PROJET DE COMMUNICATION
CONGRESS Rive Droite
Une recherche clinique sur la pratique du conseil dans les classes primaires genevoises entre 1996 et 2000.
Table des matières
2. Posture personnelle
*3. Mes choix méthodologiques
*4. Mon action, ma recherche
*5. Premières esquisses
* Le sujetLa recherche que je souhaite vous exposer maintenant concerne une démarche connue depuis le début du siècle par certains, mais qui semble soudainement devenir une mode incontournable dans les écoles à Genève. Le conseil denfants, conseil délèves, conseil de coopération, réunions de classe, sont les différentes appellations utilisées pour désigner des lieux de discussion tenus à intervalles réguliers avec les enfants et sous légide de lenseignant, régis par des règles de fonctionnement, dotés de certains pouvoirs, et destinés à organiser et à réguler la vie en communauté, les activités dapprentissage et le quotidien en général.
Mon parcours professionnel a débuté par une carrière denseignant primaire au cours de laquelle jai poursuivi mes études à la section des Sciences de léducation de Genève. Depuis trois ans, au profit dun poste dassistant à luniversité, jai quitté ma classe pour pratiquer de lenseignement, de la formation denseignants et entreprendre un doctorat. Cette brève présentation a pour objet de visibiliser le rapport que jentretiens avec la pratique que je me propose dobserver et la raison pour laquelle, demblée, jassume la posture de limplication. Jentretiens avec lobjet de ma recherche des liens étroits dont résultent à la fois lavantage dune connaissance approfondie du terrain, de la situation et des acteurs, et le risque de confusion quinfèrent inévitablement cette connaissance et ces liens.
Ma démarche personnelle en tant que praticien sur le plan du conseil a été très progressive, sans lien direct avec une pédagogie particulière comme celle de Freinet, la PI, Montessori ou autre. Javais mis au point peu à peu dans ma classe, en lien avec la poursuite de ma formation à la SSED, un enseignement par plans de travail, où les élèves disposaient dune certaine liberté. Ce système exigeait plus que dautres de favoriser leur accès à une certaine autonomie, une certaine adhésion au projet éducatif, étant donné quils avaient à gérer une bonne partie de leurs activités, individuellement ou par groupes. Cest dans ce contexte, dans une démarche de discussion commune portant sur le travail et les relations, que se sont imposés peu à peu, et assez naturellement chaque semaine, des moments de parole réguliers et régulateurs qui ont vite pris lappellation de conseils de classe. Par la suite, à loccasion dun problème de maltraitance des petits par les grands dans létablissement où je travaillais, jai profité de ma position de maître principal pour proposer un conseil décole réunissant un à deux délégués par classe à la fréquence de une fois par mois destiné à discuter les sujets concernant tous les enfants de lécole (tensions, projets, demandes, etc.). La fondation de cette institution a donc bien eu lieu suite à des problèmes de violence au départ, mais rapidement des effets plus larges se sont faits sentir : les enseignants qui y participaient par roulement ont exprimé leur admiration devant le sérieux des enfants en ces occasions, et lambiance de lécole est devenue de plus en plus chaleureuse. Des changements de représentations et de nouveaux liens voyaient le jour entre les différents partenaires de lécole. Nous récoltions ainsi au niveau du bâtiment des bénéfices de la parole échangée, de la loi discutée, de la réalisation de projets communs.
Je reviens maintenant à ma recherche actuelle, pour tirer un parallèle entre ma propre manière daborder les conseils denfants en tant que praticien, celle que jobserve chez les enseignants genevois qui sont les sujets de ma recherche, et les axes qui soutiennent mon action de formateur: favoriser une évolution du lien pédagogique par la reconnaissance de la parole des enfants dans des espaces institutionnalisés, leur participation à lorganisation et à la régulation de la vie en communauté, et la co-construction du sens.
Jinscris ma recherche dans le mouvement de la clinique relationnelle: mes interventions de formateur ont toujours lieu suite à une demande de la part des enseignants, elles se situent dans le cadre dune relation avec des personnes en prise avec la réalité, relation qui crée les conditions particulières permettant aux sujets paroles et échanges conditionnées par la médiation de lautre (autre-formateur et autre-enseigant). Cest dans une connaissance approfondie de la réalité des praticiens par le biais de la formation, en relation avec mon expérience personnelle et dans mon interaction avec eux, que je puise le principal de mes savoirs sur lobjet de ma recherche.
Je pratique depuis deux ans la formation continue denseignants primaires dans le cadre de linstitution genevoise. Depuis peu, les demandes dintervention se multiplient également au niveau secondaire et post-obligatoire. Jinterviendrai dès lan prochain également dans la formation de ces ordres denseignement. Jai ainsi contact avec plusieurs centaines denseignants qui pratiquent à des degrés divers le conseil dans leur classe ou dans leur école, et désirent se former et approfondir la réflexion sur le sujet. Cest dans ce cadre que se construit mon recueil de données sous forme dun journal que je réalise après chaque séance de formation sur la base des notes que jy ai prises. Il sagit décrits descriptifs et réflexifs qui nécessitent impérativement dêtre rédigés dans les trois jours qui suivent les faits, car les notes quil mest possible de prendre lors des séances sont sommaires, étant donnée lobligation dattention et dintervention quexige mon rôle danimateur dans les groupes. Les textes ainsi produits sont donc une reconstruction personnelle du sens que jai donné aux dits et aux échanges dans le groupe, légèrement différée et provoquée par lévocation mentale suscitée par la relecture de mes notes. Ils présentent donc un aspect subjectif indiscutable. Ils contiennent toute sorte de remarques, de demandes, dexpressions de doutes, de relations de discussions sur des points théoriques, dévocations dincidents vécus dans leurs conseils par les enseignants, de problèmes rencontrés, mais également mes propres réactions/interventions délivrées pendant les séances. Jy ai également intégré au fur et à mesure de lécriture mes réflexions après coup. Le statut un peu particulier de ces réflexions hors contexte est signalé dans mes écrits par un style différent du reste du texte grâce à une marge plus importante et à une écriture italique, afin de pouvoir faire plus facilement la différence avec la relation des faits lors de lanalyse qui suivra.
Une autre source intéressante que je compte exploiter, est constituée par des récits de praticiens sur des séquences de leur propre conseil, dans le style de ceux utilisés dans les ouvrages de F. Imbert. Jencourage, dans une optique cohérente avec mon choix méthodologique dune construction par les sujets, les enseignants des groupes avec lesquels je travaille à avoir recours aux récits de pratique, afin de prendre du recul avec leur vécu, de construire leurs savoirs dexpérience dans la singularité de leur contexte et de les partager avec leurs collègues. Les plus prégnants de ces récits paraissent dans une rubrique intitulée "Brèves de conseils" que je dirige depuis un an dans une revue intitulée Léducateur, et dont le but est de se faire le miroir de ce que vivent et construisent les praticiens dans leurs classes. Plusieurs dizaines de ces textes sont maintenant en ma possession avec lautorisation de leurs auteurs de les utiliser pour ma recherche. Jai en effet pris la précaution, dès le début et tout au long de chaque formation, de ne pas cacher ma qualité de chercheur ni lusage que je comptais faire des écrits quils me confiaient, prenant soin de redemander lautorisation à la réception de chaque document. Ces récits constituent une source dinformation de première importance qui, moyennant une analyse appropriée, peut livrer des connaissances sur ce que les enseignants actualisent et découvrent dans leurs conseils, au-delà des discours déclaratifs quils peuvent en tenir. Ces récits constitueraient, selon lexpression de Michel de Certeau une "théorisation de la pratique".
Je pose le postulat de lincohérence essentielle de lêtre humain, malgré les efforts quil déploie à chaque instant à travers son discours pour donner (et se donner) une image cohérente de lui-même. Cest sur la découverte de ces incohérences, à travers les différents niveaux de discours et daction que je compte pour mettre à jour et avérer une connaissance nouvelle sur la nature et lévolution du lien pédagogique. Jutilise également ce levier dans la formation : jamène les enseignants, par lécriture, la discussion et les analyses de pratique, à repérer les hiatus existant entre leurs différents niveaux de discours et daction, leur laissant le soin de tenter de les réduire, sachant que la tâche est sans fin et la cohérence totale inaccessible.
Je dispose en outre de données complémentaires composées :
Ce corpus me permettra de travailler sur le sens que les enseignants donnent à la démarche du conseil denfants à partir des intentions discursives invoquées et de leur confrontation aux représentations reflétées par leur pratique. Ma recherche porte sur la parole, le transfert, le rapport à la loi, à la communauté, aux apprentissages, les repères psychiques tels les rituels, les règles, la médiation. Je tente de visibiliser les utopies dun côté et linstrumentalisation de lautre qui sous-tendent dans la plupart des cas laccès à la démarche et qui nécessitent une déconstruction avant ou parallèlement à lengagement dans la construction dune pratique évolutive la plus cohérente possible avec les aspirations de lenseignant.
Afin de respecter une approche plurielle indispensable à mes yeux à lesprit démocratique, je fonde mon discours aux enseignants sur les différentes pratiques de conseils denfants, observables depuis le début de ce siècle grâce aux écrits de pédagogues isolés comme J. Korczak et A. S. Makarenko, ainsi que des adeptes du mouvement de self-gouvernement au USA à la même époque, puis du mouvement pédagogique et social impulsé par C. Freinet dès les années trente, qui dépasse le cadre dexpérience ponctuelle et inscrit le conseil dans une cohérence de techniques comme lexpression libre, le Quoi de neuf ?, la correspondance inter-classes, le journal scolaire et la structure coopérative. Je puise la plupart de mes repères théoriques chez F. Oury et A. Vasquez qui posent les bases de la Pédagogie Institutionnelle dès le début des années soixante. Ce mouvement, issu des techniques Freinet, est en lien avec les concepts psychologiques et psychanalytiques auxquels je me réfère principalement dans ma pratique de formateur. Le conseil y tient le rôle dinstance centrale composée des enfants et de lenseignant, et destinée à prendre des décisions comme à faire respecter la loi. Il fonctionne à la fois comme un analyseur institutionnel et comme outil pédagogique dapprentissage de la responsabilité, du pouvoir et de la démocratie. Le quotidien y tient valeur éducative et la parole en tant que médiatrice de lémergence du sujet y prend de plus en plus dimportance sous linfluence de la psychanalyse.
Le phénomène, dont ma recherche vise à appréhender une compréhension, est un début de généralisation de la pratique du conseil denfants dans les écoles genevoises depuis dix ans et son détachement des pédagogies militantes et cohérentes (Freinet, P.I.) dans lesquelles elle se situait traditionnellement. Laugmentation rapide des demandes de formation (initiale et continue) dans ce domaine met en évidence cet engouement nouveau, et une recherche quantitative effectuée par mes soins à laide dun questionnaire distribué à tous les enseignants des sections élémentaires et moyennes à Genève en janvier mille neuf cent quatre-vingt dix-huit et réitérée en janvier mille neuf cent quatre-vingt dix-neuf confirme un intérêt réel pour cette pratique chez les enseignants dès les années quatre-vingt dix : enseignants sur disent pratiquer le conseil de classe à raison dune fois par semaine en moyenne, et établissement sur annoncent des conseils denfants sur le principe de la délégation de six à dix fois dans lannée.
Le conseil, tel quil semble se développer aujourdhui à Genève, est compris par la très grande majorité des enseignants comme un instrument de résolution face à une situation identifiée comme violente. Un certain discours actuel, largement relayé par les médiats, sur la violence et sur la nécessité de retisser le lien social supposé déficient nest probablement pas étranger à cette manière daborder la démarche.
Il faut signaler également, pour tenter dexpliquer ce manque de référence au paradigme pédagogique chez les enseignants genevois en ce qui concerne les conseils, labsence quasi totale dans le passé de formation et dinformation officielles sur le principal courant pédagogique où se sont développé ces pratiques : la pédagogie institutionnelle. Un rapport demandé à Samuel Roller en dix-neuf cent soixante-quatorze par la Conférence des chefs de service et directeurs de lenseignement primaire de la Suisse Romande sur la Pédagogie Institutionnelle semble avoir été fort mal interprété par linstitution qui y a probablement senti des relents de contestation et a dès lors fait limpasse sur le sujet. Pour avoir fait mes études pédagogiques à ce moment-là, je peux certifier navoir reçu aucune information sur ce mouvement. En outre, la grande majorité des enseignants avec lesquels je collabore actuellement sont dans la même ignorance alors quils se lancent dans la pratique du conseil.
Deux phénomènes plus locaux sont à signaler qui pourraient expliquer ce récent intérêt pour la pratique du conseil denfants. Le premier, dont mon contact avec le terrain ma permis de prendre connaissance, semble exercer une certaine influence sur la représentation instrumentale du conseil chez beaucoup denseignants : des assistants sociaux regroupés en équipe de prévention engagée dans la lutte contre les phénomènes dexclusion des jeunes, exercent depuis une dizaine dannée une certaine influence dans les milieux enseignants genevois. Ils sont régulièrement appelés dans les écoles depuis le début des années quatre-vingt dix pour travailler sur des problèmes rencontrés avec des enfants. Ils ont dès leurs premières interventions commencé à travailler sur les espaces de parole en classe, puis se sont rendu compte quun travail en amont, dans les équipes denseignants était indispensable. Ils tentent dès lors dapporter aux équipes des outils de communication et les aident à développer des projets autour de la citoyenneté comme les conseils denfants, la médiation par les paires, etc. Leur formation sociale conditionne une approche psycho-socio-affective du conseil, et la demande des enseignants faisant suite à des problèmes de comportement renforce cette vision des choses. Cette ambivalence socio-éducatif/pédagogique est dailleurs également présente dans lhistoire puisque certains précurseurs comme Makarenko et Korczak étaient des éducateurs, alors que Freinet et Oury étaient eux des enseignants.
Le second phénomène local qui peut avoir favorisé ce regain dintérêt pour les institutions de paroles par une sorte dautorisation officielle cette fois, est la mise en place dune rénovation de lenseignement primaire genevois. En effet, lun des textes de cette rénovation, datant de dix-neuf cent quatre-vingt seize, lexprime en ces termes:
Favoriser les conseils denfants.
Les élèves se regroupent pour débattre de manière démocratique de la vie de la classe, de lécole.
Lécolière ou lécolier apprend aussi à sexprimer en tant que porte-parole dun groupe (sa classe). Cet espace donne la possibilité aux enfants détablir des règles, daffirmer leurs aspirations, leurs expériences, leurs sentiments et de concevoir des projets. Lenfants devient acteur et pas seulement spectateur de la vie de son école. Il fait ainsi lapprentissage des valeurs de la démocratie. Une expérience déducation civique fructueuse !
Linstitution, on le voit, se situe actuellement clairement en faveur de la parole et de la participation des élèves à la vie de la classe et de lécole. Les termes "démocratie", "démocratique" et "éducation civique" ne laissent pas de doute sur lencouragement à léducation à la citoyenneté que professe aujourdhui linstitution.
Mais si linstitution et un certain nombre denseignants novateurs semblent prêts à envisager le lien éducatif dune manière moins asymétrique, à sengager dans ce que lon pourrait appeler une école du sujet, où les élèves ont, à lintérieur dun cadre défini, la possibilité de sexprimer et dinteragir avec leur milieu et leurs pairs, la grande majorité des enseignants actuellement en fonction rencontrent beaucoup de difficulté à se débarrasser des méthodes autoritaires dans lesquelles ils se sont construits, et manquent des compétences requises pour assumer cette rencontre de lautre qui peut parfois prendre des allures de confrontation. Le rôle traditionnel du maître était denseigner et de montrer le chemin, il est en train de devenir peut-être celui daccompagnateur dans lacquisition des savoir et dans la construction du rapport au monde. Cette évolution ne peut avoir lieu que chez ceux qui seront prêts à se mettre constamment en posture dapprenants et de découvreurs.
Je désire, par ma recherche, pointer les écueils et construire un certains nombre de repères qui puissent aider les praticiens dans leur évolutions.