BRÈVES DE CONSEIL

Rubrique destinée aux enseignants et aux enfants…

Pas de lien, pas de négociation

José, cinq ans, dont les troubles importants du langage nous avaient alertées, avait néanmoins acquis une sérénité sans réserve. Elle lui permettait sans la moindre inquiétude d’être totalement imbu de sa petite personne, absolument charmante au demeurant. Malgré ses grandes difficultés, il s’était transformé en argumentateur capable de se faire comprendre et passablement "pinailleur". Il était devenu le copain et le rival le plus passionné d’Estiven, cinq ans, lui aussi entravé dans son langage.

Les jours passant, les élèves, en particulier nos deux lascars, avaient réalisé une découverte (pourtant à leur disposition depuis plusieurs mois) : les coussinets accueillant leurs derrières sur le "soleil" du lino étaient tous recouverts de tissus dont les motifs différaient peu ou prou. Ayant repéré et formulé toutes ces différences avec notre aide, les enfants avaient été épatés par la variété de ces motifs, qu’ils débusquaient pour la première fois. Par un effet mystérieux, l’un de ces coussins devint à tout jamais convoité par les deux frères ennemis : objet de litiges incessants. Excédées, ma collègue Marie-Claude et moi-même avions annoncé la suppression pure et simple du coussin… "sauf si vous trouvez une solution pour vous arranger" avions-nous concédé devant l’expression intense de leur désespoir siamois.

Le lendemain, ils avaient une solution à proposer : "un jou c’est moi, un jou c’est ouy" avait dit José (un jour c’est moi, un jour c’est lui). Proposition intéressante, mais quelque peu problématique, puisque ni l’un ni l’autre ne savait jamais très bien "quand est-ce qu’on est demain". L’outil de référence (tableau affichant les jours de la semaine avec les photos des intervenantes, les activités et les noms des élèves) mobilisa donc passionnément leur attention les jours suivants.

Maintes fois, le canard avait été "scratché" sur l’un ou l’autre, au rythme d’une chanson des jours de la semaine ou d’invraisemblables histoires qui l’empêchaient justement d’adhérer à la bonne place (déjà occupée par un envahisseur). José, malin, eut tôt fait d’enregistrer la succession des jours de la semaine pour être à même de défendre son bout de gras (le lundi et le vendredi). Mais il remarqua tout aussi vite les tentatives plus laborieuses d’Estiven. Raison pour laquelle il tenta son coup de poker un mardi matin, réclamant illicitement son tour. Vaguement intimidé par l’aplomb de son compère, mais soupçonnant la supercherie, Estiven ne fut pas à même d’argumenter. Il se tourna alors vers l’outil de référence. Son visage s’illumina lorsqu’il découvrit le canard "scratché" sur le mardi : il avait débusqué l’arnaque, car même sans connaître les jours de la semaine, il savait quelle maîtresse enseignait lors de ses "tours de coussin". Il avait éventé l’imminence du piège. Il découvrait aussi la possibilité de lutter avec les "moyens du bord", sciemment rendus accessibles à des enfants de niveaux différents. Tout ceci d’une certaine conscience de son bon droit, nouvelle pour lui… la Loi restaurée.

Ilona Majeur

Enseignante de 1E/2E à l’école de Châteaubrilland

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

SI VOUS DESIREZ EGALEMENT VOUS ESSAYER A L’ECRITURE,

ENVOYEZ VOS RÉCITS DE CONSEIL À : Claude Laplace

20, ch. Des Recluses

1213 Petit-Lancy

tél. : 792’46’82 ou

705’91’82 (prof.)

Claude.Laplace@pse.unige.ch