Campus n°115

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Le choix du dernier souffle

Lorsque la mort s’approche, les attentes des personnes résidant en EMS ne sont pas forcément les mêmes que celles de leurs proches ou du personnel soignant. C’est ce que démontre une enquête qualitative menée sous l’égide de l’association uni3

Depuis le 1er janvier 2013, les directives anticipées sont explicitement ancrées dans le droit fédéral. Autrement dit : avec l’entrée en vigueur de la nouvelle législation sur la protection des adultes, cette déclaration par laquelle un patient peut désigner les traitements auxquels il consent ou non dans le cas où il ne serait plus en mesure d’exprimer sa volonté devrait être effectuée de manière systématique, notamment lors de l’entrée d’une personne âgée dans un établissement médico-social (EMS). Confirmant plusieurs travaux préalables, une enquête menée par la Commission santé de l’association Uni3 – l’Université des seniors de Genève – montre que cette pratique est encore loin d’être entrée dans les mœurs, tant des patients que de leurs proches ou du corps médical. Elle révèle surtout les très nombreuses discordances qui entourent encore les derniers instants de la vie. Explications.

Lorsqu’un événement soudain et grave affecte la santé d’une personne âgée vivant en EMS et donc souvent déjà fragilisée, la décision de poursuivre ou d’arrêter les soins est souvent difficile à prendre. Jusqu’où la médecine doit-elle aller dans ce cas de figure ? A qui revient le dernier mot : à la personne concernée, à son entourage familial, au corps médical ?

Destinée à éclairer la position de l’ensemble des acteurs impliqués dans cette délicate problématique, l’enquête d’Uni3 repose sur une cinquantaine d’entretiens effectués avec des personnes résidant en EMS âgées de 66 à 94 ans, leurs proches (conjoint, parent ou personne de confiance), ainsi que leurs infirmières et leurs médecins. Tous avaient à se prononcer sur un scénario hypothétique : la survenue d’une pneumonie aiguë alors que le patient se trouve soit dans son état de santé actuel, soit dans un état grabataire, soit dans un état de démence. Pour chacun de ces cas de figure, une question portait sur le choix du lieu de soins (rester dans l’EMS ou être transféré à l’hôpital) et une autre sur l’orientation à donner aux soins, la première option consistant à se limiter à des soins de confort et la seconde à tenter tout ce qui est médicalement possible. Pour chaque situation, il a par ailleurs été demandé aux personnes interrogées de motiver leurs choix. Enfin une question subsidiaire concernait l’existence et/ou le contenu d’éventuelles directives anticipées.

«Comme un pacha » Le principal résultat de ce tour d’horizon montre une très forte discordance sur le choix du lieu de soins. D’un côté, les proches et la majorité du personnel soignant montrent ainsi une très nette tendance à se prononcer en faveur d’une hospitalisation. De l’autre, les résidants sont globalement hostiles à ce transfert. Loin de considérer que leur vie en EMS est toujours agréable (« C’est une maison de fous », « J’ai le sentiment de devenir complètement gâteux ici »), ils s’y sentent néanmoins chez eux (« Ici, je suis comme un pacha », « C’est ici ma maison », « On est dans une bonne ambiance »).

Selon les auteurs du rapport, la première cause de ces différences de point de vue tient à l’absence de directives claires, qui fait que les décisions sont, au final, le plus souvent prises en fonction de l’état du patient, de la disponibilité des infirmières ou de la position morale du médecin.

Deux autres éléments sont également à prendre en compte selon eux. Le premier est l’image très négative – souvent forgée par des expériences précédentes – que les résidants ont de l’hôpital. Le second est lié au fait que les personnes vivant en EMS ont souvent une appréciation de leur état de santé qui ne correspond pas à celle que s’en font les médecins, les infirmières, voire les proches.

Pour les médecins interrogés dans le cadre de l’enquête, la « qualité de vie », expression qui n’est employée par aucun résidant, se mesure en effet sur la base de critères tels que l’âge, les aptitudes cognitives ou les capacités physiques du patient.

«Laissez-moi tranquille » Aux yeux des résidants, en revanche, ce qui semble compter avant tout, c’est d’éviter de souffrir inutilement, de perdre sa dignité et de tomber dans la démence.

Préparés de longue date à l’idée de leur mort prochaine, ils se disent pour la plupart « au bout du rouleau » et souhaiteraient surtout qu’on les «laisse tranquille». «J’ai plus peur de vivre que de mourir», résume ainsi l’un d’eux. Par ailleurs, et bien que tous les intervenants s’accordent sur le fait que les choses seraient plus simples si cette dernière étape de la vie avait été planifiée au travers de directives anticipées, l’étude montre que cette pratique reste mal connue et peu répandue, puisqu’elle n’est utilisée que par 20 % des personnes âgées en Suisse. Selon les auteurs du rapport, le système des directives anticipées pèche par son caractère trop général, qui est difficilement conciliable avec les spécificités entourant la mort de chaque individu.

En guise de conclusion, le rapport recommande donc une série de mesures parmi lesquelles une meilleure prise en compte de l’avis des résidants sur leur état de santé ; un rôle accru dévolu aux infirmières lors des décisions prises en commun ; une remise en question de la pertinence du concept de qualité de vie tel qu’il est utilisé aujourd’hui par les médecins ; l’émission de directives claires de la part des EMS quant à leurs possibilités d’assumer des soins lourds ; une réflexion de l’hôpital sur les raisons qui font que son image est si mauvaise auprès de cette catégorie de la population.

Vincent Monnet

Référence: http://www.unige.ch/uni3/Commission/Publications.html