Campus n°141

Il pleut du fer sur WASP-76 b

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Des chercheurs ont trouvé une exoplanète dont la face exposée est si chaude que les métaux sont vaporisés. Ils se condensent à nouveau en gouttelettes dès qu’ils pénètrent dans l’hémisphère plongé dans la nuit

Ce soir, comme tous les soirs, il pleut du fer sur WASP-76 b. Cette exoplanète située à quelque 640 années-lumière de la Terre possède en effet un hémisphère continuellement exposé à son étoile. La température y grimpe au-dessus de 2400 °C, ce qui suffit à vaporiser les métaux. Les vents forts qui balayent l’épaisse atmosphère transportent ensuite les vapeurs ferreuses vers le côté plongé dans la nuit. Lorsqu’ils passent la limite baptisée « soir » et entrent dans la face obscure, la température chute de près de 1000 degrés. Ce refroidissement provoque la condensation de la vapeur de fer en gouttelettes qui déferlent alors vers les profondeurs insondables. Tel est le scénario présenté par une équipe dirigée par David Ehrenreich, professeur au Département d’astronomie (Faculté des sciences) dans un article paru le 11 mars dans la revue Nature.
« Il pleut du fer sur WASP-76 b mais il se pourrait aussi qu’il neige du fer, précise David Ehrenreich. Le fait que les vapeurs d’atomes de fer se condensent ou se solidifient dépend de la présence d’autres éléments chimiques et, surtout, du profil de températures du côté nuit. Des informations que nous ne connaissons pas. Du moins pas encore. »
Le phénomène de précipitation du fer a été découvert grâce au tout nouveau spectrographe ESPRESSO, un instrument conçu à l’Université de Genève et équipant depuis 2017 le Very Large Telescope de l’Observatoire européen austral (ESO) au Chili. L’appareil a été utilisé pour analyser la lumière de l’étoile traversant l’atmosphère de WASP-76 b au moment où celle-ci effectue un transit. La précision de la mesure est telle que l’étude du signal a permis de déterminer la composition en fer des couches gazeuses extérieures ainsi que leur vitesse de rotation – la partie solide interne de la planète, celle qui est synchronisée avec l’étoile, est invisible.
Les astronomes ont ainsi pu détecter, pour la première fois, une variation chimique à l’échelle d’une même exoplanète. Ils ont en effet mesuré une forte signature de vapeur de fer sur la frontière entre le jour et la nuit dite du « soir » (là où le vent pousse les vapeurs de fer dans la nuit). Une signature qui est absente sur la limite opposée, celle dite du « matin ». La conclusion logique est que le métal s’est condensé quelque part entre les deux, dans la nuit éternelle, faisant pleuvoir des gouttes ou tomber des flocons de fer.
Les conditions physicochimiques sont telles côté diurne qu’il est possible – mais non vérifié – que l’atmosphère contienne aussi des ions de fer. Ces atomes chargés, ayant perdu un ou plusieurs électrons, sont sensibles au champ magnétique de l’exoplanète et créent des courants électriques susceptibles d’entraver ou de figer considérablement la circulation atmosphérique. Une telle hypothèse permettrait d’expliquer pourquoi la température est si mal distribuée tout autour de la planète.

Géantes ultrachaudes

WASP-76 b fait partie des exoplanètes dites géantes ultrachaudes. Celles-ci ont la particularité de recevoir un ensoleillement au moins 1000 fois plus important que la Terre – dans le cas de WASP-76 b, il est 4000 fois plus important. Une telle irradiation ne peut être produite que par des étoiles beaucoup plus massives que le Soleil.
« Ces géantes ultrachaudes ne sont pas les cibles privilégiées des chasseurs d’exoplanètes, explique David Ehrenreich. La taille importante des étoiles autour desquelles elles gravitent rend en effet leur découverte difficile. Les naines rouges, beaucoup plus petites, se prêtent beaucoup mieux aux techniques de détection dites du transit ou de la vitesse radiale. »
Cela ne fait que quelques années, avec le perfectionnement des instruments de mesure, que les campagnes de recherche d’exoplanètes s’intéressent à toutes les étoiles brillantes du ciel sans distinction de type ou de masse.
La première géante ultrachaude à avoir été découverte est WASP-33 b, en 2010. La plus chaude, à ce jour, est KELT-9 b. Cette dernière est soumise à un ensoleillement des dizaines de milliers de fois supérieur à celui de la Terre. L’équipe de David Ehrenreich a d’ailleurs publié dans la revue Nature du 15 août 2018 un inventaire particulièrement riche des éléments chimiques détectés sur KELT-9 b : du fer, du titane, du magnésium, du chrome, du scandium, de l’ytterbium, du calcium, de cobalt, du strontium...
« Il est possible que l’on trouve aussi certains de ces éléments sur WASP-76 b, note David Ehrenreich. Et peut-être tombent-ils aussi sous forme de pluie le soir sur cette exoplanète. Nous possédons beaucoup de données que nous sommes en train d’analyser et qui devraient nous permettre de le savoir. Par ailleurs, à l’aide d’ESPRESSO, nous avons lancé un programme de relevés atmosphériques sur d’autres planètes géantes ultrachaudes pour vérifier si le phénomène de pluie de fer se produit ailleurs. »

Anton Vos