In Bois, M. (dir.) Les systèmes scolaires et leurs régulations, Lyon, CRDP, pp. 31-49.
Lautoévaluation
de létablissement scolaire
comme moteur du changement
Monica Gather Thurler
2002
I. L'autoévaluation : une alternative émergente
L'autoévaluation : une démarche rarement systématique
II. L'autoévaluation comme dispositif d'innovation planifiée
Trois axes pour explorerLe bilan annuel : un outil d'autorégulation
Un nouveau principe de pilotage
Les systèmes scolaires européens accordent une importance croissante à létablissement en tant que cadre privilégié de la transformation des pratiques. Cette rupture - partielle - avec la centralisation et le mouvement vers un statut et une gestion plus autonomes des établissements scolaires rencontrent toutefois certaines difficultés conceptuelles et structurelles, en particulier dans les pays francophones.
À la différence de la grande majorité des pays anglophones et germanophones qui, dès les années 1970, ont associé la démarche de formation et dautoformation en établissement à un mouvement plus large dautonomisation, il a en effet fallu attendre jusquà la moitié des années 1980 pour que les pays francophones commencent à concevoir létablissement scolaire comme un lieu privilégié, non seulement daccueil des prescriptions venant " den haut ", mais également de développement spontané de la qualité de lécole. La difficulté semble subsister de choisir entre la logique du centralisme et une délégation réelle délégation de pouvoir.
Lobstacle premier était juridique : il a fallu inventer létablissement comme " personne morale ", comme " établissement public denseignement ", en lui reconnaissant une certaine autonomie non seulement dans la gestion des ressources humaines, mais aussi dans lorganisation du travail et la détermination du curriculum. En contrepartie, on a défini un pouvoir organisateur donnant garantissant aux usagers et aux collectivités locale une présence statutaire dans la gestion de lécole.
Cette évolution juridique est inégalement avancée et prend des visages différents dun pays à lautre, en fonction des traditions administratives, de lexistence et du poids des commissions scolaires, etc. Mais le droit ne suffit pas. Demeurant un rouage du système éducatif et du service public, létablissement doit concilier, dune part, autonomie et inscription dans une politique nationale ou régionale de léducation, dautre part autonomie et innovation.
À lintérieur de cadre juridique redéfini, lenjeu majeur reste lévolution sociologique des établissements et de leur rapport à lautorité scolaire à laquelle ils rendent compte. Jai tenté ailleurs (Gather Thurler, 2000 b) de montrer quun établissement plus autonome nétait que potentiellement une entité favorable au changement, que tout dépendait de son évolution selon les dimensions suivantes : mode dorganisation du travail, plus ou moins bureaucratique ; degré de coopération professionnelle ; identité collective et étendue de la culture commune ; modalités dexercice du pouvoir et du leadership ; capacité de se mobiliser au tour dun projet.
Dans cette perspective, idéalement, un établissement serait un ensemble organisé de professionnels qui assument, collectivement, une triple responsabilité :
Le pari est ambitieux. Il ne peut être gagné que si les professionnels restent ou deviennent les principaux acteurs et responsables des changements à entreprendre au sein de leur établissement scolaire. Il faut pour cela :
1. que le système éducatif se borne à définir les finalités communes et un " plan-cadre ", en laissant une large marge de manuvre aux établissement, en matière de fonctionnement, de ressources humaines mais aussi dorientations curriculaires ;
2. que les acteurs de chaque établissement sapproprient le plan-cadre défini par les autorités, en négociant éventuellement des ressources, voire des marges supplémentaires de liberté, en fonction de leurs besoins et de létat de leurs pratiques.
3. quils décident dans ce cadre de leurs priorités daction dans le cadre dun projet détablissement explicite et constamment remis à jour.
Cela peut paraître assez utopique, en létat des cultures professionnelles et administratives encore dominantes. Si les systèmes éducatifs les plus avant-gardistes vont dans ce sens, cest parce quils ont tiré la leçon de léchec des réformes successives imposées den haut (top-down) aussi bien que rompu avec la foi naïve en un changement bottom-up spontané. Ils ont appris que les enseignants ont appris, au fil dune expérience séculaire, à absorber et à rendre inoffensives les idées nouvelles que leur proposent ou leur imposent les autorités et la noosphère : formateurs, chercheurs, experts. Ils ont compris que lefficacité du système ne dépend pas seulement des qualités intrinsèques des objectifs, programmes, procédures et moyens prescrits, mais de la faculté des acteurs du terrain à leur donner du sens et à y adhérer (Alter, 2000 ; Gather Thurler, 2000 a, b). Ils ont, enfin, admis que ladhésion se monnaie contre du pouvoir et quon ne peut à la fois tout contrôler et espérer mobiliser les forces vives qui se trouvent dans les établissements.
De nombreux systèmes éducatifs nont pas fait ce chemin et continuent à préférer le contrôle bureaucratique à la qualité. Ceux qui sont à la recherche dune alternative se heurtent à des obstacles multiples, parmi lesquels la dialectique de lautonomie et de lévaluation de lusage qui en est fait au nom du bien public.
Pour que la diversité ne tourne pas à lanarchie, pour que le système éducatif reste gérable et crédible, pour préserver la transparence et léquité, le système cherche à mettre en place des garde-fous, des mécanismes aptes à garantir la cohérence de laction pédagogique, tant à lintérieur des établissements quà large échelle. Dans un régime où lautonomie nest quun mode de gestion du système éducatif, elle a une contrepartie : lobligation de rendre compte de ce quon fait de sa marge daction, donc de se prêter à une forme ou une autre dévaluation.
Il reste à mesurer et prévenir le danger dun glissement vers une évaluation exclusivement externe et trop fortement basée sur les aspects statiques et, par conséquent, sur la " mesure " de performances, des prises dinformation sapparentant au " contrôle " et des comparaisons entre les prestations offertes par divers établissements.
Autrement dit : lévaluation des établissements, nécessaire, peut, selon lallure quon lui donne, pervertir leur autonomie, ne plus être dabord au service du changement des pratiques et de lélargissement des compétences professionnelles, mais favoriser des régulations plus proches des logiques de marché ou des stratagèmes classiques consistant à faire illusion en manipulant les indicateurs. Cest ainsi quun mode dévaluation institutionnelle qui encouragerait les établissements, en toute autonomie, à exporter ou à nier les problèmes, ne constituerait en aucun cas un facteur favorable à la qualité du système éducatif.
La conception de lévaluation institutionnelle peut, si lon ny prend garde, faire revenir insidieusement à la culture du contrôle ou, au contraire, aggraver les inégalités et développer une forme de privatisation des établissements. Il importe donc de concevoir lévaluation institutionnelle dans une perspective systémique et en cohérence avec les intentions qui conduisent à affirmer lautonomie et la responsabilité des établissements.
cette perspective différente que nous nous proposons dexaminer la question de savoir dans quelle mesure l'établissement scolaire ne pourrait pas devenir une entité capable de :
Le concept que nous privilégions se fonde sur une conception essentiellement dynamique de lévaluation, qui combine lautoévaluation conduite par létablissement scolaire et lévaluation externe conduite au niveau du système, de manière à amener les partenaires concernés à confronter leurs représentations et à définir ensemble les étapes les plus propices à lorchestration du changement des pratiques pédagogiques.
Dans une première partie, nous décrirons les origines historiques de lautoévaluation et montrerons quil sagit, encore, à lheure actuelle, dune alternative émergente, qui dépend très fortement de manière dont létablissement est perçu &emdash; ou non &emdash; comme un lieu où se construit et met en uvre le changement.
Dans la deuxième partie, nous montrerons, à présenterons un exemple concret, en lespèce la démarche dautoévaluation mise en place dans les écoles chargées délaborer la réforme de lenseignement primaire du canton de Genève. Cet exemple montrera que, sous certaines conditions, la démarche que nous proposons est réalisable, mais dépend, pour sinscrire durablement dans les pratiques professionnelles, dune conception de létablissement scolaire comme maillon dune organisation apprenante.
La conclusion reviendra sur les ambivalences des acteurs, en particulier ceux qui détiennent lautorité.
On peut relier lémergence de lautoévaluation à trois influences dorigine différentes, dont chacune est toutefois liée à la volonté de changer les pratiques au sein des systèmes éducatifs.
1. Les adeptes du développement organisationnel (dont Schmuck et Runkel, 1977, Argyris et Schön, 1978 ; Hopkins, 1985 ; Huberman et Miles, 1984) ont été les premiers à prôner lautoévaluation comme stratégie du changement : à partir de la méthode du feedback des données propre à la recherche-action, ils ont défini cinq étapes : 1) le diagnostic dun problème ; 2) la récolte des données liées au problème ; 3) la mise en uvre d'actions coordonnées pour le résoudre ; 4) un suivi externe (supervision) ; 5. lévaluation de lefficacité des actions mises en uvre. Ces étapes ne devaient non seulement rendre les acteurs de létablissement capables de résoudre leurs problèmes, mais aussi favoriser la prise de conscience de la nécessité dun changement des pratiques.
2. Dans le contexte des théories du management scolaire qui prévalaient à la fin des années 1980, les pouvoirs politiques anglo-saxons ont institué lobligation de rendre compte (accountability) aux établissements. Lautoévaluation (collective) est alors devenue une alternative - adoptée par les établissements davant-garde et par certains spécialistes du développement scolaire &emdash; à des méthodes dinspection jugées peu efficaces, inutilement tatillonnes, dévalorisantes et déresponsabilisantes.
3. Enfin, les " nouvelles " théories du management scolaire (décentralisation, autonomie des établissements scolaires, asssurance-qualité et certifications du type ISO) ont incité les milieux professionnels de lenseignement à se mobiliser contre une certaine tendance des autorités scolaires à radicaliser les mesures de surveillance et, de fait, à maintenir les enseignants dans leur statut dexécutants, contrôlés par des tiers.
Il conviendrait, pour nuancer ces phases, de les décliner pays par pays. Cest ainsi que lintroduction éventuelle du " salaire au mérite " et lévolution du rôle et de la fonction de linspection scolaire ont notamment incité les représentants de la recherche et des associations enseignants dans les cantons suisses alémaniques, en Autriche et dans certains Länder allemands à plaider en faveur de lautoévaluation.
De leur point de vue, il appartient à chaque établissement scolaire dassumer la responsabilité de définir clairement, à partir du plan-cadre et des programmes scolaires, ses exigences de qualité et dintroduire les régulations nécessaires. La responsabilité des instances externes se limiterait alors à vérifier si la procédure dautoévaluation a eu lieu, si elle a développé et utilisé les méthodes et instruments adéquats et si elle correspond à une liste de standards minimaux de qualité négociée entre le pouvoir politique et les associations professionnelles (Strittmatter, 2000). Lobjectif consiste ici à situer lautoévaluation dans une perspective de professionnalisation du métier denseignant, mais également à résoudre la crise identitaire &emdash; sans précédent &emdash; des cadres scolaires, en redéfinissant leur rôle dans le domaine de lévaluation des enseignants.
Lautoévaluation : une démarche rarement systématique
La grande majorité des acteurs scolaires résistent à lidée dune démarche institutionnelle qui accorderait une plus grande importance à lautoévaluation. Malgré ces réticences, de nombreux établissements scolaires pratiquent une forme dautoévaluation, de manière spontanée, souvent en lien avec des démarches spécifiques : besoin de vérifier limpact de lintroduction de nouvelles pratiques, de trouver la réponse à certains problèmes (comme par exemple linsatisfaction manifestée par certains parents, vérifier les causes des performances particulièrement mauvaises réalisées par les élèves de certaines classes), justifier la demande de ressources supplémentaires suite à larrivée massive délèves difficiles Les démarches entreprises sont pour la plupart peu systématiques, fondées sur des outils et des méthodes bricolés et nimpliquent certes pas toujours la totalité du corps enseignant dans une réflexion commune.
De même, de nombreux enseignants ont pris lhabitude, collectivement ou individuellement, de susciter des feedback de la part de leurs élèves ou des parents de leurs élèves ; certains participent à des groupes formels et/ou informels de supervision et d'analyse des pratiques ; dautres construisent des projets collectifs à partir dune analyse approfondie et évaluent régulièrement et soigneusement leur mise en uvre ; dautres encore participent à des recherches-actions, en collaboration avec des chercheurs universitaires et sont, de fait, régulièrement invités à décrire et à évaluer lévolution et limpact de leurs pratiques ; enfin, de nombreuses équipes pédagogiques font un bilan de fin dannée pour évaluer lefficacité des actions entreprises et pour déterminer, sur cette base, les priorités et contenus des actions de lannée suivante, y compris leur démarche de formation.
Un nombre plus limité détablissements organisent régulièrement et systématiquement des récoltes de données, de manière à pouvoir objectiver et légitimer leurs hypothèses et leurs prises de décision. Et, enfin, une minorité seulement des établissements entreprennent une véritable valorisation des démarches entreprises : ils informant régulièrement les parents, leurs élèves, la hiérarchie et lassociation professionnelle de lévolution de leurs pratiques et négocient une partie de leurs décisions avec ces partenaires.
Ce type d'autoévaluation systématique, aboutissant à des confrontations élargies avec les partenaires concernés, reste cependant, à lheure actuelle, le privilège d'une avant-garde innovatrice, denseignants qui travaillent dans des établissements pilotes ou ont accumulé, au fil des années, une expérience professionnelle hors pair. Généralement, ils sont rapidement repérés, tant par leurs collègues que par les autorités scolaires. Soit ils deviennent des " stars ", qui sont volontiers sollicitées par dautres établissements pour coopérer dans le cadre de projets collectifs, soit les autorités les détachent pour intervenir auprès d'établissements difficiles. Il se peut ainsi que ces personnes, se sentant investies dune mission, mais étant peu familières de la formation d'adultes, imposent leur vision à leurs collègues, sans doute avec beaucoup d'enthousiasme, mais avec une compréhension limitée des résistances et des peurs que les changements demandés peuvent déclencher.
A linverse, il peut aussi arriver que les autorités scolaires refusent &emdash; pour des raisons plus ou moins avouables &emdash; de sengager dans cette voie, qui les conduirait à transformer, à terme, les rapports de pouvoir et dautorité avec les acteurs du terrain. Avec le risque que les établissements innovateurs soient maintenus dans un certain isolement, condamnés soit à la recherche dune impossible &emdash; et insoutenable - perfection, soit à l'enlisement dans les routines.
Sans nécessairement être au courant de ces amorces qui, pourtant, répondent dans une large mesure à leurs préoccupations, les parents et associations professionnelles, dans de nombreux systèmes scolaires, exigent actuellement que les établissements scolaires rendent compte de leurs acquis, difficultés et priorités de développement. Bref, on demande aujourdhui aux établissements scolaires non seulement dentreprendre leur " examen de conscience " mais également de le faire sur la place publique, de manière crédible, transparente et, ceci, si possible, avec un zeste délégance. Cette élégance qui permet aux professionnels de présenter - avec la confiance en soi nécessaire, mais sans paraître pour autant présomptueux - aux parties intéressées comment ils sy prennent pour détecter et résoudre les problèmes au fur et à mesure quils apparaissent.
Selon la perspective adoptée - développement organisationnel, obligation de rendre compte ou management scolaire - lautoévaluation peut prendre des significations et des aspects très divers. Le tableau suivant a été construit à partir dun certain nombre dexemples trouvés dans la littérature spécialisée ou développés au cours de nos propres travaux. Il distingue les différentes dimensions sur lesquelles peut porter lautoévaluation qui est entreprise au sein de létablissement scolaire. Dans la réalité, elles ne se rencontrent jamais à eux seuls, mais souvent se combinent entre elles. Les choix effectués et les combinaisons entre les différents modes de centration existants émanent, bien entendu, des choix que les acteurs collectifs opèrent à partir de leur expérience et de leur appréciation des enjeux politiques et sociaux.
Chacune de ces dimensions de lautoévaluation comporte, à elle seule, autant davantages que désavantages. La combinaison entre lune et lautre permettra déliminer certaines lacunes, en vue daboutir à une démarche cohérente, qui prend en compte tant les particularités locales que les priorités définies par le système. Dans cet objectif, une autoévaluation centrée sur un programme institutionnel de développement (dernière ligne du tableau) semble simposer comme la solution la plus adéquate. Elle se fonde sur le principe dune " évaluation négociée ", au sein de laquelle les outils et les démarches sont construits avec les principaux intéressés. Il sagit notamment de combiner les exigences du système (létablissement rend compte aux autorités de son développement afin que ceux-ci puissent décider des mesures nécessaires sur le plan global et exiger des ajustements sur le plan local) avec les exigences locales (se rendre compte, en tant quétablissement, de ses propres avancées, afin de pouvoir décider des mesures nécessaires au niveau local).
La principale difficulté consistera sans doute à convaincre les acteurs concernés de simpliquer dans une évaluation systématique de leur fonctionnement pédagogique et gestionnaire, en se référant à un outil qui ne se limite pas à leur contexte spécifique &emdash; létablissement -, mais permet au contraire de situer ses acquis et ses difficultés par rapport aux exigences de qualité du système dans sa globalité. Limportance de lautoévaluation nest aucunement remise en question, elle est inclue dans une évaluation institutionnelle, qui confronte lensemble des données recueillies de manière à pouvoir piloter le système.
Évaluer pour réguler : une culture difficile à instituer
La grande majorité des acteurs au sein des établissements scolaires, lorsquils sont confrontés à lobligation dévaluer leurs pratiques, ne se demandent pas en priorité ce quils peuvent apprendre, mais posent &emdash; tout à fait légitimement - la question de savoir à qui sadresse lévaluation, qui y aura accès et quelles pourraient en être les conséquences. Avec lidée implicite que lévaluation &emdash; sommative &emdash; et/ou certificative - sadresse forcément à autrui, aux supérieurs, voire à des agents externes qui, eux, réagiront, jugeront, récompenseront, décideront déventuelles sanctions, interrogeront, réguleront à leur place
Bien que lévolution des pratiques scolaires ait conduit à mettre laccent sur le processus dapprentissage et, de fait, souligné le rôle actif de lapprenant, ce changement du paradigme na pas encore pénétré dans le domaine de lévaluation des enseignants, ni des établissements scolaires. Bien au contraire : lorientation vers la décentralisation des systèmes scolaire et, de fait, vers une gestion plus autonome des établissements, contraint plus que jamais les autorités politiques à répondre de légalité des chances et, par conséquent, de légalité du traitement des élèves.
Mode de centration |
Objectifs et Démarche |
Lieux dutilisation |
Avantages / Limites |
Centration sur |
Vérification de ladéquation des pratiques par rapport aux finalités fixées par le pouvoir organisateur. |
Différents pays scandinaves (par ex. le projet norvégien "Anna") : autoévaluation basée sur le curriculum officiel. Létablissement dexplique les raisons pour des plages du curriculum non couvertes et met en évidence des forces, voire des faiblesses des processus dapprentissage et denseignement en cours. |
Les établissements scolaires doivent accepter le programme officiel comme unique critère de référence. Ce type dautoévaluation permet didentifier des lacunes, sans pour autant obliger à mettre en évidence leurs causes, condition nécessaire pour pouvoir déterminer les solutions nécessaires. |
Centration sur les priorités propres à létablissement et explicités dans son projet
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Contrôle de la mise en uvre du changement prévu, par exemple en ce qui concerne la modification des structures de gestion internes. Introduction dune planification à long terme en combinaison avec un plan daction annuel, ainsi quune évaluation du processus et des effets des activités mises en uvre. |
" Program of school development (PDS) " en Angleterre (Wallace et McMahon, 1994 (Note 1), Australie du Sud (1989) (Note 2): définition des principes directeurs pour l'évaluation et la modernisation des établissements. |
Lassociation étroite entre priorités propres et vérification de leur mise en uvre permet de favoriser la régulation continue. La centration exclusive sur létablissement scolaire noffre toutefois pas de prise à une démarche comparative, à même de dégager des indices pour le pilotage du système. |
Centration sur |
Les autorités scolaires se fondent sur les résultats de la recherche pour développer des programmes daction permettant de gérer le changement. Lautoévaluation est conduite sur la base de " check-lists " et outils dévaluation développés par les chercheurs. |
Différents systèmes scolaires ont tenté dorienter le processus du changement selon un référentiel du fonctionnement " optimal ", correspondant aux critères dexcellence définies à partir des recherche sur les " écoles efficaces ". Expériences menées en Oregon (Note 3) et au Kentucky (Note 4) |
La confrontation entre les critères théoriques et les critères locaux fondés sur les " théories pratiques " des acteurs de létablissement ne va pas de soi et peut être source de conflits forts, au lieu de faciliter la construction dun consensus et de permettre de dégager les priorités du changement. |
Type dautoévaluation |
Objectifs et Démarche |
Lieux dutilisation |
Avantages / Limites |
Centration sur |
Les établissements se réfèrent à des référentiels de compétences et définissent, à partir deux, les priorités des changements futurs. |
Floride (Anderson & Snyder) (Note 5); approche SAS (" systematische Analyse für Schulentwicklung "} de lUniversité dUtrecht / Pays Bas. |
Avantage : lévaluation est centrée sur la capacité de létablissement dentrer dans un processus de développement et de le mener à terme. Il nest pas connu dans quelle mesure cette exclusive centration sur les compétences professionnelles permet aux acteurs concernés de se sentir comme " partie du système ". |
Centration sur une problématique spécifique. |
Choix dun domaine disciplinaire ou transdisciplinaire, voire de quelques thématiques centrales, ou encore vérification de limpact dun projet de développement. Ce type dévaluation peut, exceptionnellement, concerner uniquement une partie des enseignants. |
De nombreux systèmes scolaires européens et nord-américains. |
Démarche qui obtient facilement ladhésion des divers acteurs, étant vécue comme peu " menaçante ". Elle est utile pour juger de lefficacité dune action spécifique. Problèmes : pas dapproche globale du développement de létablissement, ni de ses priorités ; peu dinfluence sur la mise en uvre du projet dans sa globalité. |
Centration sur |
Centration sur le besoin de changement de létablissement en question, qui est considéré comme la cible dun processus de développement entraînant tous les acteurs dans un processus de remise en question et dacquisition de nouvelles compétences. |
Allemagne : " institutionelles Schulentwick-lungsprogamm " (ISP (Note 6) ; Norvège : IMTEC (Note 7) ; INIS (Note 8) ; Rénovation de lenseignement primaire / Genève(Note 9). |
Forte centration sur lidée de l" organisation apprenante ", dont létablissement représente une partie. Vision systémique des différentes dimensions concernées (climat, leadership, coopération, etc). Tant les standards de qualité, que les méthodes et outils dévaluation sont constamment (re)négociés et (re)construits, afin de les adapter aux contextes changeants. |
En effet, la reconnaissance dune autonomie (généralement très) partielle en matière de gestion des apprentissages et des parcours des élèves attire lattention du public sur lune des facettes de la réalité scolaire que la croyance dans les vertus de la gestion bureaucratique et centralisatrice avait jusqualors sinon dissimulée, du moins empêchée dentrer dans le champ de la conscience collective : les inégalités entre les établissements qui ont toujours existé, mais qui ont tendance à saccroître. Avec Derouet (1992) nous pensons que les différences entre les établissements ne sont pas uniquement une conséquence de la décentralisation. Elles résulteraient, au contraire, de la manière dont les établissements ont construit, au fil des années, une culture locale fondée sur des ajustements multiples (plus ou moins explicites et négociés), visant à rendre compatibles et à justifier des logiques contradictoires : assurer légalité de traitement, transmettre des valeurs sociales, maintenir la qualité de lenseignement, certifier et sélectionner selon des barèmes exigeants, garantir lépanouissement de lindividu dans sa globalité
Face à ces logiques contradictoires, les établissements se trouvent, dans leur grande majorité, dépourvus dapproches pédagogiques, didactiques et structurelles cohérentes, leur permettant datteindre les objectifs fixés. Sils sen tiennent aux niveaux dexigence fixés par les programmes et adoptent des dispositifs dapprentissage (enseignement centré exclusivement sur la transmission au sein des disciplines, évaluation sommative et sélective, prise en compte des exigences dictées par les plans détudes), que lon sait peu féconds sur le plan pédagogique, ils marginalisent demblée une partie de leurs élèves. Si, au contraire, ils prennent en compte chacune des difficultés des élèves les plus faibles ou ayant besoin de détours pour construire le sens de lécole, ils risquent non seulement de sépuiser à la tâche, mais également de compromettre laccès aux voies dexcellence pour une partie de leurs élèves.
La solution " de facilité ", qui consiste à sinscrire exclusivement dans lune ou lautre de ces logiques, nest adoptée que par une minorité détablissements scolaires. Dans la plupart des cas, les établissements &emdash; et en leur sein, les enseignants, individuellement &emdash; adoptent une voie médiane, prennent leurs libertés avec les programmes et les règlements, sans pour autant renoncer à toute exigence de qualité. Face à la complexité des problèmes et constamment contraints de trouver des solutions dans lurgence, ils font coexister des méthodes pédagogiques et des principes dorganisation du travail souvent contradictoires, sans véritablement questionner leurs sources théoriques et systèmes de valeurs, voire en refusant carrément toute obligation de justification qui contraindrait de donner à laction choisie un sens - philosophique et sociopolitique &emdash; plus large (Derouet, 2000).
Sans doute, létablissement scolaire ne peut devenir un lieu où le changement se construit collectivement et progressivement quà la condition que les acteurs qui en font partie disposent de suffisamment de marge de manuvre pour concevoir leur projet et pour introduire les régulations qui leur semblent être les mieux adaptées pour résoudre les problèmes rencontrés. Cette marge de manuvre, qui transforme la responsabilité individuelle en responsabilité collective, confronte en même temps léquipe des enseignants à la nécessité de rendre compte de son action pédagogique, tant entre eux, quenvers les divers partenaires externes (autorités scolaires, parents, etc.). Par ailleurs, elle oblige le système à inventer de nouvelles procédures, dune part pour sassurer que lautonomie accordée aux établissements pour entreprendre des démarches en lien avec la culture et les priorités locales naboutisse pas à une perte en termes de qualité de formation ; et, dautre part, pour déterminer clairement les besoins des établissements, afin de pouvoir prendre les mesures nécessaires &emdash; en termes de discrimination positive - pour assurer une distribution équitable des moyens à disposition.
Sajoutent à cela une série de conflits de pouvoir entre ladministration et les milieux professionnels, à propos des modes de prise de décision, de la définition des standards de qualité et des priorités de développement. Tout en adhérant aux principes du partenariat et de la confrontation, lautorité se trouve ainsi fréquemment mise dans une posture difficile, lorsquelle est censée promouvoir le changement sans perdre ladhésion des milieux conservateurs, à incarner le principe de réalité face à des projets certes intéressants, mais souvent déstabilisateurs ou coûteux en regard de létat des finances publiques. Cest elle qui devra, en fin de compte, rendre compte au politique et maintenir la cohérence du système en dépit de la diversité autorisée par lautonomie accrue des établissements.
Or, il savère que ce type de raisonnement, qui paraît tout à fait convaincant tant quil reste théorique, est particulièrement difficile à mettre en uvre sur le plan concret. Les idées principes de la gestion participative, qui sont fortement centrées sur lacceptation dun ensemble de caractéristiques tels que la diversité, lindépendance, lautonomie, la coopération, la pratique du contrat et de lévaluation, la transparence dans linformation, la négociation et la concertation, se trouvent en décalage par rapport à la culture administrative de la plupart des systèmes scolaires qui reste encore fortement enracinée dans les pratiques bureaucratiques et dans une vision hiérarchique des procédures de gestion et de contrôle.
Les administrations scolaires qui sen inspirent pour piloter les processus de changement risquent fort de se heurter non seulement aux incompréhensions et aux résistances des gens du terrain, mais également - et cest plus délicat - à leurs propres contradictions et à leurs propres peurs de perdre le contrôle. Lexpérience montre en effet, que lorientation vers une gestion plus participative va de pair avec une plus forte acceptation de la diversité, mais également avec une nouvelle culture de lévaluation, qui intègre les exigences dun système décentralisé et pluraliste en étant non seulement conçue en fonction des besoins du pilotage national, mais en se doublant également dun outil de régulation essentiellement au service des établissements eux-mêmes.
Or, les systèmes dévaluation en place tendent à se limiter à la seule logique de lefficacité. Ils délèguent la responsabilité de lévaluation à des agents externes, qui recueillent et analysent les données, en les comparant avec un taux plafond ou avec la moyenne des résultats obtenus ou énoncés formulés par dautres enseignants ou établissements scolaires. Dans la plupart des cas, limprécision des mesures obtenues, même accompagnées de commentaires qualitatifs, produit des " brouillages " de la communication entre évaluateurs et évalués qui peuvent facilement saper le projet détablissement, en pétrifiant la dynamique en cours ou en renforçant les désaccords et conflits de pouvoir existants. Très rarement, les établissements sengageront dans un véritable débat qui permettra de construire une compréhension partagée concernant le sens, les avantages et limites dune évaluation des pratiques dépassant les faux-semblants, relativisant la supériorité dune évaluation " objective " conduite par des experts externes et fondée sur la reconnaissance que les acteurs ont besoin de feedback réguliers, valides et pertinents afin quils puissent développer leurs pratiques.
Lautoévaluation renverse cette logique. Elle part du principe quil appartient à chaque établissement scolaire dassumer la responsabilité dévaluer la mise en uvre des exigences de qualité - internes et/ou externes (Note 10) - et dintroduire les régulations nécessaires. La responsabilité des instances externes (pouvoir organisateur, inspecteurs, etc.) se limite à vérifier si la procédure dautoévaluation a été conçue et mise en uvre de manière pertinente et cohérente, si elle a développé et utilisé les procédures et instruments adéquats. Cela ne signifie cependant pas que les établissements scolaires concernées se livrent à de stériles jeux dautosatisfaction. Il sagit au contraire dune démarche exigeante, qui vise autant le développement des compétences professionnelles des enseignants que leur disponibilité à analyser et faire connaître lefficacité de leurs pratiques. Il sagit dune posture formative, qui encourage les établissements scolaires à entreprendre un diagnostic approfondi de leurs forces et faiblesses et à introduire les régulations nécessaires.
Au centre se trouvent les questionnements suivants (Strittmatter, 2000) : comment amener les divers acteurs (enseignants et apprenants), les organes de gestion (chefs détablissement, responsables des programmes, etc.) ainsi que les pouvoirs organisateurs à développer les compétences nécessaires pour quils puissent assurer une régulation optimale des processus au sein du système ? Comment les enseignants peuvent-ils évaluer leffet de leur action pédagogique sur les apprenants ? Comment peuvent-ils identifier leurs forces, voire leurs possibilités de développement ? Comment parviennent-ils à établir la priorité des problèmes à résoudre ? Comment létablissement entier sait-il sil remplit son mandat ? Dans une optique du pilotage des processus de changement, comment les pouvoirs organisateurs peuvent-ils déterminer ladéquation des ressources, voire juger si lévolution en cours correspond aux objectifs visés ? Comment saisir le jugement que les partenaires externes portent sur le système ?
Ces questions doivent trouver une réponse réaliste et satisfaisante pour les enseignants, les directions détablissements et les autorités scolaires, sans quoi lautoévaluation restera une alternative utopique à lévaluation institutionnelle externe, moins intéressantes mais plus facile à faire fonctionner. Le risque est grand en effet que visant en principe la régulation et linnovation, les systèmes éducatifs se contentent de dispositifs institutionnels censées les prendre en charge, alors que les conditions psychosociologiques de régulation et dinnovation négociée ne sont pas réalisées.
Comme cest le cas dune majorité des systèmes scolaires des pays occidentaux, lécole primaire genevoise est en train dévoluer vers un fonctionnement qui accordera, à moyen terme, une plus grande autonomie aux écoles. La rénovation de lenseignement primaire a été instaurée dès 1994 par les autorités scolaires genevoises dans lintention de renforcer la lutte contre léchec scolaire. Il sagit dun processus qui sétend sur plusieurs années ; il nest pas question dune réforme immédiate, mais dune démarche progressive, selon deux phases : de 1995-1999, quatre années dexploration intensive (Note 11) ; dès 2000, une extension progressive de la réforme à lensemble des 220 écoles primaires du canton pour aboutir, pour aboutir à la mise en uvre généralisée de la rénovation de lenseignement primaire genevois rénové (Gather Thurler, 1998).
Le texte dorientation publié en août 1994 proposait trois axes de rénovation : 1. individualiser les parcours de formation, 2. apprendre à travailler ensemble, 3. placer les enfants au cur de laction pédagogique.
Dans la perspective de cycles dapprentissage pluriannuels et dune intensification de la coopération entre enseignants, les écoles participant à la phase dexploration ont été invitées à développer de nouvelles modalités l'organisation et d'animation pédagogiques dans le dessein de mieux assurer les apprentissages fondamentaux (Note 12) .
Les écoles faisant partie du dispositif ont travaillé, dès le début de lexploration intensive, sur des hypothèses très diverses concernant lorganisation du travail la mieux à même de gérer la progression des élèves. À la phase initiale, fortement empreinte par leuphorie de la liberté dexploration et, du coup, par un certain activisme, a succédé une recherche plus systématique de dispositifs de différenciation et dévaluation des élèves mieux à même dassurer une gestion optimale des parcours des élèves.
Au fil du temps, le dispositif a développé une vision commune plus claire et explicite en ce qui concerne les principaux aspects de la rénovation de lenseignement primaire, dont : cycles de longue durée avec abolition dune logique dorganisation par degrés annuels, gestion des élèves en co-responsabilité, objectifs clairement définis en fin de cycle, suppression du redoublement, observation formative des élèves, modalités de passage entre les cycles. Au-delà de ces principaux aspects, les responsables du dispositif ont accordé une assez grande liberté aux écoles pour décider des aménagements internes qui leur paraissaient les mieux appropriés en fonction en fonction des réalités locales : gestion des groupes, du temps et des espaces dans les cycles dapprentissage, organisation du travail entre les enseignants, gestion des ressources et développement des compétences professionnelles.
À Genève comme ailleurs, la culture professionnelle nest demblée construite ni sur une culture de lécrit, ni sur une culture de lévaluation. Lexpérience montre toutefois que cette culture peut être progressivement constituée, à condition de mettre les enseignants en face de problèmes concrets et de les aider à construire des représentations communes en ce qui concerne les objectifs, contenus et outils de lautoévaluation.
Le bilan annuel : un outil dautorégulation
Dès la première année, les écoles en innovation ont été invitées à rendre compte. Cette démarche constituait une contrepartie du statut privilégiée qui leur accordait certaines franchises pour explorer de nouvelles approches (y compris lintroduction de nouvelles pratiques dévaluation des élèves sans notes) et pour obtenir certaines ressources (dont des décharges pour le travail en équipe, la coordination et la participation au réseau).
Lobjectif de cette procédure était double : dune part, il fallait récolter des données pour informer les autorités scolaires quant à lévolution du dispositif dans sa globalité ; dautre part, il sagissait dinitier les écoles à la pratique de lautoévaluation de leur fonctionnement et de leur progression par rapport aux objectifs visés.
Les premiers rapports ont été rédigés sur la base dun canevas commun, qui se limitait à évoquer les têtes de chapitres. Demblée, les écoles ont développé des méthodes et stratégies très diverses pour sacquitter de cette obligation : alors que les unes saisissaient loccasion pour entreprendre, collectivement, un bilan approfondi et collectif des acquis et du fonctionnement de la première année du projet, dautres se contentaient de déléguer la rédaction du bilan au coordinateur (Note 13) . La diversité de ces approches se reflétait non seulement dans la longueur des rapports, mais avant tout dans la qualité et lacuité des analyses entreprises. Alors que certaines écoles transformaient lexigence de rendre compte en occasion de se rendre compte, dautres la percevaient avant tout comme une contrainte dont il fallait se défaire avec une économie defforts.
Dès 1996, Genève avait eu loccasion de participer au réseau des écoles innovantes (INIS). Ce réseau, mis en place par la fondation allemande Bertelsmann , avait demblée défini la problématique de lautoévaluation comme lun des piliers de sa démarche de développement. Dans ce contexte, nous avons eu connaissance dune démarche dautoévaluation qui avait été mis en place par linspectorat écossais. Elle combinait, à notre avis, très avantageusement trois éléments : relier lautoévaluation avec le programme institutionnel de développement ; inciter les enseignants à systématiser leur démarche dautoévaluation ; les aider à exploiter la démarche entreprise, autant pour la régulation interne que pour la communication avec les partenaires externes.
De manière assez pragmatique, cette démarche se construit à partir des trois questions suivantes : 1. comment allons-nous ? (la volonté de savoir) ; 2. comment le savons-nous ? (du déclaratif au démonstratif) ; 3. quoi et comment le communiquer ? (choix des canaux d'information, de la forme, des publics-cibles)
Nous nous sommes fortement inspirés à Genève de ces trois questions. La prise de conscience de la nécessité dune meilleure systématisation a conduit le dispositif des écoles en innovation à développer une pratique outillée et coordonnée de lautoévaluation, mieux à même danalyser les acquis et les problèmes rencontrés, de déterminer les régulations nécessaires et dentreprendre une planification précise de lannée scolaire suivante.
Les écoles ont été notamment amenées à entreprendre, à partir de leurs priorités annuelles, une définition systématique de critères et dindicateurs de réussite, en travaillant à partir dun outil commun dautoévaluation. Cet outil comprenait une douzaine de domaines (correspondant aux axes de développement définis par les autorités scolaires et négociés avec les écoles en question) et définissait pour chacun deux une série de critères et dindicateurs. Les écoles disposaient en outre dun ensemble de check-lists et doutils danimation leur permettant de récolter les données nécessaires pour fonder leurs jugements. Ces prises dinformation étaient accompagnées par la mise en place dune intervision au sein de duos denseignants et par des analyses régulières du fonctionnement durant des séances de travail en commun.
Pour entreprendre son autoévaluation, chaque école avait le choix, soit de passer en revue lensemble des items, soit de se concentrer sur lun ou lautre des domaines proposés. De manière générale, chacune des écoles consacrait plusieurs séances de travail pour faire son bilan. Certaines prises de données pouvaient avoir lieu hors de ces séances (observations spécifiques en classe, analyse de documents, entretiens avec différents partenaires, etc.). Sur la base des données récoltées, léquipe déléguait au coordinateur ou à plusieurs de ses membres la rédaction dune première version du rapport. Après une relecture collective, la version définitive était déposée, à la fin de lannée scolaire, auprès des autorités compétentes. Les écoles étaient libres de diffuser leur rapport aux parents de leurs élèves, voire à tout autre partenaire intéressé.
Une analyse transversale de lensemble des rapports des écoles permettait ensuite de rédiger un document de synthèse ainsi quune série de recommandations mises à la disposition des autorités politiques et scolaires et discutées dans les diverses instances du dispositif de pilotage.
Les effets de la démarche ont été visibles et utiles à plusieurs niveaux :
Craintes, résistances, compétences
La mise en place de la démarche que nous venons dévoquer ne sest pas déroulée sans problèmes. Comme partout ailleurs, les enseignants genevois ne sont guère habitués à sautoévaluer, ni individuellement, ni collectivement. Cette démarche a été perçue &emdash; et lest encore - dans plusieurs cas de figure comme une perte de temps, comme une démarche pouvant nuire à limage de lécole.
Lintroduction de loutil nourrissait notamment le fantasme de certains groupes enseignants quen se montrant trop coopératifs, ils pourraient contribuer à ce que les aux autorités scolaires soient conduites à rendre publiques des classements des écoles. Ce type de considérations a sans doute influencé la transparence avec laquelle certains établissements scolaires ont conduit leur autoévaluation et rédigé leur bilan annuel, en donnant à voir &emdash; ou non &emdash; certaines de leurs difficultés.
Il a fallu trois années pour que les établissements prennent conscience des avantages dune démarche dautoévaluation. Dabord parce quils devaient se forger une identité propre. Ensuite, parce quune telle approche ne correspondait pas à la culture professionnelle en place. Apprendre des expériences dautrui, accepter la mise en discussion des acquis, soutiller pour sobserver mutuellement et accorder aux collèges un rôle damis critiques : ces démarches nétaient pas anodines dans un milieu où, jusqualors, le " chacun pour soi " avait été la règle.
Malgré les difficultés de sa mise en uvre, lautoévaluation sest avérée être lune des facettes centrales de la démarche collective en cours. Elle a contribué à limplication active des enseignants dans la démarche de résolution de problèmes professionnels dépassant le cercle de leur classe voire même de leur école ; elle leur a permis de prendre conscience et de se rendre compte de leur progression, de reconnaître - et de faire reconnaître - leurs compétences, tant par leurs collègues, que par les partenaires externes et, de fait, a offert de nouvelles et précieuses occasions dune valorisation professionnelle et reconnaissance sociale par les principaux partenaires : autorités scolaires, parents, association professionnelles, dautres établissements scolaires intéressées à simpliquer dans le processus de réforme.
Malgré les effets très positifs et encourageants qui ont été produits par lintroduction de lautoévaluation dans les écoles en innovation genevoises, une rapide analyse de lévolution en cours depuis le début de lextension (été 2000) ne laisse que peu despoir quant à son inscription en tant que pratique durable. Bien que les raisons de ce constat plutôt désenchanté soient nombreuses, je évoquerai que quelques-unes.
Une première raison est probablement liée au fait que la fin de la phase dexploration a conduit les autorités scolaires à redéfinir les priorités de la réforme à venir. Les écoles en innovation se trouvent désormais impliquées &emdash; au même titre que toutes les autres écoles du canton - dans un processus de généralisation fortement centralisateur qui accorde, à première vue, une importance moindre tant à lautogestion au sein de létablissement scolaire, quà la nécessité dune autoévaluation systématique pour établir les priorités de développement au plan local. Bien que lidée dun projet détablissement ait été maintenue, elles se trouvent reléguées au second plan, alors que la priorité est accordée à des actions de formation qui sont, certes, négociées entre léquipe des enseignants et les responsables de la formation continue, mais sinscrivent davantage que dans le passé, dans une politique de formation continue fortement centralisée. De fait, limportance dune autoévaluation conduite dans loptique de définir le projet de développement ainsi que les besoins de formation napparaît plus nécessaire. Pourquoi les écoles sencombreraient-elles dune démarche assez complexe dès lors quil suffit de se mettre daccord par rapport à une ou deux pistes de formation commune pour se sentir faire partie de la frange innovante ?
Une deuxième raison est liée au fait quavec la généralisation de la réforme, les écoles en innovation ont perdu leur statut d" écoles-pilotes " et, de ce fait, nont plus besoin de rendre compte de leur progression pour justifier les moyens et libertés particulières dont elles bénéficiaient durant la phase dexploration. Les quatre années durant lesquelles elles se sont familiarisées avec cette démarche nont visiblement pas suffi pour quelles intègrent lautoévaluation comme un élément indispensable d" auto-hygiène " et de planification évolutive mis au service du développement de la qualité. La conséquence dune volonté clairement affirmée des autorités scolaires daccorder désormais la priorité à lévaluation externe a été immédiate : lannée suivante, une partie des 17 écoles en innovation seulement ont entrepris leur bilan et rédigé un rapport accessible aux partenaires externes. Cest un bel exemple de la fragilité des innovations et de limpact déprofessionnalisant des politiques centralisatrices !
La troisième et sans doute la principale raison tient au fait que lautorités scolaire, qui a repris le contrôle intégral de lopération, ne fait aucune confiance aux établissements, ni dailleurs aux cadres scolaires. Or, lautévaluation ne peut se développer dans une culture de soupçon et de contrôle, elle suppose un pari positif sur la volonté de régulation et du changement des acteurs.
Très visiblement, quatre années ont ainsi été trop courtes pour instaurer une véritable culture de lautoévaluation, même dans des établissements regroupant des enseignants volontaires et fortement motivés. Ils dépendaient encore trop dun leadership externe qui prenait linitiative pour rappeler la nécessité et lobligation dune démarche dont le sens nétait pas suffisamment ancrée dans la culture professionnelle.
Selon Senge (1991), les organisations qui apprennent sont
( ) des organisations à lintérieur desquelles des divers acteurs élargissent continuellement leur compétence à produire les effets quils souhaitent, à lintérieur desquelles on favorise de nouvelles formes de pensée, à lintérieur desquelles les gens parviennent à libérer des énergies pour laction collective et apprennent continuellement comment mieux apprendre ensemble.
Dans ce même sens, Schratz et Steiner-Löffler (1998) définissent un établissement scolaire qui fonctionne comme une organisation apprenante " par sa capacité délargir continuellement sa capacité de gérer créativement son propre avenir ". Une telle organisation dépend de la capacité de ses acteurs de se donner les moyens de vérifier les processus de développement qui sont en cours et pour introduire les régulations nécessaires.
Selon le principe de la " pratique réfléchie " (Schön, 1987), une unité de travail aussi complexe quun établissement scolaire visant à transformer ses pratiques et se trouvant donc confrontée à des problèmes à la fois complexes et spécifiques, aura besoin de développer une méthode systémique de récolte des données afin de pouvoir analyser les éléments qui facilitent ou empêchent sa progression.
En affirmant que lefficacité des établissements ne se mesure pas : elle se construit, se négocie, se pratique et se vit (Gather Thurler, 1994), nous avons suggéré daccorder la priorité à une démarche dont les principaux acteurs sont les principaux auteurs et propriétaires, dans le sens du terme anglais " ownership ". Si lon adopte la perspective qui, normalement, devrait aller de pair avec la vision de la professionnalisation, on devrait alors se poser la question de savoir comment mieux utiliser les résultats de lautoévaluation pour quelle puisse contribuer à lobligation de rendre compte dans laquelle se trouve le système dans sa globalité. Ceci conduit à examiner la relation entre évaluation interne et évaluation externe et, par conséquent, à examiner le rôle des autorités scolaires.
Un nouveau principe de pilotage
Pour que les établissements scolaires puissent fonctionner comme organisations apprenantes, il est non seulement nécessaire que le système scolaire leur accorde une autonomie partielle de fonctionnement, mais également quil se dote dun nouveau système de pilotage, mieux à même de gérer la décentralisation. Il sagit en priorité dabandonner les rapports hiérarchiques que les autorités entretenaient jusqualors avec les établissements scolaires, rapports selon lesquels il appartenait aux autorités de définir le " modèle idéal " de lenseignement-apprentissage et de déléguer à létablissement scolaire lobligation de sorganier de manière à correspondre au plus près au modèle prescrit. Dans ce modèle, le rôle des cadres consistait à sassurer, par leur présence auprès des écoles (entretiens, observations de leçons, etc.) que celles-ci faisaient de leur mieux pour orienter leurs pratiques selon les exigences définies par les autorités.
Bien que lexpérience de ces dernières vingt années ait largement démontré linefficacité de ce type de modèle de gestion, il nexiste pas actuellement de modèle de fonctionnement pour faire face à la double contrainte : abandonner le rôle du contrôle de luniformité du système scolaire tout en assurant une qualité égale de lenseignement et de lapprentissage dans tous les établissements scolaires. Les solutions les plus intéressantes suggèrent de remplacer le système de pilotage centralisé par un système de pilotage décentralisé ou négocié entre les différents partenaires (Perrenoud, 1998, 2000).
Il sagit dun principe de fonctionnement selon lequel les établissements, à partir dun plan-cadre fixant les principales orientations du système dans sa globalité, définissent leur projet et leurs critères de réussite, formulent leurs propres standards de qualité, exploitent et développent au mieux leur potentiel humain, enfin, évaluent leur propre travail. Ce qui permettrait aux autorités scolaires de développer, sur la base des données produites tant à travers les évaluations internes (autoévaluation) quexternes (conduites par leurs propres agents), des visions à moyen et à long terme, de mettre à disposition des ressources (humaines et matérielles), de comprendre la qualité du système éducatif et de négocier avec les partenaires intéressés les régulations qui paraissent nécessaires.
Les différences entre les deux paradigmes de fonctionnement se perçoivent le plus fortement aux interfaces entre létablissement scolaire et lautorité de tutelle, doù limportance clé des modalités relationnelles et dinterdépendance qui sinstaurent entre lun et lautre. Parmi ces interfaces, lévaluation interne et externe, ainsi que la relation entre létablissement scolaire et ses différents partenaires représentent des zones particulièrement sensibles. La théorie des systèmes nous enseigne quil ne peut exister de modalité de relation unique, dans la mesure où celle-ci dépendra dune multitude de facteurs (personnalité et compétences de négociation des acteurs, spécificités de létablissement scolaire, compétence du chef détablissement, exigences et attitudes des parents, etc.).
La plus forte pente ira, à mon avis, dans le sens dune coexistence, pendant de nombreuses années encore, entre plusieurs systèmes de gestion et de fonctionnement et, par conséquent, dévaluation. La décentralisation, lautonomie des établissements constituent sans doute des mouvements irréversibles. Toute tentation de revenir en arrière sera dautant plus vaine que lancien système présentait des défauts qui le rendaient peu défendable. La question qui se pose actuellement est donc celle de la reconstruction doutils et de pratiques (auto)critiques qui accompagnent cette évolution du social et cherchent à donner au plus grand nombre dacteurs possibles les moyens de les maîtriser.
Pour cette raison, les systèmes les plus avancés sorientent vers des accords contractuels définissant de cas en cas les modalités de coopération ainsi que les procédures dévaluation entre létablissement scolaire et les autorités. Il est toutefois difficile dextrapoler à partir de ces expériences davant-garde pour définir des principes de fonctionnement pour lensemble des systèmes éducatifs, surtout pour ceux qui se montrent les plus récalcitrants face aux nouveaux modèles de gestion.
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Note 10. Exigences de qualité qui sont définies tant dans le projet détablissement lui-même, que dans le plan-cadre valable pour lensemble du système .
Note 11. Le dispositif
dexploration intensive comprend:
- quinze (depuis lautomne 1998 dix-sept) écoles en
innovation, bénéficiant de ressources
supplémentaires (sous forme de décharges
accordées pour des réunions déquipe et
pour le travail dun coordinateur, élu par
léquipe) et de certaines franchises (par exemple la
possibilité de développer une évaluation
formative qualitative sans notes) et bénéficiant
dun accompagnement intensif;
- seize (depuis lautomne 1998 quinze) écoles en
réflexion, évoluant à un rythme moins soutenu,
sans ressources ni franchises, accompagnées par les
inspecteurs;
- le groupe de recherche et d'innovation (GRI), dispositif
d'accompagnement et de suivi;
- le groupe inter-projets (GIP): animé par le GRI, ce groupe
assure la mise en réseau des partenaires du dispositif et
réunit régulièrement les coordinateurs,
accompagnateurs, inspecteurs et formateurs des enseignants;
- le groupe de pilotage (GPR), réunissant les
représentants des divers milieux sociaux partenaires
concernés: direction de l'enseignement primaire, dispositif
d'exploration, association des enseignants, association
faîtière des parents, instances départementales
et universitaires de recherche et de formation, enseignement
secondaire.
Note 12. L'analyse qui suit concerne essentiellement l'évolution dans les écoles en innovation qui s'étaient engagés dès le début de leur entrée en fonction dans un contrat plus contraignant que les écoles en réflexion. Elles s'étaient notamment engagées à rendre compte de leur démarche et à accepter le suivi par le groupe de recherche et d'innovation. A noter cependant que la culture locale impose aux divers auteurs une forte volonté et compétence de négociation. Autrement dit, il n'est pas dans les habitudes des enseignants d'exécuter des ordres, la culture du débat est fortement développer, notamment lorsqu'il s'agit de défendre les acquis.
Note 13. Un membre de léquipe qui a été, pour la durée de lexploration, partiellement déchargé pour assumer la coordination interne et externe.