In : Le point en administration scolaire, volume 2, nº 3 / printemps 2001, pp. 27-31.


 

 

 

L’autonomie des établissements scolaires :
difficile mais indispensable

 

Monica Gather Thurler

2001


Une nouvelle logique organisationnelle

Pouvoir et autonomie : un équilibre fragile

Solidarités et principes de justice

Un marchandage social difficile

Le courage d'afficher et d'assumer la différence

La responsabilité collective

Leadership coopératif

Une nouvelle vision du développement professionnel

Pour conclure…

Bibliographie

 


 

La grande majorité des réformes tendent à renforcer le rôle des établissements, en transférant aux enseignants qui y travaillent une plus grande autonomie professionnelle, tant individuelle que collective. Cette volonté innovatrice n’est certes pas exclusivement motivée par une adhésion soudaine aux causes de la professionnalisation du métier d’enseignants, réclamée, depuis longtemps, par les associations ; ni par des motifs humanitaires et sociaux. Dans la majorité des cas de figure, elle a été déclenchée par une raison plus terre-à-terre et souvent moins avouable : affirmer de manière ostentatoire la ferme détermination du politique à moderniser le système éducatif  (lors de nouvelles législations, ou lors d’accessions de nouvelles personnes à des postes de décision) ; gagner le pari d’une école qui s’améliore en période d’austérité ; recourir à des moyens d’incitation peu coûteux (plus forte autonomie de gestion et début de déréglementation) pour rompre la monotonie, empêcher l’enlisement dans les routines ; mobiliser la base, en l’assurant de la volonté du politique d’aller vers davantage de partage de pouvoir, de négociation et de gestion participative…

La mise en œuvre s’avère cependant difficile. D’abord, parce que la culture sociopolitique de nos systèmes scolaires reste fortement enracinée dans une vision hiérarchique, respectueuse de l’ordre préétabli, du contrôle, du rang et du statut, ainsi que des lieux officiellement établis de prise de décision. Ensuite, parce que les professionnels eux-mêmes &emdash; qui, pourtant, défendent leur liberté d’action, dont ils ne mesurent l’importance qu’au moment où ils la sentent mise en danger &emdash; ne sont guère prêts à assumer les conséquences que les nouvelles conceptions de l’autonomie entraînent en termes de nouvelles prises de responsabilité et d’obligation de rendre compte. Elle désécurise profondément les membres d’un corps professionnel qui, confiné depuis des décennies dans une posture " réactive " d’exécutant, a en grande partie le sentiment que les nouvelles logiques d’action qu’il est censé accueillir à bras ouverts le dépassent.

De fait, un petit nombre seulement des établissements sauront profiter des nouveaux principes de gestion et les utiliser de manière à augmenter la cohérence de leur action pédagogique : ceux qui ont instauré, au bout d’un processus de travail souvent assez long, un ensemble de savoir-faire, fondés sur les principes d’un équilibre efficace entre responsabilité individuelle et collective. Ils sauront rapidement identifier et tourner à leur avantage l’autonomie qu’on leur concède et gérer, sans trop investir d’énergies, ni sans avoir le sentiment de se faire violence tous les jours, les problèmes qu’elles entraînent. Pour que ces savoir-faire puissent se développer également dans les autres établissements scolaires, les habituelles stratégies de mise en œuvre (programmes de recyclage, moyens d’enseignement ou autres recueils d’outils, directives diverses imposées d’en haut) s’avèrent cependant largement inefficaces : ni les représentations, ni les routines de la profession ne transforment pas par décret ! L’expérience montre au contraire qu’une insistance trop forte pour que l’autonomie se " fasse ", court le danger de la vider de son sens.

Une nouvelle logique organisationnelle

Pour l’école, la question clé est la suivante : quelle est la logique organisationnelle la plus adéquate pour offrir aux élèves les meilleures chances d’atteindre les objectifs de formation ? Face à la grande diversité des réalités et des besoins du terrain, l’attitude prédominante consiste à ne plus investir d’énergie pour produire un semblant d’homogénéité mais, au contraire, à accepter d’emblée qu’il puisse exister des modalités organisationnelles très différentes à l’intérieur d’un cadre commun accepté par les partenaires (Perrenoud, 2000).

Il s’agit donc de s’en tenir à un cadre commun permettant de coordonner l’action commune au sein des établissements scolaires et se bornant à définir ses aspects non-négociables : objectifs de fin de cycles que les élèves doivent avoir atteints pour passer au cycle suivant ; modalités d’organisation et durée des cycles ; formes d’évaluation les mieux à même de gérer la progression des élèves ; responsabilité individuelles et collectives assumées par l’équipe enseignante ; principes de base de la gestion des apprentissages ; etc. A l’intérieur de ce plan cadre, les établissements scolaires seront invités à développer et à expliciter leurs propres modèles de fonctionnement, fondés sur les acquis communs et tenant compte des particularités et des priorités de l’établissement et de son environnement. Ils assument la responsabilité de développer les dispositifs d’enseignement-apprentissage les plus appropriés, en fonction des besoins et potentialités locales. L’autonomie professionnelle se définit en termes d’une autogestion limitée par une série de droits et d’obligations librement consenties et formulées dans un contrat (qui entérine le projet d’établissement), qui définit l’équilibre entre le plan cadre général et les initiatives locales.

Or, l’expérience montre que ce droit à l’autogestion, même lorsqu’il est favorablement accueilli par les enseignants, fait émerger tout un ensemble d’équilibres fragiles et de problèmes de l’ordre de la justice sociale que la logique bureaucratique &emdash; qui postulait égalité de fonctionnement et de traitement - avait permis de reléguer au second plan.

Pouvoir et autonomie : un équilibre fragile

Comme toute organisation, l’établissement scolaire est un lieu d’exercice du pouvoir : pouvoir formel des enseignants sur les élèves, des cadres sur les enseignants, pouvoir de fait des parents sur l’école, des élèves sur les enseignants et de ces derniers, notamment lorsqu’ils s’organisent, sur la direction. Il s’agit de lieux de vie et de travail qui sont structurés par les stratégies d’acteurs et leurs jeux de pouvoir (Enriquez, 1997). L’organisation administrative imposée par les règles gestionnaires et les statuts du système éducatif dans sa globalité ne prescrivent qu’une faible partie des rapports de pouvoir et d’autorité qui existent au sein d’un établissement. Ils ne peuvent déterminer dans les détails le fonctionnement interne à l’établissement : la manière dont s’instaure la coopération entre enseignants ; ce qu’ils peuvent ou ne peuvent pas faire de leur propre chef, sans demander d’autorisation, ni rendre de comptes ; ce qui relève ou ne relève pas des compétences de la direction …

En outre les rapports de pouvoir ne sont jamais définitivement stabilisés. N’importe quel événement nouveau peut menacer les équilibres établis : une crise budgétaire, une histoire de mœurs ou de violence exposant à un contrôle externe, l’arrivée d’un nouveau chef d’établissement, le départ d’un enseignant leader, la création d’une association de parents ou d’une équipe pédagogique militante. Tout changement, qu’il soit proposé de l’intérieur ou de l’extérieur, est toujours suspecte de provoquer une transformation des rapports de pouvoir au sein de l’école.

Solidarités et principes de justice

Les rapports sociaux sont des arrangements qui permettent de vivre en paix relative avec les autres, en partie parce qu’on se sent solidaire d’eux et traité avec une certaine équité. Les injonctions venues " d’en haut " ne satisfont pas toujours, mais face à l’autoritarisme des " chefs ", la base se solidarise, tant pour exécuter la tâche, que pour la contourner, ou alors pour organiser la résistance. Dans tous les cas de figure, l’objet " mauvais " est ailleurs : les autorités scolaires et politiques, les concepteurs des plans d’études, les parents, etc. et les incertitudes quant à l’avenir sont largement neutralisées par la solidarité interne qui se constitue face à lui.

Le changement de paradigme consistant à transférer une grande partie de la responsabilité du changement à l’établissement scolaire peut menacer ces arrangements, créer de nouveaux clivages, marginaliser des enseignants jusqu’alors estimés, diviser des groupes de collègues unis auparavant par une certaine complicité. Il peut déstabiliser la répartition relativement satisfaisante des charges et des privilèges, inciter les uns et les autres à mettre en question l’ordre établi, modifier les données du problème et les arrangements qui permettaient jusqu’alors un modus vivendi qui, du coup, doivent être reconstruits de A à Z. L’autonomie des établissements et la pluralité des principes et fonctionnements qui en sont la conséquence contraignent l’ensemble des acteurs à multiplier leurs efforts pour assurer la cohérence, la justice et la justesse, tant pour les élèves, que pour eux-mêmes.

Un marchandage social difficile

Avec les nombreux problèmes qu’elle soulève, l’autonomie des établissements, bien que revendiquée par l’aile militante et à l’avant-garde de la profession, ne fait pas l’unanimité des enseignants. Elles n’a guère plus de chance de rencontrer leur aval que n’importe quelle autre innovation imposée d’en haut. Elle y ajoute même un défi supplémentaire. Les enseignants sont contraints, bien davantage que lors des réformes précédentes, à négocier tout un ensemble d’accords pour définir leurs champs respectifs de compétence.

Or, ces compétences ne sont pas données d’avance dans l’état de culture actuel de nos systèmes scolaires, où le côté artisanal et créatif constitue la part d’autonomie individuelle qui échappe à toute tentative de codification et de négociation sociale, mais qui, en même temps, constitue la manière propre des acteurs de construire des significations et de manifester leur créativité en agissant, réfléchissant et s’adaptant face à un environnement imprévisible et qui ne cesse de leur compliquer la vie. Dans ce contexte, l’établissement peut fonctionner comme un environnement pluraliste et dynamique, à l’intérieur duquel chaque acteur façonne son monde, au gré de ses préférences personnelles. Il peut aussi être un lieu qui permet aux divers acteurs de rechercher constamment une meilleure harmonisation des pratiques, visant constamment à améliorer les modalités organisationnelles et pédagogiques de la formation des élèves dont ils sont responsables. Il peut, enfin, être tellement fragilisé par des luttes internes, par des incursions de parents manipulateurs et dominants, ou par des tentatives innovatrices inabouties qu’il s’est figé dans une forme de lutte stérile de survie, face à laquelle les nouvelles sollicitations permettent de retrouver un nouveau souffle ou assènent le coup fatal.

Le changement qui lui est demandé peut ainsi entraîner l’établissement dans un cercle vertueux ou vicieux  : soit, il l’aidera à se défaire de ses besoins de sécurité d’ontologique et de son immobilisme, à assumer la complexité et le désordre inévitables qu’entraîne la recherche de voies nouvelles ; soit il renforcera sa tendance à camper sur ses routines rassurantes qui lui permettront, certes, d’investir ses énergies dans le perfectionnement technique et dans une gestion impeccable du quotidien, mais qui l’empêcheront, à terme, d’instaurer la flexibilité intellectuelle et affective nécessaire pour que le changement devienne " désirable " (Evans, 1987).

Le courage d’afficher et d’assumer la différence

L’autonomie de l’établissement scolaire contraint les acteurs qui en font partie à faire face à une difficulté supplémentaire : elle étale des différences que l’opinion n’est pas prête à accepter, même à l’intérieur du corps enseignant. Car au sein du système, les différences ne sont pas très bien vécues ; elles sont tolérées, rarement bienvenues. Pour l’administration, elles évoquent disparités et désordres. Pour les enseignants, elles suggèrent l’existence d’une hiérarchie d’excellence dans un monde de prétendus égaux. On sait pertinemment que telle enseignante est plus efficace que d’autres pour l’enseignement de la lecture, que tels collègues sont très forts pour conduire des projets de recherche avec leurs élèves, que tel enseignant entretient des relations très réussies avec les parents, que tel autre a beaucoup de problèmes pour faire régner un minimum de discipline… Mais on préfère taire ces inégalités, pour ne pas donner prise à des comparaisons, voire à des phénomènes de marché. Et pour ne pas laisser entendre que ces différences tiennent, notamment, à l’investissement des personnes dans le métier, la formation continue, l’exploration concertée et systématique de nouvelles voies pédagogiques. Aucune profession n’aime les " gâche-métier ", ceux qui font mieux que les autres parce qu’ils ne comptent ni leur temps, ni leurs efforts et, surtout, parce qu’ils osent et réussissent là où d’autres préfèrent jouer la carte de la sécurité.

Ces difficultés s’accroissent lorsque les différences s’établissent entre écoles, entre équipes d’enseignants. Il est relativement aisé d’admettre les inégalités qui paraissent liées à la situation géographique, à l’architecture, au contexte socio-économique. Par contre, on hésite à reconnaître que, de deux écoles accueillant des élèves semblables, l’une est globalement plus efficace, que ses élèves apprennent au moins autant, voire plus que dans l’autre. Le reconnaître conduirait à penser que les enseignants de l’une sont globalement plus compétents, engagés, efficaces que ceux de l’autre… Dans la mesure où ils autorisent et encouragent les écoles à trouver leur voie, les systèmes scolaires innovateurs incitent à la comparaison et obligent plus que jamais à rendre des comptes, alors même que chacun tâtonne. Il importe de trouver un moyen terme entre deux attitudes peu propices : la première consiste à jouer les écoles les unes contre les autres, la seconde à nier que toute différence puisse être l’expression d’autre chose que de circonstances extérieures.

La responsabilité collective

Le débat est actuellement vif pour trancher s’il convient &emdash; ou non - d’imposer obligation de résultats aux établissements scolaires (Afides, 2001). Les " convaincus " de cette démarche plaident qu’il est possible d’identifier l’efficacité des établissements scolaires à partir d’une série de mesures standardisées, qui sont construites à partir d’indicateurs nationaux et internationaux et qui permettent de mesurer l’efficacité de l’action pédagogiques. Ils considèrent comme " irresponsables " tous ceux qui refusent de reconnaître l’utilité de ces outillages et les accusent en quelque sorte de vouloir avoir le beurre et l’argent du beurre dès leurs qu’ils refusant d’accorder cette contrepartie d’une plus grande autonomie…

Ceux qui s’opposent à l’obligation de résultats argumentent que ce type d’approche s’inscrit dans un modèle complètement dépassé du management, selon lequel les résultats des élèves seraient l’aboutissement d’une chaîne de production à l’intérieur de laquelle il suffirait de traquer les dysfonctionnements ponctuels pour identifier les régulations nécessaires. Dans ce contexte, ils réfutent l’idée qu’il existe des moyens pour mesurer de manière fiable les relations entre la qualité de l’action pédagogique des enseignants et les apprentissages des élèves.

Il existe heureusement actuellement quelques amorces pour dépasser cette controverse stérile. L’une des solutions consistera probablement à combiner modalités d’évaluation externes et internes et de faire négocier les partenaires sociaux, à partir des résultats obtenus, les régulations qui doivent être entreprises, tant au niveau du système dans sa globalité, que dans les établissements scolaires individuels concernés. Une autre approche consiste à affiner les outils d’évaluation eux-mêmes : au lieu de les centrer exclusivement sur les résultats quantitatifs qu’obtiennent les élèves dans le cadre d’épreuves standardisées, ils devraient être davantage centrés sur des aspects qualitatifs, permettant de mieux décrire la manière dont les établissements scolaires organisent le travail des enseignants et des élèves. Il serait en outre utile d’impliquer les enseignants et élèves dans élaboration de ces outils et dans l’analyse des données (Dutercq, 2000 ; Demailly, 2000).

Leadership coopératif

En m’appuyant sur de nombreuses recherches nord-américaines et européennes (Derouet, 2000 ; Friedman et al., Riley et Louis, 2000 ; Senge, 2000), j’a plaidé ailleurs (Gather Thurler, 2000) en faveur d’une vision du leadership qui est assumé de manière collective et coopérative à tous les niveaux du système et, plus spécifiquement, au sein des établissements scolaires. Ce type de leadership dépend, à mon avis, de la capacité des acteurs à conjuguer responsabilité collective et coopération systématique lors de la gestion des dispositifs pédagogiques, cohérence et authenticité entre structures, règlements et pratiques pédagogiques dans un effort concerté et systématique pour améliorer la gestion de la progression des élèves. C’est à ce prix qu’ils pourront, à terme, élaborer une nouvelle organisation et division du travail, qui leur permettra de rendre plus efficace leur action pédagogique et, en définitive, d’influencer la progression de leurs élèves.

Le leadership collectif signifie qu’à tour de rôle, les uns et les autres assument des responsabilités dans tel ou tel domaine, et mènent la tâche jusqu’au bout, en acceptant et en intégrant les suggestions de leurs pairs. Il signifie que les leaders officiels - tout en se tenant informés des activités des uns et des autres - fassent confiance à tous ceux qui assument, à tour de rôle, leur part de leadership. Il signifie, enfin, que l’ensemble des enseignants reconnaissent et participent au processus de dévolution du pouvoir, qui consiste à mettre en place une dynamique au sein de laquelle, à tour de rôle, chaque membre de l’équipe dirige ou suit les propositions de son collègue. Dans cette perspective, les anglo-saxons associent empowerment, leadership, et " followership " ; il s’agit de la capacité des acteurs de s’engager dans une appropriation active du changement, au cours de laquelle ils consentent à tout de rôle de prendre des décisions et de se soumettre aux décisions autrui, sans tomber dans l’autoritarisme, ni dans la dépendance non critique.

Avec un certain recul, on s’aperçoit que le leadership coopératif n’abolit pas la fonction de chef d’établissement, mais la redéfinit dans une perspective plus globale de répartition des tâches et de mise en synergie des ressources humaines. Le rôle du chef d’établissement consiste alors notamment à favoriser le leadership coopératif, à devenir celui ou celle qui aide à identifier et à développer les compétences respectives, facilite la conception et la mise en œuvre de nouvelles modalités organisationnelles, est à l’écoute de nouvelles idées, les critique de manière constructive et s’assure que chaque membre de l’équipe accède à une forme ou l’autre de leadership. On pourrait donc conclure qu’il orchestre l’action collective pour qu’elle puisse tendre vers la transformation aussi efficace que possible des pratiques.

Une nouvelle vision du développement professionnel

Il s’est avéré que les principes classiques de la formation continue (catalogues de cours dans lesquels les enseignants s’inscrivent à leur guise ; formations ponctuelles sans lien avec le projet interne de l’établissement ; conception des cours sous forme de " patchwork " sans un référentiel de compétences clairement défini ; une formation continue qui ne connaît aucune valorisation par des tiers) n’ont qu’un impacte limité et, de manière générale, ne contribuent guère à mettre en synergie et à élargir les compétences individuelles et collectives déjà existantes.

 

Le développement professionnel 
au sein d’un établissement en constante transformation

 

 

Dans une perspective systémique, le développement professionnel s’inscrit donc dans un ensemble de démarches et de postures (voir figure ci-dessus, que nous avons adaptée à partir d’éléments proposés par Fischer et Schratz, 1999), sans lesquelles l’autonomie des établissements scolaires ne reste qu’une prétention vide de sens : leadership coopératif et transformationnel, recherche d’une organisation du travail toujours plus efficace, responsabilité collective face aux résultats réalisés par l’action collective, élargissement constant du champ de conscience, fondé sur une analyse constante des pratiques, volonté de " faire la différence "…

Dans la mesure où l’efficacité de l’action pédagogique dépendra toujours davantage de la capacité des enseignants à développer des réponses différenciées face à l’hétérogénéité des élèves et à la complexité de leur contexte de travail, il va de soi que le know-how nécessaire pour transformer les pratiques pédagogiques ne peut être livré sous forme de modules de formation prêts à l’emploi.

L’autonomie de l’établissement scolaire suppose que ses acteurs ne se sentent non seulement collectivement responsables des résultats de leurs élèves, mais également de leur propre développement professionnel. Ce dernier est désormais étroitement articulé avec la conception et mise en œuvre du projet d’établissement. En explicitant et en confrontant leurs points de vue, en explorant collectivement de nouvelles voies pédagogiques, en évaluant de manière continue la progression de leurs élèves et en vérifiant la pertinence et la cohérence des approches choisies, les divers acteurs sont ainsi constamment amenés à mobiliser et à développer " en action " les savoirs d’action et d’innovation indispensables pour affronter les problèmes et les défis qui les attendent.

Pour conclure…

Des postures professionnelles telles que " l’autonomie " et la " responsabilité collective " ne s’imposent pas par décret. Elles font partie d’un paradigme nouveau qui invite à envisager de nouvelles manières de considérer la construction et l’échange de savoirs, le leadership et notamment, l’implication de l’ensemble des acteurs dans une mouvance qui, tôt ou tard, transformera leur vie professionnelle. Elles n’émergent qu’à partir d’un pilotage du système qui est disposé à déléguer un réel pouvoir aux établissements, tout en mettant en place les conditions cadre indispensables pour que les enseignants puissent y construire les attitudes, compétences et connaissances dont ils ont besoin pour transformer leurs pratiques.

Au cas contraire, les systèmes scolaires risquent de " vampiriser " leurs factions les plus militantes, qui dépensent une partie de leurs énergies à négocier des espaces d’autonomie et des ressources qui devraient aller de soi dès lors qu’ils s’engagent à agir en professionnels : possibilité d’organiser le travail et de choisir les approches et outils pédagogiques (y compris l’évaluation des élèves !) qui leur semblent les plus adéquates ; négociation des ressources humaines et matérielles et des délais nécessaires pour assurer la mise en œuvre du projet d’établissement ; mise en place des dispositifs d’accompagnement nécessaires, etc.

Il va de soi que les transformations futures rendront encore plus difficile un pilotage équitable et efficace : il s’agira de mobiliser la base sans exercer une pression qui interférerait avec l’autonomie locale, de faire preuve de flexibilité tout en pistant les contradictions ; de prendre en compte les rythmes différents sans accepter l’engourdissement dans les routines … Face à ces dilemmes organisationnels, les systèmes scolaires seront probablement contraints à rapidement négocier les règles déontologiques qui détermineront les conditions d’une autonomie de l’établissement : de belles controverses en perspective !

 

Bibliographie

AFIDES (2001) Site Internet : Textes des conférences tenues lors des Entretiens Cartier de Montréal en octobre 2000.

Bonnet, J. (1994) L’enseignant au cœur du projet d’établissement, Paris : Les Editions d’Organisation.

Demailly, L. (Ed.) Evaluer les politiques éducatives, Bruxelles : De Boeck, pp. 112 122.

Derouet, J.-L. (Ed.) (2000) L’école dans plusieurs mondes, Bruxelles : De Boeck.

Dutercq, Y. (2000) Politiques éducatives de l’évaluation, Paris, PUF.

Enriquez, E. (1997) Jeux du pouvoir et du désir dans l’entreprise, Paris : Descléé de Brouwer.

Evans, R. (1987) The Human Side of School Change - Reform, Resistance and the Real-Life Problems of Innovation, San Francisco : Jossey-Bass.

Fischer, W.A et Schratz, M. (1999) Schule leiten und gestalten &emdash; Mit einer neuen Führungskultur in die Zukunft, Innsbruck : Studienverlag.

Friedman, B. et al.( 2000) The Power of Collaboration Leadership, Boston : Butter Worth Heinemann.

Gather Thurler, M. (2000) Innover au cœur de l'établissement scolaire, Paris : ESF éditeur.

Perrenoud, Ph. (1998) Le pilotage négocié du changement dans les systèmes éducatifs, in J. Lurin et C. Nydegger (dir.) Expertise et décision dans les politiques de l’enseignement, Genève : Service de la recherche en éducation. Cahier Nº 3.

Perrenoud, Ph. (2000) L’établissement scolaire entre mandat et projet : vers une autonomie relative, in G. Pelletier (dir.) Autonomie et évaluation des établissements : l’art du pilotage au temps du changement, Montréal, Ed. de l’ Afides.

Riley, K.A. et Louis, K.S. (2000) Leadership for Change and School Reform, London : Routledge Farmer.

Senge, P.M. et al. (2000) Schools That Learn, New York : Double Day.