In : Educateur, nº 10, 26 sept. 1999


 

 

Mobilisation et compétences au sein
d’une équipe pédagogique : savoir pour vouloir

 

Monica Gather Thurler

1999


Les conduites d'échec

Doser les défis en fonction des compétences

Adopter une démarche méthodique

Agir pour apprendre

Bibliographie


Dans tous les systèmes scolaires, il y a des écoles qui " bougent " : elles se développent, se donnent un projet commun, introduisent de nouvelles façons de faire apprendre. L’expérience montre cependant que cette mobilisation ne produit pas toujours les effets escomptés. Il arrive au contraire souvent que l’euphorie initiale cède le pas à la déception, dès lors que la multiplication de situations difficiles et de dilemmes renvoie les enseignants à leurs contradictions internes: ce qui paraît aller de soi pour les uns représente des obstacles insurmontables pour d’autres ; et là où les uns seraient prêts à négocier rapidement des accords et à mettre en œuvre les transformations nécessaires, d’autres se perdent dans des discussions et affrontements sans fin, au cours desquels le processus s’enlise, la motivation s’effrite et le stress augmente.

Pour empêcher cette évolution, il ne suffit donc pas de vouloir agir. Pour surmonter les obstacles, il faut que les écoles apprennent à savoir agir (Argyris, 1995). Or, apprendre consiste non seulement à développer de nouvelles intuitions ou concevoir de nouveaux projets. Les écoles apprennent dans l’action, elles apprennent lorsque celle-ci est efficace, elles apprennent lorsqu’elles se donnent les moyens de détecter et de corriger les erreurs. Pour y parvenir, il existe quelques règles d’or : connaître les conduites d’échec de l’action collective, doser les défis en fonction des compétences ; s’engager dans une démarche méthodique et durable pour aller au bout de son projet.

 

Les conduites d’échec

Aucune école ne se transformera en un seul jour, ni en sept d’ailleurs, les exploits divins n’étant pas à la portée des humbles humains que nous sommes. Sans doute est-il possible d’organiser une journée pédagogique de rêve, pendant laquelle on refait le monde, au bout de laquelle les participants sont impressionnés par la qualité des échanges et " gonflés à bloc " pour tout changer. Au fond, les écoles ne manquent ni de bonnes idées, ni de bonnes intentions. Elles échouent à les mettre en œuvre parce qu’elles s’enferrent dans diverses conduites d’échec, comme par exemple : la non prise en compte des disparités des rythmes d’adaptation des divers partenaires (élèves et parents y compris), la soumission aux lobbies qui défendent des intérêts tant conceptuels que personnels, la fixation rigide sur les effets, l’inscription dans le court terme (Gather Thurler, 1996). Dans la plupart des cas, ces conduites empêchent les divers acteurs d’investir les efforts nécessaires pour négocier et expliciter une stratégie de mise en œuvre satisfaisante pour tous. Ce n’est qu’au cours de cette phase de négociation et d’explicitation que les divers acteurs parviennent à construire le sens du changement (Gather Thurler, à paraître), au gré d’échanges formels et informels qui permettent de mieux saisir la manière de penser des collègues, de mieux comprendre la culture locale, de mieux établir le lien entre les idées nouvelles et les pratiques existantes.

 

Doser les défis
en fonction des compétences

Les écoles qui se transforment en organisations apprenantes parviennent à se fixer des défis suffisamment ambitieux pour pouvoir se projeter collectivement dans l’avenir et en même temps assez réalistes pour aller au bout de leur démarche. Schratz (1998) montre à ce sujet qu’il existe une interdépendance forte entre le niveau d’exigence que se fixent les écoles, les compétences professionnelles qu’elles sont disposées à développer et la dynamique du changement qui s’instaurera à partir des décisions qui seront prises. Le schéma ci-dessous montre l’importance de trouver un bon équilibre entre un projet ambitieux et les moyens pour que la dynamique produite assure le flux d’énergie, indispensable pour agir de manière efficace et durable.

 

Si le projet poursuivi est ambitieux et représente un défi important, mais si l’équipe ne possède pas les compétences nécessaires pour assurer sa mise en œuvre, ce décalage produira une série de peurs et de frustrations qui, à la longue, peuvent devenir paralysantes.

Lorsque le manque de compétences des uns et la peur de s’engager des autres conduit telle autre équipe à se fixer des objectifs trop modestes, ses différents membres ne parviendront pas à s’identifier avec le projet. Soit parce que les uns estimeront que le jeu n’en vaut pas la chandelle, soit parce que les autres se sentiront de toute manière incompétents pour s’engager dans quoi que ce soit. Cette morosité renforcera à moyen terme l’apathie face au projet et sera un frein à tout changement.

Il en ira de même pour telle autre équipe qui, pour une raison ou une autre, décide de poursuivre une politique " des petits pas " qui sous-estime ou ne mobilise pas les compétences existantes. Après une avancée initiale rapide, l’ennui s’instaurera, parce que le processus n’aura pas permis de produire une véritable rupture avec les routines du passé. On ne comprendra plus très bien pourquoi il a fallu tant d’énergie pour accoucher d’une souris.

Le cas de figure " idéal " survient lorsqu’une équipe parvient à développer un projet dont les objectifs ambitieux correspondent d’assez près aux compétences et demeurent accessibles : l’équilibre entre les aspirations et le sentiment de maîtrise ouvre la voie au changement.

 

Adopter une démarche méthodique

Le fait d’avoir un projet, de définir des objectifs à court, moyen et à long terme n’assure pas nécessairement les moyens de leur mise en œuvre. Les écoles ont besoin d’un programme commun qui explicite les rythmes, l’organisation interne et la division du travail qui permettront à l’action collective de se déployer durant une période définie. Ce programme de travail assurera la continuité entre les actions isolées et définira les niveaux de responsabilité claire afin d’assurer une coopération efficace et créative au sein de l’équipe.

L’expérience montre en effet que le simple énoncé des objectifs ne produit pas automatiquement la motivation voulue pour assurer leur mise en œuvre. Pour vouloir et savoir agir, il est important que les divers acteurs construisent ensemble la réponse aux questions suivantes : " Où voulons-nous aller ? Qui s’engage avec nous ? Que voulons-nous réaliser au plus vite, qu’est-ce qui peut attendre ? Quels moyens devons-nous investir ? Quelles compétences devons-nous développer avant de nous mettre en route ?  Comment pourrons-nous observer notre progression ?  Comment et quand savoir que nous avons atteint nos objectifs? Quels mécanismes de concertation instaurer pour décider des régulations à entreprendre ? Enfin, le projet visé est-il acceptable et accepté non seulement par ceux qui l’ont conçu, mais également par ceux qui sont censés coopérer à sa mise en œuvre (élèves, parents, autorités scolaires) ? Une fois qu’elle aura répondu à ces questions, l’équipe pourra établir l’agenda de son programme, définir les échéances et répartir les tâches, tout en sachant qu’elle sera contrainte de les renégocier au gré des événements. La planification rigoureuse permettra en effet d’adopter une attitude souple pour faire face aux imprévus.

 

Agir pour apprendre

Certains trouveront les approches proposées un peu trop " complaisantes", d’autres les jugeront trop " rationalistes ". On peut en effet penser qu’à force d’insister trop sur la nécessité d’une élaboration collective et d’une appropriation par les acteurs concernés, on fait la part belle à l’immobilisme naturel des enseignants en n’accordant qu’à la frange la plus motivée la possibilité de changer. Face à cette critique, je persiste à croire que le changement ne prend du sens pour les acteurs qu’à partir du moment où ceux-ci décident ensemble du bon dosage entre leurs ambitions et les compétences sur lesquelles ils peuvent compter. Tout l’enjeu de la motivation se trouve donc résumé dans cette démarche collective de construction de sens.

 

Bibliographie

Argyris, C. (1995) : Savoir pour agir. Surmonter les obstacles à l’apprentissage organisationnel. Paris : InterEditions.

Gather Thurler, M. (1996) : Dissidence et discordance : lorsqu’une équipe avertie en vaut deux. In : Lettre d’Équipes et Projets, nº 10, janvier 1996, pp. 14 &emdash; 22.

Gather Thurler, M. (à paraître) : L’établissement scolaire, un lieu où construire le sens du changement. Paris : ESF éditeur.

Schratz, M. (1998) : Die lernende Schule. Weinheim : Beltz Verlag.