Campus n°105

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n°105 septembre-novembre 2001
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Genève peut produire deux fois plus d’énergie verte

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Le canton possède sur son territoire des sources d’énergie renouvelable dont l’utilisation serait à même de couvrir la moitié de ses besoins. A condition de rationaliser sérieusement la consommation de cette même énergie

Les ressources locales en énergie renouvelable pourraient subvenir à la moitié de la demande totale en énergie de la région genevoise. A condition toutefois que cette demande soit raisonnable. Autrement dit que la consommation directe actuelle, de près de 3500 watts par habitant (W/hab), soit ramenée sous la limite emblématique de 2000 W/hab, dont un quart seulement proviendrait de sources fossiles. En deçà de ce seuil, l’impact de l’être humain sur son environnement deviendrait en effet supportable. C’est ce qui ressort de la thèse défendue ce printemps par Jérôme Faessler, assistant au Groupe énergie de l’Institut des sciences de l’environnement. L’analyse réalisée par le chercheur genevois montre que ces deux objectifs sont réalistes, même s’il faudra certainement du temps pour les atteindre.

«Aujourd’hui, 80% de l’énergie consommée par les Genevois est d’origine fossile et 95% provient de l’extérieur de la région», résume Jérôme Faessler. Le hic, on le sait, c’est que l’épuisement des ressources fossiles (pétrole, charbon et gaz) et fissiles (l’uranium assure plus de 40% de l’électricité en Suisse) est programmé à moyen terme et que leur utilisation pose des problèmes graves à la santé et à l’environnement. Pour le chercheur genevois, la seule solution d’avenir revient à repenser en profondeur les filières de l’énergie. Il s’agit non seulement de se tourner massivement vers les sources renouvelables mais également de favoriser, autant que faire se peut, les ressources locales.

«Le fait de tirer une part significative de sa consommation énergétique de son propre territoire aura certainement pour conséquence de sensibiliser davantage la population à la problématique des impacts environnementaux des filières énergétiques et à les encourager à économiser», précise Jérôme Faessler.

Il se trouve qu’en la matière, le bassin genevois n’est pas dépourvu d’atouts. Le canton produit déjà plus de 400 W/hab d’énergie renouvelable à partir des ressources de son territoire, principalement grâce aux barrages hydroélectriques et à l’utilisation thermique du Rhône. A cela s’ajoute un gisement encore mobilisable provenant de différentes sources: hydrologie, géothermie, solaire, rejets thermiques de diverses installations, etc. En tenant compte des besoins spécifiques actuels du canton en matière de chaleur, de froid, d’électricité et de carburant, le chercheur estime que l’on pourrait tirer de cette manne l’équivalent de près de 600 W/hab, soit 1000 W/hab au total.

Aux trois quarts renouvelable

Dans la perspective d’une société à 2000W/hab, la moitié de la consommation pourrait donc être renouvelable et locale, à quoi il convient d’ajouter une importation d’énergie verte d’environ 500 W/hab produite en dehors du canton (essentiellement sous forme d’électricité). Les 500 derniers W/hab continueront d’être tirés des ressources fossiles (ces dernières assurent aujourd’hui pas moins de 2800 W/hab).

C’est le secteur hydrologique qui représente le plus gros potentiel local et principalement la production directe de fraîcheur (et un peu de chaleur) à l’aide de l’eau du lac. L’idée consiste à pomper de l’eau froide à plus de 30 mètres de profondeur afin de rafraîchir les bâtiments à l’aide d’échangeurs. Après usage, le liquide légèrement réchauffé est rejeté dans les couches supérieures du lac, naturellement plus chaudes durant la belle saison.

Un tel système est déjà opérationnel dans le projet pilote de Genève-Lac-Nations (GLN). «En apportant la preuve de son bon fonctionnement, ce genre de dispositifs va se multiplier dans la région, pronostique Jérôme Faessler. En refroidissant tous les bâtiments climatisés du canton grâce à la fraîcheur des profondeurs du lac, on économiserait plus de 90% de l’électricité utilisée aujourd’hui par les climatiseurs.»

Impact imperceptible

Analysé de près par le Groupe énergie, notamment dans le cadre du projet européen TETRAENER et de celui de VIRAGE, réalisé sur mandat de l’Etat de Genève et dont les résultats ont été intégrés dans la thèse de Jérôme Faessler, l’impact environnemental de cette technologie est imperceptible au regard des fluctuations naturelles.

La production d’électricité grâce au débit des cours d’eau offre, quant à elle, moins de perspectives de développement par le fait qu’il existe déjà de nombreux barrages dans la région, dont ceux de Verbois, du Seujet, de Chancy-Pougny et de Génissiat (France). Deux projets sont néanmoins à l’étude: la construction du barrage de Conflan sur le Rhône à l’endroit où il quitte la Suisse et l’augmentation de la capacité de celui de Chancy-Pougny.

L’énergie solaire, elle, a encore de la marge de croissance. La surface colonisable est en effet vaste. Un objectif raisonnable consiste à recouvrir un tiers des toits du canton avec des panneaux solaires. «Ce chiffre est celui auquel aboutissent la plupart des études scientifiques, précise Jérôme Faessler. Il tient compte de l’exposition, des zones ombragées, des conflits d’usage, etc. Une hypothèse réaliste, du point de vue des règles de construction actuellement en vigueur, serait de partager la surface mobilisable en deux parts égales. La première pour chauffer de l’eau sanitaire (solaire thermique) et la seconde pour produire de l’électricité (photovoltaïque).» Dans une telle configuration, l’apport du solaire passerait du négligeable (4 W/hab) aujourd’hui à l’appréciable (229 W/hab) à l’horizon 2030 ou 2050.

Du photovoltaïque partout

«La meilleure solution à moyen terme serait toutefois d’installer du photovoltaïque partout, au détriment du solaire thermique, poursuit le chercheur genevois. Cette option est plus intéressante pour une société comme la nôtre qui ne cesse de s’électrifier (un quart de l’énergie est consommé sous forme d’électricité à Genève). Les différentes études réalisées par le Groupe énergie montrent en effet que le chauffage de l’eau peut se faire efficacement par d’autres moyens, comme les pompes à chaleur.»

La géothermie est d’ailleurs une autre ressource intéressante et encore largement sous-exploitée. En plus des rénovations énergétiques des bâtiments, la généralisation des pompes à chaleur permettrait de chauffer les immeubles, un secteur qui engloutit la moitié de l’énergie consommée à Genève. Malgré le fait qu’elles consomment de l’électricité, ces installations permettraient d’économiser une part importante du mazout et du gaz brûlés dans les chaudières actuelles.

Certaines pompes à chaleur comportent toutefois le risque de refroidir localement le terrain. La recharge naturelle par le soleil ne suffisant pas à compenser le soutirage parfois important de chaleur, il faudra donc penser à injecter artificiellement dans le sous-sol des calories durant l’été (en inversant le fonctionnement des pompes à chaleur ou en utilisant des rejets thermiques, par exemple), sous peine de le rendre à terme inutilisable durant des décennies.

Le chauffage des bâtiments pourrait aussi bénéficier des calories actuellement gaspillées par l’usine d’incinération des Cheneviers et les stations d’épuration des eaux usées qui rejettent une grande quantité d’eau tiède dans le Rhône. Il existe déjà un système de chauffage à distance alimentant Onex et le Petit-Lancy. Il est néanmoins possible d’augmenter considérablement le rendement de ces installations.

Malgré le fait qu’il soit une des stars actuelles du débat sur l’énergie dans le monde, l’éolien a pour sa part peu d’avenir dans le canton du bout du lac. Le potentiel est en effet quasi nul. Une carte des vents a été dressée pour la Suisse et la vitesse moyenne annuelle pour Genève a été mesurée à 4,5 mètres par seconde alors qu’il faudrait qu’elle soit située entre 6 et 10 pour qu’il soit intéressant d’installer des hélices. Cela n’empêche pas les Services industriels genevois d’aller chercher le vent, entre autres, sur les crêtes du Jura, où ils tentent d’acquérir des sites pour la construction d’hélices géantes, le plus proche étant celui de la Rippe, au-dessus de Nyon.

La seule solution

Cela dit, tous ces efforts seraient inutiles dès lors qu’ils ne s’accompagnent pas d’une rationalisation de l’utilisation de l’énergie en général. Le plus grand potentiel d’économie consiste à améliorer l’isolation des bâtiments. Pour l’instant, c’est le mazout et le gaz qui assurent la plus grande partie du chauffage domestique à Genève, à hauteur de 1480 W/hab. En calfeutrant mieux les habitations et en opérant les changements dans la production d’énergie décrits ci-dessus, il serait envisageable de réduire la part dévolue aux énergies fossiles à seulement 200 W/hab.

Quant à la mobilité, qui est responsable d’un quart de l’énergie consommé à Genève, le problème est double. Il faut d’une part provoquer un changement de mentalité considérable qui pousserait les gens à moins se déplacer en avion ou en voiture et à davantage utiliser les transports publics locaux et la mobilité douce. D’autre part, les progrès techniques envisageables pourraient déboucher sur la commercialisation à grande échelle de voitures électriques urbaines. Un parc de véhicules de cette nature, avec les batteries qu’elles transportent, pourrait par exemple servir de moyen de stockage de l’électricité produite par le photovoltaïque.

Ces changements d’habitude, aussi utopiques qu’ils puissent paraître, représentent probablement la seule solution pour parvenir à diviser par 3 ou 4 la consommation d’essence, de diesel et de kérosène (la possibilité de produire de l’éthanol à partir de la biomasse genevoise est très limitée). Et d’atteindre ainsi l’objectif d’une société genevoise à 2000 W.

Anton Vos

2000 watts, pas plus

Le concept de société à 2000 watts par habitant (W/hab) a été développé dans les années 1990 par l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich. Adoptée par la Suisse, puis par le canton de Genève dès 2006, cette vision d’une société «idéale» au niveau énergétique vise plusieurs objectifs.

La quantité d’énergie dite primaire consommée par habitant doit être ramenée à 2000 watts, ce qui est un niveau jugé acceptable par les experts. La moyenne suisse se situe à 6500 W/hab alors que celle des Etats-Unis est deux fois plus élevée. En comparaison, chaque habitant du Bangladesh ne consomme que quelques centaines de watts par année. Le Genevois n’est pas trop dépensier puisqu’il utilise 3440 W/hab. Ce chiffre ne tient cependant pas compte de l’énergie primaire utilisée par les biens de consommation importés.

Les émissions d’équivalents CO2 doivent être ramenées à 1 tonne par habitant et par année. Cela signifie que la part des énergies renouvelables dans l’énergie primaire doit atteindre les 75%. Actuellement en Suisse, ce chiffre est de 10% environ, grâce surtout à l’électricité produite par les barrages hydroélectriques.

Une puissance de 2000 watts permet à une personne, en une journée, de prendre une douche durant deux heures, de faire tourner 50 machines de linge ou encore de rouler 64 km en voiture (avec une consommation de 7,5 litres d’essence pour 100 kilomètres).

Une Suisse à 2000 watts a déjà existé dans les années 1960 mais elle était alors dominée par l’utilisation de charbon, de pétrole et de gaz. En cinquante ans, elle s’en est beaucoup éloignée. Et si des efforts sont consentis dès à présent, le pays pourrait y retourner en 2150.