudiants ne prive-t-elle pas les enseignants de leur autorité intellectuelle, que d'aucuns jugent formatrice? N'est-ce pas inciter les professeurs à la démagogie? Par ailleurs, les étudiants, qui paient leurs taxes universitaires, ne sont-ils pas en droit d'attendre des prestations de qualité? Et n'est-il pas salutaire d'inciter à la réflexion pédagogique, alors que l'enseignement reste l'une des principales missions de l'Université? "L'évaluation est tributaire de facteurs humains et affectifs qui en font un sujet très sensible, raison pour laquelle nous restons très prudents quant à l'interprétation et aux conclusions à tirer des données fournies par les questionnaires distribués aux étudiants", relève Nicole Rege Colet, auteur du rapport.

Première constatation: le rapport sur l'évaluation de l'enseignement par les étudiants n'affiche ni classement ni hit-parade. "Le Rectorat a adopté dès le départ une approche formative de l'évaluation", explique Nicole Rege Colet. Cela signifie que les outils de mesure développés ne visent pas à juger la qualité de l'enseignement, mais à inciter au dialogue entre étudiants et enseignants. Ils doivent également permettre aux enseignants de documenter leur activité et les aider dans leur réflexion pédagogique. "Même si nous recevons parfois des demandes allant dans ce sens, nous ne délivrons pas de labels de qualité. Cela reviendrait à mettre en concurrence des enseignements, à encourager la démagogie, ce qui serait complètement contre-productif", relève l'auteur du rapport.

Anonymat et confidentialité

Pour obtenir les résultats les plus adéquats, les questionnaires sont adaptés aux différents contextes facultaires, étant donné qu'il n'y a pas de critères universels pour juger des types d'enseignements aussi disparates que le grec ancien et la médecine, par exemple. A ce jour, il existe une centaine de versions du questionnaire mis à disposition par ADEVEN, le service chargé d'assister les enseignants dans leur démarche d'évaluation. Et afin d'éviter toute collusion d'intérêts, les réponses des étudiants sont anonymes et les résultats confidentiels. En aucun cas, insiste le rapport, "les processus d'évaluation ne devraient conduire à des mesures administratives liées soit au maintien ou à la suppression d'un enseignement, soit à la promotion du corps enseignant". C'est d'ailleurs pour cette raison que les résultats ne sont pas rendus publics et accessibles aux étudiants, sauf à l'initiative de l'enseignant. Ce que certains étudiants regrettent.

En dépit de toutes ces précautions, l'évaluation reste un sujet sensible. "Les enseignants peuvent se sentir très blessés par certaines remarques d'étudiants. Il nous arrive parfois de censurer les commentaires injurieux, car nous nous sommes aperçus que l'enseignant a tendance à se focaliser sur ce type de remarques, même si par ailleurs son évaluation est bonne", note Nicole Rege Colet.

Evaluer les filières d'études?

Ce facteur humain et subjectif pose alors la question du bien-fondé des réponses fournies par les étudiants. Tel ou tel étudiant ayant loupé ses examens n'aura-t-il pas tendance à juger plus sévèrement l'enseignement qui lui a été donné? Certaines matières, particulièrement ardues, ne risquent-elle pas d'être systématiquement prétéritées à l'évaluation, en dehors de toute considération d'ordre pédagogique? Enfin, il est de notoriété que certains professeurs ou enseignements subissent des a priori défavorables dans l'esprit des étudiants, ce qui ne manquera pas d'influencer l'évaluation. Lors du dernier Dies Academicus, Dominique Belin, professeur à la Faculté de médecine, notait à ce propos que "la pratique actuelle, qui évalue l'enseignement immédiatement à la fin du cours, risque d'être inexacte, car l'importance d'une matière n'apparaît souvent pleinement qu'après plusieurs années d'étude."

Selon Nicole Rege Colet, il serait effectivement utile d'obtenir une évaluation rétrospective, élargie aux filières d'études, une fois les étudiants arrivés sur le marché du travail, par exemple. Ce type d'évaluation nécessite toutefois des moyens d'investigation importants et le Service formation et évaluation ne peut pas faire face à toutes les demandes. Des démarches de ce type ont néanmoins été initiées par les facultés de droit, de psychologie et des sciences de l'éducation, et de médecine.

Enfin, si le but est d'améliorer l'aspect pédagogique de l'enseignement, ne faudrait-il pas songer à une formation pour les professeurs d'Université, comme cela se fait dans le secondaire? Dominique Belin doute de l'opportunité d'une formation pédagogique complète: "Le rôle d'un prof d'uni consiste surtout à inciter, à éclairer, à illustrer, mais les étudiants se forment en grande partie en dehors des cours, à travers leurs lectures, les travaux pratiques qu'ils réalisent ou leurs discussions avec d'autres étudiants".

Consciente de cette dimension, Nicole Rege Colet estime cependant que la formation pédagogique va petit à petit trouver sa place dans les universités: "Des formations de ce type ont été mises en place à Berne, Zurich et Bâle. Genève y viendra aussi", relève-t-elle.

Pour en savoir plus: Nicole Rege Colet, Secteur formation et évaluation,
tél: 022/705.73.81

8 avril 2002
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