2006

Comptabilité analytique: qui coûte trop cher?

Le recteur André Hurst livre son analyse, suite à la publication du rapport de la Conférence universitaire suisse (CUS) sur les Coûts de la formation universitaire en 2004:

«Dis-moi combien tu coûtes, et je te dirai… Ce que tu étudies (pour te dire «qui tu es», indiquer le prix ne suffira pas), je te dirai même où tu étudies». Une avalanche de chiffres vient de s’abattre sur le monde universitaire: les résultats de la comptabilité analytique. Comme toute avalanche, celle-ci fait des dégâts. Comme toute avalanche, elle entraîne avec elle une partie du  paysage.

Pour commencer, soyons clairs: tout le monde attendait les résultats de la comptabilité analytique appliquée au coût des universités, et il était grand temps que l’on se dotât d’un moyen d’évaluer au mieux les coûts comparés des différentes filières d’études. Soyons donc clairs jusqu’au bout: c’est un progrès, et il faut le saluer comme tel.

Ainsi donc, qu’on se le dise, il est désormais possible de savoir combien coûte l’étudiant-e d’un bout à l’autre de la  Suisse,  selon les études qu’il/elle a entreprises et selon l’université ou l’école polytechnique fédérale où se déroule son programme d’études. Seule exception: la médecine, dont les chiffres sont  trop compliqués à récolter, compte tenu de l’imbrication des facultés de médecine et des hôpitaux universitaires (qui fait quoi? Où commence le domaine hospitalier? Où se situe la limite des études?).

Ce que nous apprenons ne nous surprend qu’à moitié: certains sont plus chers, d’autres moins. Vous le concéderez: ce n’est pas renversant. Ce qui compte, par conséquent, c’est moins ce qu’on apprend que l’usage qu’on en fera. Deux mots toutefois sur ce qu’on apprend.

Si l’on considère l’ensemble des douze universités suisses et l’ensemble des domaines d’études, l’Université de Genève est dans la moyenne pour environ 43% de ses activités d’enseignement. Ce qui veut dire qu’elle ne l’est pas pour 57%. En effet, dans ces 57%, l’enseignement de notre université est plus cher que la moyenne. Plus cher, on s’en souviendra, ne veut pas dire «trop cher»: pour n’importe quel achat, on sait bien que les prix ne sont pas les mêmes selon ce que l’on choisira. Et l’on préfère parfois payer plus si l’on sait que l’on aura mieux : dicton populaire connu, «le bon marché est toujours trop cher».

Les deux domaines dans lesquels l’Université de Genève est plus chère que d’autres sont équitablement répartis entre les sciences dites «dures» et les sciences de l’homme et de la société, puisqu’il s’agit de la Faculté des sciences et de la Faculté de droit (un troisième cas est  connu de longue date, c’est celui de l’Institut d’architecture, mais la situation ne durera pas, car on y porte remède:  cet institut va se fondre dans la perspective d’études plus vaste qui est celle des sciences de l’environnement).

Qu’en est-il donc dans ces deux cas?
La Faculté de droit de notre Université a choisi la voie de l’exigence qualitative: l’encadrement des étudiants est avant tout assuré par des professeur-e-s. La plupart travaillent à l’Université à temps partiel et exercent par ailleurs une activité dans une étude d’avocats. Les cours ex cathedra sont minoritaires et l’essentiel de l’enseignement se donne sous forme de séances de travail portant sur des cas pratiques et animées par les professeur-e-s. Le fait qu’on ne recoure pas comme ailleurs à des auxiliaires comme des chargés de cours, des maîtres assistants, des chargés d’enseignement, fait que le taux d’encadrement professoral est le plus favorable du pays. Inévitablement, cela se répercute sur le coût par étudiant, plus élevé qu’ailleurs en Suisse à l’exception de Saint-Gall. Sur le terrain, le résultat est que les étudiants, en groupe de relativement petite taille,  bénéficient d’un contact direct avec des professeur-e-s qui  dispensent  une formation reposant sur la pratique.

La Faculté des sciences, pour sa part, se distingue de ses consœurs helvétiques en ceci qu’elle investit beaucoup dans la formation post-graduée, laquelle attire de nombreux doctorants; rappelons qu’elle abrite deux pôles nationaux de recherche. Or, les indicateurs utilisés dans la comptabilité analytique de la CUS ne prennent pas en compte ces étudiants avancés que sont les doctorants, se limitant à ceux qui suivent la formation de base. Si l’on intègre ces étudiants, la Faculté des sciences de Genève se situe en fait dans la moyenne suisse.

Deuxième considération de poids: la Faculté des sciences accueille, on l’a dit, deux pôles nationaux de recherche. Les sommes importantes attirées ainsi à l’Université de Genève sont imputées à la formation de base, alors que ces montants servent évidemment à la recherche fondamentale, et non à la formation de base des étudiants.

De la bonne manière d'en user avec les chiffres
Deux mots, à présent, sur la manière d’en user avec ces chiffres: à l’évidence, la mauvaise manière consisterait à couper tout ce qui dépasse. Vous êtes plus chers que d’autres? On vous supprime, et les étudiants pourront aller ailleurs, là où c’est moins cher (dans le meilleur des cas, on aurait considéré si oui ou non cet ailleurs existe réellement). C’est ce raisonnement qui nous conduirait, par exemple, à supprimer l’astronomie. En effet,  l’astronomie engage 80% de ses moyens dans la recherche avancée. Cela fait grimper le coût de l’étudiant dans ce domaine. Faut-il pour autant la supprimer? Se poser la question, c’est y répondre: la réputation scientifique de l’astronomie genevoise dans le monde, voir par exemple la découverte de la première exo-planète, ferait d’une telle décision un pur non-sens.

Ce qui nous conduit directement à la bonne manière: elle consiste très évidemment à ne pas traiter les chiffres isolément, mais à recourir systématiquement au critère de la qualité. On s’en rend compte, des coûts élevés  peuvent provenir soit d’une mauvaise qualité (on n’attire plus d’étudiants), soit d’une haute qualité, telle qu’elle est reconnue pour nos facultés de droit et des sciences. C’est le point qu’il faut creuser.

Il se trouve, cependant, que c’est un petit peu plus difficile que d’aligner des chiffres. D’où la tentation de la facilité qui consisterait à se laisser tout simplement guider par eux… On se souviendra ici de l’avertissement: «Les chiffres ne mentent pas, mais les menteurs chiffrent».

Une dernière remarque sous forme de question: on ne cesse de le répéter, nous vivons dans un «système duel», où coexistent des Universités (HEU=Hautes écoles universitaires) et des HES (=Hautes écoles spécialisées). Leur collaboration est vivement encouragée. Des passerelles sont élaborées des unes vers les autres. Est-il bien raisonnable, dès lors, de ne publier que des chiffres concernant les universités? Dans la perspective du vote du 21 mai 2006, et même au-delà, n’est-il pas urgent pour le citoyen contribuable de disposer d’une bonne vision du coût de l’enseignement supérieur dans son ensemble?

 

André Hurst
Recteur

> Le communiqué de presse de la CUS: "Coûts de la formation universitaire"

20 avril 2006
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