Campus n°131

La biodiversités des sols, une assurance pour la productivité

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Salvatore Di Falco, professeur à la Faculté d’économie et de management, montre que la baisse de fertilité des sols, causée par leur surexploitation, peut être compensée par l’augmentation de la diversité des espèces de plantes cultivées.

«Lorsque la fertilité des sols diminue – ce que l’on observe depuis des années un peu partout sur la planète –, augmenter la diversité des plantes cultivées sur une même parcelle permet de réduire le risque de mauvaises récoltes. Et cette mesure, sur le long terme, est très probablement moins coûteuse que le simple recours, année après année, à davantage de mécanisation et d’engrais, ce qui ne fait qu’appauvrir davantage le sol. » Cette conclusion, qui semble frappée au coin du bon sens, est portée par des résultats scientifiques obtenus aussi bien en Afrique qu’en Europe par Salvatore Di Falco, professeur à l’Institut d’économie et d’économétrie (Faculté d’économie et de management, GSEM). « Cet effet de substitution est même plus important encore dans le cadre des changements climatiques, précise le chercheur. Et cela est valable également pour la Suisse, même si c’est dans une moindre mesure que dans le nord de l’Éthiopie, par exemple. »
Cela fait plus de dix ans que Salvatore Di Falco s’intéresse aux interactions étroites qui s’établissent entre la biodiversité du sol (une valeur mesurée par des agronomes et représentant le principal indicateur de la fertilité des sols), la biodiversité des cultures et la productivité de la terre. Et son approche, en tant qu’économiste considérant une exploitation agricole comme n’importe quelle autre entreprise, consiste à mesurer les coûts et bénéfices des choix stratégiques effectués par les fermiers. Son calcul, toutefois, ne se contente pas du court terme, celui d’une saison, mais s’inscrit dans le temps long qui peut s’étaler sur plusieurs décennies.
Sa première étude sur ce thème, réalisée en 2006, a porté sur la région de Tigré, dans le nord de l’Éthiopie. Salvatore Di Falco a pu y mesurer un effet assez marqué de substitution, la probabilité d’une mauvaise récolte sur des sols appauvris étant minimisée grâce à la diversification des cultures.
Le chercheur a poursuivi ses travaux en intégrant la dimension temporelle. Il a en effet récolté des données provenant de fermes de toute l’Italie du Sud et couvrant une période d’environ vingt ans. Le même phénomène est apparu après l’analyse des données
avec, comme résultat supplémentaire, une accentuation de l’effet lorsque les précipitations se font rares. « On peut d’ores et déjà affirmer que, dans le contexte de changements climatiques ayant comme conséquences une raréfaction des pluies, la biodiversité du sol et des cultures joue un rôle majeur dans le maintien de la productivité », explique Salvatore Di Falco.
Dans une troisième étude, parue le 17 septembre 2016 dans la revue Ambio, le chercheur a étendu son enquête sur plus de 3000 fermes réparties dans toute l’Italie et suivies durant plus de vingt ans. Une fois de plus, la conclusion est cohérente avec les précédentes. Non seulement la biodiversité des sols et celle des cultures ont un effet positif sur les revenus des fermiers mais, en plus, l’une peut agir comme substitut à l’autre.
« Favoriser la biodiversité dans et au-dessus du sol est absolument crucial pour soutenir la productivité ou la résilience des systèmes agricoles, insiste Salvatore Di Falco. Les implications économiques sont considérables. Car on parle ici des principales céréales échangées sur les marchés internationaux. »
Résultat logique, le modèle d’exploitation de la terre qui selon lui porte le plus de chances d’assurer un revenu stable sur la durée est assez exigeant. Il implique de la part du fermier d’installer un système de rotation des cultures, de gérer en continu la fertilité du sol et d’assurer un impact chimique minimal sur la terre, donc de se contenter d’un usage très réservé d’engrais et de produits phytosanitaires. Il demande aussi de la patience. Ce genre d’approche produit des bénéfices qui mettent en effet du temps à se faire sentir. Mais ils sont alors plus robustes.

Logique inverse

« L’agriculture intensive, actuellement dominante dans les pays industrialisés, suit une logique totalement inverse, souligne Salvatore Di Falco. Elle favorise les monocultures et épuise progressivement le sol. Pour augmenter la productivité malgré la baisse de la fertilité, elle utilise toujours plus de produits chimiques, mécanise l’exploitation et sélectionne les semences les plus productives tout en croisant les doigts pour que les prix des céréales sur le marché restent élevés. Cette stratégie, basée sur l’agrochimie et la chance, peut certes durer encore longtemps mais elle aura, sur le long terme, un coût plus élevé qu’un modèle alternatif. »
Pour le chercheur, au lieu de rechercher le profit immédiat après chaque récolte, il faudrait considérer le sol comme un bien qui peut prendre de la valeur avec le temps. Et la seule façon d’y arriver consiste à jouer sur les deux tableaux complémentaires que sont la biodiversité de la terre et celle des cultures.
La Suisse n’est pas à l’abri de la chute de productivité liée à la baisse de la biodiversité des sols. Le problème est surtout lié à la géographie spécifique du pays et, en premier lieu, au fait que de nombreuses terres cultivées sont en pente. Cette caractéristique rend la productivité à risque dès le départ.
À cela s’ajoutent une intensification et une concentration des précipitations sur des laps de temps de plus en plus courts qui ont pour effet de laver la couche de terre superficielle.
« Les statistiques montrent que depuis quinze ou vingt ans les précipitations deviennent de plus en plus erratiques et difficiles à prédire, note Salvatore Di Falco, qui s’apprête à lancer une étude sur la biodiversité et la productivité des sols suisses. Sans parler des crues qui se multiplient. La Suisse apporte une réponse politique assez bonne, pour l’instant. Cela dit, je pense qu’une solution à la baisse de la productivité des sols serait l’adoption simultanée de différentes technologies qui conservent le sol en conjonction avec le soutien de la biodiversité. Cela représente des investissements longs et coûteux. Mais à long terme, c’est profitable. »