Publié in : Société Suisse de Recherche en Education (SSRE) Documents du Symposium de recherches sur l'éfficacité des systèmes de formation. Octobre 1991 - Janvier 1992, Neuchâtel et Zollikofen.


Les dynamiques de changement internes aux systèmes éducatifs :
comment les praticiens réfléchissent à leurs pratiques
*

 

Monica Gather Thurler

1992


1. Partir de la réalité des principaux acteurs, les enseignants

1.1 Le métier d'enseignant : plus qu'une simple résolution de problèmes
1.2 Connaissance des pratiques et changement

2. La réflexion dans l'action (RDA)

2.1 Décrire la réalité
2.2 Définir et résoudre un problème
2.3 Interpréter les phénomènes observés
2.4 Définir les rôles des uns et des autres

3. La RDA: un fardeau de plus ou une manière d'enrichir le métier d'enseignant?

3.1 Difficultés de la RDA
3.2 La relation entre pensée et action
3.3 Les avantages de la RDA

4. En guise de conclusion: pistes de recherche possibles

4.1 "Frame analysis"

4.2 Description de répertoires

4.3 Etude des processus de structuration/restructuration

4.4 La construction d'une démarche RDA

4.5 Le rôle des intervenants, relations chercheurs/praticien

Bibliographie


Comment les praticiens réfléchissent-ils à leurs pratiques? Cette question risque d'éveiller des attentes insensés, qui seront forcément déçues, dans la mesure où, paradoxalement, après tant d'années de recherche dans le domaine de l'éducation et du changement, les données empiriques font cruellement défaut.

Je vais tout de même me risquer à lancer quelques idées, à suggérer des pistes de recherche, parce qu'il serait indéfendable de parler d'efficacité des systèmes éducatifs et de dynamiques de changement, sans tenir compte du mode de fonctionnement des enseignants, sans admettre que leurs processus de pensée relèvent d'un type d'épistémologie spécifique. Ce qui a deux conséquences:

Dans l'école, l'autorité n'aurait donc pas prise sur les pratiques des professionnels comme dans d'autres parties du monde du travail? A quoi tiennent ces différences? Je vois quatre raisons principales:

(a) Les enseignants se caractérisent, à tort ou à raison, par un individualisme marqué, ils exigent des degrés de liberté et une grande autonomie d'action. Ils réagissent par conséquent, soit par l'hostilité ouverte, soit par des stratégies d'évitement plus nuancées, voire sournoises, à toute tentative visant à modifier leurs pratiques de l'extérieur, qu'elle émane d'une autorité bureaucratique ou d'autres sources d'influence, qu'elle se fonde sur la tradition ou des principes plus modernes.

(b) Etant donné que l'efficacité et la qualité de l'action d'un enseignant ou d'une équipe pédagogique ne peuvent être véritablement mesurées dans la vie de tous les jours, l'administration scolaire, en regard de la direction d'une entreprise, manque de critères incontestables pour remettre en question les pratiques existantes. Chacun se sent le droit d'évaluer l'efficacité à sa façon.

(c) Les directeurs d'établissements, les inspecteurs, les membres des commissions scolaires, etc. ont une position institutionnelle plutôt faible, dans la mesure où ils sont souvent perçus comme "primus inter pares" et ne disposent que de faibles moyens pour imposer leurs idées, voire pour sanctionner les abus, les insuffisances ou les écarts à la norme.

(d) Toute cela aurait moins d'impact s'il était possible de codifier les pratiques de façon autoritaire; mais la nature de l'enseignement l'exclut; on peut respecter à la lettre du programme et du règlement sans être efficace pour autant, ou au contraire parvenir à des résultats en prenant des libertés avec les directives; l'école a besoin d'une véritable adhésion des praticiens...

Ces éléments concourent probablement, parmi d'autres, à maintenir dans nos systèmes scolaires un modèle d'organisation assez bureaucratique: il fonctionne comme "pis-aller", donnant l'illusion d'une gestion efficace - du moins sur le plan administratif - là où d'autres modèles produiraient très rapidement des conflits ou des désordres.

Comment trouver un juste équilibre entre le souci légitime des autorités de veiller à l'efficacité du système scolaire dans son ensemble et le souci, tout aussi légitime, des enseignants de conserver les degrés de liberté indispensables à une pratique qui, dans une large mesure, échappe à toute tentative de standardisation? Autour de cette question, il y a un tabou. Sans doute parce qu'il n'y a pas de représentation claire et partagée des facteurs contextuels et personnels qui justifient l'autonomie, au-delà du souci d'équité et d'efficacité.

Parmi les facteurs contextuels, citons la personnalité et les acquis antérieurs des élèves, la dynamique particulière de chaque classe, les attitudes des parents, les attentes des collègues, les conditions de travail, le climat de l'établissement. Parmi les facteurs personnels, retenons l'histoire particulière de chaque enseignant, la nature de sa socialisation personnelle et professionnelle, ses croyances et modèles, la phase du cycle de vie dans laquelle il est engagé, ses priorités, ses intérêts, ses besoins du moment, son état de santé et son énergie, ses représentations des objectifs visés, des contenus et des méthodes, des exigences et des critères de réussite, etc.

Le souci de trouver de vraies alternatives au modèle bureaucratique, afin de parvenir à une gestion plus efficace des systèmes scolaire, a amené politiciens et responsables des écoles à emprunter des modèles de gestion et de fonctionnement propres à d'autres domaines de travail: l'administration classique ou la gestion d'entreprise. Les sciences de l'éducation, centrées longtemps sur les apprentissages ou la relation pédagogique, n'ont proposé pendant longtemps aucun modèle au niveau de l'organisation scolaire, et on s'est peu inspiré d'autres sciences humaines, telles que la psychanalyse, la sociologie, la psychologie industrielle, etc.

Ces difficultés réelles ne signifient pas que l'école, si elle veut accroître son efficacité, ne saurait profiter des acquis actuels d'autres domaines, qu'il s'agisse des nouvelles pratiques de gestion d'entreprise ou des connaissances en provenance de diverses disciplines de recherche. Mais ces acquis ne seront utilisables qu'au prix d'un processus complexe d'assimilation et d'accommodation à l'organisation et aux pratiques existantes de notre système scolaire. A ce sujet, Dubs (1992) propose une articulation claire et explicite de la gestion du système scolaire en deux volets: d'une part développement, d'autre part "management" de l'école.

La distinction entre les deux domaines devrait, selon Dubs, aider à construire des stratégies permettant à l'école de répondre, de manière plus efficace aux diverses exigences sociales et pédagogiques.

Le développement de l'école (partie gauche du schéma) recouvre tout ce qui tend à moderniser et optimiser le fonctionnement d'un système scolaire ou d'un établissement, grâce à un processus d'analyse et de résolution de problèmes à long terme, s'appliquant à l'ensemble du système ou à certaines de ses parties. Le développement organisationnel met l'accent sur la mise en place d'une véritable culture de collaboration entre les divers acteurs, alors que le développement de curricula accorde la priorité à la mise en oeuvre des objectifs pédagogiques; il existe cependant une forte interdépendance entre les deux: dans une école gérée de façon très traditionnelle, régie avant tout par des règlements administratifs, une réforme du plan d'études est bien plus difficile à réaliser que dans une organisation dynamique, mieux à même de prendre en compte le sens du changement visé.

Cependant, face aux exigences multiples auxquelles l'école doit faire face, le développement ne suffit pas. Il faut également un "management" efficace (partie droite du schéma), permettant de maîtriser les tâches quotidiennes. Selon Dubs, il ne suffit pas de garantir un développement à long terme, pensé en termes stratégiques; il insiste sur la nécessité d'une organisation suffisamment claire et opérationnelle pour exécuter les tâches quotidiennes sans y investir trop d'énergie: les principes de leadership, d'administration et de controlling développés dans d'autres domaines, notamment dans celui de l'entreprise, sont certainement des concepts intéressants, même s'ils nécessitent une adaptation à la spécificité du système scolaire.

Le controlling est en français un terme ambigu, qui évoque le contrôle hiérarchique plutôt qu'une diversité de formes d'évaluation des activités menées dans une école. Je préfère parler de régulation. En reconnaissant que les idées d'auto-régulation et de régulation par les pairs (Gather Thurler, 1991, 1992) n'ont pas encore abouti à de réelles alternatives aux méthodes traditionnelles d'évaluation, sommatives et normatives, et au contrôle par l'autorité, même si ces dernières pratiques sont actuellement plutôt rejetées. Cette impasse risque de renforcer l'idée que l'efficacité des efforts investis par les divers acteurs, notamment les enseignants, ne peut et ne devrait donc pas être évaluée... Ce qui priverait des effets importants et régulateurs du feedback, en tant qu'élément important d'un processus constructif du changement des pratiques.

Au vu du schéma de Dubs, on peut se demander dans quelle mesure les difficultés des réformes scolaires ne sont pas liées au fait qu'on a tenté d'isoler les différents éléments, à savoir le développement du management, le développent organisationnel de celui du curriculum, la régulation de la gestion administrative courante. Mieux vaudrait concevoir ces fonctionnements de manière systémique. En effet, il faut considérer le développement de l'école et son management comme un tout, afin de parvenir à des solutions réellement satisfaisantes.

Dans cette visée, les instruments nous manquent singulièrement et il nous faudra une bonne part de tâtonnements pour vraiment comprendre comment parvenir à changer tant les représentations que les pratiques des uns et les autres. S'y ajoute le fait que toute l'organisation scolaire est terriblement conditionnée par les manières de faire et de penser propres aux système bureaucratiques et technocratiques:

En l'absence de modèles prêts à l'emploi et ayant fait leurs preuves, je propose d'adopter une première ligne de conduite: partir de la réalité des principaux acteurs, ici les enseignants. On peut se demander alors quelles sont les approches qui tiennent à la fois compte de la réalité des enseignants (souvent subjective, morcelée et peu communicable), et de la nécessité de les faire évoluer vers davantage de professionnalisme, vers plus de maîtrise pédagogique. A ce sujet, la réflexion dans l'action nous paraît être une démarche intéressante. J'en présentai les contenus, mais aussi les limites. Pour terminer, je proposerai quelques pistes de recherche ouvertes.


1. Partir de la réalité des principaux acteurs,
les enseignants

Il s'agit avant tout de ne pas oublier que le changement en éducation dépend de ce que les enseignants en pensent et en font, et de la manière dont ils sont amenés à le construire activement. Les discours sur les pratiques des enseignants, et à fortiori les discours sur l'efficacité qui ignoreraient cette réalité, aussi savants soient-ils, ne resteront que des mots sur du papier.

Or cela ne va pas de soi. Il n'est pas absurde de craindre que, dans tout nouveau programme de recherche, on retombe dans les erreurs du passé, et notamment qu'on s'enferme à nouveau dans une prétendue rationalité technique, en recréant une dynamique qui amène les praticiens à déléguer aux chercheurs la tâche de penser à leur place la meilleure manière de gérer le système dans lequel ils travaillent, de formuler pour eux les problèmes et les solutions, alors qu'ils seraient les mieux à même de réfléchir sur leurs pratiques et de définir les moyens d'augmenter leur efficacité, fût-ce avec l'aide de chercheurs.

Il est d'autant plus important d'y insister que des travaux récents, anglo-saxons notamment, portent sur les façons de penser et de faire des enseignants un regard qui, à mon avis, permet de relier recherche, changement et professionnalisation du métier d'enseignant. Je me référerai en particulier aux travaux de Schön (1983, 1987) au sujet de la réflexion dans l'action, ou encore à ceux de Hopkins, Rossmann, Schein et d'autres sur la perspective culturelle en matière de changement et d'efficacité.

Ces travaux posent plusieurs questions centrales:

Par ailleurs, ces travaux vont également dans le sens de recherches récentes qui préconisent un dépassement de la vision statique, linéaire et fragmentée des indicateurs de l'efficacité, en faveur de métacritères plus dynamiques et organisationnels, tels que:

Tous ces travaux montrent qu'en fin de compte, l'efficacité du système scolaire n'est pas obtenue sur la base d'une résolution de problèmes ponctuels, mais que celle-ci se construit, à partir d'une confrontation des représentations des uns et des autres autour du métier d'enseignant.

1.1 Le métier d'enseignant: plus qu'une simple résolution de problèmes

Construire le sens du changement est, en fin de compte, une expérience très subjective, dans la mesure où les investissements et les bénéfices des uns et des autres dépendent de leur statut dans l'organisation, de leurs attentes, de leurs projets.

Entre innovateurs et enseignants, il y a souvent divergence. Ceux qui plaident en faveur du changement (autorités scolaires, chercheurs, didacticiens, militants, enseignants ayant directement participé à l'élaboration de nouvelles directives, de nouveaux plans d'études, etc.) en attendent certaines gratifications: pouvoir, formation personnelle, satisfaction narcissique, parfois nouveau statut professionnel.

Ceux qui sont censés mettre en oeuvre, dans les établissements et les classes, un changement pensé par le premiers, sont, dans un premier temps, confrontés au coût des efforts nécessaires pour intégrer les nouvelles méthodes à leurs schémas de fonctionnement; on leur demande de déstabiliser puis de reconstruire un système de travail constitué à travers de multiples tâtonnements et, parfois, de douloureuses expériences. Souvent, les autorités ou les enseignants innovateurs, qui, en toute bonne foi, ont investi beaucoup d'énergie pour proposer des changements de méthodes ou de programmes, se trouvent étonnés lorsqu'ils se heurtent à la franche incompréhension ou même à l'hostilité de collègues qui préfèrent "bricoler" pour eux-mêmes! C'est tout simplement parce qu'ils ont perdu la capacité de se mettre à leur place et qu'ils oublient le chemin qu'il leur a fallu parcourir...

Comment s'étonner, dans ses conditions, des moqueries et des critiques adressées à un corps de métier dont les membres, alors même qu'ils ont été formés selon des principes communs et sont censés appliquer les mêmes programmes et partager la même culture professionnelle, se comportent aussi différemment? Certains se demandent même s'il est encore justifié de parler d'un corps de métier là

D'autres s'accordent à dire qu'il y a dans ce métier, comme dans tous les autres, de bons et de mauvais professionnels, ou bien des gens avec plus ou moins de talent, de vocation. D'autres encore (Huberman, 1990, Nias, 1989, Hargreaves & Fullan, 1991) expliquent

A mon avis, les interprétations variées que construisent les enseignants de leurs tâches professionnelles et les comportements non moins différents qui en découlent, résultent en grande partie des représentations divergentes que se font les enseignants de leur métier. Or ces divergences s'expliquent: les enseignants sont aujourd'hui confrontés à une pluralité d'attentes, d'images et de rôles, qui est en partie imposée par l'extérieur, en partie issue des milieux professionnels eux-mêmes. Face à ce pluralisme, pris individuellement, les enseignants, souvent, ne savent pas quelle attitude adopter.

La littérature, les revues professionnelles et les thèmes de séminaires proposés débordent de propos bien intentionnés mais, au fond, représentatifs d'une profonde désorientation: on parle de crise d'identité, face aux attaques de l'extérieur et face à un métier réputé "impossible", on parle de burn-out, de résignation, de "déprofessionnalisation" et de prolétarisation des enseignants, on dénonce la bureaucratisation du système, on souligne la tendance des associations d'enseignants à axer leur travail sur des revendications statutaires davantage que sur les préoccupations pédagogiques.

Les offres de formation continue ajoutent à la confusion en offrant une panoplie incroyable de thèmes, face à laquelle chacun ne peut que baisser les bras en se disant qu'il ne réussira jamais à maîtriser tout ces savoirs.

La crise de confiance qui se ressent de toute part, a plusieurs racines:

Du côté de la recherche en éducation, on observe une insistance croissante sur l'évolution des technologies, sur les exigences socio-culturelles changeantes, sur les connaissances nouvelles sur le développement de l'enfant ou la transposition didactique. Ces thèmes ne cessent, explicitement ou implicitement, d'en appeler à un accroissement ou un élargissement des compétences et des tâches des enseignants, sans pour autant accorder de l'attention aux moyens de développer leur capacité de formuler des problèmes de management et de les résoudre.

De toutes parts, on presse les praticiens:

L'enseignant, dans sa classe, dans son établissement, face à sa communauté éducative, n'a plus affaire à des problèmes indépendants. Il doit constamment agir à l'intérieur de situations dynamiques, faites de systèmes complexes de problèmes changeants et qui interagissent entre eux:

En fin de compte il est extrêmement réducteur de prétendre que l'enseignant est amené à résoudre des problèmes. En fait, journellement, il doit faire face à de véritables dilemmes, prendre des décisions immédiates en sachant qu'aucune ne sera la bonne, bref accepter d'être souvent "dans le pétrin". Ne serait-il pas plus honnête de reconnaître que l'enseignant agissant en vrai professionnel ne résout pas des problèmes successifs, à la manière d'un médecin ou d'un mécanicien, mais se débrouille pour sortir du pétrin grâce à sa capacité de capitaliser et de théoriser l'expérience, dans sa classe d'abord et ensuite, si possible, à l'échelle d'une équipe pédagogique ou d'un établissement, voire du système...

1.2 Connaissance des pratiques et changement

Pour comprendre comment certains enseignants développent ce type de professionnalisme et, si possible, pour en amener d'autres à suivre le même chemin, il faut se garder, à mon avis, de plaquer sur la réalité des enseignants, l'épistémologie propre aux institutions de recherche, qui souvent porte à ignorer leur compétence pratique et à sous-estimer l'artisanat professionnel.

Il s'agit aussi d'être extrêmement attentif au fait que le praticien lui-même:

En effet, malgré les efforts considérables de coopération entre recherche et pratique, le décalage entre les deux mondes, celui de la connaissance "hard" des scientifiques et celui de la connaissance "soft" des artisans, ne cesse de s'agrandir. Les questions suivantes se posent:

Certaines amorces de réponses à ces questions commencent à se profiler à travers les travaux d'auteurs tant francophones qu'anglo-saxons (Cifali, Dutercq, Derouet, Perrenoud, Huberman, Woods, Lortie, Nias, Little et d'autres), travaux qui prennent en compte des éclairages tant psychanalytiques, qu'anthropologiques, ethnographiques et sociologiques du métier de l'enseignant et permettent de donner une nouvelle orientation à la problématique du changement des systèmes scolaires.

Bien que le schéma de Dubs mette bien en évidence les divers secteurs sur lesquels il est possible de travailler dorénavant, il ne permet cependant pas de dire comment, à partir d'une meilleure collaboration entre les enseignants, ou à partir d'une réflexion sur les plans d'études, réussir à améliorer les pratiques en classe.

Les travaux de Schön et, notamment, son concept de la réflexion dans l'action offrent une perspective prometteuse. La force de ce concept est de permettre une synthèse opérationnelle entre les approches socio-constructivistes - et donc forcément plus théoriques - du changement et la réalité pratique au "ras-des-pâquerettes" de l'enseignant, confronté à la nécessité de réagir vite et bien aux exigences multiples et quotidiennes de sa vie en classe.

Par ailleurs, l'approche de Schön comporte de multiples désavantages. Pour commencer, elle est purement théorique et manque de bases empiriques. Ensuite, elle puise ses notions d'articulation entre théorie et pratique dans le domaine de la formation des architectes. Une fois de plus, nous ne disposons donc pas d'une approche propre au métier d'enseignant. Et, pour terminer, elle paraît, à première vue, difficile à concilier avec les développements récents en matière d'innovation scolaire, accordant de l'importance au développement organisationnel en soi et préconisant une meilleure collaboration et cohérence à l'intérieur de l'établissement. Laissons cependant de côté ces désavantages, dans un premier temps, pour voir dans quelle mesure l'approche de Schön pourrait contribuer à forger un outil puissant de mise en place de dynamiques de changement internes.

2. La réflexion dans l'action (RDA)

Pour Schön, la pratique de l'enseignement se présente comme une réalité artisanale à double face:

Le changement des pratiques, dans cette perspective, ne vient pas d'un constat ponctuel d'échec, ni d'un inventaire délibéré des alternatives possibles. Il s'agit plutôt d'une restructuration de la Gestalt, appelée par les événements et par le fait que le cours même de l'action, par exemple la manière qu'ont les élèves de réagir à telle ou telle situation d'apprentissage proposée, amène à voir les choses différemment. La signification de la connaissance professionnelle, ainsi que le sens du changement, lorsque il est nécessaire, émergent immédiatement de l'interaction directe entre le praticien et l'action.

Schön distingue quatre composantes de la réflexion dans l'action:

a. Les média, le langage et les répertoires auxquels les praticiens recourent pour décrire la réalité et pour conduire des expériences.

b. Les représentations et les critères d'appréciation auxquels les praticiens se réfèrent pour définir un problème, pour mener leur enquête, pour conduire un entretien.

c. Le cadre général de pensée par rapport auquel les praticiens interprètent les phénomènes observés.

d. Les définitions de rôles à travers lesquelles les praticiens déterminent leurs tâches et limitent leur contexte de travail.

Reprenons-les une à une.

2.1 Décrire la réalité

Il existe, entre les enseignants, des différences importantes dans leur manière de percevoir et de décrire la réalité, de conduire des expériences. Ces différences sont dûes, parmi d'autres, à leur processus de socialisation dans le métier, à leur biographie professionnelle et personnelle, aux influences qu'ils subissent, consciemment ou inconsciemment, au contexte dans lequel ils vivent. Il est important de savoir que trois enseignants confrontés au même événement dans une classe donneront une description différente de ce qui s'est passé, en raisons du "feeling" particulier que chacun a développé, quant aux média, langages et répertoires adéquats pour transmettre l'expérience. A cause de ces différences interindividuelles, l'art d'une pratique tend souvent à être opaque pour autrui, même entre praticiens, parce que les similarités sous-jacentes ne sont pas perçues, et que les uns et les autres sont convaincus de n'avoir rien à se dire. A l'inverse, à force de bonne volonté, il arrive que les interlocuteurs croient communiquer, pour ne se rendre compte que trop tard qu'au fond, ils ne parlaient pas de la même chose...

En fin de compte, on ne sait guère comment les praticiens développent les concepts et intuitions qui sous-tendent leur pratique réfléchie. Et encore moins comment ils parviennent à un langage commun permettant une véritable communication sur les pratiques, à partir des mêmes représentations.

2.2 Définir et résoudre un problème

Un système stable d'appréciation est vital pour un professionnel. Il rend possible le cadrage initial de la situation problématique, et ensuite la réévaluation du résultat par rapport aux données de départ. Il permet notamment de savoir si le résultat est atteint...

Or, dans la plupart des cas, les enseignants ne disposent pas d'un tel système d'appréciation. Sur le plan individuel, il est extrêmement difficile d'échapper aux injonctions multiples et contradictoires concernant les objectifs de l'enseignement: faut-il d'abord valoriser les compétences disciplinaires, telles qu'elles sont prescrites par le programme, ou faut-il accorder la priorité aux compétences transdisciplinaires? comment tenir compte, à la fois, des besoins des élèves et des exigences du collègue reprenant la classe l'année suivante? comment dispenser un enseignement centré sur les intérêts des élèves en s'adaptant au rythme-horaire de 45 minutes par leçon?

Sur le plan collectif, les exemples ne sont pas légion où les enseignants sont parvenus à négocier des objectifs, ainsi que des critères de réussite communs: cela exige une culture de collaboration qui fait défaut dans la plupart des établissements, pour toute une série de raisons avouables et non-avouables.

2.3 Interpréter les phénomènes observés

Bien qu'aucune théorie, aussi fondée soit-elle, n'offre de règles qui permettraient de prédire ou de contrôler un événement particulier, chacune propose néanmoins un cadre de référence à partir duquel il devient possible d'interpréter les observations faites et d'organiser des actions particulières, en tâtonnant et en vérifiant l'impact de ses tâtonnements.

Les praticiens qui disposent d'une telle théorie y recourent pour guider leur action réfléchie. Encore faut-il qu'ils soient prêts à la confronter à la réalité - tant à la réalité de leur propre pratique, qu'à celle des autres - pour vérifier si elle résiste, si elle est la mieux à même d'offrir des solutions adéquates, ou s'il ne vaudrait mieux la réviser, si elle ne contient pas des contradictions majeures, si, en somme, ils ne disent pas "A" en faisant "B"...

Toujours est-il que la présence d'une telle théorie - et plus forte raison, celle d'une théorie partagée, constamment analysée et remise à jour avec les collègues - offre un formidable instrument de travail, permettant à plus facilement situer les difficultés, mais aussi les réussites rencontrées, à faire le bilan, à analyser les obstacles et les facilitateurs, à déterminer les régulations à mettre en place, à faire une planification à court et à moyen terme. Elle permet à ne pas s'égarer, et constitue un formidable moyen d'hygiène mentale, dans la mesure où elle permet par exemple à certains moments d'éviter l'acharnement pédagogique là où il vaudrait mieux laisser l'élève tranquille pendant un certain temps, à d'autres à réfléchir à la responsabilité tant de l'enseignant, tant de l'élève, tant des structures ainsi que de l'organisation, au lieu de tomber dans le jeu habituel et peu différencié soit de l'auto-fagellation, soit de la délégation des responsabilités à autrui: les structures, les règlements, les plans d'études surchargés, les autorités qui n'admettent pas, les parents, les circonstances politiques et sociales...

2.4 Définir les rôles des uns et des autres

Les organisations scolaires définissent le rôle officiel des enseignants, mais ceux-ci n'adhèrent pas nécessairement à cette définition imposée par autrui, ou y adhèrent pour la forme, sans s'y conformer dans la pratique: leur définition personnelle de leur rôle dépend de leur manière de percevoir la réalité, de leur théorie personnelle de l'apprentissage et du fonctionnement du système scolaire, de leur perception des relations de pouvoir et des enjeux, tant personnels qu'organisationnels, de leurs croyances par rapport à ce qui est faisable, souhaitable, défendable.

Si le contexte organisationnel occupe une place centrale dans la manière dont le praticien perçoit son rôle, il en tiendra également compte, ou cherchera à se référer à une doctrine commune, lorsqu'il rencontre des phénomènes ou des problèmes pour lesquels il n'existe pas de théorie ou de recette toutes faites et satisfaisantes.

En construisant sa propre théorie et en cherchant à la confronter avec celle d'autrui, il s'apercevra que d'autres, dans la même situation, opposent, à son cadre de référence et à ses "théories" leurs propres référentiels et théories subjectives. Il se rendra ainsi compte que les autres acteurs (collègues, élèves, autorités) ne sont pas des objets, auxquels on peut imposer son action, mais des personnes, qui développent leurs propres stratégies, leurs propres projets, leurs représentations bien personnelles de leurs rôles et du sien. Alors, son interaction avec ces personnes prendra la forme d'une concertation et de négociation.

3. La RDA: un fardeau de plus
ou une manière d'enrichir le métier d'enseignant?

La question reste bien entendu de savoir comment amener les enseignants à passer de la connaissance intuitive du problème, d'une pratique se référant exclusivement au bon sens, et d'une interprétation subjective des phénomènes rencontrés et d'une indifférenciation des rôles, à un nouvel habitus de réflexion dans l'action, qui permettrait de parvenir à une plus grande systématisation et capitalisation des expériences. Cette familiarisation avec la métacognition et la métacommunication devrait évidemment faciliter le dialogue avec les élèves, les collègues, les agents externes (autorités, chercheurs, parents). En outre, elle devrait faciliter la mise en oeuvre d'innovations, dans la mesure où les enseignants disposeraient ainsi d'une grille de lecture leur permettant de juger rapidement de la valeur de certaines innovations proposées, au lieu de continuellement réinventer la roue pédagogique dans leur coin.

3.1 Difficultés de la RDA

Il s'avère que la réflexion dans l'action comporte une série de difficultés. On se limiterait ici à approfondir les deux qui semblent les plus importantes: (a) le décalage entre la description et la réalité; (b) le risque que la réflexion paralyse l'action.

a. Le décalage entre la description et la réalité

Lorsqu'un praticien agit, sa connaissance intuitive de la réalité sera toujours plus riche en informations que la description qu'il en offre ou qui lui en est offerte.

En outre, la représentation de la réalité qu'il se construit à son usage personnel, qui relève en partie du "feeling", est pour la plupart sans connection apparente avec les stratégies auxquelles il faut recourir pour construire une représentation externe, utilisant des terminologies savantes et abstraites pour lui, de cette action et de son efficacité. A cause de ce décalage, les gens, alors mêmes qu'ils agissent de manière très adéquate, donnent souvent de leurs procédures une description que d'autres ne peuvent suivre. Dans un tout autre registre, pensons ici à la difficulté, même pour un excellent skieur, d'enseigner le ski: les meilleures descriptions de ses propres manières de faire ne permettront pas au débutant de se mettre à godiller...

b. Le risque que la réflexion paralyse l'action

Obligé de réfléchir à la manière dont il enseigne, le praticien risque d'en perdre ses moyens, tout comme le mille-pattes qui n'a jamais pensé à sa multitude de pattes avant d'avoir tenté d'expliquer comment il avance. Ceci pour les raisons suivantes:

S'il est en partie correct de prendre en compte les difficultés décrites ci-dessus, on peut cependant se demander s'il ne s'agit pas en fin de compte de faux problèmes, créés d'abord par une vision fausse de la relation entre pensée et action et ensuite, par un forme d'adhésion au vieux schéma de l'enseignant incapable de réfléchir, de dire, d'exprimer et de surcroît, de l'enseignant réfléchissant seul dans son coin. Si la RDA ne va pas de soi, elle s'apprend, il suffit de savoir s'y prendre.

3.2 La relation entre pensée et action

Bien entendu, il n'est pas toujours possible de s'arrêter pour réfléchir dans certains contextes précis: lorsque la classe est particulièrement agitée, lorsqu'une situation didactique pourtant bien préparée n'engendre pas de motivation et n'aide pas à avancer, lorsque plusieurs élèves à la fois ont terminé leur travail plus rapidement que prévu, on a besoin de réponses immédiates, et lorsqu'elles font défaut, cela entraîne des conséquences immédiates et parfois sérieuses.

Toutes les situations de la pratique ne sont cependant forcément sujettes à ce type de difficultés. Le temps nécessaire de réaction varie beaucoup de cas en cas, et souvent, l'enseignant a le temps de penser à ce qu'il est en train de faire. Par exemple, l'attitude à adopter pour aider un élève à résoudre ses problèmes d'apprentissage, les choix à opérer par rapport au curriculum et aux contenus, les approches didactiques les meilleures à même de permettre une différenciation, la meilleure façon d'amener les élèves à comprendre le sens de ce qu'ils sont en train d'apprendre, de les amener à coopérer tout en accédant à l'autonomie: il s'agit ici de processus pouvant durer des semaines, voire des mois, durant lesquels des épisodes rapides alterneront avec des intervalles plus longs offrant amplement le loisir de réfléchir - soit seul, soit avec des collègues - à ce qu'on fait.

Schön plaide ici pour une conception d'un art de la pratique à l'intérieur de laquelle le praticien apprend à créer des occasions de réflexion dans l'action. Selon lui, la difficulté ne réside pas dans la complexité de la situation, mais dans notre manière de nous représenter la complexité. A ce sujet, toujours selon Schön, certaines descriptions sont plus utiles pour l'action que d'autres.

Le mille-pattes, à la question, comment faire pour s'en sortir avec toutes ces pattes sans s'embrouiller, pourrait donner une réponse non-paralysante du genre "J'avance avec un mouvement ondulé". De même, un bon professeur de ski aura appris à s'exprimer par des métaphores du type: "Je m'appuie dans une pente!," qui aide à faire comprendre l'attitude demandée. Or, les enseignants ont beaucoup de peine à formuler, en paroles, ou par l'écrit, ce qu'ils font. Il leur manque, pour cela faire, toute une tradition, un habitus, dans un métier, où on fait au lieu de dire et où sont rares les moments de prise de distance, d'échange, de réflexion partagée, de formulation, de mise par écrit, des moyens de prise de conscience et de perfectionnement de sa propre théorie subjective qui, au-delà de la métacognition, permettent de reconnaître des patterns et des formes recurrents (la "bonne Gestalt") et de donner sens à la complexité.

Par ailleurs, on doit tout simplement d'admettre que certaines injonctions créent, en effet, une interférence temporaire avec l'efficacité (par exemple la proposition venant d'un intervenant externe à changer son style d'enseignement pour adopter des méthodes interactives, ou encore la prise de conscience de l'enseignant lui-même, de la dissonnance entre les réactions attendues et réelles de ses élèves), le temps que la perte de la spontanéité aboutisse vers un niveau de maîtrise supérieur.

Dans ce contexte-là, personne ne remettra en question l'utilité même de l'inhibition temporaire d'une routine ou d'une action. Mais la disponibilité à prendre le risque d'une perte de maîtrise temporaire dépendra, notamment:

- de la question de savoir si le prix payé en vaut la chandelle: perdre sa spontanéité en vue d'un niveau supérieur de maîtrise;
- de la possibilité de s'exercer dans un contexte de risque réduit, dans une "zone protégée", à l'intérieur de laquelle les erreurs ne portent pas à conséquence...;
- de la prise de conscience d'un manque d'efficacité en général, suscitant le besoin de changer, au prix d'une période de stagnation et de désarroi.

3.3 Les avantages de la RDA

Mises à part ces difficultés, la RDA comporte une série d'avantages qui, à mon avis, ne se manifesteront qu'à long terme:

En guise de conclusion:
pistes de recherche possibles

Dans la logique RDA, il ne peut être question de "liens" entre recherche et pratique, ou encore de "dissémination" de résultats de la recherche, du fait que l'expérimentation continue du praticien, en ce qui concerne soit les cadres référentiels, soit les théories, transforme simultanément la situation pratique. Ici, l'échange entre recherche et pratique est immédiat, et la RDA opère sa propre mise en oeuvre.

Toutefois, il existe des recherches qui peuvent être entreprises en dehors du contexte immédiat de la pratique, dans le but d'améliorer la capacité RDA du professionnel, appelée "reflective research" par Schön. Voici ses quatre axes possibles:

4.1 "Frame analysis"

Il s'agit ici d'étudier la manière dont le praticien formule les problèmes et définit les rôles, dans le but de rendre les praticiens conscients de leurs référentiels tacites et de leurs objectifs cachés.

Les praticiens sont peu conscients de leur cadre de référence, en ce qui concerne leurs rôles et leur façon de repérer et de résoudre les problèmes, ils ne ressentent pas le besoin de clarification. Ils ne sont pas attentifs à la manière dont ils construisent activement la réalité dans laquelle ils fonctionnent.

A fur et à mesure qu'ils prennent conscience de leurs référentiels, ils prennent également conscience de modes alternatifs possibles de définition de la réalité et commencent à prendre des distances par rapport à leurs représentations subjectives. Ils s'avisent des valeurs et des normes auxquelles ils ont accordé la priorité, et de celles qu'ils ont négligées ou complètement ignorées. La prise de conscience des référentiels mène vers une prise de conscience des dilemmes, et dans les cas positifs, vers des tentatives de résolution.

Les questions auxquelles il faudrait répondre, avant tout, sont les suivantes:

4.2 Description de répertoires

Il s'agit ici de décrire et d'analyser les images, croyances, catégories, schèmes, cas, précédents et exemples, pour décrire les répertoires auxquels les praticiens recourent face aux situations concrètes et pour décrire les moyens grâce auxquels ils les ont constitués: processus de socialisation, biographie personnelle, modèles et contre-modèles (des professeurs rencontrés durant la formation, des collègues, des attitudes à éviter à tout prix).

Le but est de mieux comprendre les procédures d'interprétation dont chacun use quotidiennement pour donner du sens à ses propres actions et à celles d'autrui, pour en capter les intentions, à l'aide de schémas interprétatifs qu'il a construits ou acquis au gré de sa socialisation.

Il existe actuellement déjà toute une série de travaux récents (Huberman, 1989, 1990; Woods, 1991), qui tendent à approfondir les caractéristiques du métier d'enseignant, dans un contexte social qui contraint le praticien au "bricolage" (Perrenoud, 1983) et le pousse à développer des "stratégies personnelles" lui permettant d'"élargir sa boîte à outils". Selon ces auteurs, cette démarche correspond davantage à celle d'un combattant solitaire qu'à celle d'un travail d'équipe, parce que gérer une classe, affronter un groupe d'élèves, faire preuve d'astuces didactiques pour répondre aux divers besoins de chacun, sont des opérations qui mettent en jeu non seulement des conceptions et des valeurs diverses, mais la personnalité, la créativité, la capacité relationnelle de chacun.

Or, malgré l'absence, dans la plupart des équipes d'enseignants, d'une véritable culture de collaboration, il serait intéressant d'étudier la manière de laquelle se construit le sens commun, la connaissance que partagent les acteurs entre eux dans les routines normales, évidentes de la vie quotidienne et qui sont reconnues comme étant la réalité, n'exigeant pas de vérifications particulières.

4.3 Etude des processus de structuration/restructuration

Il s'agirait ici d'étudier les méthodes d'investigation et les théories subjectives à partir desquelles les praticiens parviennent à une construction progressive et active, à travers l'expérience et l'interaction, à l'intérieur d'un système social, d'un projet commun ou simplement d'un réseau de communication, à mettre en relation leurs principes d'action individuels avec leur cadre de référence, et leur répertoire d'exemples:

 

Cadre de
référence


Représentations

Normes

Croyances

Mythes

Tabous

Théorie


Répertoire d'exemples/ méthodes

(boîte à outils)

Principes d'action


Tremplin pour donner du sens à de nouvelles situations qui, à première vue, ne semblent pas cadrer, par un processus d'assimilation et d'accommodation

Les références théoriques pour cette approche sont des auteurs tels que Berger et Luckmann (construction des représentations sociales) et Bourdieu, ("constructivisme sociologique"). Plus récemment, Giddens (théorie de la structuration) insiste sur le rôle des acteurs dans la (re)construction continuelle des propriétés structurantes des systèmes, tout en admettant qu'il s'agit d'un rôle en partie inconscient, et intériorisé durant le processus de socialisation. Perrenoud (1987), pour sa part, dénonce l'opposition "artificielle" entre autonomie de l'acteur et mécanismes de reproduction. Rompre avec ce mécanisme suppose, à son avis, une forme d'humanisme, de conscience de soi comme acteur libre, montrant que les conditionnements ne sont pas inéluctables et qu'ils sont en partie choisis ou négociés. Face à ces approches émanant de l'école structuraliste et post-structuraliste, une quatrième approche, la perspective culturelle gagne du terrain actuellement. Elle insiste sur l'importance des valeurs, normes, représentations et opinions fondamentalement conservatrices partagées par tous les acteurs et surtout les praticiens, sur les significations symboliques qu'ils attachent aux efforts visant le changement. Elle attire ainsi l'attention sur le versant tacite, obscur, trouble et subjectif du comportement social.

C'est la mise en application combinée de ces différentes approches, complétées par des démarches appartenant à la recherche-action (comment transformer le "serious goodwill" en "organized efficient action", cf. Lewin), qui paraît offrir la meilleure argumentation et le meilleur outillage pour concevoir et mettre en place les changements au niveau du système scolaire.

Mais cette hypothèse demanderait à être vérifiée et nous nous trouvons par conséquent confrontés à un immense champ d'études, d'autant plus difficile à explorer qu'il faut développer les méthodologies correspondantes.

4.4 La construction d'une démarche RDA

Il s'agirait ici d'étudier les facteurs - tant individuels que structurels - qui empêchent ou facilitent, dans un établissement ou dans une équipe enseignante, la mise en place d'une démarche RDA. En voici quelques obstacles, et aussi quelques facilitateurs de la réflexion dans l'action, identifiés par divers auteurs (Schön, 1983; Beck, 1991, Thiessen & Kilcher, 1991, et al.):

a. Obstacles

b. Facilitateurs

En partant de ces obstacles et facilitateurs, il serait intéressant de savoir, quels sont les facteurs tant organisationnels que contextuels qui les conditionnent: mode de collaboration entre les enseignants, ressources matérielles et personnelles disponibles, style de leadership, mode de régulation, etc.

4.5 Le rôle des intervenants, relations chercheurs/praticiens

Les recherches orientées par le modèle de la RDA impliquent entre chercheurs et praticiens une relation très différente de celle que sous-tend le modèle RDD (recherche, développement, dissémination). Dans une démarche de réflexion dans l'action, le praticien n'est pas l'utilisateur du produit du chercheur. Il fait entrer le chercheur dans sa manière de penser, et a recours à la recherche réfléchie pour avancer. En outre, le chercheur, dans ce mode relationnel, ne peut plus maintenir sa distance, son rapport asymétrique, sa relation de pouvoir avec la pratique: qu'il soit impliqué dans l'analyse de référentiels ou de répertoires, il doit viser à mieux comprendre ce qui se passe dans la pratique, d'où la nécessité d'un partenariat Recherche-Pratique et Pratique-Recherche.

Diverses formes de coopération sont possibles:

Pour le moment, tout le monde tâtonne, et on dispose, actuellement, encore de données empiriques largement insuffisance pour mettre en évidence le rôle, les attitudes, les caractéristiques, les responsabilités et les limites d'intervenants, respectivement de chercheurs dans une dynamique de changement qui pousse les praticiens à réfléchir à leur pratique.

 

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