UNIVERSITÉ DE GENÈVE
FACULTÉ DE MÉDECINE
Département de santé et médecine communautaires
Pr André Rougemont
Unité de médecine de voyages et migrations
Pr Hans Stalder
Suivi médical de 55 grévistes de la faim :
enseignements et recommandations
Thèse
présentée à la Faculté de Médecine de l'Université de Genève
pour obtenir le grade de Docteur en Médecine
par
Florence Gisèle Suzanne Deshusses Epelly
(de Corsier / Suisse)
sous la direction du
Dr Louis Loutan, PD
Thèse n° Méd. 10162
Genève, 2000
Ce travail rapporte le suivi médical de 55 grévistes de la faim kurdes qui ont jeûné en moyenne 10 jours (+/- 6 jours) pendant l'été 1995 à Genève.
Leur examen systématique a mis en évidence la fréquence de différents symptômes (constipation, fatigue, vertiges) et l'évolution de paramètres physiques tels que pouls, température, perte de poids, apparition d'une hypotension orthostatique.
Le suivi a également porté sur 11 personnes pendant la période de réalimentation. Elles se sont plaintes principalement d'asthénie, de douleurs abdominales, de diarrhées et d'un sentiment de solitude. Les difficultés de la reprise d'une alimentation solide sont en rapport avec la durée du jeûne. Pour deux tiers d'entre elles, la reprise de poids tarde.
Les difficultés d'un suivi étroit de nombreux grévistes de la faim libres de leur mouvement sont exposées, et les enseignements tirés de cette expérience retransmis sous forme de lignes directrices.
Je tiens tout d'abord à remercier le Dr Loutan qui a eu l'idée de cette étude et qui m'a soutenue, tant pendant le suivi des grévistes de la faim qu'au cours de la rédaction de ce rapport.
Je remercie aussi toute l'équipe de l'Unité de médecine de Voyages et Migrations, ses infirmières et ses médecins qui ont participé au suivi des grévistes de la faim, le Dr Golay et le Dr Jiacobino, qui m'ont volontiers consacré de leur temps, et enfin l'équipe du laboratoire du Pr Hochstrasser qui a analysé les prises de sang effectuées sur les grévistes de la faim.
Enfin, je tiens à remercier toutes les personnes qui ont relu ce document, et tout particulièrement mon mari qui a consacré beaucoup de temps au travail de saisie et de mise en forme des données, et qui m'a prodigué ses encouragements. Merci également à la grand-maman de Sarah qui s'en est volontiers occupée pour me laisser le temps de travailler.
Ce travail rapporte le suivi médical demandé par 55 grévistes de la faim kurdes qui ont manifesté leur soutien aux détenus kurdes détenus en Turquie pendant l'été 1995 à Genève. Le suivi médical a eu lieu sur place du 4 au 15 août 1995 dans la salle paroissiale du Lignon, s'adressant à cinquante cinq hommes et femmes de 16 à 64 ans, dont le jeûne s'est échelonné de 4 à 26 jours, avec une durée moyenne de 10,3 jours.
Leur examen systématique a permis de mesurer l'évolution de différents symptômes et de certains paramètres physiques. Les principaux symptômes présentés par les participants au jeûne étaient la constipation (85%), la fatigue (64%), les vertiges (51%) et les maux de tête (47%).
La fréquence de l'hypotension orthostatique a progressé de 7% au début du jeûne à 85% après deux semaines. Le pouls moyen a baissé de 66 pulsations par minute la première semaine à 58 pulsations par minute après deux semaines de jeûne. La température axillaire moyenne a baissé de 36,4°C la première semaine à 36,1°C après deux semaines de jeûne. Les pertes de poids ont été en moyenne de 590 g +/- 436 g par jour. La teneur en thiamine dans le sang, mesurée sur un échantillon de 11 personnes, semblait corrélée à la consommation de sucre : toutes les personnes buvant du thé sucré ont présenté des taux de thiamine inférieurs à la norme.
Onze personnes ont été recontactées, en moyenne deux semaines après la fin du jeûne, durant la période de réalimentation. Cette période était marquée par une forte asténie et la reprise de l'alimentation s'est accompagnée pour plus de la moitié d'entre elles de douleurs abdominales et de diarrhées pendant une semaine ou plus. Les personnes ayant jeûné plus de deux semaines ont eu plus de difficultés à consommer de la nourriture solide : elles n'ont pu en absorber qu'après une semaine alors que les autres ont pu en prendre déjà trois jours après la fin du jeûne. Au bout d'une semaine de réalimentation, un tiers des personnes suivies avait repris du poids, un tiers en avait perdu, le tiers restant ayant gardé un poids constant.
Les enseignements de ce suivi sont retransmis à la fin de ce travail sous forme de lignes directrices, utiles pour un meilleur suivi d'un grand nombre de grévistes de la faim.