Campus n°154

Une maison pour la pédopsychiatrie

Récemment inaugurée, la Maison de l’enfance et de l’adolescence offre en un seul lieu une chaîne cohérente de soins pour les enfants et les jeunes souffrant de maladies psychiques. Visite de ce lieu unique en Suisse.

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La Maison de l’enfance et de l’adolescence (MEA) a été inaugurée le 5 juin dernier par les Hôpitaux universitaires de Genève (HUG). Cette nouvelle institution offre une prise en charge complète et cohérente en matière de santé mentale des membres les plus jeunes de la population genevoise. Elle accueille celles et ceux qui expérimentent un mal-être psychique ou relationnel, qui souffrent d’idées suicidaires, de dépression, de troubles du comportement alimentaire, de troubles de l’attention et de l’hyperactivité (TDAH) et de cyber addictions ou encore qui cèdent à des actes de violence, à l’automutilation et la consommation de substances. Pour la première fois, la MEA réunit en un seul lieu plus d’une dizaine de centres de soins psychiatriques et somatiques auparavant répartis dans le canton. Située au centre-ville, elle se veut ouverte à la cité dans le but de décloisonner et de déstigmatiser la pédopsychiatrie et surtout les patientes et les patients qui souffrent de maladies mentales. Elle est aussi la réalisation d’un rêve vieux d’au moins vingt ans.

« Cette maison est surtout l’occasion d’offrir aux patients et aux patientes un lieu de soin adapté à leurs besoins et à leurs vulnérabilités, estime Nathalie Nanzer, privat-docent au Département de psychiatrie (Faculté de médecine) et médecin-cheffe ad interim du Service de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent des HUG qui a pris ses quartiers à la MEA. Nous avons collaboré dès le départ avec les architectes pour concevoir le bâtiment en fonction des besoins des bénéficiaires et des équipes. Et la première chose que nous voulions, c’était un lieu accueillant qui ressemble davantage à une maison qu’à un hôpital. Pour cela, nous avons travaillé sur les espaces, le choix des matériaux, essentiellement du bois, la sonorisation et la luminosité. Nous sommes très satisfaits du résultat. Il est rare que l’on prenne autant soin des lieux pour accueillir les patients et les patientes pédopsychiatriques. »

Le projet, dont la construction a coûté 75 millions de francs et qui emploie environ 200 personnes, a bénéficié du soutien financier des fondations Children Action, Wilsdorf et des HUG.

Des lits en bois
Un des aspects qui a demandé un gros travail préparatoire est la sécurité. Les fenêtres ne s’ouvrent jamais complètement, empêchant toute tentative de suicide par cette voie. Les rideaux et barres de douches dans les salles de bains sont bannis pour la même raison. Les vitres sont renforcées dans les unités les plus sensibles pour résister à l’assaut d’un jeune en crise. Idem pour les portes. Dans les espaces dédiés aux plus petits, ce sont les poignées de portes, les interrupteurs et les prises électriques qui sont mis hors de portée.

Pour garantir malgré tout une ambiance chaleureuse à ceux et celles qui doivent rester plusieurs nuits en ce lieu, l’aménagement avec des lits en bois crée un espace qui ressemble le plus possible à une chambre d’enfant ou de jeune, très loin du caractère froid et vide des chambres d’hôpital.
« Nous nous sommes inspirés de nombreux autres endroits similaires mais la MEA est, à notre connaissance, une institution unique en son genre, estime Nathalie Nanzer. Ses infrastructures sont impressionnantes. »

L’endroit compte notamment une salle polyvalente – inaugurée par Roger Federer lui-même qui a aidé à son financement – pour le sport et les spectacles, une zone d’exposition, des salles d’enseignement, une salle de projection (Ciné MEA) et une cafétéria ouverte au public ainsi qu’une antenne du Bioscope, prête à accueillir des élèves de toutes les écoles du canton.

« Cette ouverture sur la cité, ce mélange avec la population générale, c’est exactement ce que l’on cherche à obtenir, souligne Nathalie Nanzer. La MEA est un bâtiment de six étages entièrement consacré à la psychiatrie et à la médecine de l’adolescent et du jeune adulte. Nous ne voulions surtout pas renvoyer l’image d’un asile. La Fondation Convergences sera précisément responsable des événements culturels organisés à la MEA et destinés au grand public. »

Un couteau suisse
Le bâtiment se présente comme un outil très complet. Il est par exemple doté d’un étage dédié à la médiation thérapeutique, c’est-à-dire à des thérapies par le mouvement, l’écriture, le théâtre ou encore au travers de contes pour aider les jeunes à exprimer ce qu’ils ont à l’intérieur d’eux-mêmes mais n’arrivent pas à mettre en mots. Une cuisine industrielle ressemblant à s’y méprendre à celles d’une célèbre émission de téléréalité a également été aménagée. Des patients et des patientes atteintes de troubles alimentaires pourront par exemple y suivre des activités visant à les réconcilier avec la nourriture. Le bâtiment abrite aussi un studio radio mis à la disposition des jeunes bénéficiaires désireux de s’essayer à ce média dans le cadre d’activités thérapeutiques mais aussi des radios locales qui pourront travailler en partenariat avec la MEA.

La MEA est conçue pour recevoir des enfants et des jeunes de 0 à 18 ans. Deux unités accueillent néanmoins des jeunes plus âgés, jusqu’à 25 ans, pour aider à faire la transition vers la psychiatrie et la médecine de l’adulte. Ce passage représente en effet souvent un choc. Car la prise en charge psychiatrique de l’adulte est davantage axée sur le traitement des symptômes et implique peu la famille, ce qui tranche avec l’approche multidisciplinaire et basée sur le lien interindividuel privilégié par la pédopsychiatrie et la pédiatrie.

« À la MEA, nous nous occupons des tout-petits et nous sommes chargés de toutes les hospitalisations psychiatriques du canton des enfants ayant atteint l’âge scolaire, note Nathalie Nanzer. Pour ces derniers, les consultations en ambulatoire sont historiquement dispensées par les unités de l’Office médico-pédagogique (OMP, intégré au Département de l’instruction publique) qui sont implantées dans les quartiers et proches des écoles. Nos deux institutions sont d’ailleurs parfaitement complémentaires. Il y a des enfants qui viennent chez nous lorsque la situation devient ingérable en ambulatoire et retournent à l’OMP lorsqu’elle s’améliore. »

Vingt-cinq lits sont là pour accueillir les patientes ou les patients hospitalisés, que ce soit pour des décompensations d’un trouble psychiatrique ou des tentatives de suicide. C’est suffisant pour répondre à la demande actuelle en soins psychiatriques de crise. Entre le moment de la conception de la MEA et maintenant, les besoins en soins ambulatoires ont certes augmenté, mais ceux en hospitalisation ont en réalité quelque peu diminué. La prise en charge des jeunes patient-es avec des maladies mentales est devenue plus efficace avec le temps, ce qui évite souvent le passage par de longues hospitalisations.

Deux semaines en moyenne
La responsable du lieu se rend toutefois compte que certaines fonctions manquent à sa toute nouvelle institution, telle que l’« ambulatoire de crise » généraliste ainsi qu’un certain nombre de consultations spécialisées notamment pour les jeunes qui entrent dans la psychose (comme la schizophrénie) et qui sont actuellement dépistés trop tard, ce qui augmente le risque d’apparition de problèmes cognitifs et de dépendance à vie de l’assistance.

En moyenne, les jeunes patientes et patients restent à la MEA pour des séjours de deux semaines. « C’est beaucoup moins qu’autrefois, souligne Nathalie Nanzer. Notre priorité est de raccourcir au maximum les séjours. Il faut éviter à tout prix de désinsérer les jeunes de leur famille ou de l’école. Ce qui n’empêche pas certains de rester plusieurs mois. Ce sont les cas les plus graves mais ils sont rares. »

La MEA permet également de recevoir des placements à des fins d’assistance médicale, c’est-à-dire des placements sous contrainte. Cette mesure extrême – de moins en moins fréquente – est prise lorsque le jeune a un besoin urgent d’assistance en milieu psychiatrique et qu’aucune autre alternative n’est possible. Elle est très encadrée, avec notamment un droit de recours et doit être levée dès que l’indication au placement de force disparaît.

Plus délicate est la contention des jeunes patients très agités. Aujourd’hui encore, il arrive de devoir les installer en chambre sécurisée pour éviter qu’ils ne fassent du mal à eux-mêmes ou aux autres. La MEA dispose d’une petite unité de chambres remplissant ce rôle mais sous une forme radicalement différente. Grâce à des choix architecturaux judicieux et par la présence d’une équipe infirmière renforcée, le jeune pourra être contenu à travers le lien relationnel, le soin et la manière dont les chambres sont conçues, plutôt qu’en fermant des portes à clé.

« Snoezelen »
Juste à côté de cette unité, une petite pièce a été aménagée selon le concept snoezelen (qui vient des mots néerlandais snuffelen « sentir » et doezelen « somnoler ») développé aux Pays-Bas. Grâce à la lumière, à la musique, aux odeurs ou encore aux textures des objets, il est possible de créer une ambiance agréable qui permet une sorte de contention psychique des patients tout en évitant les mesures physiques et médicamenteuses.

« Nos soins se basent beaucoup sur le lien entre les patient-es et les thérapeutes, précise Nathalie Nanzer. Notre approche est pluridisciplinaire puisque nous travaillons avec des infirmières, des psychologues, des logopédistes, des art-thérapeutes, des médecins somaticiens ou encore des assistants sociaux. Nous pratiquons une médecine holistique, c’est-à-dire que nous prenons le patient dans sa globalité et nous le soignons en fonction de ses particularités physiques, psychiques, psychiatriques, sociales, etc. Nous incluons aussi la famille dans les soins. Celle-ci devient cothérapeute quand elle fonctionne bien. Mais bien souvent, surtout chez les bébés, c’est la famille, ou la relation entre les parents et l’enfant, qui devient elle-même le sujet de la thérapie. »

La MEA est également impliquée dans la gestion des réfugiés et des mineurs non accompagnés. Elle dispose d’une petite équipe d’ethno-pédo-psychiatres et de pédiatres formés pour accueillir cette population particulièrement vulnérable et dont un membre sur deux souffre de syndrome post-traumatique. Dans ce domaine, elle participe également à la réflexion sur le développement de petites structures d’accueil visant à remplacer le grand foyer de l’Étoile qui héberge actuellement une cinquantaine de jeunes et qui doit bientôt fermer.

Il arrive aussi que le juge des mineurs décide d’une hospitalisation psychiatrique pour des enfants retirés à leurs parents pour des raisons de maltraitance et dont la justice ne sait plus quoi faire. Au grand dam de Nathalie Nanzer. « L’hospitalisation n’est pas un lieu de placement, s’insurge-t-elle. Être « psychiatrisé » fait plus de mal que de bien à ces jeunes qui ont peut-être des problèmes psychologiques mais qui ont avant tout besoin d’un encadrement éducatif. Et ça, ce n’est pas notre mandat. »
www.mea.hug.ch/