Publié in : Vie pédagogique, no. 114 février-mars, pp. 27-30.
Coopérer dans les équipes de cycles
2000
Centration sur les dispositifs d'apprentissages complexes
Une nouvelle manière de gérer le temps et l'espace
Des modalités organisationnelles plus souples
Responsabilité collective et solidarité
La fin relative de la souveraineté
De nouveaux rapports de pouvoir
Apprendre à coopérer à bon escient
Lintroduction des cycles dapprentissage met les écoles et les enseignants qui y travaillent en présence de nouveaux défis. En associant les cycles d'apprentissage à une plus grande autonomie des équipes pédagogiques au regard de l'organisation du travail et du choix des méthodes pour amener les élèves à atteindre les objectifs visés, en contraignant ces équipes à répondre collectivement de lefficacité de leur action, leurs défenseurs font le pari que ce mode d'organisation de l'école contribue à moyen ou à long terme à assurer une meilleure réussite des élèves.
Cette évolution nest cependant pas assurée davance, dans la mesure où il est tout à fait possible que les enseignants sadaptent aux cycles d'apprentissage comme ils se sont adaptés, par le passé, aux nombreuses rénovations, en assimilant leurs caractéristiques les plus formelles, mais sans vraiment transformer leurs pratiques. Les expériences des pays pionniers nous montrent en effet combien il est facile de réduire les cycles à de simples mesures structurelles, consistant à prolonger les durées de l'apprentissage de une à deux, voire à trois années, à ajouter quelques retouches aux plans détudes et à moderniser un peu les méthodes et formes dévaluation pour leur donner une apparence plus formative. Or, sil est facile de pointer les raisons pour lesquelles les innovations échouent ici et là, il est bien plus difficile de déterminer les facteurs qui leur permettent de produire les effets visés.
Dans le domaine des cycles dapprentissage, nous manquons encore à lheure actuelle de récits dexpériences présentant avec des mots et des images simples la manière dont les équipes pédagogiques expérimentées parviennent à mettre en place des dispositifs dapprentissage à la fois cohérents et efficaces pour mieux gérer la progression des élèves. Les visiteurs externes qui affluent dans les écoles " innovantes " ne percevront dailleurs quune infime partie des éléments qui composent leur culture professionnelle très particulière. Ils se diront impressionnés par le climat agréable, par la chaleur humaine et louverture d'esprit, lenvie de partager, le rayonnement des membres de léquipe. Ils admireront sa compétence organisationnelle, ainsi que la sensibilité et lauthenticité avec lesquelles les enseignants parviennent à sadapter aux besoins des élèves. Ils seront sensibles aux manières insolites de gérer le temps et lespace, prendront note des divers regroupements des élèves dont la logique profonde leur échappe pourtant. Ils sattarderont aux classeurs qui font état des grilles et outils divers, produits dune longue marche faite de négociations et de régulations internes. Ils assisteront à des séances de travail déquipes bien " huilées ", dépourvues de conflits, qu'elles ont pris lhabitude de régler à labri des regards externes. Enfin, ils rencontreront des parents convaincus du bien-fondé des cycles d'apprentissage et heureux de confier leurs enfants à des enseignants aussi innovateurs Et ils sen iront en emportant une vision dun monde parfait, dont les aspérités passées auront été souvent bien trop rapidement oubliées.
De peur de safficher comme des " héros " ou dêtre traités comme des stakhanovistes, les enseignants travaillant dans lécole dite en innovation afficheront une certaine tendance à banaliser les efforts consentis, hésiteront à effrayer leurs collègues en évoquant les nombreuses heures quil a fallu investir pour parvenir à un commun accord et pour construire une culture partagée. Ils tairont enfin avec une grande pudeur les moments de ras-le-bol, lenvie de tout laisser tomber, le découragement devant la désolante lenteur et labsence de résultats du côté des élèves.
Tout en persistant à croire à la grande utilité des échanges d'idées entre enseignants, il me semble néanmoins important danalyser plus en détail les aspects de la future coopération professionnelle au sein des équipes de cycles, de manière à faire émerger les conditions et les obstacles conceptuels et structurels qui favorisent, voire rendent difficile, une gestion collective de la progression des élèves.
Centration sur les dispositifs dapprentissages complexes
Les textes affirment que lintroduction des cycles dapprentissage oblige les enseignants à assurer collectivement le développement des compétences de haut niveau que définissent les nouveaux programmes de formation. Au lieu dintervenir de manière ponctuelle pour assurer, à limage de la chaîne de montage industrielle, une petite partie seulement des apprentissages de leurs élèves, les enseignants travaillant dans les équipes de cycles deviennent collectivement responsables du " produit final ", voire du taux de réussite des élèves relativement aux objectifs de fin de cycle.
Dans cette optique, léquipe d'un cycle d'apprentissage collabore à l'organisation et à l'animation des activités pédagogiques dont le but prioritaire consiste à assurer aux lélèves lacquisition de compétences et de connaissances concrètes, solides et axées sur le transfert des apprentissages (Tardif, 1999). Dans les cycles dapprentissage, lélève nest en outre pas évalué par un seul enseignant, mais par tous les enseignants de léquipe qui contribuent, dune manière ou d'une autre, à sa formation. De fait, il est indispensable que les membres de léquipe développent une vision commune non seulement des objectifs dapprentissage, mais également des attentes et des critères dévaluation.
Les cycles modifient ces pratiques dans la mesure où les enseignants enseignent aux mêmes élèves. Ils sont ainsi conduits à discuter de leurs représentations pour mieux déterminer la progression ou les besoins des élèves et pour concevoir ensuite les arrangements didactiques les mieux à même de les faire progresser. Au lieu dêtre seuls responsables et comptables de la mise en uvre du plan détudes et, par conséquent, de la réussite des élèves, ils gèrent collectivement lensemble des élèves, élaborent et négocient ensemble des solutions communes pour résoudre les problèmes décelés.
Au lieu dêtre responsables dune seule année et dune petite classe délèves ce qui les incite souvent à senfermer dans une vision très morcelée de la réalité scolaire et du curriculum les enseignants sont rattachés à un groupe délèves pour toute la durée dun cycle. Ce changement requiert non seulement quils construisent une connaissance approfondie du curriculum correspondant à un cycle donné, mais également quils maîtrisent, sur plus dune année, les étapes d'acquisition des savoirs et savoir-faire dans le curriculum en question.
Une nouvelle manière de gérer le temps et lespace
Dans la majorité des écoles actuelles, la grille-horaire hebdomadaire dicte le type d'organisation possible qui, souvent, dépend plus déléments externes que de priorités mises au service de lapprentissage des élèves. La disponibilité des enseignants spécialistes, la difficile combinaison des temps partiels, la répartition des salles de gymnastique, la priorité accordée à certaines disciplines en fonction de divers groupes de pression, lalternance des cours organisée de manière à éviter lennui, le surmenage, la démotivation tant du côté des élèves que du côté des enseignants ont conduit, au fil des ans, à établir des grilles-horaires souvent très éloignées des priorités pédagogiques.
De nombreuses écoles tentent, depuis des années, de ponctuellement abandonner cette grille. Elles sinspirent des pédagogies nouvelles pour introduire de nouveaux dispositifs, pour familiariser leurs élèves avec les démarches du projet, pour créer des ruptures dans la routine scolaire. Mais ces tentatives demeurent lexception et sont souvent suivies de longues périodes durant lesquelles les dispositifs denseignement et d'apprentissage plus " traditionnels " rappellent aux enseignants et aux élèves que lécole est une institution sérieuse et que lapprentissage nest pas une affaire de plaisir, ni de construction de sens.
Lexpérience des dix dernières années nous montre que lorganisation de l'école en cycles dapprentissage peut en apparence faire très bon ménage avec une organisation scolaire traditionnelle. De nombreux systèmes scolaires ont ainsi introduit les cycles dapprentissage en se contentant dun minimum de mesures structurelles et pédagogiques. Avec le résultat quau bout dun certain nombre dannées les classes sont toujours des classes et les enseignants, toujours seuls responsables de leurs élèves, sans collaboration aucune et sans transformation des pratiques pédagogiques...
Woods et autres (1997) insistent sur le fait que ni les mesures de restructuration (autonomie des écoles, équipes de cycles), ni les mesures dintensification (formation continue, révision des curriculums) ne parviennent seules à opérer chez les enseignants les changements de paradigmes indispensables pour quils parviennent à développer une autre conception de lapprentissage, plus interactif, constructiviste, mieux à même dengager les élèves dans une voie de formation qui accorde la priorité à l'acquisition de compétences permettant la résolution de problèmes complexes.
Des modalités organisationnelles plus souples
Lorientation de l'école vers les cycles d'apprentissage entraîne la réflexion sur des modalités organisationnelles plus souples, mieux à même de tenir compte des besoins des élèves et de mettre en synergie les forces humaines existantes. Devant les deux écueils qui surgissent en rester à une division traditionnelle du travail, par classes et par échelons, au risque de perdre le bénéfice dune organisation par cycles d'apprentissage, ou se lancer dans des fonctionnements si novateurs et si complexes quils deviennent difficiles à décoder et à maîtriser la voie de la sagesse consistera en effet à ne pas imposer aux écoles une organisation du travail unique.
Les réalités locales très diverses (nombre d'élèves par cycle, stabilité des volées, compétences et disponibilité des enseignants, histoire de l'équipe, culture de coopération, nature du quartier) conduisent les équipes pédagogiques à concevoir et à faire évoluer une gamme très large de modalités organisationnelles. Certaines écoles vont ainsi aller très loin dans leur conception dune approche modulaire exigeant une coopération professionnelle poussée, alors que dautres préfèrent sen tenir à une organisation plus traditionnelle (regroupant, dans des classes stables, les élèves du même âge) et moins exigeante sur le plan de lharmonisation des pratiques. Dans toutes ces écoles, lintroduction des cycles dapprentissage oblige cependant les enseignants à établir une cohérence optimale entre les objectifs collectifs et les dispositifs d'enseignement et d'apprentissage quils proposent aux élèves.
Responsabilité collective et solidarité
Tout en soulageant les enseignants du poids de la responsabilité individuelle par rapport à un grand nombre de problèmes quotidiens, les cycles d'apprentissage ajoutent cependant une difficulté de taille, dès lors quil sagit dengager des processus de décision, voire de déterminer la responsabilité collective devant léchec scolaire. Faut-il rallonger ou raccourcir le parcours de formation de tel ou tel élève? Lorsque certains élèves natteignent pas les objectifs de fin de cycle, faut-il en tenir responsable lenseignant titulaire de la dernière année du cycle ou faut-il demander des comptes à toute léquipe de cycle? Lorsquun membre de léquipe a un passage à vide dans sa carrière et qu'il a de constants démêlés avec les parents de certains élèves, faut-il intervenir, calmer le jeu ou contribuer à occulter le problème? Jusquoù faut-il être solidaires en cas de désaccord, par exemple en ce qui concerne les punitions, la quantité des devoirs à domicile, etc.?
Les nombreuses interrogations soulevées par la perspective du travail en équipes de cycles ont conduit le groupe de pilotage, à Genève, à distinguer trois niveaux de responsabilités au sein des établissements d'enseignement : la cohérence du cursus scolaire dans l'école assurée par lensemble du personnel enseignant; la gestion commune des cycles dapprentissage par les équipes de cycles; enfin, la prise en charge quotidienne des mêmes élèves par les enseignants dans les salles de classe.
Dans le tableau ci-dessous, ces trois niveaux sont présentés dans un ordre allant du plus grand ensemble au plus petit, parce que chacun ajoute des critères de cohérence à ceux du niveau précédent. Le deuxième et le troisième niveau peuvent être confondus si léquipe dun cycle assume la prise en charge pédagogique de tous les élèves du cycle. À lintérieur de chacun des niveaux, une série de critères présentent la manière dont les établissements d'enseignement pourraient tâcher détablir la cohérence nécessaire?
Niveau de responsabilité |
(N.B. chaque niveau inclut les critères du niveau précédent) |
Établissement (bâtiment ou groupe scolaire) |
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Cycle dapprentissagede quatre ans |
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3. Prise en charge quotidienne des mêmes élèves |
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* Structure d'accueil pour enfants migrants non francophones
Source : Groupe de pilotage de la rénovation (1998, pp. 44-45)
Un tel tableau devrait progressivement se stabiliser. Tout d'abord, il a surtout permis de discuter les notions de responsabilité commune et de cohérence. L'expérience future montrera s'il s'agit d'un outil d'analyse et de planification valable. Théoriquement, il devrait permettre de définir les rôles et les fonctions des uns et des autres, en clarifiant les responsabilités individuelles et collectives.
La fin relative de la souveraineté
Le tableau ci-dessus montre que le travail en équipe de cycle nexclut point lidée dune responsabilité individuelle, que lenseignant assumera soit durant lannée scolaire pour une cohorte délèves donnée (la " classe traditionnelle "), soit plus ponctuellement pour un groupement délèves avec lequel il travaillera en vue de l'atteinte dun objectif ponctuel (décloisonnement) ou pour une durée déterminée (module).
En dehors des co-animations et des activités décloisonnées " à aire ouverte " (plusieurs locaux, plusieurs adultes comme personnes-ressources), il va de soi que les enseignants travailleront assez souvent, pour une plage de temps, seuls avec un groupe (ce qui ne veut pas dire quils travailleront derrière la porte fermée et sans échanges d'idées avec les groupes voisins). À ce propos se pose évidemment la question de savoir jusquà quel point ce type de travail doit être conçu au sein de léquipe, jusquoù cette dernière pourra simmiscer dans la conception des activités dapprentissage et dévaluation que chaque enseignant proposera aux élèves.
Le principe proposé ici est de chercher un moyen terme entre deux voies extrêmes :
Pour qu'une véritable culture commune s'installe autour dune vision didactique et pédagogique partagée, pour que chaque enseignant puisse répondre des apprentissages d'élèves ayant travaillé avec ses collègues, pour que, de manière plus générale, les enseignants d'un cycle puissent répondre de la cohérence des apprentissages de tous les élèves de ce même cycle, il est nécessaire que certaines activités soient conçues, voire animées en commun. Un travail collectif, améliore globalement la qualité des propositions didactiques. L'économie maximale consisterait sans doute à se répartir complètement le travail, et à assumer sa part individuellement. On voit bien cependant qu'ainsi on perdrait complètement le bénéfice de la concertation, de l'explicitation et des interactions.
Lexpérience montre cependant que cette division du travail fonctionnera dautant mieux que les membres de léquipe d'un cycle renoncent à discuter ensemble de toutes les activités et se limitent à travailler ensemble uniquement sur les problèmes et activités " stratégiques " : définition des priorités de formation, conception et mise en place de situations dapprentissage prenant en compte tant la progression que les difficultés des élèves; exploration collective de nouvelles démarches denseignement-apprentissage, durant lesquels les enseignants ressentent le besoin du regard dun ami critique; co-évaluation délèves présentant de grands problèmes ou pour lesquels les enseignants craignent ne pas être objectifs; gestion de rapports difficiles avec les parents
Traditionnellement, lécole s'est dotée d'un système assez hiérarchique pour qu'elle puisse détecter les incompétences : les cadres évaluent les enseignants et les enseignants évaluent les élèves. Sajoutent à cela quelques autres interfaces (des rencontres avec les parents, quelques commissions officielles pour informer les divers partenaires sociaux des décisions prises en haut lieu, les moments de passage des élèves dune structure à une autre, etc.) qui sont généralement fortement structurés, afin déviter que les désaccords ne dégénèrent en tensions et en luttes de pouvoir.
Le travail au sein des cycles multiplie non seulement les interfaces, mais bouscule également les habitudes en ce qui concerne la définition de qui est en mesure de donner une rétroaction à qui. Au gré des séances de concertation, les enseignants sont ainsi amenés, et souvent encouragés, à exercer un contrôle réciproque de la qualité du travail. Il serait naïf de croire que le processus &emdash; même négocié &emdash; dune constante négociation des principes et règles de collaboration et de programmation didactique contribue forcément à instaurer une pratique constructive de la rétroaction, à éliminer les non-dits et les aveuglements tant individuels que collectifs, voire à aider les divers partenaires à se reconnaître mutuellement certaines compétences et à repérer systématiquement, de manière coopérative et constructive, leurs incompétences respectives.
Lorsquelle évolue dans un climat de confiance et de transparence, cette démarche commune offre néanmoins une chance supplémentaire de ne pas passer à côté de certains problèmes que les individus seuls auraient tendance à scotomiser. Elle permet ainsi de multiplier les occasions non seulement de détecter les dysfonctionnements, mais également de mieux connaître les compétences des uns et des autres.
De nouveaux rapports de pouvoir
Il va de soi que la coopération au sein des équipes de cycles bouleverse lordre établi dans les établissements scolaires au sein desquels les enseignants sétaient engagés à instaurer un modus vivendi fondé sur une certaine convivialité, tout en maintenant très clairement les limites entre les salles de classe. Dans ce contexte, le chef détablissement, maître principal, inspecteur, incarnent sans doute une certaine autorité, mais ils nont que peu dinfluence sur la pratique des enseignants et se consacrent généralement aux tâches administratives, voire à la gestion du personnel.
La conception des cycles conduit à imaginer quil existera dorénavant dans les établissements d'enseignement des équipes pédagogiques relativement autonomes et composées de pairs solidairement responsables du bon fonctionnement interne. En défendant lidée du " leadership coopératif ", de nombreux enseignants persistent à penser quun tel mode de coopération serait possible, sans aboutir à une paralysie de la décision ou à une dilution des responsabilités. Il existe en effet de fortes craintes que le " leader " interne ne puisse être aussitôt tenté, par les abus de pouvoir, d'entraver le travail de léquipe et d'enlever le peu de liberté dont disposent les enseignants.
Dans toute organisation humaine, les rapports de pouvoir existent et se redistribuent dès lors que celle-ci se transforme. Dans cette perspective, lintroduction des cycles créera sans doute de nouvelles hiérarchies, au fur et à mesure que le tissu des interdépendances, des relations et des échanges d'idées se transformera et que les équipes des différents cycles trouveront de nouveaux équilibres. Il nest pas possible danticiper lévolution dans la mesure où lorganisation par cycles na été réalisée que par un nombre trop restreint décoles, souvent trop occupées à tracer le chemin pour laisser émerger ou pour bien gérer les rapports de pouvoir, voire trop empêtrées dans une définition floue des responsabilités pour véritablement engendrer des conflits de pouvoir.
Il semble néanmoins raisonnable dimaginer quà moyen ou à long terme, la définition formelle dun rôle de coordonnateur déquipe pourrait représenter un moyen terme raisonnable entre la création dun nouvel échelon hiérarchique et labsence de toute personne assumant le rôle de répondant, qui représente léquipe à lextérieur et se porte garant du fonctionnement interne.
Sil ne reste aucun doute que le travail en cycles est mangeur de temps et dénergies, qu'il augmente les zones de friction entre enseignants qui, jusqualors, nétaient que peu habitués à travailler ensemble, à négocier des accords, à discuter pour défendre leur point de vue, enfin, à reconnaître ouvertement leurs compétences respectives, lexpérience montre cependant que la pression diminue au fur et à mesure que les enseignants apprennent à mieux cibler leurs enjeux et, par conséquent, à mieux planifier leur action commune. De même, les conflits de pouvoir diminuent dès lors que les tâches et les fonctions des uns et des autres ont pu être clairement définies et que léquipe commence à définir les règles du jeu dun " leadership coopératif " efficace.
La coopération dans les équipes des différents cycles ne sinstaure pas du jour au lendemain. Lexpérience de la rénovation genevoise montre par exemple que les écoles qui ont participé à la phase dexploration ont éprouvé une certaine difficulté à simposer lanalyse et lautodiscipline nécessaires quexigent la conception et la planification dun processus de transformation des pratiques dans la durée. Dabord, parce quil leur était difficile de freiner leuphorie quavait produite la décision des autorités de leur accorder une certaine latitude pour élaborer leurs projets. Ensuite, parce quelles ne possédaient pas les outils nécessaires pour analyser les facilitateurs et les obstacles qui surgiraient au cours de la réalisation des projets. Et enfin, parce que la majorité dentre elles ne disposaient pas des règles ni de la procédure de prise de décision internes nécessaires pour déterminer quelques priorités communes et pour définir ensuite les modalités de leur mise en uvre (Gather Thurler, 1996a).
Lanalyse de différentes démarches dinnovation montre cependant quil est difficile de concevoir une stratégie dinnovation qui puisse faire léconomie de ce type dactivisme. Lexpérience montre au contraire quil sagit dun passage obligé auquel succède une phase qui se caractérise par une démarche plus systématique et plus méthodique, une meilleure capitalisation des expériences, la prise de conscience du fait que, pour innover efficacement et durablement, il nest pas indispensable de tout faire tout de suite.
Apprendre à coopérer à bon escient
Savoir travailler efficacement en équipe, cest peut-être dabord savoir ne pas travailler en équipe lorsque ce nest pas nécessaire! Le risque est assez grand pour quon tombe dun extrême dans lautre et quaprès avoir prôné lindividualisme, les enseignants veuillent travailler en équipe à tout prix. Au point de ne plus oser prendre des décisions ou mettre au point un outil pédagogique sans demander lavis des collègues, de ne plus se donner le droit d'adopter une aptitude personnelle qui ne corresponde pas nécessairement aux priorités définies et aux options prises par les collègues. Il existe un véritable risque que la persistance à trouver exclusivement des solutions communes paralyse léquipe devant certains problèmes, que les membres de léquipe nosent pas saffirmer en tant quexperts, ne demandent ni faveurs ni franchises, parce quil faut en toute circonstance mettre le partage des compétences et des ressources au premier plan.
Citons comme exemple larrivée de plusieurs enfants migrants dans une classe. Il se peut quil soit nécessaire de résoudre ce problème en équipe, parce que lenseignant touché nest pas à même dy faire face, se trouve dépassé et a besoin de conseils mais aussi daide, par exemple pour pouvoir envoyer certains de ses élèves dans dautres classes à certains moments de la semaine, afin de trouver du temps pour travailler plus intensément avec les enfants migrants. Ce nest quun cas de figure : il se peut aussi que lenseignant obligé de faire face au problème nait besoin que den parler avec un de ses collègues, pour vérifier si les décisions prises sont les bonnes, pour emprunter du matériel que lun ou lautre aurait élaboré lors dune occasion similaire, pour savoir à quels services il peut sadresser pour obtenir du soutien didactique ou logistique. Il pourrait également être parfaitement capable de résoudre ce problème tout seul à condition de pouvoir raconter, à un moment précis, les aménagements trouvés et les résultats obtenus. Quil sagisse de ce problème denfants migrants ou de problèmes dévaluation, de relations avec les parents, de lecture, dagressivité entre garçons et filles, nul enseignant néchappera à la nécessité de décider de cas en cas si le problème appelle une réponse individuelle ou collective. Limportant est de tenir compte de la nature du problème ou de la tâche et de réagir de manière aussi flexible que possible.
La question se pose aussi à lintérieur dune démarche collective. Même lorsquon se fixe des buts communs, on ne se tient pas constamment la main. Dans une division du travail équilibrée et efficace, chacun est obligé, dans la part qui lui revient, de faire face à des problèmes plus ou moins prévisibles. À lui de savoir quand il doit les soumettre à ses collègues et quand il est capable de les résoudre seul. La formulation dune charte, la rédaction dun projet décole, la négociation dun changement dhoraires avec les parents, l'élaboration dun dispositif dévaluation formative demandent une alternance entre concertation en équipe et tâches individuelles (dont : recherche et documentation, tâtonnement, écriture, etc.), assumées par ceux ou celles qui en ont les aptitudes, la disponibilité, lenvie.
Savoir sauvegarder son autonomie et sa responsabilité individuelles tout en cultivant la responsabilité collective met les membres dune équipe de cycle devant un dilemme important. Suivant la manière dy faire face, ils produiront des effets assez contraires à lefficacité. Lignorer peut même empêcher lévolution dune équipe potentielle vers une équipe véritable, voire la détruire. Le reconnaître, faire avec, le nommer ouvertement, peut contribuer à ce que les divers intérêts et besoins de chaque membre deviennent une ressource de développement et de renforcement pour léquipe. Le travail déquipe nest pas le contraire de la performance individuelle. De véritables équipes trouveront toujours le moyen de faire valoir les contributions individuelles, dautant plus que celles-ci sinsèrent dans des finalités communes. Bien plus : elles sauront utiliser à bon escient les forces diverses, les intérêts et les besoins des uns et des autres, négocier les modalités de travail optimales.
La plupart des enseignants pensent quils savent se débrouiller seuls pour coopérer de manière efficace : ils se réfèrent à leur formation de base ou continue, voire au sens commun pour faire une analyse des besoins, pour accélérer les processus de prise de décision, pour planifier les diverses étapes de travail, voire pour analyser leurs pratiques ou pour évaluer les effets obtenus. En fait, ils tentent de transposer leurs expériences vécues dans un domaine dont la complexité leur échappe dautant plus quils en sont eux-mêmes les principaux acteurs. Et ils ignorent dans la majorité des cas quil existe une multitude doutils et de stratégies souvent bien mieux adaptés et appropriés pour faciliter ces démarches, les systématiser, pour les aider à se décentrer et à se poser les bonnes questions, pour les empêcher de tourner en rond, pour anticiper et, si cela est nécessaire, pour gérer les conflits de groupe.
Il sagit doutils et de stratégies de travail qui nous parviennent dhorizons divers et qui, idéalement, constituent une base à partir de laquelle une équipe pourra, dans la durée, construire ses outils propres. Pour y accéder, il existe plusieurs voies : soit sinscrire à des cours de formation qui sont proposés par les divers organismes, soit faire appel à des personnes-ressources ayant bénéficié dune formation dans ce domaine.
Beaucoup denseignants résistent à lidée de recourir à de tels outils : d'une part, parce quils ont le sentiment de pouvoir sen passer et ne voient pas leur utilité; dautre part, parce quils éprouvent une certaine aversion par rapport à certaines méthodes qui pourraient les obliger à sexposer Dans la mesure où ces peurs existent, il est important de les prendre au sérieux, de ne pas faire de " forcing ". Il est aussi très important que ces outils soient amenés par des personnes qui les maîtrisent bien, afin déviter tant les dérapages que la sous-exploitation des données récoltées. Rien de pire, en effet, que de remplacer labsence doutils par une course aux méthodes miracle qui finirait par fatiguer les uns et les autres et vider de son sens laction collective, à cause du manque de réflexion.
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