Campus n°103

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n° 103 avril-mai 2011
Perspectives | Marie Besse

Le «Petit-Chasseur» souffle
ses 50 bougies

Besse
Marie Besse, professeure à l’Institut Forel de la Section des sciences de la Terre et de l’environnement, Faculté des sciences, organise cet automne une série d’événements qui marqueront le demi-siècle de la découverte du site préhistorique sédunois, témoin unique du néolithique dans les Alpes

Campus: Quelle importance revêt le site du Petit-Chasseur?

Marie Besse: C’est un site majeur pour toute l’Europe. Il compte des vestiges d’habitation du néolithique moyen ainsi qu’une nécropole mégalithique du néolithique final et de l’époque campaniforme. Ce dernier ensemble regroupe 13 dolmens, ou coffres sépulcraux. Deux d’entre eux sont accompagnés d’un grand soubassement triangulaire. Les archéologues ont trouvé à cet endroit plus de 30 stèles gravées de dessins anthropomorphes qui ont établi la renommée internationale du site.

En quoi ces stèles sont-elles si importantes?

Elles représentent des personnages avec leurs habits, leurs parures et leurs armes. Dans un premier groupe, on voit des poignards. Dans un autre, plus récent, on remarque des arcs et des flèches, des motifs solaires et des vêtements richement décorés. Ces stèles témoignent d’un changement idéologique qui s’est opéré en même temps que l’avènement de la culture du campaniforme dans le Valais vers 2400 av. J.-C. Le Petit-Chasseur est précieux parce qu’il permet d’étudier le passage d’une culture à l’autre, du néolithique au campaniforme.

Qu’est-ce que la culture campaniforme?

Il s’agit de la première culture qui s’étend sur toute l’Europe. Le campaniforme a duré mille ans bien qu’en Suisse il n’ait été présent qu’entre 2450 et 2200 av. J.-C. Son nom vient de la céramique qui le caractérise et dont la forme évoque une cloche (campanule) renversée. On trouve de tels objets de la Méditerranée à la Pologne avec quelques distinctions régionales. Cette façon de fabriquer la céramique est le fruit d’une expression culturelle mais aussi un acte politique. J’y vois une volonté de montrer que l’on fait partie de la même «civilisation».

Le territoire européen n’est-il pas trop vaste pour imaginer une telle unité à cette époque?

Les échanges ont existé de tout temps. L’ensemble d’habitations du Petit-Chasseur, qui remonte à 4000 ans av. J.-C., contient des pointes de flèche et des couteaux en silex provenant de la région d’Olten, du Bassin parisien, de Bellegarde ou encore du nord de l’Italie. Le savoir-faire de la taille, quant à lui, est d’influence méditerranéenne. Et puis, en ce qui concerne le IIIe millénaire av. J.-C., on a trouvé près de Stonehenge, le fameux site mégalithique anglais contemporain de la nécropole du Petit-Chasseur, la tombe d’un individu dont on sait qu’il vient des Alpes. Peut-être de la région de Sion, qui sait? Quoi qu’il en soit, il a voyagé plus de 1000 km à pied, peut-être à cheval (les premières traces de domestication datent de cette époque) et en bateau.

Comment savez-vous que ce voyageur du néolithique vient des Alpes?

Grâce au strontium. Cet élément chimique qui se trouve sous forme de traces dans l’environnement est assimilé par l’organisme tout au long de la vie. La teneur de strontium se fixe néanmoins de manière définitive dans les dents à la fin de leur croissance. Cette valeur est corrélée au taux que l’on mesure dans la région où l’individu a vécu son enfance. Comme chaque région présente un taux de strontium différent, on peut facilement identifier les squelettes «locaux» et ceux qui appartiennent à des immigrés. Il est plus délicat de déterminer leur provenance précise puisqu’il n’existe pas une carte de la concentration de strontium en Europe. Le taux mesuré chez l’individu de Stonehenge correspond en tout cas à celui que l’on rencontre dans la région alpine.

Qu’en est-il des restes humains sur le site du Petit-Chasseur?

La plupart des squelettes que nous avons analysés sont indigènes sauf trois très différents des autres. Peut-être ont-ils amené des idées différentes, des connaissances nouvelles. Avec Jocelyne Desideri, nous menons une étude pour en apprendre plus sur ces trois individus. Il faut savoir que les tombes du Petit-Chasseur sont collectives. A chaque nouveau décès, on pousse les restes du cadavre précédent et on dépose le nouveau avant de refermer le caveau. Dans une sépulture de 4 m2, nous avons ainsi retrouvé près de 100 squelettes. Il s’agit maintenant de savoir, par exemple, si ces trois «intrus» proviennent du même dolmen ou de trois différents. Dans le dernier cas, on pourrait déduire, selon leur position dans les couches d’os, si ce sont les premiers inhumés, ce qui signifierait qu’ils auraient peut-être fondé la lignée et même construit le dolmen.

Reste-t-il encore beaucoup de travail à faire sur le matériel découvert au Petit-Chasseur?

Oui. A l’heure actuelle, nous avons mesuré les squelettes et déterminé leur âge, leur sexe, leurs pathologies et les relations populationnelles. Les analyses à l’aide du strontium sont en cours. Mais il reste encore à réaliser, entre autres, des études démographiques et, pourquoi pas, génétiques. Ce dernier point est en cours d’évaluation. Les ossements ont été beaucoup manipulés au cours des 50 dernières années. Mais il est possible que l’intérieur des dents ait conservé de l’ADN utilisable et pas trop pollué. Et puis, le site est loin d’avoir révélé tous ses secrets. Il y a notamment un grand parking entre les différents lieux de fouille. Dès qu’un projet de construction sera déposé, les archéologues interviendront.

Propos recueillis par Anton Vos