In: Educateur (1994)
Thèses concernant les Rythmes scolaires
Franz Baeriswyl & Monica Gather Thurler
1994
Ce document a été rédigé par les deux auteurs en prévision de la réunion des Etats généraux de la Direction de l'instruction publique et des affaires culturelles du Canton de Fribourg, qui aura lieu le 17 mars 1994. Il s'agit dans la forme présente d'un document de travail, qui sera distribué pour consultation aux participants de la journée, dans le but de permettre une discussion animée et substantielle. Les deux auteurs assument l'entière responsabilité du contenu de ce document. Mais ils souhaitent insister sur le fait que la procédure adoptée, ainsi que la structure de base du texte ont été négociées avec le groupe de travail constitué pour préparer cette journée, composé de: C. Brasey, J.-C. Bovet, H. Carrel, W. Kull et R. Rudaz, ainsi que les auteurs de ce document.
Chaque fois quon envisage de modifier les rythmes scolaires,
les gens décole, les politiciens et les chercheurs se
demandent - ou devraient se demander - si, au-delà des
conflits dopinions et dintérêts, et des
compromis plus ou moins satisfaisants qui en sortiront, le
débat peut mener vers de véritables changements en
faveur des élèves ou si on ne déclenche pas une
tempête dans un verre deau qui, une fois calmée,
obligera à constater quen réalité rien de
décisif na changé.
Nous souhaitons contribuer à rendre les discussions à venir aussi vivantes et fécondes que possible, et à éviter quelles passent à côté de lessentiel. Cest pourquoi nous avons rédigé ce document - à lire et à traiter en tant que document de travail - sous forme de thèses, avec les objectifs suivants:
Dans lensemble, ce document ne donne pas de réponse directe à la question de fond: faut-il ou non modifier les rythmes scolaires, et si oui, dans quel sens faut-il les modifier? Prendre la problématique par lautre bout, cest-à-dire, montrer quelle fait partie dun système complexe, nous paraît plus utile dans la mesure où il nous semble impossible, actuellement, de donner une réponse simple et unique, du type: oui, il faut raccourcir les vacances, oui, il faut supprimer une demi journée décole par semaine, etc.
Pour cette raison, nous avons préféré écrire ces trois thèses, dont la première, qui insiste sur la complexité du problème, est suivie par la description de douze domaines sur lesquels il conviendrait travailler en priorité.
Il est important, à notre avis, de ne pas se fixer sur cette première thèse mais de se permettre, lors de la discussion, de se centrer surtout sur la deuxième thèse. elle indique des pistes de travail réalisables à court et à moyen terme qui sont à notre avis beaucoup plus réalistes.
Le problème des rythmes scolaires ne peut pas être résolu sans remettre en question lensemble du système scolaire,dans toute sa complexité.
La problématique des rythmes scolaires concerne la totalité du système éducatif. On ne peut espérer changer un seul élément sans risquer certains déséquilibres dans dautres domaines. Si lon veut modifier les rythmes scolaires, il faut, en simplifiant beaucoup, considérer au moins les douze domaines suivants:
Dans les articles généraux de la loi scolaire, le mandat de formation et déducation de lécole est explicité. Il sagit de prendre au sérieux ces textes et de réfléchir aux rythmes scolaires en se référant à ces directives en fonction du degré et du niveau de développement des enfants ou adolescents concernés. Cest la tâche de ladministration scolaire, des chefs détablissements et des enseignants, sans oublier limplication des parents et - suivant le degré concerné - des élèves.
Les sciences de léducation ont durant longtemps investi beaucoup de temps et dénergie pour savoir jusquoù et sous quelle forme les objectifs dapprentissage doivent être définis. Cela les a amenés à négliger dautres aspects importants, tels que les contenus, les stades de développement et le sens que les élèves réussissent à trouver dans les apprentissages scolaires. En même temps, la société na pas cessé, dans un laps de temps très court et avec des effets durables, dimposer toujours plus de contenus à lécole, sans se demander comment ils pourraient trouver leur place dans un contexte interdisciplinaire. Citons à titre dexemple lintroduction de linformatique, de léducation routière et sanitaire.
Au gré de telles adjonctions, les disciplines définies au siècle dernier nont pas cessé de sélargir ou de se multiplier, sans que cela ait amené à repenser le mandat de formation et déducation. Les tentatives récentes dalléger les plans détudes nont cependant pas permis de délimiter véritablement les savoirs et savoir-faire indispensables à lélève daujourdhui pour vivre dans le monde de demain. Elles nont pas non plus permis de déterminer le type de personnalité à développer durant la scolarité, ni de définir les compétences de communication et de convivialité indispensables.
Or, notre école ne supporte plus actuellement des ajouts supplémentaires, qui ne font que renforcer la superficialité et le stress. Au contraire, elle a besoin de plans détudes qui permettent des apprentissages approfondis et liés à la vie.
Trop souvent, les écoles se donnent elles-mêmes un mandat de sélection, afin de se protéger de la critique ou de répondre à des priorités locales ou encore pour masquer les personnalités faibles denseignants ou de directeurs.
Or, par principe, lécole devrait accorder la priorité aux rythmes individuels de développement des enfants et à la nécessité de bâtir les apprentissages à partir des acquis des degrés précédents, quels quils soient. Entre enfants de même âge, il existe, faut-il le rappeler, des différences considérables dans le développement et la maturation, dun point de vue cognitif, émotionnel et social. Lorganisation scolaire devrait donc mettre en place une pédagogie différenciée, condition sine qua non pour que les processus dapprentissage puissent se dérouler de manière individualisée, donc efficace. Cela veut dire quil faut mettre fin à la perspective "égocentrique" de beaucoup décoles, qui fixent leurs barèmes sans tenir compte du "background" culturel et social des enfants et adolescents quelles reçoivent, sans sinquiéter du degré effectif de maîtrise des plans détude précédents, sans aller chercher lélève là où il a été laissé à la fin de lannée scolaire précédente. Il faudrait en fin de compte cesser de liquider, sur le dos des enfants et des adolescents, les conflits de pouvoir et de territoires entre les adultes - quil sagisse du même degré ou de divers degrés scolaires.
Par contre, il serait important dafficher clairement les exigences dun degré scolaire, pour permettre aux élèves - et aussi à leurs parents - de mieux évaluer leurs possibilités et aptitudes par rapport à ce degré. En outre, il faudrait renforcer limportance du contrat social: dans une telle logique, lélève et lenseignant sallient pour trouver le meilleur moyen datteindre les objectifs fixés. Cela diminue le stress et oblige les enseignants à trouver dautres moyens de donner du sens aux apprentissages scolaires que les moyens disciplinaires habituels.
Linstitution école fixe encore ses horaires de travail sans tenir compte de ceux du reste de la population en activité professionnelle. La répartition des périodes de travail et des vacances durant lannée scolaire est encore largement définie par le calendrier de léglise. Le rythme naturel des phases dapprentissage et de récupération de lenfant nest guère pris en compte.
La durée de la journée décole est réglée en fonction des voeux et de lhoraire des enseignants, de loccupation des salles de sports et autres salles spécialisées, des règles concernant louverture des bâtiments publics davantage quen fonction du temps de travail des parents. Il est assez fascinant dobserver lobstination des gens décole à penser que le temps de travail des parents devrait sorganiser en priorité en fonction de lhoraire scolaire des enfants, comme si les parents navaient pas mieux à faire que dattendre à la maison que leurs enfants rentrent de lécole, quà assumer en outre une partie des tâches des enseignants en faisant les devoirs avec leurs enfants et en expliquant des notions non comprises. Et pourquoi ignorer aussi souvent le fait que beaucoup denfants sont élevés par un seul parent ou par une mère et un père qui doivent tous deux travailler à lextérieur, sans avoir la possibilité daménager leurs horaires en fonction de ceux quimpose lécole à tous.
Le fait de composer des classes homogènes du point de vue de lâge des enfants repose sur un principe dorganisation qui est purement formel. Sy ajoute le fait que la promotion annuelle dun degré au suivant prend en compte surtout les acquis scolaires et de façon marginale le développement intellectuel, et plus encore social et émotionnel. Or, les enfants et les adolescents se développent de manière différente, ils apprennent de manière différente et présentent souvent des phases de développement très peu harmonieuses.
Ce constat a amené les pays les plus avancés à instaurer des cycles pédagogiques de plusieurs années, que les élèves peuvent parcourir à des vitesses variables, sans pour autant redoubler. Lorsquen classe, les différences de développement et des besoins des élèves sont suffisamment pris en compte, quon pratique une véritable individualisation des parcours, il suffit largement dinstaurer des décisions de promotion tous les deux ou trois ans.
Il faudrait se demander si des groupes mixtes dapprentissage, formés selon les critères du développement cognitif, social et émotionnel de lélève, ne seraient pas une formule plus efficace que les classes dâge biologique. Si lon y ajoute la possibilité pour les élèves de pouvoir changer de groupe deux à trois fois par année, alors le développement individuel pourrait être encore mieux respecté.
Avant de pouvoir casser lorganisation classique par disciplines, il faut changer la manière de penser des enseignants. En général, les contenus et les processus dapprentissage sont bien trop complexes pour quils puissent être intégrés dans une séquence de 45 minutes. Un assouplissement de cette pratique des leçons isolées serait souhaitable, surtout à lécole secondaire. Cela favoriserait une pédagogie plus active et un plus grand approfondissement de la matière, tout en diminuant le stress des élèves. Cela permettrait également de rompre avec lenseignement frontal, de tenir compte des acquis de la psychologie de lapprentissage, par exemple en travaillant sur les interférences et les inhibitions, ou encore de mieux impliquer les élèves dans leurs apprentissages, en encourageant leurs initiatives et leur prise de responsabilité.
Certes, de plus longues séquences dapprentissage sont plus exigeantes quant aux compétences méthodologiques des enseignants, qui doivent élargir leur répertoire des diverses formes dapprentissage et sappuyer davantage sur le sens des savoirs et des activités que sur la pression de lévaluation ou de mesures disciplinaires.
Le temps de travail des élèves est composé du temps investi en classe et du temps de travail à la maison au sens large (devoirs, préparation à des épreuves, recherches, travaux personnels). Sy ajoutent pour beaucoup denfants et dadolescents un temps de formation dans dautres domaines - danse, langues, musique, etc.- plus ou moins librement choisi et parfois un temps de travail salarié. Le temps total requis par ces diverses activités dépasse en général largement le temps de travail hebdomadaire des adultes.
La fatigue physique et intellectuelle qui naît de cette surcharge nest pas favorable à léquilibre et aux apprentissages. Il faudrait donc alléger le temps de travail global de lécolier, par exemple en laissant aux élèves le temps de faire leurs devoirs à lécole, sans pour autant augmenter les heures de présence.
Un autre argument milite en faveur de cette formule: la quantité et la nature des devoirs à domicile peuvent être, en beaucoup de cas, dimportants facteurs dinjustice sociale et par conséquent déchec scolaire. Les enfants et les adolescents qui ont à la maison des conditions de travail favorables, qui peuvent compter sur un soutien pédagogique de leurs parents, ont la vie plus facile que les enfants qui ne peuvent pas compter sur ce type de soutien.
Ceci ne signifie pas cependant quil faut se passer totalement dun temps de travail à la maison, car lautonomie de lélève, son éducation à la réflexion et à la recherche exigent également une part dinvestissement personnel qui peut et doit aller au-delà du temps de présence à lécole. Il revient toutefois à lécole délaborer des formes de travail qui ne surchargent pas la semaine et naggravent pas les inégalités.
Cette thèse se trouve en étroite interdépendance avec les deux thèses précédentes. Les écoles et les enseignants qui se sentent investis dun véritable mandat de formation mettent en place un travail scolaire qui favorise la pensée autonome et rend capable de percevoir les grandes interconnexions. Il est plus facile dy parvenir en mettant en place les moyens didactiques adéquats et en encourageant les apprenants à une approche interdisciplinaire. Au contraire, lenfermement de la pensée strictement dans le rythme classique des disciplines distillées toutes les 45 minutes, empêche les apprenants de se comporter de manière autonome et de trouver du sens au travail scolaire.
La plupart des innovations qui viennent dêtre décrites ne peuvent pas être portées par quelques enseignants isolés, car elles sont fort différentes de lenseignement traditionnel et modifient considérablement le déroulement traditionnel des activités dans un établissement scolaire. Ceci peut amener les collègues, mais aussi les parents, les autorités et surtout aussi les élèves à se sentir désécurisés et donc à résister au renouveau.
Par conséquent, il est nécessaire que linnovation puisse se développer à lintérieur dune école, en tenant compte de ses spécificités contextuelles et culturelles. Pour que cela soit possible, les écoles doivent pouvoir disposer dune certaine autonomie, les enseignants et les parents doivent pouvoir prendre part aux décisions.
Dans de tels processus de développement les équipes pédagogiques doivent pouvoir compter sur un soutien externe, car elles ne sont pas à même de venir seules à bout des inévitables conflits et de la complexité.
Enseigner aujourdhui - comme les thèses précédentes viennent de le démontrer - exige toujours davantage de professionnalisme de la part des enseignants. Sy ajoute le fait quune grande partie des parents ont actuellement une formation équivalente sinon supérieure à celle des enseignants et sont eux-mêmes appelés à exercer des responsabilités dans leur contexte de travail. Ils se montrent plus sûrs deux et plus exigeants dans leur attitude face aux enseignants qui forment leurs enfants. Les diverses pressions auxquelles les enseignants se trouvent ainsi exposés remettent en question leurs représentations des responsabilités et pratiques liées à leur métier.
Pour cette raison il importe que chacun puisse réfléchir, de manière continue, tant aux pressions externes quà ses besoins propres, en les mettant en rapport avec les objectifs visés et les valeurs sous-jacentes, avec sa propre biographie, ses propres rythmes et ses connaissances psycho-pédagogiques.
Une telle réflexion devrait être menée par les enseignantes et enseignants dans leur contexte de travail, leur permettant dexaminer, de discuter et de modifier leurs pratiques en étroite coopération avec les acteurs concernés.
Une des questions de fond que lécole doit se poser est de savoir si elle doit sadapter aux développements sociaux ou si, au contraire, elle doit tenter de les orienter ou dy résister. Les décennies qui ont suivi la seconde guerre mondiale peuvent être caractérisées par le boom technologique, par la croyance en une croissance illimitée. Durant cette époque, on na pas cessé dimposer à nos écoles des contenus et des disciplines supplémentaires (v. thèse 1.2). Il a fallu diverses crises - 1968, crise pétrolière de 1973, crise économique, menaces écologiques - pour que s'esquisse une modification des valeurs. Depuis, la qualité est souvent opposée à la quantité. Léducation aux valeurs et à la morale est devenue à nouveau un contenu de formation, souvent sous forme de disciplines supplémentaires - respect de lenvironnement, droits de lhomme - plutôt que dêtre intégrée à lensemble du curriculum.
En étroite relation avec cette évolution, on trouve les médias, qui influencent de manière considérable le développement des valeurs des enfants et des adolescents. Bien entendu, on admet aujourdhui que les nouveaux médias permettent de provoquer beaucoup dapprentissages extra scolaires. Mais on na toujours pas trouvé comment ces apports peuvent être intégrés de manière efficace dans lécole et dans lenseignement.
La gestion des loisirs est un facteur économique important. La préparation aux loisirs est donc un aspect de la formation des adultes. Elle na pas encore été clairement traitée dans le domaine scolaire. Or, il serait central de réfléchir au rôle de lécole dans lusage que les enfants et les adolescents, puis les adultes, font de leur temps libre.
La thématique centrale devrait être plus large: comment mieux utiliser le temps de loisirs des enfants et des adolescents pour alléger les plans détudes dune part et, dautre part, mieux intégrer les acquis du temps libre dans lenseignement? Par exemple, les écoles pourraient reconnaître le travail de formation fait dans les conservatoires, les ateliers de peinture ou les associations sportives. Rappelons toutefois quune telle réduction du temps scolaire risquerait daccroître les inégalités culturelles.
Voici quelques-uns de ces principes:
Thèse II
Au cas où la complexité du système scolaire en place empêcherait de trouver des solutions pleinement satisfaisantes, alors il faudrait songer à agir utilement et à court terme à divers niveaux.
Ces niveaux seraient les suivants:
Thèse III
Si les conditions qui permettraient de prendre en compte la complexité et les interdépendances mises en évidence dans les thèses précédentes nétaient pas remplies, il vaudrait mieux ouvertement le reconnaître et adopter une procédure aussi économique que possible.
Les pressions - politiques, économiques ou sociales - visant à modifier les rythmes scolaires pourraient devenir incontournables et exiger un changement rapide sans permettre aux acteurs concernés de prendre le temps nécessaire pour réfléchir à la complexité et aux interdépendances esquissées dans la première partie ou même pour mettre en chantier les actions mentionnées dans la deuxième partie.
Certains diraient même qu'un changement rapide pourrait représenter une alternative intéressante à la lenteur de toute démarche systémique. Pourquoi ne pas tenter de répondre simplement à des besoins en apparence clairement exprimés, pourquoi ne pas saisir l'occasion pour faire une démonstration de la flexibilité du système?
Avant de se lancer dans ce type de changement, il conviendrait toutefois dexaminer sil peut être amorcé
(a) sans menacer le bien-être et la capacité dapprendre des élèves;(b) sans que les objectifs visés ne déstabilisent davantage de personnes que le statu quo.