Publié
in: Journal de l'enseignement primaire, 1998, nº 62, pp.
5-11.
Chronique dune extension annoncée
Monica Gather Thurler
1998
La rénovation n'est pas une réforme : quatre ans pour réinventer l'école primaire !
En avril 1996, dans le cadre de la Biennale de léducation, Antoine Prost, en historien de léducation, donnait un aperçu décapant des raisons pour lesquelles les innovations scolaires sont vouées à léchec :
Rapprocher les trois termes innovation, changement et réforme, cest définir un paradoxe. En effet, les innovations ne se généralisent jamais. Les innovateurs sont déternels pionniers, en attente dune généralisation qui ne se produit jamais. De leur côté, les réformes échouent très généralement, et lon dit même lÉducation nationale impossible à réformer. Le changement par en bas ne réussit pas ; et le changement par en haut non plus. Et pourtant, lÉducation nationale change.Quest-ce que cette institution qui refuse le changement et qui change ? Comment change une institution qui refuse apparemment tout changement ?
Et il continuait :
Linnovation est perçue par les militants pédagogiques comme la solution aux défauts du système éducatif. La formulation actuelle est moins triomphaliste et lon parle plus modestement dune solution. Mais linnovation est une réponse à des difficultés concrètes, ou à des vices du système que lon refuse de tolérer. La conviction des militants repose sur lévidence pratique davoir trouvé un moyen daméliorer un fonctionnement. La difficulté quils résolvent étant générale, les innovateurs pensent que leur solution vaut universellement, ce qui fonde leur prosélytisme. Le groupe militant cherche à sétendre ; il déploie un effort de conviction en direction de ceux qui, dans son voisinage, lui paraissent susceptibles dêtre gagnés. La pédagogie devient ainsi une " cause ".
Il ironisait, enfin, sur la " généralisation introuvable " :
Les militants pédagogiques espèrent quen diffusant leurs idées, de proche en proche, ils vont rénover le système éducatif en profondeur. Malheureusement, cet espoir est sans cesse déçu. Les exemples historiques sont innombrables.
Bon public, jécoutais, je riais - un peu jaune -, je pensais à la rénovation dans laquelle jétais plongée depuis lautomne 1994. En sortant, je me disais que tout ce que je venais dentendre confirmait sans doute les mille et une raisons pour lesquelles lécole ne change pas, en dépit de la bonne volonté des réformateurs. Mais je me disais également et je répétais à qui voulait lentendre, quà Genève, nous nous y prendrions mieux, que nous saurions apprendre des expériences du passé, quen somme la rénovation - ses trois axes, son dispositif, ses méthodes de travail - continuaient à offrir le cadre de travail adéquat pour changer lécole primaire.
Dix-huit mois plus tard, nous sommes en septembre 1997, et on me pose la question : où en est la rénovation de lenseignement primaire ? Quels effets ? Comment lexpliquer à tous ceux qui, encore actuellement, rencontrent une certaine difficulté à comprendre tant ses fondements, que son fonctionnement ? Comment est-elle perçue et vécue par ses principaux protagonistes ? Quels aspects faudrait-il modifier, abolir, renforcer, inventer pour améliorer le processus en cours ? Sil fallait tout recommencer, faudrait-il opter pour le même dispositif, les mêmes axes ? Quelles conclusions, certes provisoires, peut-on tirer actuellement en prévision dune future extension ? Cette dernière, certes annoncée, est-elle toujours de mise ?
Il ne me paraît pas très utile de faire ici une présentation détaillée de la rénovation ou de dresser un tableau exhaustif des acquis ou des difficultés rencontrées par les écoles qui se sont engagées dans un projet dinnovation ou de réflexion. Les lecteurs intéressés pourront se référer aux nombreux documents existants . Il me paraît plus urgent et plus intéressant de répondre aux questions que pose le compte à rebours actuellement déclenché en vue dune extension à court ou moyen terme.
Les événements sont-ils en train de donner raison à Antoine Prost ? Les réformes portées par les militants échouent, selon lui, par la conjugaison de trois forces capables de bloquer nimporte quel changement : ladministration, les parents et les autres enseignants. Y a-t-il des raisons de penser que la rénovation genevoise échappera au sort de toutes les autres réformes ? On peut encore lespérer, malgré la tourmente budgétaire, pour plusieurs raisons complémentaires :
1. La rénovation nest pas une réforme classique.
2. Elle porte sur lensemble du système et pourrait être laffaire de tous.
Pourtant, rien nest joué. Ceux qui souhaitent avant tout que la rénovation de lécole primaire genevoise rejoigne le musée des innovations se réjouiront de lanalyse nuancée qui sut. Elle sadresse à ceux qui pensent encore que le jeu en vaut la chandelle et que le changement de lécole vaut bien quelques concessions, de toutes parts.
La rénovation est souvent limitée à ce qui se passe dans les 15 écoles engagées dans un projet dinnovation, éventuellement augmentées des 16 écoles qui mènent une réflexion sur lun ou lautre des axes. Pourtant, ces écoles ne sont que la partie immergée dun iceberg qui englobe lensemble de lécole primaire. Il devient urgent déliminer un malentendu de taille, consistant à penser que la rénovation se joue dans quinze écoles expérimentales dabord, pour être ensuite diffusée telle quelle vers les autres écoles. Cette manière de concevoir le changement scolaire est dépassée. Elle ne correspond pas aux idées selon lesquelles la rénovation a été conçue. Mais les vieux schémas ont la vie dure !
Rompre avec le schéma des écoles pilotes
Le document dorientation de 1994 prévoit quatre années dexploration intensive (dont la dernière de bilan) et, ensuite, jusquà vers 2002, une réorganisation globale de la scolarité primaire dans le sens des cycles dapprentissage et de la coopération professionnelle. Cette deuxième phase dépendra de lavancement de la réflexion, de la disponibilité doutils dobservation et de régulation, des dispositifs et des moyens qui auront été élaborés durant la phase dexploration et qui permettront dassurer un cadrage minimum. Elle dépendra également, dans une large mesure, de la capacité quaura développée lenseignement primaire genevois de faire la part, à bon escient, de ce qui sera défini au centre et de ce qui sera laissé à lautonomie et à la responsabilité des écoles. Elle dépendra, enfin, du résultat des concertations qui auront pu être menées entre les divers groupes de partenaires : autorités, association professionnelle, association de parents, Cycle dOrientation.
Dans cette perspective, la phase dexploration actuellement en cours ne sert pas seulement à mettre en place les lieux déchange et de réflexion, mais, avant tout, à préparer une rénovation bien pensée, à construire des visions et des représentations communes, à faire une estimation tant des scénarios prometteurs que des moyens qui seront nécessaires pour assurer les étapes suivantes, durant lesquelles il sagira ensuite daccorder suffisamment de temps aux écoles pour développer leur projet à lintérieur du cadre donné. Elle ne se limite donc pas aux quatre années dexploration et nest pas uniquement laffaire dune minorité. Lenseignement primaire dans sa globalité est concerné, selon des modalités et un calendrier qui restent à déterminer.
Peu délues, toutes pendues ? !
Il est important de comprendre que ni les écoles en innovation, ni les écoles en réflexion ne constituent des " écoles pilotes " dans le sens classique dune mise à lépreuve, à petite échelle, dune réforme pour lessentiel déjà définie dans ses finalités et ses modalités. Les écoles en innovation ne " testent " pas un projet de réforme, elles travaillent au contraire à le définir, leurs expériences et observations permettant de définir progressivement un plan cadre réaliste et réalisable, à lintérieur duquel les autres écoles primaires du canton seront invitées à sinscrire. Elles le feront, si lon suit les options du texte dorientation de 1994, à leur heure et à leur manière. Mieux vaut élaborer un projet de réforme en travaillant avec quelques dizaines décoles que dans labstrait. Mais il serait regrettable que cette démarche participative et respectueuse des différences ne se poursuive pas durant la phase dextension. Dans un cadre nouveau, les écoles seront donc invitées, à leur tour, à élaborer leur propre projet et à rendre compte de leur manière de sorganiser pour atteindre les objectifs de formation, qui resteront les mêmes pour toutes les écoles.
Cest dans ce sens que lon parle de " rénovation " au lieu de parler de " réforme " : lobjectif consistant à engager la totalité des écoles dans une dynamique continue de développement, très différente des réformes aussi rapides quinefficaces du passé. Au lieu du " Peu délues, toutes pendues ", qui résume nombre de commentaires critiques entendus au début de la rénovation, je préfère donc parler de " Quelques convaincues du premier jour, toutes concernées à moyen terme ". Mais est-ce plus acceptable ?
Le dispositif nest pas une affaire de technocrates
Les parcours individualisés ne valent pas seulement pour les élèves, mais également pour les écoles. De même que pour apprendre et progresser, les élèves doivent être encouragés à interagir, à communiquer et à chercher activement les solutions à des situations-problèmes complexes, lécole elle-même ne changera quà la condition que les principaux acteurs concernés - enseignants, autorités, formateurs - sengagent collectivement pour résoudre des problèmes, pour élargir leurs compétences dans le but de mieux répondre aux besoins des élèves et de mieux les aider à atteindre les objectifs fixés. Lenjeu principal consiste à trouver une organisation du travail qui permette tant aux adultes quaux élèves de poursuivre cette quête de manière efficace, dans un contexte qui fasse sens, munis de moyens adéquats, mobilisant les efforts personnels là où cest nécessaire et bénéficiant, dans la mesure du possible, des apports et soutiens pour éviter dinventer la roue. Le canton de Genève réunit, dans un périmètre limité, un nombre incroyable de compétences et de ressources humaines. Un des objectifs du dispositif mis en place est den tirer le meilleur parti et de faciliter les échanges dexpériences.
Dans ce but, un dispositif ad hoc a été conçu et mis en place de manière à rompre avec la vision traditionnelle et bureaucratique qui conçoit que les innovations se décident au sommet et simposent à la base, mais également avec le but déviter que le système éclate à force de laisser chaque école innover dans son coin. À première vue, on pourrait craindre que le piège technocratique reste grand ouvert, quon ait simplement ajouté aux instances existantes quelques groupes dacteurs de plus (groupe de pilotage, groupe de recherche et dinnovation, groupe inter-projets, coordinateurs) qui " sagitent " autour des écoles en innovation .
Vu de plus près, tout nest certes pas parfait et il faut beaucoup de vigilance et dimplication de toutes parts pour dépasser les vieilles habitudes, pour construire la confiance, pour développer des outils et techniques de travail efficaces. Si je me situe du côté des écoles en innovation, les nouvelles sont plutôt bonnes : par lintermédiaire de leurs coordinateurs, celles-ci commencent à former un réseau, à échanger leurs expériences , à sidentifier à une démarche collective qui a été progressivement investie de sens. Sans doute, ces nouvelles attitudes restent-elles fragiles et demandent-elles à être consolidées. Je mets ma main au feu quaucune des écoles en innovation ne retournerait volontiers aux fonctionnements du passé.
Reste à se demander si ce fonctionnement pourra être transposé à la phase dextension. Les nouvelles théories de linnovation conseillent dorienter la logique des acteurs vers un fonctionnement par réseaux, basés sur la concertation et la construction collective de la démarche de changement. Sans doute, lidée de réseaux offre-t-elle une perspective de développement intéressante pour les circonscriptions rénovées.
Le rénovation népuise pas tous les problèmes de lécole et les hypothèses sur lesquelles elle se fonde ne font pas lunanimité. On peut cependant avancer que les questions quelle tente daffronter sont incontournables pour qui veut une école plus juste et efficace.
Trois axes de réflexion et daction formant un tout
En priorité, il a été décidé de concentrer les efforts sur trois axes principaux : individualiser les parcours de formation, travailler ensemble, mettre lenfant au centre de laction pédagogique. Chacun des axes, séparément, invite à changer de perspective, à considérer différemment lorganisation du travail, la définition des rôles et des fonctions des uns et des autres, le sens des apprentissages scolaires. Pris ensemble, ils obligent à se demander comment une équipe pédagogique peut organiser lensemble de la scolarité primaire des élèves de manière optimale.
Contrairement à ce que beaucoup ont cru comprendre, les trois axes ninvitent ni à la course aux décloisonnements, ni à dinterminables palabres ne laissant plus aucune place à linitiative individuelle des enseignants, encore moins à lémergence dune vision permissive de lenfant-roi. Cest en somme une démarche visant à " organiser le bon sens ", qui exige toutefois quon mette en place les conditions constantes de concertation, danalyse et de régulation, indispensables pour mobiliser, révéler et développer les ressources et compétences existantes au sein de chaque équipe pédagogique.
La grande majorité des systèmes scolaires, tant en Suisse quà létranger, se penchent actuellement sur lun ou lautre de ces trois axes. Lavantage de la rénovation genevoise - que beaucoup dautres cantons reconnaissent - consiste à les traiter comme un tout, afin de mieux considérer lélève dans sa globalité, de lui offrir une prise en charge cohérente et adaptée à ses besoins pendant toute la durée de sa scolarité, à mettre lorganisation du travail au service dun enseignement-apprentissage optimal et pas linverse.
Pour y parvenir sur le plan concret, le défi de la phase dexploration saccroît en fonction du temps qui sécoule : sans doute faudra-t-il, dici peu, décider si la forme et la durée des cycles dapprentissage seront définies de façon unique ou seront variables selon les écoles ; dans toute hypothèse, il faudra fixer des balises pour gérer la progression des apprentissages, donc se mettre daccord sur les objectifs-noyaux et définir de manière plus spécifique les exigences en matière dévaluation des élèves. Quant à lorganisation interne des cycles, il faudra clarifier mieux encore les qualités et limites respectives des groupes multiâge et dautres types despaces de formation qui permettent dindividualiser les parcours de formation des élèves (degrés, décloisonnements, groupes de niveau, groupes de besoins, modules, etc.). Enfin, il conviendra de déterminer les conditions et les limites de la coopération au sein dune équipe pédagogique dont tous les membres nont pas nécessairement choisi ce mode de travail, ni leurs partenaires
Il ne sagit pas denfermer les écoles dans un carcan rigide, mais de fixer un cadre à lintérieur duquel elles pourront jouir dune certaine liberté daction pour développer les solutions locales les mieux adaptées aux problèmes rencontrés. Pour ce faire, il importe avant tout de développer, dans la majorité des écoles primaires du canton, des représentations partagées des trois axes de la rénovation.
Liberté, responsabilité, cohérence
La grande majorité des systèmes scolaires sorientent actuellement vers de nouveaux principes de gestion, non seulement plus efficaces, mais également plus mobilisateurs, dans la mesure où ils accordent davantage de liberté daction et de responsabilité aux écoles et invitent parallèlement chacune à rendre compte de ses options et de la qualité de son travail.
Les écoles en innovation apprennent à sorganiser pour provoquer un maximum dapprentissages chez un maximum délèves : en faisant le bilan de leur fonctionnement et en décidant ensuite des priorités des années à venir ; en évaluant constamment leur progression ; en observant les effets des actions entreprises ; en introduisant les régulations nécessaires. Elles collaborent par ailleurs étroitement avec les diverses instances du dispositif de rénovation et rendent régulièrement compte de la manière dont elles sy prennent pour évaluer et rendre plus efficace leur action pédagogique. Cette évolution importante sobserve avant tout dans les écoles en innovation qui ont pu et su, dans le cadre des deux premières années dexploration, développer un modus vivendi permettant de travailler sur quelques thèmes communs.
Rénover en période daustérité
Depuis 1994, les problèmes de conjoncture ont considérablement interféré avec la mise en route de la rénovation. En effet, un grand nombre de personnes narrivaient pas à comprendre comment on pouvait songer à innover durant une période de restrictions budgétaires. Dautres ont même perçu la rénovation comme un prétexte pour " démanteler " lécole primaire et faire autant avec moins.
Trois ans plus tard, ces craintes se sont peut-être un peu calmées, parce que les autorités ont créé de nouveaux postes denseignement. En même temps, on commence à shabituer à lidée quen dépit de la récession, il nest pas possible de renoncer à développer lécole, à repenser son organisation, ses finalités, les tâches et les responsabilités de ses acteurs. Lexploration montrera dans quelle mesure et à quelles conditions il est possible de faire mieux avec les ressources existantes.
Pourquoi changer ?
Beaucoup denseignants, mais aussi de parents se disent inquiets des effets secondaires de la rénovation. La surcharge de travail, la perte des repères, la baisse de qualité font partie des craintes fréquemment évoquées. Elles déclenchent des attentes souvent irrationnelles, du genre : dites-nous clairement ce quil faut faire et nous aviserons. Sans doute, la rénovation coûte de lénergie supplémentaire non seulement à ceux qui y adhèrent, mais également à tous ceux qui sy opposent. Personne ne peut en effet rester indifférent à une démarche qui introduit une autre vision de lécole, sattaque aux structures, modifie lorganisation, favorise de nouvelles approches didactiques, change le métier denseignant dans le sens dune plus forte coopération.
Antoine Prost le rappelle :
Aucune institution nest viable si, pour vivre, elle doit être composée de héros ou de saints. Les bonnes armées sont faites avec des soldats qui ont peur. Un bon système éducatif repose sur une majorité denseignants consciencieux et routiniers, consciencieusement routiniers. Leur demander dabandonner leur routine relativement efficace pour une innovation sans doute prometteuse, mais qui na pas fait ses preuves, est leur demander une remise en question à laquelle ils ne sont pas ouverts, sans pour autant avoir démérité. Ils concèdent que tout ne va pas pour le mieux dans le système scolaire ; mais le mieux est lennemi du bien, et ils sont réticents à abandonner des pratiques dont ils connaissent les effets, même insatisfaisants, pour une innovation dont ils maîtrisent mal les développements.
Les enseignants genevois ne font pas exception. La rénovation ne se fera pas sans eux, encore moins contre eux. On peut donc souhaiter que leur association reprenne sa place, toute sa place, dans les instances de pilotage de la rénovation. Aussi longtemps que quelquun croit, de bonne foi, que la rénovation est une machine de guerre contre lécole ou les enseignants, elle perd un peu de son sens.
Avec le recul des trois années, quavons-nous appris ? Autrement dit, aurions-nous pu éviter certains problèmes, mieux gérer certains processus, faciliter certaines choses ?
Apprendre en faisant
Dans un climat dinsécurité, dimpatience ou dindifférence, il est difficile de trouver une démarche de changement qui fasse lunanimité. Faut-il prendre beaucoup plus de temps pour sassurer des options prises, faire linventaire des données produites à Genève, analyser mieux encore ce qui se passe dans dautres systèmes scolaires ? Ou faut-il se donner le droit de définir un plan-cadre et de construire, sur le terrain, en interaction avec les acteurs concernés, les représentations et les compétences nécessaires pour atteindre les objectifs fixés ? Les études sur les écoles efficaces soulignent limportance dune bonne planification. En même temps, ces études montrent quà cause des pressions constantes et très diverses, voire des désaccords internes quant aux priorités, la planification sadapte aux événements inattendus. Il savère que cette difficulté de sen tenir à un planification détaillée quévolutive nest pas propre à lécole, mais sobserve dans la majorité des organisations humaines, y compris le monde de lentreprise. Elle amène à apprendre en faisant - ce que les anglosaxons appellent le " learning by doing " - qui est centrée sur lanalyse continue de ce quon a appris, soit plus adaptée aux besoins dune école qui change quune planification détaillée.
Un des enjeux de la rénovation consiste à développer une méthode de travail qui permette de tenir compte de cette réalité, suffisamment souple et flexible pour " laisser du temps au temps " et pour tenir compte des fluctuations inévitables, et en même temps suffisamment solide, orientée par des visions communes et centrée sur des effets à court et à moyen terme pour assurer la cohérence du système et pour offrir des réponses à ceux qui simpatientent.
Des ajustements immédiats
Sans doute, nous découvrons, au fur et à mesure que nous avançons, des facettes qui ne fonctionnent pas très bien, quil faudra améliorer. Les experts externes ont ainsi attiré notre attention sur la nécessité de mieux clarifier les rôles des divers acteurs, dapporter une aide plus substantielle aux élèves en matière de structuration des apprentissages, de veiller à une meilleure utilisation du temps. De leur côté, les inspecteurs et les formateurs plaident pour ne pas mettre la charrue devant les boeufs. Tant la direction générale que lassociation professionnelle se soucient de la mise en oeuvre dun processus qui mobilise la totalité des écoles au lieu den abandonner une partie
Ce sont des alertes à prendre en compte, des problèmes pour lesquels il faudra élaborer des réponses. La rénovation se portera dautant mieux que les divers partenaires parviennent à adopter une attitude aussi pragmatique que possible, cultivent le dialogue, acceptent que les solutions miraculeuses nexistent pas, ne refusent pas demblée léventualité dun changement, mais simpliquent pour en débattre et le cas échéant le développer collectivement. Dans ce sens, jimagine que le plus gros reste à faire. Ce que nous avons pu réaliser jusquà ce jour me conforte dans lidée que changer lécole est possible, mais quil faut les bonnes volontés non seulement dune petite partie, mais de tous les acteurs concernés : voici le défi qui reste entier, et devient dautant plus important que le compte à rebours est déclenché.
Ne pas céder à la tentation de lisolement
Lun des experts, reprenant les préoccupations du président de la SPG, a comparé les écoles en innovation à un troupeau de bisons vivant en autarcie dans les grandes prairies, à lécart du reste du monde. OU dans un jardin zoologique Lorsquon considère les liens quentretiennent les enseignants de ces écoles avec leurs collègues, notamment dans le cadre de la SPG, on peut se dire que lécole primaire genevoise nest pas encore coupée en deux.
On peut se demander toutefois dans quelle mesure tout a été fait pour " faire envie ", pour repérer les expériences intéressantes dans les écoles qui ne font pas partie du dispositif, pour mobiliser les " frileuses ", pour convaincre les " hésitantes " et, enfin, pour engager le débat avec les " opposantes ". Suite à une phase initiale conflictuelle, suite aux turbulences qui ont abouti au retrait de la SPG, le débat est resté suspendu dans le vide. Certaines écoles campent dans lexpectative : " On ne sait pas ce qui nous attend ! "-, dautres continuent à prendre leurs désirs pour la réalité, qui amène à penser que la rénovation mourra de mort naturelle bien avant toute extension. Dautres encore, vivent la rénovation dans lindifférence et aviseront le moment venu sil se passe quelque chose. Ce nest pas une bonne tactique de renvoyer le débat décisif au moment du bilan. Lextension se joue en ce moment, dans les esprits, bien avant des décisions institutionnelles qui ne pourront aller contre les représentations dominantes. Le pire serait que lon gèle la situation, comme dans la réforme II du Cycle dOrientation, la majorité nayant pas le coeur, ni la force de ramener les écoles en innovation et en réflexion à lordre ancien, mais préférant les enfermer dans une " réserve ".
Lécole primaire nest pas une île
Beaucoup de parents, mais aussi denseignants évoquent le problème de la continuité. Dans quelle mesure les changements prévus permettent-ils dassurer une continuité des approches pédagogiques avec les ordres denseignement consécutifs ? Les élèves de lécole primaire rénovée seront-ils à même de suivre le programme du Cycle dorientation ? Alors quils sont " mis au centre de laction pédagogique " au primaire, ne risquent-ils pas de se trouver complètement désorientés, voire même perdus plus tard ? Et que faire lorsquun élève déménage, dans un autre quartier genevois, voire même un autre canton ? Ne se trouvera-t-il pas complètement perdu, incapable de sadapter aux méthodes différentes ?
Pour commencer, insistons sur le fait que les changements qui sont en train de sintroduire ne modifient en rien les exigences fixées, au contraire. Lobjectif consiste à aider tous les élèves à réaliser, de manière encore plus sûre, les apprentissages indispensables pour pouvoir suivre lenseignement dans lordre denseignement consécutif. Ensuite, il est important de savoir que le Cycle dorientation introduit actuellement, de son coté, des démarches dont tant les fondements théoriques que les buts sont très proches de ceux de lenseignement primaire. Rappelons, enfin, que le canton de Genève nest pas seul à modifier ses structures de formation : la grande majorité des cantons suisses, ainsi que des pays qui nous entourent sont impliqués dans des démarches semblables. Enfin, sur le sol genevois, les différents acteurs se parlent et se coordonnent bien davantage que dans le passé. Sans doute devront-ils apprendre à le faire encore mieux dans le futur.
Il ny a pas dacteur individuel ou collectif garant de la cohérence de lécole ou de ses transformations. Tous les acteurs ont un pouvoir ambigu, celui de neutraliser les initiatives des autres.
Si la rénovation échoue, il sera tentant de chercher un bouc émissaire. Ceux qui veulent que lécole change feraient bien de se demander aujourdhui sils nagissent pas les uns contre les autres, faisant le jeu des conservateurs qui ne demandent quune chose : que les innovateurs sentre-déchirent et que rien ne change !