Campus n°96

Recherche/Biochimie

Quand les virus jouent aux pirates cellulaires

Au lieu d’infecter les cellules directement par la membrane extérieure, de nombreux virus à enveloppe (dont fait partie le VIH) empruntent les endosomes pour pénétrer dans leur hôte et y lâcher leur matériel génétique

Les chercheurs ont toujours affirmé que l’infection par le virus du sida se déroule à la surface des cellules, c’est-à-dire à travers la membrane plasmique. Il se pourrait bien, pourtant, que cette vision, élevée en dogme scientifique, ne soit que partielle et que la principale porte d’entrée du funeste agent pathogène se trouve ailleurs: dans les endosomes.

photo
Les endosomes sont des vacuoles qui évoluent à l’intérieur de la cellule. Ils sont formés à partir de l’invagination de la membrane plasmique. Ce faisant, ils attrapent diverses substances flottant à proximité – ou accrochées à la surface – et les transportent dans les profondeurs de la cellule pour y être triées, dégradées, recyclées, etc. Dans un article de la revue Current Opinion in Cell Biology paru en ligne le 13 mai, Jean Gruenberg, professeur au Département de biochimie, fait le point sur les connaissances sur le sujet et rappelle que de nombreux virus dits «à enveloppe» tirent profit de ce processus de capture appelé endocytose pour infecter les cellules.

Dedans, dehors

Cette stratégie est assez bien documentée pour certains agents pathogènes comme les virus de la grippe (dont fait partie le fameux H1N1 responsable de la grippe A actuelle) ou encore celui de la stomatite vésiculaire. Dans son article, le chercheur genevois avance l’hypothèse selon laquelle le virus de l’immunodéficience humaine (VIH), qui appartient à la même famille, pourrait bien emprunter la même voie.

Il faut préciser que l’intérieur des endosomes, du point de vue topologique, correspond à l’extérieur des cellules. Le matériel enfermé se trouve donc, techniquement, «dehors», tout en étant encerclé par la cellule. Par conséquent, les parois internes de ces vacuoles présentent toujours les récepteurs que la cellule arbore normalement sur sa membrane plasmique. S’y trouvent, entre autres, ceux dont le VIH a besoin (le CD4 et les co-récepteurs CCR5 ou CXCR4) pour traverser la barrière et pénétrer dans le cytoplasme.

«D’un point de vue théorique, les avantages des endosomes pour les virus sont multiples, précise Jean Gruenberg. Le liquide que renferment ces vacuoles, par exemple, est naturellement acide – ce qui n’est pas forcément le cas dans le milieu intercellulaire. Cette condition est essentielle pour que l’enveloppe du virus fusionne avec la membrane cellulaire et que l’envahisseur puisse ainsi relâcher son matériel génétique dans le cytoplasme.»

De plus, au cours de leur existence, la plupart des endosomes se déplacent vers les régions plus centrales de la cellule à la rencontre notamment d’autres vacuoles, les lysosomes, qui jouent le rôle d’usine d’incinération. Comme un passager clandestin particulièrement habile, le virus profiterait de ce véhicule pour se rapprocher du noyau, là où se trouvent en plus grande concentration des molécules spécialisées dans la réplication et la traduction du matériel génétique. Exactement ce dont l’envahisseur a besoin pour se multiplier.

«Certains virus que nous étudions semblent même détourner in extremis leur transporteur de circonstance et le quitter juste avant qu’ils ne les jettent en pâture aux lysosomes, précise Jean Gruenberg. Il faut dire que les cellules de mammifères et les virus ont co-évolué depuis très longtemps. Les premières ont développé des stratégies de défensesque les seconds ont systématiquement cherché à contourner.»

Barrer la route

Résultat: la plupart, voire toutes les routes endosomiques ont été exploitées par les virus à enveloppe pour infecter les cellules des mammifères. Certains de ces agents pathogènes se sont tellement perfectionnés qu’ils parviennent, en arrivant sur la membrane de la cellule hôte, à utiliser ses récepteurs de surface et les cascades de réactions biochimiques qui s’ensuivent pour provoquer leur propre capture par un endosome.

Il semble donc naturel de penser que le VIH soit capable de suivre la même voie, voire de manière préférentielle. «Il est extrêmement important de connaître avec précision la principale porte d’entrée du virus dans les cellules, note Jean Gruenberg. Comment faire, sinon, pour lui barrer efficacement la route?»

Coïncidence, une recherche simultanée et indépendante, publiée par une équipe américaine dans la revue Cell du 1er mai, confirme que l’idée n’est de loin pas absurde. L’expérience qui y est décrite démontre que l’ARN du VIH pénètre effectivement dans le cytoplasme de la cellule via les endosomes. Bien que d’autres études soient encore nécessaires, cette recherche semble indiquer en outre que la voie privilégiée jusque-là par les spécialistes, celle de la membrane plasmique, est, en comparaison, nettement moins efficace.

Anton Vos