Campus n°116

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Dossier | Impôts

La taxe qui vise des recettes nulles

Les taxes incitatives sont volontiers utilisées comme outil pour préserver l’environnement d’une trop importante pollution. La Suisse s’apprête à en introduire de nouvelles sur l’électricité et l’essence d’ici à quelques années

Dès 2021, il se pourrait bien que l’essence et l’électricité soient soumises à une nouvelle taxe incitative. C’est en tout cas ce que prévoit un des scénarios présentés dans le rapport sur la politique énergétique des 30-35 prochaines années que le Département des finances (DF) a remis au Conseil fédéral en septembre 2013 (lire encadré). Cette réflexion, visant à réduire la consommation d’énergie, est rendue nécessaire par la perspective de la fermeture et du non-remplacement des centrales nucléaires suisses dans les prochaines décennies. Sur la base du rapport du DF, les autorités ont lancé une consultation préliminaire auprès des cantons, des partis, des communes et des associations faîtières de l’économie. Les résultats de ce tour de table devraient être rendus publics ces prochaines semaines.

« Comme son nom l’indique, une taxe ‘incitative’ n’est pas destinée à remplir les caisses de l’Etat, explique Jean-Frédéric Maraia, chargé de cours et directeur exécutif du programme LL.M. Tax, une maîtrise universitaire d’études avancées décernée par l’Université de Genève, au sein de laquelle il dispense un cours sur la fiscalité écologique. L’opération vise à encourager une modification des comportements des particuliers et des entreprises. Le véritable objectif est, en l’occurrence, de réduire la consommation d’énergie et de diminuer les émissions de gaz carbonique, principal gaz à effet de serre responsable des changements climatiques. »

Pour respecter le principe de base de la mesure, les recettes que génère ce genre de taxes sont ensuite redistribuées à la population et/ou à l’économie en général. Et la manière la plus simple pour y parvenir consiste à reverser cet argent via l’assurance maladie, étant donné que toute personne vivant en Suisse a l’obligation d’être assurée.

Taxes vertueuses « Les économistes sont très largement en faveur du système de taxes incitatives, confirme Franco Romerio, maître d’enseignement et de recherche à l’Institut des sciences de l’environnement (Faculté des sciences). La pollution engendrée par la combustion des hydrocarbures n’est pas comptabilisée dans le prix de vente de la ressource. La taxe permet de corriger le tir de manière plus efficace que si l’on édictait simplement des normes à ne pas dépasser. »

Il existe déjà d’autres taxes « vertueuses » en Suisse. La taxe d’incitation sur les composés organiques volatils (COV), par exemple, est prélevée depuis le 1er janvier 2000. Elle a permis, en quatre ans, de baisser de 31 % les émissions de ces molécules utilisées dans les solvants et comme gaz propulseur dans les produits cosmétiques notamment. Les COV sont nuisibles pour l’homme et l’environnement et font partie des gaz responsables de la formation d’ozone de basse altitude, le fameux smog estival.

Doper l’innovation Mais ce n’est pas tout. En plus de diminuer la pollution, cette mesure encourage aussi l’innovation technologique. Selon un rapport commandé en 2008 par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), depuis l’introduction de cette taxe, les entreprises en Suisse ont diminué leurs activités engendrant des émissions de COV en adaptant les processus de production (surtout dans le domaine des imprimeries et de la fabrication de peinture), voire en mettant de nouveaux produits sur le marché (notamment des peintures).

La tendance à la baisse marque toutefois le pas depuis quelques années. Les recettes de cet impôt se sont en effet stabilisées autour des 126 millions de francs annuels.

Les taxes d’incitation sur les huiles de chauffage extra-légères et les carburants soufrés ont obtenu un meilleur résultat. Ces mesures, visant à réduire la pollution de l’air engendrée par le soufre tout en économisant du carburant, ont eu un effet avant même leur entrée en vigueur. Les entreprises concernées se sont en effet rapidement adaptées, et ces taxes n’ont quasiment rien rapporté (moins d’un million de francs par année).

Carburants épargnés L’histoire de la taxe CO2 est plus complexe. En Suisse, elle épargne les carburants et n’est pour l’instant appliquée qu’aux combustibles fossiles comme l’huile de chauffage et le gaz naturel. Introduite en 2008, elle n’a pas réussi à faire baisser suffisamment la consommation de ces hydrocarbures. C’est pourquoi les autorités ont décidé d’«augmenter l’incitation» en faisant passer la taxe, depuis le 1er janvier dernier, de 36 à 60 francs par tonne de CO2 (soit de 9,5 à 16 centimes par litre de mazout). D’autres ajustements similaires sont possibles en 2016 et en 2018 si la situation n’évolue pas assez rapidement.

Le produit de cette taxe n’est qu’en partie seulement reversé à la population via l’assurance maladie. Le reste est redistribué aux entreprises ainsi qu’à un programme de financement de l’assainissement énergétique des bâtiments.

« L’opposition à la taxe incitative vient surtout des milieux industriels, qui ont peur d’être pénalisés vis-à-vis de leurs concurrents des pays voisins qui ne subiraient pas la même taxe, poursuit Franco Romerio. Cette menace sur l’économie nationale et les emplois rend évidemment la question hautement politique. »

Fortes réticences Dans ce contexte, l’idée de taxes supplémentaires venant grever le prix du carburant et de l’électricité peut soulever de fortes réticences. Pour parer à cette éventualité, le rapport du DF cité plus haut propose deux variantes dont l’une, plus douce, prévoit de continuer d’épargner le carburant et de poursuivre une politique de subvention des énergies renouvelables (lire encadré).

« Il ne faut pas penser que les taxes d’incitation peuvent résoudre le problème de l’environnement à elles toutes seules, souligne Jean-Frédéric Maraia. Ce n’est qu’une mesure parmi d’autres, tant sur le plan fiscal (il existe aussi des taxes dites causales qui couvrent les frais liés à l’élimination des déchets par exemple) que sur un plan plus large (on peut citer la collaboration avec les milieux économiques sur une base volontaire qui se traduit par des réglementations, des limitations, etc.). »

D’autres dispositions figurent dans la Loi fédérale sur la protection de l’environnement (LPE) qui fournit le cadre général à la protection de l’air, de l’eau, des sols, etc. On trouve aussi des taxes qui servent à couvrir des dépenses dont la finalité est également la préservation de la nature, comme l’élimination des déchets. Enfin, certains règlements situés en dehors du cadre législatif national prévoient eux aussi des taxes de type environnemental comme celui des aéroports.

Taxer plus l’énergie et moins le travail

Le Conseil fédéral a présenté en 2013 sa Stratégie énergétique 2050 comme contre-projet indirect à l’initiative populaire Sortir du nucléaire. La seule différence entre les deux est que l’initiative demande l’arrêt total des réacteurs après quarante-cinq ans de service alors que les autorités souhaitent prolonger leur exploitation jusqu’à la limite des critères techniques et de sécurité, se laissant un peu plus de temps.

La Stratégie énergétique 2050 prévoit de remplacer progressivement par un système incitatif le système d’encouragement actuel (dont fait partie le supplément perçu sur le réseau électrique pour encourager la production d’électricité à base d’énergies renouvelables ainsi que l’affectation partielle de la taxe sur le CO2 pour l’assainissement des bâtiments).

Le Département fédéral des finances a rédigé un rapport à l’intention du Conseil fédéral qui propose deux variantes. La première prévoit que la taxe sur le CO2 reste limitée aux combustibles et continue d’épargner les carburants. Elle propose aussi l’introduction d’une nouvelle taxe sur la consommation d’électricité. L’effet incitatif de cette solution est jugé modeste par les auteurs du rapport. Pour atteindre les objectifs de réduction de la consommation d’énergie et d’émission des gaz à effet de serre, il faudra par conséquent maintenir certaines mesures de régulation et d’encouragement.

La seconde variante étend aux carburants la taxe sur le CO2 et introduit également une taxe sur la consommation de l’électricité. Les taux des taxes sont plus élevés que dans la première variante. L’effet incitatif, réel, devrait donc permettre de réduire progressivement les mesures d’encouragement.

Dans les deux cas, les recettes des taxes sont redistribuées aux ménages privés et aux entreprises. Dans la deuxième variante, il est prévu à terme d’utiliser le produit de la taxe pour réduire d’autres impôts et taxes en vigueur. Et pourquoi pas ceux qui touchent le travail (charges sociales, impôts directs…).