Publié in Pelletier G. (coord.) (2001) Autonomie, projet et évaluation d'établissement : un cadrage pour l'action, Montréal : Afides.
(Repris de: Le projet d'établissement : quelques éléments pour construire un cadre conceptuel, in Tschoumi B. (éd.) Le projet d'établissement en partenariat, Neuchâtel: Institut romand de recherches et de documentation pédagoiques, pp. 11-19).
Le projet
détablissement :
quelques éléments pour
construire un cadre conceptuel
Monica Gather Thurler
2001
L'établissement n'est pas une simple unité administrative
Nul n'accède à l'autonomie sans négocier franchises et ressources
Ne pas confondre projet et contrat
L'obligation
de rendre compte n'est pas une tentative
de prise de pouvoir des autorités scolaires
Ne pas croire que la qualité d'un projet garantisse de fait sa réussite
L'établissement : un lieu pour construire le sens du changement
Construire de véritables partenariats entre acteurs
Créer
les conditions pour une véritable
conquête de l'autonomie des
établissements
Une nouvelle culture pour garantir la qualité
Le " projet détablissement " est en vogue. Les autorités scolaires ladoptent, à tour de rôle, comme stratégie de mise en uvre des réformes en cours. Les associations professionnelles le glorifient, dans lespoir davoir trouvé loutil-miracle pour que leurs adhérents accèdent à une autonomie collective, sinon individuelle. Les directeurs détablissement et les inspecteurs le soutiennent dans lespoir quil puisse contribuer à faire évoluer leur métier vers ses aspects les plus nobles de suivi et de contrôle dun processus du changement, leur permettant de déléguer aux enseignants les tâches administratives les plus pesantes et désagréables et de renforcer leur influence. Les chercheurs létudient avec beaucoup intérêt et la pointe dironie quils réservent dhabitude à toutes les entreprises généreuses de lordre dune mission impossible. Les formateurs observent - avec plus ou moins de bonheur - une modification de leur profession qui va de pair avec de nouvelles exigences en termes de profil de compétences : former une équipe ayant un projet et exprimant une demande collective nest pas la même chose que former des individus avec des intentions individuelles ou pas dintentions du tout. Enfin, les institutions de formation mettent en place des cours et des séminaires centrés sur le projet détablissement, dans lespoir de former aussi vite que possible des " spécialistes " à mêmes de faire réussir à tout prix et dans toute circonstance ce type dentreprise. Du coup, les approches basées sur linitiation aux méthodes danimation, à la conduite de groupes, etc. reviennent à la mode.
La popularité actuelle du " projet détablissement " comporte cependant le risque quil soit - trop - rapidement promu au rang dune stratégie dinnovation prometteuse à laquelle tant les autorités scolaires que les associations professionnelles adhèrent du seul fait que tant dautres stratégies nont pas abouti. Or, il ne suffit pas de décréter " lentrée dans lère des projets détablissements " sans se soucier des réflexions et des mesures daccompagnement quun tel choix impose. Il ne suffit pas davantage daffirmer que ce type dapproche ne fait que répondre aux demandes de la base, sans définir les nouvelles compétences requises à tous les niveaux, et sans se préoccuper de la manière dont elles peuvent être acquises ou développées. Il ne suffit pas de décréter lautonomie des établissements et de sattendre à ce que les cadres et la base sachent, comme par magie et du jour au lendemain, gérer les problèmes complexes quun tel bouleversement représente. Et, enfin, il ne suffit pas non plus de se retrancher derrière des attitudes paradoxales du genre :
Bien que linefficacité de telles attitudes soit évidente, admettons toutefois que nous sommes tous et toutes, ponctuellement et non sans honte, tentés dy succomber : pour accélérer les choses, dans les moments de satisfaction, dénervement ou de panique, ou même juste pour voir ! Elles menacent les acteurs à tous les niveaux tant quils ne se mettent pas dans une position dauto-observation constante pour échapper aux mouvements dhumeur, aux jeux de pouvoir, à langoisse et au stress qui sont le pain quotidien de tous ceux qui simpliquent et sengagent dans des entreprises complexes et prometteuses.
Malgré ces risques, la popularité des projets détablissements peut cependant être un levier puissant pour prendre des distances avec les stratégies habituelles, autoritaires, centralisatrices et normatives du changement. Elle peut offrir loccasion de mettre en place une série de mesures incitatrices pour faire évoluer lensemble du système scolaire : en promouvant dans les établissements la construction dune culture et dune éthique commune, dune vision partagée des objectifs et modalités efficaces de gestion de laction pédagogique, enfin, en amenant les acteurs à tous les niveaux du système scolaire à construire ensemble le sens du changement (Gather Thurler, 1993). Face à ces perspectives, on peut opérer des choix divers. Le plus orthodoxe consisterait à adopter une démarche linéaire, consistant à mettre en place de nouveaux règlements, à écrire des textes sophistiqués, à former dabord les cadres, à concevoir un système de gestion bien ficelé et permettant dexercer un contrôle serré sur le déroulement des diverses étapes successives de mise en uvre. Un choix plus insolite - mais plus cohérent - sinscrit dans une approche systémique, qui fait davance le deuil de tout vu de maîtrise de la complexité, qui décide de " faire avec " au jour le jour. Il sagit dune véritable rupture de paradigme par rapport aux attitudes gestionnaires du passé. Elle oblige à changer de perspective en ce qui concerne les relations entre les acteurs à tous les niveaux, leurs responsabilités et leurs droits les uns envers les autres.
De nombreux auteurs (Cros, 1990 ; Derouet & Dutercq, 1994 ; Fullan, 1991 ; Gather Thurler, 1993 ; 1996 ; Hargreaves, 1991 ; Huberman, 1990 ; Obin, 1993 ; Perrenoud, 1993 ; Strittmatter, 1992 et al.) nous offrent leurs analyses des enjeux, dilemmes et paradoxes qui sont indissociables dune telle entreprise. Ils nous rendent attentifs aux multiples facettes du projet détablissement qui, au-delà de ses promesses généreuses et prometteuses, oblige ses promoteurs à sengager dans une course dobstacles contre les malentendus et les mentalités.
Pour gagner cette course, il vaut mieux être averti, observer et analyser ce qui arrive et se donner les moyens de trouver les solutions aux problèmes qui se posent. Au-delà dun premier aperçu des malentendus qui peuvent guetter les acteurs concernés et des changements de mentalité que ces derniers doivent opérer, les passages qui suivent tentent de présenter quelques composantes pour construire un cadre conceptuel.
Létablissement nest pas une simple unité administrative
Le premier malentendu - capital - réside dans une mauvaise estimation de la dynamique de létablissement, qui est perçue exclusivement en termes de gestion et de réglementation. Cette perception conduit les autorités à considérer les établissements scolaires comme de simples unités administratives, des " interfaces " entre le sommet et la base qui facilitent la mise en uvre dune série de décisions et de démarches qui sont prises au sommet et qui peuvent concerner la gamme entière des changements possibles et imaginables : finalités éducatives, nouvelles approches didactiques, pédagogiques et organisationnelles, nouvelles pratiques de formation continue, mesures déconomie, etc.
Or, les établissements qui sont gérés de cette manière ne peuvent pas avoir et ne peuvent pas développer un véritable projet. Pour y parvenir, il faut quils soient constitués en personnes morales, autrement dit en acteurs collectifs, capables et désireux de sengager dans une démarche qui va modifier tant leurs modalités de travail que lidentité professionnelle de chacun deux, prêts à payer le prix pour assumer les risques et les avantages dune telle démarche. Il faut donc que les autorités soient prêtes à assumer quils nauront plus à faire à de simples unités administratives qui peuvent être gérées selon les habituelles procédures impersonnelles et autoritaires. La démarche du projet détablissement, par la constitution des établissements scolaires en acteurs collectifs, modifie le tissu social et relationnel tant au sein des établissements quentre ceux-ci et les autorités. Elle amène les uns et les autres à reconnaître, à prendre en compte et à négocier de nouvelles exigences et règles de jeux. Elle provoque, en fin du compte, une " déréglémentation " qui oblige à faire le deuil de luniformité des méthodes de gestion, à négocier de cas en cas loctroi des ressources et des degrés de liberté, à développer de nouvelles méthodes pour assurer la qualité dans la diversité.
Il
ne suffit pas dimposer des objectifs identiques
et daccorder à létablissement le choix des
moyens
Une telle démarche étouffe dans luf toute dynamique propre aux divers établissements. Elle ne prend pas en compte la très grande diversité qui existe entre les établissements en ce qui concerne leurs ressources - matérielles et humaines - voire leurs besoins et leurs priorités. Cette diversité dépend de leur histoire, de leur réputation et de leur culture, des caractéristiques socioculturelles de leurs élèves, de la mobilité de leurs enseignants, des possibilités offertes, voire les limites imposées par leur architecture, des rapports quils maintiennent avec les autorités locales, les familles, le quartier.
Il est, par conséquent, important quils puissent jouir dune certaine autonomie en ce qui concerne lorientation de leur projet par exemple : la possibilité de ne pas travailler à la réalisation de toutes les finalités déclarées, de définir les priorités en fonction du contexte local ou de spécifier les objectifs généraux de manière diverse ; mais aussi le droit de faire des propositions originales, pour autant quelles soient compatibles avec certains principes et quelques objectifs généraux. Il faut quils puissent construire un projet qui se situe dans leur " zone proximale ", compromis optimal entre les finalités visées par les autorités et leurs propres besoins et possibilités dévolution. Obliger les établissements, voire les équipes pédagogiques à faire le sacrifice de cette liberté de choix, est tout autant une erreur que de jouer le laxisme absolu, de laisser chacun faire ce quil veut pourvu quil " bouge ".
Nul
naccède à lautonomie sans
négocier
franchises et ressources
Lautonomie accordée aux établissements pour définir eux-mêmes les priorités à condition quils se réfèrent aux lignes de force définies par les autorités ne suffit pas à clarifier le statut du projet détablissement. Ce statut du projet signifie-t-il que léquipe se met en réflexion, se donne une formation centrée sur lun ou lautre des problèmes, ou lui accorde-t-il de droit de passer à lacte ? Jusquoù va leur liberté de décision au sein des objectifs fixés ? Jusquoù léquipe a-t-elle les coudées franches, quelle autonomie a-t-elle pour répondre, en cours de la mise en uvre, aux nouveaux problèmes qui se posent ? Jusquoù tel établissement dont le projet prévoit dexplorer de nouvelles approches de lévaluation formative peut-il aller sans mettre en danger léquité de la certification, sans entraver la mobilité des élèves ? Jusquoù tel autre établissement peut-il aller pour coopter de nouveaux collègues, quelles règles du jeu léquipe en question devra-t-elle respecter ? Quelles ressources accorder à ce troisième établissement (en termes de temps pour la concertation et la coordination) qui envisage de nouvelles formes de regroupement des élèves pour une gestion mieux adaptée de leurs parcours dapprentissage ?
Ce sont des questions dune importante centrale. Elles concernent les " franchises ", la liberté dexplorer de nouvelles pistes pédagogiques, didactiques et gestionnaires, ainsi que les ressources supplémentaires que les autorités accordent aux établissements concernés pour leur faciliter le travail. Il savère quune insuffisante clarté en ce qui concerne lattitude que les autorités comptent adopter par rapport à loctroi des franchises et ressources produit inévitablement des tensions, des déceptions et en fin du compte des rancunes. Suite à la première phase de conception et délaboration du projet qui se caractérise par son climat dexcitation, délans généreux et de rêveries qui semblent permettre tous les espoirs, lexamen de la réalité oblige souvent à redimensionner les exigences tant des uns que des autres. Même un mandat bien pensé et très explicite laissera toujours suffisamment de flou pour que les représentations quant aux limites du possible divergent et exigera par conséquent des négociations qui naboutiront pas toujours à des compromis satisfaisants pour lensemble des partenaires, qui perçoivent des enjeux différents.
Face à la déception, il nest pas toujours facile de faire acte de bonne volonté, de ne pas suivre ses sauts dhumeurs et de sortir du jeu. Il est plus facile daccuser lautre de mauvaise foi, de recourir à la manipulation, voire au chantage (" nous ne mettrons en uvre notre projet quà la condition dobtenir telle ou telle ressource, telle ou telle franchise "), en accusant dêtre figé dans ses positions.
Ne pas confondre projet et contrat
Selon les principes éducatifs de la pédagogie institutionnelle (Imbert 1994, Develay 1996), trois instances sont nécessaires pour faire vivre la loi parmi des partenaires qui sont amenés à interagir et à construire le changement :
Le contrat nest pas identique au projet détablissement. Il marque et ritualise la fin des négociations. Il entérine les accords trouvés et les règles du jeu définies entre les partenaires signataires, qui sont, au minimum, les autorités scolaires et les membres de léquipe pédagogique ayant rédigé le projet. Dautres partenaires peuvent sy joindre, par exemple : les autorités locales, lassociation des parents, lassociation denseignants, donnant de cette manière leur accord et leur soutien au projet.
Le contrat doit être signé avant le début officiel de la mise en uvre du projet. Il peut être aménagé au rythme convenu entre les partenaires. En cas de départs ou de nouvelles arrivées dans léquipe pédagogique, les diverses parties sont tenues de se conformer à une série de règles de jeu : les partants exposent les motifs de leur départ et permettent ainsi à léquipe de prendre congé deux et de prévoir leur remplacement ; les nouveaux arrivants exposent leurs motifs de venir collaborer au projet dont ils ont pris connaissance, alors que léquipe assume la responsabilité de leur intégration et de leur socialisation. Tout réajustement des finalités et des contenus et toute nouvelle demande, voire toute réduction de franchises et de ressources sont négociées avec les instances concernées.
Cette étape formelle peut être perçue comme insolite, superflue, voire même comme un signe de méfiance inutile au début dun processus de mise en uvre, lorsque loptimisme est de mise et lorsque les vraies contradictions ne sont pas apparues. Elle suscitera des sourires ironiques et des irritations auprès de ceux qui ne comprennent pas très bien lutilité de telles précautions et formalismes pour une démarche qui a été souhaitée et revendiquée par tous. Ignorer cette étape produit un malentendu important, consistant à croire que le projet détablissement nest quun accord mineur que les partenaires concernés sont en droit de défaire au premier accroc. Le contrat - qui ne peut être résilié quavec laccord des partenaires concernés - est une garantie supplémentaire dans une démarche nouvelle, souvent difficile et conflictuelle.
Lobligation
de rendre compte nest pas une tentative
de prise de pouvoir des autorités scolaires
Lorientation des systèmes vers une gestion qui accorde davantage dautonomie aux établissements fait émerger un nouveau problème qui préoccupe aussi bien les enseignants dans les établissements concernés que tous ceux qui les observent de lextérieur : comment va-t-on, comment peut-on gérer la complexité ? jusquoù sommes-nous responsable de la réussite, voire de léchec des actions entreprises ? jusquoù ne sommes-nous pas que les jouets dun système qui nous dépasse ? Ces questions ne sont guère nouvelles. Les enseignants se les sont jusquà présent posés seuls dans leur salle de classe. Elles deviennent centrales lorsque la démarche du projet confronte les divers partenaires avec lindispensable contrôle de la qualité et les oblige par conséquent à se poser le problème de la coordination, de la gestion de la diversité et à vivre avec les inévitables dilemmes que cela comporte.
Nous lavons vu plus haut : une politique basée sur les projets détablissement doit permettre une grande latitude de choix quant aux façons de remplir le mandat. Lexpérience des systèmes scolaires qui assument le rôle de pionniers nous montre que le droit à la différence se confirme et même saccentue à la faveur des contrats qui ont été conclus avec les écoles partantes. Les systèmes scolaires qui adoptent la voie des projets détablissement ne peuvent plus rêver de clonages centralisés, ne peuvent plus viser à produire quelques modèles, quelques carcans dans lesquels les autres écoles seraient obligées de senfermer. Ils doivent encourager chaque école à développer son propre modèle, fondé sur les acquis communs au sein de léquipe pédagogique et tenant compte des particularités et des priorités de létablissement et de son environnement.
Un des grands malentendus qui guette les établissements consiste cependant à croire que lautonomie accordée leur permettra déchapper à toute responsabilité de rendre compte et dinterpréter toutes demandes dans ce sens comme une tentative de prise de pouvoir de la part des autorités scolaires. Davantage dautonomie impose également davantage de responsabilités. Pour que la diversité ne dégénère pas en une anarchie, pour que le système scolaire reste gérable et crédible, ce dernier est amené à mettre en place des garde-fous aptes à garantir la cohérence de laction pédagogique, tant à lintérieur des écoles quau sein du système scolaire dans sa totalité, à assurer un contrôle des écoles, selon la maxime " profils différents, qualité égale ". Les écoles pour leur part doivent justifier leurs choix, rendre visibles et lisibles leurs manières dagir, décrire les efforts investis et les effets obtenus, mener une auto-évaluation continue, accepter la remise en question, rendre compte des choix opérés face aux marges de manuvre accordées par linstitution, apprendre les unes des autres pour aller vers toujours plus defficacité.
Il ne sagit pas de mettre en place des procédures sophistiquées de mesure : lefficacité des établissements ne se mesure pas : elle se construit, se négocie, se pratique et se vit (Gather Thurler, 1994 a). Il ne sagit pas non plus de distribuer de bons ou de mauvais points, ni de céder à la dernière mode des " labels de qualité ". Lobjectif principal reste la mise en place dun système qui permette une réflexion permanente sur lefficacité des pratiques entre tous les partenaires concernés, leur construction collective et interactive des finalités, des stratégies, des modalités dévaluation et de régulation.
Linstitution ne fera réellement confiance à lauto-évaluation des enseignants quà la condition que leur lucidité soit au-dessus de tout soupçon. Pour y parvenir, il faut créer les conditions de confiance et de dialogue, offrir des marges de manuvre à court terme et de vérification des effets à moyen et à long terme, substituer lanalyse à la justification. Il faut, en fin du compte, éviter les démarches collectives dautosatisfaction ou dauto-dénigrement au sein des établissements.
Plus globalement, la professionnalisation passe par une rupture avec lindividualisme qui caractérise encore largement la culture enseignante (Gather Thurler, 1994 b). Ne plus se sentir " combattant solitaire ", mais membre dune équipe solidaire, cest inventer dautres relations professionnelles, de nouveaux contrats, de nouveaux liens entre gens de métier. Donc, aller vers une autre gestion des établissements, qui reconnaisse une véritable autonomie aux écoles, assortie de responsabilités réelles.
Ne
pas croire que la qualité
dun projet garantisse de fait sa
réussite
Ce dernier malentendu est largement partagé par lensemble des acteurs. Chacun tend à croire quune fois le projet déposé, le contrat signé, les établissements pourront se suffire à eux-mêmes, quil sera possible de faire léconomie de dispositifs daccompagnement. Cette tendance est dautant plus forte en période de restriction budgétaire, mais elle est aussi renforcée par le souci que de tels dispositifs pourraient progressivement évoluer vers des forces de contre-pouvoir. Les enseignants eux-mêmes ont une attitude très ambivalente. Tout en réclamant de laide, ils résistent à la perspective de sencombrer dun nouveau " sur-moi externe " alors quils viennent à peine daccéder à un peu plus dautonomie. Les chefs détablissement ou les inspecteurs préfèrent les tâches plus " nobles " du suivi et de lanimation des projets détablissement aux tâches de contrôle et dadministration ; ils ne voient donc pas dun bon il la mise en place dun dispositif qui les obligerait à redéfinir leur métier et leur fonction. La collusion entre les représentations très diverses des uns et des autres, le manque danalyse des enjeux et lamateurisme renforcé par lenthousiasme des débuts amènent à croire quon peut très bien se débrouiller seuls, quon a bien dépassé les maladies infantiles, quon sait mieux aujourdhui quelles erreurs éviter.
Létablissement : un lieu pour construire le sens du changement
La définition de létablissement comme lieu du changement repose implicitement sur un ensemble de postulats qui datent du début des années80 :
2. les enseignants ne prendront aucun intérêt personnel au changement (y compris lévaluation) sils ne sont pas associés aux décisions qui concernent les objectifs et les démarches adoptées ;
3. un projet détablissement efficace se caractérise par le fait que le mouvement est commun à létablissement tout entier, quil existe un ensemble dobjectifs unanimement partagés et une méthode denseignement unifiée ;
4. dès quun effort de planification (projet détablissement) incite le corps enseignant à prendre conscience de la situation et à y réfléchir, les chances sont beaucoup plus grandes que le personnel modifie son comportement et ses attitudes (David, 1982).
Une dizaine dannées plus tard, Fullan & Stiegelbauer introduisent leur livre " The new meaning of educational change " en écrivant :
Peu de temps après, Perrenoud (1994) formule trois thèses sur le sens du travail scolaire des élèves qui, appliquées au projet détablissement, gardent toute leur pertinence : 1. le sens se construit ; il nest pas donné davance ; 2. il se construit à partir dune culture, dun ensemble de valeurs et de représentations ; 3. il se construit en situation, dans une interaction et une relation.
Construire le sens du changement au sein dun établissement, cest construire un ensemble de représentations, cest se fixer un ensemble de valeurs qui permettent de mettre le monde en ordre, de partager sa vision avec celle dautrui. Le sens se construit dans laction consciente dune équipe qui simplique et qui parvient à observer cette implication, à y réfléchir ensemble et à lanalyser. Le sens se construit au cours dun projet commun, dans le cadre dun contrat clair, qui est constamment négocié et renégocié entre les partenaires. Le sens se construit en multipliant les entrées et les moteurs, en se donnant le croit à lerreur, en développant une culture du partage, de la confrontation et de la solidarité. Il est investissement dans un projet et prise de distance. Le sens est dans le lien quune équipe établit entre limplication dans son projet et lexplication quelle construit de ses actions. Donner un sens à son action, à la démarche collective, cest se donner un dessein, une fin, cest se construire une identité.
Selon Develay (1996), un projet détablissement doit pouvoir jouer avec deux dimensions. La première concerne la capacité de léquipe et de chacun de ses membres de se projeter dans un futur incertain. Le choix quils font pour développer leurs compétences et leurs désirs dans un domaine déterminé (si nous souhaitons travailler sur lindividualisation des parcours, cest parce que nous souhaitons accorder de limportance à la pédagogie différenciée, parce que nous pensons quelle est un moyen pour lutter efficacement contre léchec scolaire ; nous réunissons nos forces pour travailler ensemble sur de nouvelles modalités dévaluation des élèves, mieux à même de valoriser leur progression ). La deuxième dimension concerne plus particulièrement lidentité professionnelle des signataires du projet : faire partie du dispositif, cest être des professionnels qui ont négocié tel contrat, qui ont obtenu telles ressources et telles franchises, qui sont daccord de sexposer en tant que pionniers, avec tous les avantages et désavantages que cela suppose
Donner du sens au changement, cest sinterroger sur le plan personnel et collectif et sur le plan professionnel (quest-ce quapprendre dans un projet commun peut nous apporter quant à lorientation de notre métier et dans la formation qui laccompagne ?) Cest interroger le présent et lavenir, cest se fixer des buts et se donner les moyens daction utiles pour atteindre ce but. Dans lécriture et la mise en uvre du projet, les désirs se concrétisent dans des objets de recherche et daction commune, des conduites, des démarches, dans des représentations de soi et de lautre (mes collègues), dans lanticipation de lévolution, dans la prise en compte des différents facteurs qui influencent laction. Le projet sancre par conséquent dans :
Penser létablissement en tant que lieu de construction du sens du changement amène donc forcément à le situer dans sa complexité sociologique, psychologique et anthropologique et oblige à faire le deuil de lidée quil pourrait sagir dune stratégie simple, pouvant se passer de moyens matériels, délaboration conceptuelle et de réflexion.
Construire de véritables partenariats entre acteurs
Dans un processus qui conduit les acteurs à construire collectivement le sens du changement, les rapports de force entre eux changent. Il nest pas possible de persister dans les anciens schémas, dans des fonctionnements hiérarchiques dépassés, dans de fausses images dautrui qui produisent souvent résistances, agressivités et même régressions inutiles. Il est vrai quun système scolaire ne peut être géré sans répartition claire des tâches et des fonctions. Il est aussi vrai quun système scolaire doit composer avec des compétences très diverses, doit admettre des leaderships variés.
Mais cela ne signifie pas que le système scolaire doit persister dans une guerre des tranchées, entre ceux qui souhaitent changer et ceux qui refusent, entre ceux qui savent et ceux qui souhaitent rester ignares, entre ceux qui assument des responsabilités et ceux qui se croisent indéfiniment les bras. Il nest certes pas facile de dépasser ces polarisations. Cela nest possible quau prix dune mise en lumière des représentations qui les fondent, de travailler sur les fantasmes de manipulation, de verbaliser les conditions auxquelles les uns et les autres sont daccord de simpliquer.
Dès que les gens réussissent à faire ce premier pas, les portes souvrent pour létape suivante qui consiste à construire un véritable partenariat entre les groupes dacteurs, à mettre en place les lieux de concertation et les procédures de négociation qui permettent de parvenir aux accords nécessaires. Il est important de savoir quen fin de compte, ces accords sont moins importants que linstauration des rapports de confiance et la prise de conscience de lengagement mutuel. Ceci amène les partenaires concernés à accepter la confrontation, à sinitier à la pratique de la méta-communication et de la méta-analyse, à tenir bon par rapport aux multiples occasions où la rupture semble être le seul moyen de sauver la face.
Construire de nouvelles relations de partenariat entre acteurs amène ces derniers à faire le deuil de la conviction " technocratique " qui, selon Reboul, est fondée sur cinq postulats :
Créer
les conditions pour une véritable
conquête de lautonomie des
établissements
Il y a vingt ans encore, lapproche principale pour introduire les innovations scolaires consistait à développer en situation de laboratoire un modèle unique qui serait ensuite diffusé à grande échelle. Cela a suscité des négociations souvent âpres, en ce qui concerne le choix du modèle susceptible de satisfaire une majorité de partenaires intéressés. Le modèle unique ne pouvait guère satisfaire toutes les parties engagées et ne tenait pas compte des besoins et des spécificités du terrain : les petites ou les grandes écoles, le milieu campagnard ou urbain, les quartiers bourgeois ou populaires Le fait denvisager des solutions plutôt développées sur mesure nest pas le résultat dune politique du compromis " new look ", dune recherche de facilité, mais au contraire, le résultat dun changement de perspectives : dans tous les secteurs, la politique de gestion tant des entreprises que des administrations tend à accorder une plus grande autonomie aux petites unités organisationnelles pour adapter les résultats provenant de la recherche à leur contexte.
Pour lécole, la question-clé est la suivante : quelle organisation de lapprentissage est la plus adéquate pour offrir aux élèves les meilleures chances datteindre les objectifs fixés par le plan détudes ? Face à la grande diversité des réalités et des besoins du terrain, lattitude prédominante consiste à ne plus investir dénergie pour produire un semblant dhomogénéité mais, au contraire, daccepter demblée des modalités organisationnelles très différentes. Nous lavons déjà dit plus haut : lautonomie ainsi accordée nest pas une forme dautarcie. Il sagit dune autogestion limitée par une série de droits et dobligations librement consenties et formulées dans un mandat (se limitant aux règlements qui sont absolument indispensables pour coordonner les divers ordres scolaires : structures, horaires, moyens obligatoires, certification). Lautonomie des écoles est, par conséquent, à concevoir comme un équilibre entre les règlements et les initiatives locales.
La notion dautonomie est assez confuse :
En fin du compte, aucune personne, aucune institution nest jamais complètement autonome. Lautonomie des enseignants dans la salle de classe - ils dépendront toujours des élèves, du concierge, des collègues - est toujours aussi invraisemblable que la complète autosuffisance des établissements, qui voudrait dire que ces derniers nauraient plus besoin de moyens denseignement, dun soutien financier, etc. Pour cette raison, il est donc important de préciser très clairement le domaine dautonomie que lon cherche à développer, le niveau dautonomie que lon veut que les établissements atteignent dans le cadre de leur projet et les moyens quils se donnent pour y parvenir.
Le niveau dautonomie doit en outre être défini à partir du niveau déjà atteint par létablissement. Il doit représenter un niveau supérieur et pourtant accessible, un palier de développement qui manifeste un réel progrès. Prétendre conduire des établissements scolaires à un niveau dautonomie très supérieur à celui auquel ils se trouvent et le faire brutalement équivaut à programmer léchec, à condamner les écoles à la régression et, dans la plupart des cas, à préparer un retour à une situation de contrainte forte que lon justifiera par le fait que " les enseignants, on la bien vu, ne sont absolument pas capables " !
Une nouvelle culture pour garantir la qualité
Le contrôle de qualité, lévaluation continue de la manière dont les uns et les autres assument leurs responsabilités, est sans doute un des problèmes les plus délicat auxquels les systèmes scolaires actuels se trouvent confrontés. Le défi consiste à amener les enseignants concernés à accepter de leur plein gré de rendre compte de la manière de laquelle ils ont géré les ressources et les libertés accordées, de donner accès aux efforts investis, de se donner les moyens de vérifier les effets obtenus, voir danalyser les difficultés rencontrées.
Ceci amène aux questions suivantes : dans quelle mesure lévaluation de la progression de la mise en uvre peut et doit-elle être imposée, voire au contraire dans quelle mesure peut et doit-elle être concertée et déléguée aux acteurs concernés ? Quelles en sont les conséquences pour le nouveau rôle et les nouveaux profils de compétences des cadres ? Quels nouveaux instruments dévaluation et dauto-évaluation faut-il mettre à disposition des uns et des autres ?
Les travaux les plus prometteurs sont centrés sur lélaboration et ladaptation dun modèle de développement scolaire basé sur la stimulation et le soutien dans une combinaison subtile entre auto- et hétéro-évaluation des établissements.
Malgré la diversité des approches, on observe une attitude partagée - tant des autorités que des enseignants - en matière de contrôle de la qualité et du développement au sein des établissements. Il sagit dinstaurer une gestion participative afin de pouvoir négocier les modalités pour que le projet détablissement ne soit pas perçu comme une obligation - et donc immédiatement vidé de son sens - mais devienne un droit, une source didentité, de plaisir professionnel, de courage pour les acteurs concernés.
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