Le jetlag des cellules favoriserait l’apparition du diabète
Cellules individuelles de l’îlot pancréatique, 6 heures après la synchronisation circadienne in vitro. Cette technique permet d’étudier en parallèle les oscillations circadiennes de cellules pancréatiques α et β. ©laboratoire Dibner – UNIGE.
Comme la quasi-totalité des êtres sensibles à la lumière, nous sommes soumis à des rythmes biologiques calés sur une durée d’environ 24 heures. On appelle ainsi horloge circadienne (de « circa », environ et « dies », jour) le système interne qui nous permet d’anticiper les changements de jour et de nuit en régulant presque les aspects de notre physiologie et de notre comportement. A une époque où nos rythmes biologiques sont de plus en plus mis à mal – que ce soit par le travail de nuit, par le jetlag subit par les voyageurs ou encore par nos habitudes sociétales, les scientifiques commencent à entrevoir l’impact que le dérèglement de ces horloges peut avoir dans l’explosion des maladies métaboliques. Spécialistes du diabète, des chercheurs de l’Université de Genève (UNIGE) et des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) ont étudié le rythme des cellules ɑ et β pancréatiques, responsables de la production de l’insuline et du glucagon, les deux hormones permettant de réguler le taux de glucose dans le sang. Leur verdict : au niveau cellulaire déjà, ces horloges internes orchestrent le tempo correct de la sécrétion hormonale et optimisent ainsi les fonctions métaboliques en anticipant les cycles repos-activité et jeûne-alimentation. Leur déréglement favoriserait ainsi l’apparition de maladies métaboliques. Cette découverte, à lire dans le journal Genes and Development, pourrait expliquer un facteur essentiel et pourtant méconnu du développement du diabète : le dérèglement des horloges circadiennes de nos cellules.
Étant donné l’étendue de l’épidémie de diabète de type 2, qui affecte dans les pays occidentaux des personnes de plus en plus jeunes, les scientifiques cherchent à appréhender en quoi les changements de mode de vie de ces dernières décennies pourraient contribuer à ce phénomène et comment l’endiguer. En effet, contrairement à nos ancêtres qui vivaient avec le soleil, rares sont les occidentaux qui respectent encore ce rythme millénaire. Mais aujourd’hui, de récentes études mettent en évidence l’existence d’une connexion entre les pathologies métaboliques et la désynchronisation de nos horloges internes, un phénomène connu sous le nom de « dérèglement circadien ».
A chaque cellule son horloge
Nous ne possédons pas qu’une seule horloge interne, mais presque autant que notre corps compte de cellules. Cela permet à notre organisme de coordonner les processus métaboliques dont les phases d’activité ne se déroulent pas en même temps, comme la veille et le sommeil, afin d’optimiser l’équilibre énergétique entre les phases de jeûne et d’alimentation. Mais ces différentes horloges cellulaires sont-elles synchronisées?
Les îlots pancréatiques sont constitués de différentes cellules, principalement les cellules α, qui produisent le glucagon, entraînant une hausse de la glycémie, et les cellules β, qui produisent l’insuline permettant au contraire de faire baisser le taux de sucre dans le sang. Certes, le rôle des cycles circadiens dans l’orchestration de la sécrétion insulinique par les îlots pancréatiques a récemment été démontré. « Mais pour affiner encore l’analyse, nous avons donc étudié séparément, in vivo et in vitro, les rythmes des cellules α et β ainsi que leurs interactions. Cela n’avait jamais été réalisé », explique la Dre Charna Dibner, de la Faculté de médecine de l’UNIGE et du Service d’endocrinologie et de diabétologie des HUG, qui a dirigé ces travaux. « Et contrairement à ce que l’on supposait, leurs horloges cellulaires sont apparemment légèrement distinctes, ce qui permet de régler précisément la sécrétion d’insuline et de glucagon pour maintenir l’homéostasie du glucose. Cette coordination fine entre les cellules α et β constitue, de fait, une adaptation performante aux états de jeûne et d’alimentation. » Une désynchronisation de ces horloges cellulaires pourrait donc perturber la sécrétion hormonale et l’homéostasie énergétique et favoriser l’apparition de maladies métaboliques telles que le diabète et l’obésité.
Sans horloge, le diabète survient rapidement
Pour obtenir ces résultats, les scientifiques genevois ont effectué en parallèle le séquençage à haut débit de l’ARN issu des cellules α et β durant 24 heures, afin de connaître en détail le profil temporel de l’expression des gènes sur une journée. Volodymyr Petrenko, chercheur à l’UNIGE et premier auteur de l’étude, précise la méthodologie employée: « Nous avons mesuré l’expression de plus de 19 000 transcrits pour identifier précisément de quelle manière se déroule la régulation temporelle de gènes fonctionnels du pancréas, que nous avons ensuite réuni dans un corpus inédit de données mis à disposition de la communauté scientifique. Cela pourra se révéler très utile pour les chercheurs travaillant sur ces cellules. Ils auront ainsi la possibilité de connaître l’influence de l’heure de la journée sur l’expression des gènes, un paramètre qui pourrait, s’il n’est pas pris en compte, fausser leurs résultats.»
Finalement, les chercheurs ont comparé le rythme de ces cellules à celui de cellules de souris dépourvues d’horloge interne. Chez ces dernières, la perturbation des oscillations cellulaires a directement altéré les profils temporels de la sécrétion de glucagon et d’insuline. « Les souris dont les îlots pancréatiques étaient dépourvus d’horloge cellulaire ont très rapidement développé un diabète de type 2, indiquant que la perturbation des rythmes cellulaires suffit à empêcher la sécrétion hormonale normale et l’équilibre glycémique, » indique Charna Dibner. « La désynchronisation entre les horloges internes et l’équilibre jour-nuit induit donc un déséquilibre métabolique général et expliquerait pourquoi les gens travaillant de nuit, par exemple, sont plus susceptibles de souffrir de troubles métaboliques. Quand bien même ils dormiraient au final autant que les autres, le fait de rattraper leurs heures de sommeil pendant la journée perturberait l’ensemble de leurs rythmes biologiques. »
Afin d’assurer la validité de leurs résultats et envisager de possibles applications cliniques dans le futur, les scientifiques mènent à présent des études combinées sur des modèles murins et des îlots pancréatiques humains. « Si nous pouvons confirmer que les horloges circadiennes sont perturbées chez les patients souffrant de maladies métaboliques, comme nous l’avons observé chez les souris, nous pourrions alors développer des approches thérapeutiques innovantes visant à resynchroniser ces horloges défaillantes », conclut Volodymyr Petrenko.
Contact: Charna Dibner, +41 22 379 59 34
20 mars 2017