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Médecine

Imagerie médicale: l’aventure intérieure

En une génération, les performances des scanners ont connu une croissance fulgurante. On peut aujourd’hui réaliser des images animées d’organes en trois dimensions sur lesquelles on peut lire des informations sur leur métabolisme

Osirix
Radiographie du système circulatoire obtenue grâce à l'injection dans les vaisseaux sanguins d'un produit opaque aux rayons X.

«Retenez votre respiration!» crie le technicien. Le scanner entre en action, réalise son cliché et s’arrête. «Respirez!» conclut l’opérateur. Cette scène se déroule il y a vingt ans, ou un peu plus peut-être. La réalisation d’une image radiographique d’une seule tranche du corps d’un patient demande alors plusieurs secondes. «A force de hurler ainsi, les techniciens n’avaient plus de voix à la fin de la journée», se souvient Osman Ratib, professeur au Département de radiologie (Faculté de médecine). Aujourd’hui, le même temps suffit à découper virtuellement un corps entier en des dizaines de milliers de tranches et à reconstituer une image de ses organes internes en trois dimensions, image que l’on peut admirer ensuite sous l’angle et avec les couleurs que l’on souhaite. De plus, le détail et le rendu de l’image sont incomparablement meilleurs. «Il y a toujours une voix qui demande au patient de retenir sa respiration, mais elle est de synthèse, c’est la machine qui parle», souligne Osman Ratib.

Développement exponentiel

En une génération, l’imagerie médicale a en effet connu un développement exponentiel. Les différentes technologies utilisées aujourd’hui dans les scanners (rayons X, résonance magnétique, émission de positrons, échographie…) existent pour la plupart depuis plus de trente ans. Mais les progrès réalisés au cours de ces deux dernières décennies ont permis d’en faire des outils indispensables à la médecine, au point même de modifier sa pratique.

«Nous assistons à un glissement de plus en plus accentué d’une médecine empirique, s’apparentant à un art maîtrisé par de véritables artisans, vers une pratique médicale basée sur des faits et des preuves, précise Osman Ratib. Dans notre société, le médecin n’a plus le droit à l’erreur. Tout acte médical doit désormais être justifié et documenté. Auparavant, par exemple, le cardiologue était capable, sur la base de sa longue expérience, d’entendre à l’aide de son stéthoscope une valve cardiaque qui fuit dans la poitrine de son patient. Mais le risque de ne pas l’entendre a toujours existé. Aujourd’hui, au moindre doute, le praticien réalise une image échographique qui enlève immédiatement toute ambiguïté. L’imagerie médicale apporte souvent la preuve d’un diagnostic tout en rassurant le médecin dans ses choix. Ce dernier se sentira plus à l’aise ensuite pour traiter ou intervenir. Il n’aura pas la crainte d’ouvrir le thorax d’un patient pour rien.»

Mieux: l’imagerie offre aujourd’hui aux chirurgiens une vue détaillée de l’intérieur du corps qu’ils vont opérer. Cela leur permet de préparer l’intervention dans les moindres détails. Cette phase est d’autant plus importante que de plus en plus d’opérations se font par voie endoscopique. La caméra, le scalpel et les autres instruments miniaturisés entrent par deux ou trois trous (la tendance actuelle vise à ne plus pratiquer qu’un seul trou) et se frayent un chemin vers la cible, qui est parfois éloignée. Dans ce genre d’aventure, il est précieux de reconnaître au mieux le parcours afin d’éviter les surprises en cours de route.

«Dès que la tablette électronique fabriquée par Apple est arrivée sur le marché en janvier de cette année, les chirurgiens l’ont emportée avec eux dans le bloc opératoire, relève Osman Ratib. Ils peuvent ainsi consulter, au cours de l’opération, les images en trois dimensions des organes du patient. Et éviter des erreurs.»

Rêve lointain

Vingt ans plus tôt, cette réalité n’est pourtant encore qu’un rêve très lointain. Quand la première IRM (imagerie par résonance magnétique) arrive à l’Hôpital cantonal de Genève dans la seconde moitié des années 1980, les médecins peinent à comprendre son fonctionnement. Celle-ci est basée sur des protons qui résonnent sous l’effet d’un champ magnétique et qui révèlent, par l’envoi d’un signal, la présence de plus ou moins d’eau. «J’avais étudié la physique, donc cela ne me faisait pas peur, s’amuse Osman Ratib. Mais pour nombre de mes camarades, l’IRM sortait tout droit d’un roman de science-fiction.»

La machine s’apprête néanmoins à rendre de fiers services à la médecine. En effet, en plus de n’émettre aucun rayonnement nuisible à la santé (contrairement aux rayons X), l’IRM permet de visualiser avec une grande précision les tissus mous du corps humain. Organes, muscles, vaisseaux sanguins n’ont plus de secrets pour lui. En revanche, ses performances sont moins bonnes avec les parties dures comme les os.

Cet appareil constitue alors un parfait complément au CT-scan (Computed Tomography Scan), dont les premiers exemplaires ont été mis au point au début des années 1970 déjà. Dans cette machine fonctionnant aux rayons X, émetteur et détecteur tournent autour du patient et réalisent des images de son anatomie par tranches successives. Les clichés sont réalisés grâce aux différences d’opacité des tissus aux rayons X. Ce sont donc les os que l’on détecte le plus facilement. Les organes apparaissent aussi, mais le CT-scan peine à distinguer les tissus mous lorsqu’ils se touchent, contrairement à l’IRM.

Il existe à cette époque une troisième technique d’imagerie: la tomographie par émission de positrons (PET-scan), utilisée dans les hôpitaux occidentaux depuis les années 1970 également. Une telle machine détecte des concentrations de molécules (du glucose, par exemple) préalablement marquées par un atome radioactif. Ce dernier émet spontanément un positron (électron chargé positivement) qui se désintègre dès qu’il rencontre un électron, c’est-à-dire immédiatement. Cette annihilation provoque l’émission de deux photons de haute énergie dans des directions opposées qui sont alors captées par des détecteurs. Le PET-scan permet donc de voir dans quels endroits du corps circule la substance marquée, ce qui peut renseigner sur le métabolisme ou la localisation de tumeurs. Les images sont cependant relativement floues et il est parfois difficile de localiser avec précision un cancer.

Grâce aux progrès techniques, les radiologues commencent progressivement à créer des images en trois dimensions à partir des coupes de plus en plus fines. Et puis, les images ont commencé à bouger…

«J’ai bien senti cette évolution en tant que cardiologue, note Osman Ratib. Pour obtenir une image d’un cœur, il faut aller vite, car il bouge sans arrêt. On doit également se synchroniser avec l’électro-cardiogramme. Bref, c’est un travail délicat. Et puis, petit à petit, j’ai vu arriver des scanners assez rapides pour réaliser une image de l’organe entier en trois dimensions. Les performances augmentant encore, il a finalement été possible de voir battre le cœur, grâce à une dizaine d’images séquencées. Bienvenue dans la quatrième dimension.»

Entre autres choses, ce développement a permis d’examiner, sans les ouvrir, des patients souffrant de malformations cardiaques congénitales et opérés des décennies plus tôt. Les médecins ont ainsi pu vérifier l’état de l’organe et éviter quelques opérations inutiles.

Après avoir exploré la quatrième dimension, les radiologues ont mis un pied dans la cinquième. Au début des années 2000, l’industrie parvient en effet à fusionner en une seule machine un CT-scan avec un PET-scan. L’appareil en question peut obtenir une image de l’intérieur du corps en trois dimensions qui évolue dans le temps et sur laquelle on peut mesurer le métabolisme. L’un des avantages principaux de cette innovation est que les résultats flous obtenus avec le seul PET-scan peuvent désormais être mieux localisés.

«Un PET-CT-scan est en mesure de détecter un cœur qui souffre d’une ischémie, un muscle en apparence sain, mais dont le métabolisme est déréglé ou encore un cerveau qui présente les premiers signes de la maladie d’Alzheimer, énumère Osman Ratib. Et, surtout, au lieu de passer des examens à deux jours d’intervalle, sur deux machines différentes, avec toutes les difficultés techniques que cela entraîne pour la superposition des images, le patient ne vient qu’une seule fois.»

Dans la même veine, la toute dernière nouveauté mondiale est la fusion d’une IRM avec un PET-scan. Les Hôpitaux universitaires de Genève et le Mount Sinaï Hospital à New York sont les premiers à avoir acquis au début de cette année un exemplaire d’une telle machine. L’installation, assez imposante pour l’instant, permet d’obtenir, sur le même cliché, les images précises des tissus mous ainsi que leur fonctionnement biochimique. Des recherches sont en cours pour déterminer la véritable valeur ajoutée d’un PET-IRM-scan dans différents domaines de la médecine, principalement en oncologie, mais aussi pour la neurologie, la cardiologie et les maladies infectieuses et inflammatoires.

Scanner «low-cost»

Le perfectionnement des scanners se poursuivra sans doute encore longtemps. Le rêve absolu des radiologues – pour l’instant – est le développement d’un PET-CT-IRM-scan, la fusion ultime. D’aucuns voient, dans un futur pas si lointain, l’entrée des urgences de l’Hôpital comme un tunnel dans lequel chaque patient sévèrement accidenté passerait pour se faire tirer le portrait complet de son anatomie avant toute chose.

Cela dit, parallèlement au développement de cette médecine de très haute technologie qui ne profite en fin de compte qu’aux Etats riches, certains industriels se tournent vers les pays en voie de développement. Envoyer en Afrique les anciennes machines devenues désuètes, même si elles sont encore très performantes, n’est pas la bonne solution. Ces appareils sont en effet trop complexes et leur entretien demande des compétences et des pièces de rechange qui font largement défaut dans les contrées pauvres et isolées. A la moindre panne, ils sont donc mis au rebut.

C’est pourquoi une ou deux compagnies tentent actuellement de mettre au point des CT-scan robustes, bon marché et faciles à entretenir. Ils seraient fabriqués de telle manière qu’en cas de défaillance, il suffirait d’enlever un boîtier et de le remplacer par un nouveau. Mais pour l’instant, le scanner «low-cost» reste de la musique d’avenir.

Osirix: le secret des images 3D

Les scanners dernier cri produisent des milliards de données informatiques qui sont traitées de manière à produire, par exemple, des petits films en fausses couleurs du cœur d’un patient en train de battre tout en mesurant son métabolisme. Un des outils qui réalise cette prouesse est un logiciel conçu en Californie par deux radiologues genevois en 2004. Ce programme s’appelle Osirix et une nouvelle version (3.7.1) vient de sortir. Ses atouts? Facile d’utilisation, à la portée de tous, performant, très graphique et, surtout, gratuit.

Il n’y a pas si longtemps, l’acquisition et l’interprétation des images médicales étaient l’exclusivité des radiologues. «Les médecins des autres spécialités qui demandaient les examens se satisfaisaient de notre rapport écrit et détaillé, accompagné d’une image ou deux en deux dimensions et parfois, si nécessaire en trois, se rappelle Osman Ratib, professeur au Département de radiologie et un des concepteurs d’Osirix. Il faut dire que les logiciels que l’on utilisait alors étaient très chers et fournissaient des résultats difficiles à interpréter. Notre objectif était que le chirurgien, l’oncologue ou encore le médecin traitant puisse lui-même gérer et manier les images que nous lui fournissons.»

Grâce à un budget du Fonds national suisse pour la recherche scientifique, Osman Ratib et Antoine Rosset, un autre radiologue genevois, produisent en un an un logiciel très performant. Il accepte tous les types de fichiers issus de n’importe quel scanner (PET, CT-scan, IRM, etc.). Il est également prévu pour réaliser des représentations en trois, quatre ou cinq dimensions, voire au-delà si un jour d’autres s’y ajoutent. Le programme permet aussi de visualiser les organes avec n’importe quelle couleur. Du coup, les images radiologiques prennent un tour très graphique, voire même créatif. En jouant avec les couleurs, les transparences et les contrastes, certains résultats obtenus dégagent un esthétisme surprenant.

Grâce au logiciel genevois, les médecins non radiologues peuvent maintenant manier de façon autonome leurs images. Les radiologues continuent de piloter les scanners et de rédiger leurs rapports – qui restent indispensables – mais, au lieu de se contenter de faire quelques tirages, ils peuvent mettre à disposition tous leurs fichiers. A leurs collègues ensuite (les plus motivés du moins) de manier ces données à leur guise.

Autre atout du programme: il est gratuit et son code est ouvert à tout nouveau développement proposé de l’extérieur. «Nous avons décidé de concevoir un logiciel open source car nous sommes convaincus du bien-fondé d’une telle démarche dans le monde actuel et plus particulièrement dans le milieu de l’industrie médicale qui brasse des sommes d’argent considérables, estime Osman Ratib. Le logiciel, qui a déjà été adopté par des dizaines de milliers d’utilisateurs dans le monde, a donc été testé dans des centaines d’institutions différentes. Il a reçu de nombreuses améliorations, à tel point qu’il est maintenant à toute épreuve.»