2003

Le cerveau et ses paradis artificiels

Le 13 mars prochain, les participants à la 5ème Semaine internationale du cerveau s'accorderont une bouffée de paradis artificiel. Un très sérieux "débat en herbes" sur le cannabis aura lieu ce jour-là, en compagnie de psychiatres et de médecins. Les effets induits par la consommation de drogues sur le cerveau, ainsi que les mécanismes sous-jacents aux différentes formes d'ivresse qu'elle procure, ont fait l'objet de nombreuses études. Beaucoup de travail reste cependant à faire pour mieux cerner notamment les effets à long terme. Mais que sait-on aujourd'hui? Esquisse de réponse avec la psychiatre Marina Croquette-Krokar, de la Division d'abus de substances aux HUG, qui participera à la table ronde du 13 mars. (Photo: W. McCormick https://wendymccormick.com)

 

Entre banalisation et dramatisation, un juste mileu à trouver

Le cannabis est depuis quelques temps déjà un sujet d'actualité politique. En décembre 2001, le Conseil des Etats a approuvé un projet de dépénalisation de la consommation, qui sera examiné en mai prochain par le Conseil National. Les partisans de la dépénalisation partent du principe qu'il s'agit aujourd'hui d'un problème de santé publique qui serait beaucoup plus efficacement traité par le biais d'informations que dans les bureaux de police. Une position qui semble recueillir l'adhésion d'une majorité d'élus. Le débat s'est toutefois alourdi au fil des mois. Les éducateurs et les parents s'alarment: les fumeurs de cannabis dans les cours de récréation des écoles sont de plus en plus nombreux et de plus en plus jeunes.

Cette observation est d'ailleurs confirmée par les statistiques. Le pourcentage de personnes âgées de 15 à 39 ans ayant consommé du haschisch ou de la marijuana au moins une fois dans leur vie est passé de 16,3% en 1992 à 26,7% en 1997, selon l'Office fédéral de la santé publique. En 1998, près du tiers des écoliers de 15 ans avait déjà au moins une fois tiré sur un joint, alors qu'ils étaient moins de 20% en 1994.

Après une période de banalisation, le phénomène suscite donc à nouveau des craintes. "Le cannabis a des effets sur la mémoire à court terme, l'attention et la concentration, qui perturbent indéniablement l'apprentissage chez les adolescents, à un âge où leur cerveau est encore en développement", confirme le Dr Croquette-Krokar. Ce d'autant plus que la quantité a pris l'ascenseur. Les taux de 9-THC - la molécule responsable de l'ivresse cannabique - sont en moyenne dix fois plus élevés aujourd'hui qu'il y a une vingtaine ou une trentaine d'années. Et les consommateurs réguliers s'adonnent de plus en plus frénétiquement à leur vice: "Il nous arrive de rencontrer des jeunes qui fument jusqu'à 20 joints par jour!", raconte la doctoresse.

Faut-il alors en revenir à des méthodes plus répressives? Dans le climat politique actuel, d'aucuns seraient tentés de le penser. Punir les fumeurs d'herbe, après avoir remis les notes au goût du jour, suffira-t-il à remettre nos écoliers sur le droit chemin? Rien n'est moins sûr. Selon le Dr Croquette-Krokar, il est important de souligner que le cannabis n'est pas la cause des problèmes rencontrés par les adolescents: "A l'origine, on trouve toujours un facteur de mal-être, le plus souvent de l'anxiété et de la dépression, qui n'a pas été détecté et soigné par l'entourage. Chez ces personnes, l'usage du cannabis s'apparente à une forme d'auto-médication, parce qu'il permet momentanément de relâcher les tensions."

Dans ce contexte, dramatiser les effets de la consommation se révèle contre-productif. "Toutes sortes de mythes circulent à propos du cannabis", note le Dr Croquette-Krokar, rappelant que les études à ce sujet sont encore lacunaires et à manier avec précaution.

Deux trois choses que l'on sait sur le cannabis

Les effets sur la mémoire à court terme sont avérés. Le cannabis provoque une perte de capacité de mémoire et d'attention qui a un impact négatif sur l'apprentissage. Si cette perte ne semble pas irréversible, une étude récente a toutefois montré qu'il fallait attendre, chez certaines personnes, une année après avoir arrêté toute consommation pour retrouver des capacités normales.

Aucune étude n'est venue confirmer un quelconque lien entre "fumette" et impuissance. En revanche, on a constaté une baisse de la production de spermatozoïdes chez les hommes. Un phénomène là encore réversible. La production retrouve son niveau normal après arrêt de la consommation. Chez les femmes, aucune diminution de la fécondité n'a été signalée.

A ce jour, il n'y a pas de fondement à penser que le cannabis affaiblit le système immunitaire.

Les médecins et psychiatres ne disposent pas encore de suffisamment de recul pour mesurer l'impact du cannabis sur le psychisme. Le lien qui a été établi entre consommation et schizophrénie est certes préoccupant, selon le Dr Croquette-Krokar, mais il ne doit pas être exagéré. Le cannabis ne provoque pas de schizophrénie, quand bien même, chez des personnes vulnérables sur le plan psychique, il peut précipiter des troubles psychotiques.

Les risques d'accidents, notamment les accidents de la route, liés à la consommation du cannabis sont sous-estimés, selon la psychiatre : "Les conducteurs sous l'emprise d'un joint roulent souvent lentement, "prudemment", contrairement à ce que l'on constate pour l'alcool. Mais cette extrême prudence est le symptôme d'une perte de réflexes. Sans compter que le cannabis est souvent consommé avec de l'alcool ou des drogues de synthèse, ce qui produit des cocktails explosifs aux effets imprévisibles"

Concernant enfin la dépendance, la littérature à ce sujet fait le plus souvent état d'une dépendance psychique uniquement. Les quelques suivis qui ont été effectués ont d'ailleurs permis de montrer que 60% des consommateurs arrêtent, passé l'âge de 20 ans. Parmi les 40% restant, seule la moitié continue à être des consommateurs réguliers. A cet égard, le cannabis est réputé moins nocif que l'alcool ou la cigarette. Mais le Dr Croquette-Krokar reste là aussi prudente: selon une étude récente, des symptômes de sevrage physique peuvent apparaître trois ou quatre jours après l'arrêt de la consommation chez 50% des personnes dépendantes.

7 mars 2003
  2003