ENTRE MOI ET MOI-MÊME: Schizophrénie

Table ronde animée par Sylvie Rossel
10 mars 2003


Souvent illustrée par la littérature, la peinture ou le cinéma, la schizophrénie se réduit pour beaucoup à un dédoublement pathologique de la personnalité. Loin de se limiter à cette caractéristique facultative, la schizophrénie continue, près d'un siècle après l'avènement de sa classification, à poser d'innombrables problèmes au clinicien et au chercheur. Un état de fait d'autant plus déconcertant que cette maladie est très fréquente et que ses causes sont encore mal connues. Dans ses effets, elle frappe le malade au cœur de sa personnalité et péjore sa vie personnelle, familiale, sociale et professionnelle, le conduisant souvent à une invalidité totale.

La table ronde " Entre moi et moi-même : Schizophrénie " donnera l'occasion de mieux cerner l'état des connaissances actuelles relatives à la schizophrénie. Le psychiatre Patrick Baud cherchera, par exemple, à répondre à un certain nombre de questions : s'agit-il d'une maladie unique et aisément identifiable ou au contraire d'un rassemblement de troubles hétérogènes ? Que sait-on aujourd'hui de ses causes, de sa physiopathologie, de sa psychopathologie ? Quelles anomalies ou dysfonctions cérébrales permettent d'en comprendre les principales manifestations ?

La neurobiologiste Kim Do-Cuénod s'exprimera, quant à elle, sur une nouvelle hypothèse de recherche concernant des mécanismes neurobiologiques susceptibles de causer la schizophrénie. En effet, la chercheuse et son équipe ont trouvé un déficit en glutathion dans le cerveau de patients schizophrènes. Le glutathion joue un rôle majeur dans la protection des cellules contre le stress oxydatif - autrement dit, les dommages qu'occasionnent des substances à base d'oxygène réactif si elles ne sont pas immédiatement neutralisées. Selon les chercheurs, un déficit en glutathion, entraînant des connections anormales entre les cellules nerveuses de l'écorce cérébrale, pourrait ainsi être l'une des causes de vulnérabilité à la schizophrénie. Si elle s'avérait féconde, cette hypothèse permettrait non seulement de développer de nouveaux moyens thérapeutiques mieux ciblés, mais aussi d'envisager à moyen terme des mesures de prévention chez les sujets à haut risque.

Enfin, Alain Malafosse présentera une autre voie de recherche récemment ouverte, portant sur des traits communément observés chez des malades et leurs apparentés. En effet, l'étude de familles et de jumeaux de malades, ainsi que de sujets adoptés, a permis d'établir qu'il existe une importante composante génétique à l'origine de la schizophrénie. Les travaux menés ces dix dernières années suggèrent qu'il existe de nombreux gènes, chacun élevant faiblement le risque d'apparition de la maladie. Risque qui devient significatif chez des personnes ayant reçu une combinaison spécifique de ces gènes de leurs deux parents, mais aussi, vraisemblablement, du fait d'un environnement familial et extra-familial révélant cette susceptibilité génétique. C'est donc d'une interaction de différents gènes et de facteurs environnementaux qu'il s'agit. Les premiers gènes de ce type commencent à être identifiés.

L'intérêt des traits étudiés par Alain Malafosse est que leurs relations avec les gènes de susceptibilité seraient plus simples et donc plus faciles à mettre en évidence. Ces traits - parfois appelés phénotypes intermédiaires - ont été récemment caractérisés en relation avec la schizophrénie. Ils permettent ainsi d'envisager la reconnaissance très précoce de sujets à haut risque.

Intervenants :

Patrick Baud fait ses études de médecine à l'Université de Genève et des études de philosophie des sciences à Paris. Il se spécialise ensuite en psychiatrie. Premier chef de clinique au Département de psychiatrie des HUG, il est aujourd'hui responsable d'une unité hospitalière et d'une unité de soins ambulatoires au sein de la Clinique de psychiatrie adulte. Les recherches de Patrick Baud portent principalement sur les bases génétiques des conduites suicidaires, de divers troubles psychiatriques, et sur les bases génétiques et neurobiologiques des troubles de la personnalité.

Kim Do-Cuénod fait des études de chimie à l'Université de Neuchâtel. Elle réalise ensuite une thèse à l'Institut de biologie moléculaire et de biophysique de l'Ecole polytechnique fédérale de Zurich, où elle obtient son doctorat en 1980. Puis, Kim Do-Cuénod se spécialise en neurobiologie à l'Institut de recherche sur le cerveau de l'Université de Zurich où elle est nommée Privat-Docent en 1996. Elle y dirige un groupe en neurochimie fondamentale, étudiant la transmission synaptique excitatrice et les interactions neuro-gliales. Une recherche dont les résultats sont publiés dans une soixantaine d'articles. Depuis 1999, elle dirige le Laboratoire universitaire de neurosciences psychiatriques qu'elle a mis sur pied dans le Département de psychiatrie adulte de l'Université de Lausanne. Avec son équipe, et en étroite collaboration avec les cliniciens, elle se consacre à la recherche des mécanismes neurobiologiques impliqués dans la schizophrénie.

Alain Malafosse fait ses études médicales, sa formation post-graduée en psychiatrie et en épileptologie et son doctorat en génétique humaine, à l'Université de Montpellier. Depuis 1995, il assume la direction de l'Unité de neuropsychiatrie génétique du Département de psychiatrie des HUG, où il est chargé de cours depuis 2000. Les recherches menées dans son unité visent à identifier les bases génétiques d'affections psychiatriques, épileptiques et de comportements comme le suicide ou le sommeil.