ÉTATS MODIFIÉS
DE CONSCIENCE
Table ronde animée
par Sylvie Rossel
18 mars 2004
Aussi loin
qu'on puisse remonter, les êtres humains
ont souvent cherché à percer
leurs " mystères intérieurs
", tentant par de nombreux moyens d'accéder
aux sphères inexplorées qui leur
conféreraient une dimension inédite.
Chamanisme, méditation, détente
active, spiritualité, les approches
sont aujourd'hui aussi abondantes que les objectifs
qu'elles se fixent. La table ronde " Etats
modifiés de conscience " donnera
l'occasion d'aborder ce vaste sujet en procédant
à un tour d'horizon de ses multiples
facettes. Chacune à sa manière,
différentes personnalités traiteront
de ces états modifiés dans une
perspective originale.
L'aventure
intérieure
Jeremy Narby s'exprimera sur les peuples amazoniens
qui situent le chamanisme et la modification
de la conscience au centre de leur démarche
pour connaître le monde. Dotés
d'une remarquable connaissance des plantes
psychoactives et de leur utilisation, ces peuples
disent obtenir des informations vérifiables
à travers les visions chamaniques, notamment
sur les propriétés des plantes.
Dans le cadre de son travail, Jeremy Narby
cherche à réunir biologistes
moléculaires et chamanes indigènes
dans une seule et même quête de
connaissance. Pour lui, science et chamanisme
peuvent dialoguer et s'enrichir, mais non sans
mal. Comment penser le cerveau avec son propre
cerveau tout en restant "objectif"?
Peut-on étudier le cerveau en modifiant
son fonctionnement? Quels sont les limites
de nos a priori et concepts pour aborder ces
questions? Telles sont quelques-unes des interrogations
sur lesquelles il se penchera.
Les états
en perspective
L'historienne des religions Silvia Mancini
abordera, quant à elle, la question
des états modifiés de conscience
du point de vue des sciences de la culture.
A ce titre, elle s'intéressera moins
à l'étude de ces états
" en soi " qu'à la question
de leur utilisation culturelle dans le cadre
de civilisations historiques précises.
Ainsi, les questions pertinentes pour l'historienne
des religions seront les suivantes: en quoi
ces états contribuent-ils à la
construction des valeurs collectives? Quelle
est la vision du monde et quelles sont les
pratiques sociales qui les accompagnent? Quels
problèmes humains ces états sous-tendent-ils
et comment de tels problèmes sont-ils
résolus? Quels types de réactions
culturelles suscitent-ils? Pour l'historienne
des religions, en effet, ces états altérés
de la conscience sont indisociables de l'ensemble
des symboles, des discours, des pratiques socioculturels
qui les entourent, et qui déterminent
leurs formes. Tantôt condamnés
par la culture environnante, tantôt valorisés
et encouragés, ces états apparaissent
insaisissables en dehors des langages symboliques
qui nous les rendent visibles. Un exemple de
la première attitude est offert par
le mépris affiché à leur
égard par la religion, la psychologie
et la philosophie occidentales, lesquelles
valorisent l'unité du sujet comprise
comme un "sujet-maître-de-soi".
Un exemple de l'attitude inverse est donné
par le cas des religions extatiques de la Grèce
ancienne, des cultes à possession afro-américains,
du chamanisme, mais aussi de certaines institutions
populaires reposant sur un usage rituel des
états dissociés de la personnalité:
le tarentisme ou la pratique folklorique de
lamentation funèbre.
Vivre et
laisser s'ouvrir
Pour sa part, Guido Bondolfi s'exprimera sur
l'intérêt croissant que la communauté
scientifique occidentale porte depuis quelques
années aux pratiques de méditation.
En psychologie clinique, plusieurs approches
thérapeutiques intégrant la pratique
de la méditation ont en effet été
récemment développées
et évaluées, notamment dans le
cadre de la prévention des rechutes
dépressives. La mindfulness, en français
"pleine conscience", représente
le dénominateur commun qui est à
la base de différents courants de pratique
de méditation bouddhiste. Par pleine
conscience, on entend le fait de porter son
attention de manière particulière,
délibérément, au moment
présent et sans jugement de valeur.
Chez les personnes qui présentent un
risque élevé de rechute dépressive,
l'entraînement et la pratique de la pleine
conscience permet d'adopter une attitude de
décentration et d'acceptation des émotions,
des pensées ou des sensations physiques
qui peuvent déclencher la survenue d'un
nouvel état dépressif.
2004, l'Odyssée
de l'extase
Enfin, Laurent Rivier, toxicologue, parlera
de l'Ayahuasca et de ses propriétés
hallucinogènes. Régulièrement
utilisée par de nombreuses tribus indigènes
depuis des siècles, cette boisson très
amère contient des alcaloïdes psychotropes
puissants qui provoquent des visions colorées
comparables à celles obtenues avec la
mescaline, la psilocybine ou le LSD. D'une
durée d'action de 2 à 6 heures
dépendant de la nature du mélange,
ces préparations hallucinogènes
sont utilisées traditionnellement pour
accéder à des états modifiés
de conscience que les indigènes estiment
favorables au voyage dans le monde des esprits.
Selon Laurent Rivier, l'étude scientifique
de ces pratiques pourrait nous aider à
mieux comprendre les mécanismes biochimiques
responsables de certaines maladies mentales
telle la schizophrénie. Sur le plan
pratique, Laurent Rivier parlera notamment
de traitement de toxicomanies et de l'introduction
de l'Ayahuasca dans certains rituels religieux.
D'après lui, l'introduction de ce type
de pratiques en dehors de son cadre traditionnel
fait craindre des manipulations et des fraudes
permettant à certains de profiter des
états modifiés de conscience
induits par cette drogue naturelle. Cela serait
d'autant plus dangereux que des interactions
avec des médicaments psychotropes de
la pharmacopée couramment prescrits
chez nous peuvent interagir fortement avec
les effets des alcaloïdes contenus dans
l'Ayahuasca.
Intervenants
Guido Bondolfi
étudie la médecine à l'Université
"La Sapienza" de Rome et à
l'Université de Lausanne. Il fait ensuite
ses études postgraduées en psychiatrie
et psychothérapie à l'Université
de Perouse en Italie et également à
Lausanne. Depuis 1997, il travaille au Département
de psychiatrie des Hôpitaux Universitaires
de Genève. Privat-docent à la
Faculté de médecine de Genève,
Guido Bondolfi dirige un groupe de recherches
spécialisé dans l'évaluation
et le traitement de la dépression, la
prévention des rechutes dépressives,
la détection des facteurs de risque
de rechute et le jeu pathologique.
Silvia
Mancini étudie les sciences historiques
et sociales à l'Université "La
Sapienza" de Rome et obtient un doctorat
en histoire comparée des religions en
1990. Elle est professeure associée
d'histoire des traditions populaires à
l'Université de Sienne, puis d'anthropologie
culturelle à l'Université de
Bordeaux 2. Elle reçoit son habilitation
à l'Ecole des hautes études en
sciences sociales de Paris en 2000. Depuis
2002, elle est professeure assistante à
l'Université de Lausanne où elle
enseigne l'épistémologie et l'historiographie
des sciences des religions, et l'histoire des
traditions religieuses transversales et marginales.
Ses recherches portent, entre autres, sur les
relations entre certaines manifestations du
psychisme humain et les formes culturelles
relevant de la vie magico-religieuse des civilisations.
Elle dirige, avec Pierre-Yves Brandt, un DEA
intitulé: "L'histoire comparée
des religions et les états modifiés
de conscience".
Jeremy
Narby est docteur en anthropologie de l'Université
de Stanford et coordinateur de projets amazoniens
pour l'organisation d'entraide Nouvelle Planète,
basée à Assens (VD). Il travaille
depuis 20 ans avec les organisations indigènes
de l'Amazonie afin de promouvoir la sauvegarde
de leurs territoires et systèmes de
savoir. Auteur de plusieurs livres, notamment
Le serpent cosmique, l'ADN et les origines
du savoir et Chamanes au fil du temps:
500 ans sur la piste du savoir, il s'attelle
à jeter des ponts entre science occidentale
et savoir indigène.
Laurent
Rivier est docteur ès sciences de
l'Université de Lausanne. Consultant
scientifique indépendant à partir
de 2002, il a été à la
fois responsable du laboratoire de toxicologie
analytique dès 1984 et directeur scientifique
du Laboratoire suisse d'analyse du dopage,
à l'Institut universitaire de médecine
légale de Lausanne dès sa création
en 1990. Ses compétences scientifiques,
complétées en autre à
l'Institut Karolinska à Stockholm, sont
centrées sur la chimie analytique et
la toxicologie médico-légale.
En plus de l'éthnotoxicologie, ses intérêts
professionnels portent d'une part sur la lutte
antidopage, le sport et la santé, ainsi
que sur les notions d'éthique qui y
sont liées, et d'autre part, sur l'administration
de la preuve et les exigences de qualité
dans les laboratoires d'analyse. En 1979, il
fonde la revue scientifique internationale
intitulée Journal of Ethnopharmacology.
Il en a été l'un des rédacteurs
en chef pendant plus de 20 ans.
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