7ème Semaine internationale du cerveau
Université de Genève
du 15 au 25 mars 2004
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ÉTATS MODIFIÉS DE CONSCIENCE

Table ronde animée par Sylvie Rossel
18 mars 2004

Aussi loin qu'on puisse remonter, les êtres humains ont souvent cherché à percer leurs " mystères intérieurs ", tentant par de nombreux moyens d'accéder aux sphères inexplorées qui leur conféreraient une dimension inédite. Chamanisme, méditation, détente active, spiritualité, les approches sont aujourd'hui aussi abondantes que les objectifs qu'elles se fixent. La table ronde " Etats modifiés de conscience " donnera l'occasion d'aborder ce vaste sujet en procédant à un tour d'horizon de ses multiples facettes. Chacune à sa manière, différentes personnalités traiteront de ces états modifiés dans une perspective originale.

L'aventure intérieure
Jeremy Narby s'exprimera sur les peuples amazoniens qui situent le chamanisme et la modification de la conscience au centre de leur démarche pour connaître le monde. Dotés d'une remarquable connaissance des plantes psychoactives et de leur utilisation, ces peuples disent obtenir des informations vérifiables à travers les visions chamaniques, notamment sur les propriétés des plantes. Dans le cadre de son travail, Jeremy Narby cherche à réunir biologistes moléculaires et chamanes indigènes dans une seule et même quête de connaissance. Pour lui, science et chamanisme peuvent dialoguer et s'enrichir, mais non sans mal. Comment penser le cerveau avec son propre cerveau tout en restant "objectif"? Peut-on étudier le cerveau en modifiant son fonctionnement? Quels sont les limites de nos a priori et concepts pour aborder ces questions? Telles sont quelques-unes des interrogations sur lesquelles il se penchera.

Les états en perspective
L'historienne des religions Silvia Mancini abordera, quant à elle, la question des états modifiés de conscience du point de vue des sciences de la culture. A ce titre, elle s'intéressera moins à l'étude de ces états " en soi " qu'à la question de leur utilisation culturelle dans le cadre de civilisations historiques précises. Ainsi, les questions pertinentes pour l'historienne des religions seront les suivantes: en quoi ces états contribuent-ils à la construction des valeurs collectives? Quelle est la vision du monde et quelles sont les pratiques sociales qui les accompagnent? Quels problèmes humains ces états sous-tendent-ils et comment de tels problèmes sont-ils résolus? Quels types de réactions culturelles suscitent-ils? Pour l'historienne des religions, en effet, ces états altérés de la conscience sont indisociables de l'ensemble des symboles, des discours, des pratiques socioculturels qui les entourent, et qui déterminent leurs formes. Tantôt condamnés par la culture environnante, tantôt valorisés et encouragés, ces états apparaissent insaisissables en dehors des langages symboliques qui nous les rendent visibles. Un exemple de la première attitude est offert par le mépris affiché à leur égard par la religion, la psychologie et la philosophie occidentales, lesquelles valorisent l'unité du sujet comprise comme un "sujet-maître-de-soi". Un exemple de l'attitude inverse est donné par le cas des religions extatiques de la Grèce ancienne, des cultes à possession afro-américains, du chamanisme, mais aussi de certaines institutions populaires reposant sur un usage rituel des états dissociés de la personnalité: le tarentisme ou la pratique folklorique de lamentation funèbre.

Vivre et laisser s'ouvrir
Pour sa part, Guido Bondolfi s'exprimera sur l'intérêt croissant que la communauté scientifique occidentale porte depuis quelques années aux pratiques de méditation. En psychologie clinique, plusieurs approches thérapeutiques intégrant la pratique de la méditation ont en effet été récemment développées et évaluées, notamment dans le cadre de la prévention des rechutes dépressives. La mindfulness, en français "pleine conscience", représente le dénominateur commun qui est à la base de différents courants de pratique de méditation bouddhiste. Par pleine conscience, on entend le fait de porter son attention de manière particulière, délibérément, au moment présent et sans jugement de valeur. Chez les personnes qui présentent un risque élevé de rechute dépressive, l'entraînement et la pratique de la pleine conscience permet d'adopter une attitude de décentration et d'acceptation des émotions, des pensées ou des sensations physiques qui peuvent déclencher la survenue d'un nouvel état dépressif.

2004, l'Odyssée de l'extase
Enfin, Laurent Rivier, toxicologue, parlera de l'Ayahuasca et de ses propriétés hallucinogènes. Régulièrement utilisée par de nombreuses tribus indigènes depuis des siècles, cette boisson très amère contient des alcaloïdes psychotropes puissants qui provoquent des visions colorées comparables à celles obtenues avec la mescaline, la psilocybine ou le LSD. D'une durée d'action de 2 à 6 heures dépendant de la nature du mélange, ces préparations hallucinogènes sont utilisées traditionnellement pour accéder à des états modifiés de conscience que les indigènes estiment favorables au voyage dans le monde des esprits. Selon Laurent Rivier, l'étude scientifique de ces pratiques pourrait nous aider à mieux comprendre les mécanismes biochimiques responsables de certaines maladies mentales telle la schizophrénie. Sur le plan pratique, Laurent Rivier parlera notamment de traitement de toxicomanies et de l'introduction de l'Ayahuasca dans certains rituels religieux. D'après lui, l'introduction de ce type de pratiques en dehors de son cadre traditionnel fait craindre des manipulations et des fraudes permettant à certains de profiter des états modifiés de conscience induits par cette drogue naturelle. Cela serait d'autant plus dangereux que des interactions avec des médicaments psychotropes de la pharmacopée couramment prescrits chez nous peuvent interagir fortement avec les effets des alcaloïdes contenus dans l'Ayahuasca.

Intervenants

Guido Bondolfi étudie la médecine à l'Université "La Sapienza" de Rome et à l'Université de Lausanne. Il fait ensuite ses études postgraduées en psychiatrie et psychothérapie à l'Université de Perouse en Italie et également à Lausanne. Depuis 1997, il travaille au Département de psychiatrie des Hôpitaux Universitaires de Genève. Privat-docent à la Faculté de médecine de Genève, Guido Bondolfi dirige un groupe de recherches spécialisé dans l'évaluation et le traitement de la dépression, la prévention des rechutes dépressives, la détection des facteurs de risque de rechute et le jeu pathologique.

Silvia Mancini étudie les sciences historiques et sociales à l'Université "La Sapienza" de Rome et obtient un doctorat en histoire comparée des religions en 1990. Elle est professeure associée d'histoire des traditions populaires à l'Université de Sienne, puis d'anthropologie culturelle à l'Université de Bordeaux 2. Elle reçoit son habilitation à l'Ecole des hautes études en sciences sociales de Paris en 2000. Depuis 2002, elle est professeure assistante à l'Université de Lausanne où elle enseigne l'épistémologie et l'historiographie des sciences des religions, et l'histoire des traditions religieuses transversales et marginales. Ses recherches portent, entre autres, sur les relations entre certaines manifestations du psychisme humain et les formes culturelles relevant de la vie magico-religieuse des civilisations. Elle dirige, avec Pierre-Yves Brandt, un DEA intitulé: "L'histoire comparée des religions et les états modifiés de conscience".

Jeremy Narby est docteur en anthropologie de l'Université de Stanford et coordinateur de projets amazoniens pour l'organisation d'entraide Nouvelle Planète, basée à Assens (VD). Il travaille depuis 20 ans avec les organisations indigènes de l'Amazonie afin de promouvoir la sauvegarde de leurs territoires et systèmes de savoir. Auteur de plusieurs livres, notamment Le serpent cosmique, l'ADN et les origines du savoir et Chamanes au fil du temps: 500 ans sur la piste du savoir, il s'attelle à jeter des ponts entre science occidentale et savoir indigène.

Laurent Rivier est docteur ès sciences de l'Université de Lausanne. Consultant scientifique indépendant à partir de 2002, il a été à la fois responsable du laboratoire de toxicologie analytique dès 1984 et directeur scientifique du Laboratoire suisse d'analyse du dopage, à l'Institut universitaire de médecine légale de Lausanne dès sa création en 1990. Ses compétences scientifiques, complétées en autre à l'Institut Karolinska à Stockholm, sont centrées sur la chimie analytique et la toxicologie médico-légale. En plus de l'éthnotoxicologie, ses intérêts professionnels portent d'une part sur la lutte antidopage, le sport et la santé, ainsi que sur les notions d'éthique qui y sont liées, et d'autre part, sur l'administration de la preuve et les exigences de qualité dans les laboratoires d'analyse. En 1979, il fonde la revue scientifique internationale intitulée Journal of Ethnopharmacology. Il en a été l'un des rédacteurs en chef pendant plus de 20 ans.