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André Giordan
Les recherches sur l'apprentissage convergent aujourd'hui sur un ensemble de points. En particulier, elles explicitent les limites tant d'un certain nombre de pratiques éducatives traditionnelles que de certaines innovations (méthodes actives, non-directives, de découverte). Elles montrent que ce n'est pas parce que l'enseignant a traité tout son programme et mené son cours avec sérieux qu'il a nécessairement fait "passer" un savoir. Les concepts, les méthodes de pensée ne s'acquièrent jamais par transmission directe d'un enseignant à un élève.
En effet, la pensée d'un apprenant ne se comporte nullement comme un système d'enregistrement passif. Il apparaît nettement qu'avant tout enseignement, les apprenants possèdent un certain nombre de questions, d'idées, de références et de pratiques. En d'autres termes, il manipule un mode d'explication spécifique que nous appelons conceptions. Ces dernières orientent la façon dont l'apprenant (enfant ou adulte) décode les informations. Tout savoir dépend ainsi des conceptions mobilisées. C'est à travers elles que l'apprenant interprète les données recueillies et produit éventuellement une nouvelle connaissance. Chaque fois qu'il y a compréhension d'un modèle ou mobilisation d'un concept, sa structure mentale est complètement réorganisée. L'apprentissage ne peut être donc le résultat d'un simple processus de transmission, le plus souvent à sens unique maître-élève. De la même manière, l'action immédiate de l'apprenant, si elle est parfois nécessaire, n'est pas toujours suffisante. L'appropriation d'un savoir résulte d'une démarche de transformation de conceptions où le principal acteur du processus est l'apprenant et lui seul. L'acquisition de connaissances procède d'une activité d'élaboration dans laquelle l'apprenant doit confronter les informations nouvelles et ses connaissances mobilisées, et où il doit produire de nouvelles significations plus aptes à répondre aux interrogations qu'il se pose.
Sur tous ces plans, les principales théories apparaissent très limitées. La maîtrise des processus d'apprentissage nécessitait donc la mise en place d'un nouveau modèle qui intègre les divers paramètres propres à interférer avec les conceptions mobilisées. Une tentative a été entreprise au LDES en 1987 (Giordan et de Vecchi 1987). Elle sera précisée depuis 1988, avec un certain succès (Giordan 1988). Il s'agit du modèle aujourd'hui connu sous le vocable de modèle d'apprentissage allostérique (Allosteric Learning Model pour les Anglo-Saxons). Bien qu'imparfait, ce modèle a le mérite de circonscrire une problématique, d'expliciter les principales caractéristiques de l'acte d'apprendre et de permettre des prévisions. Enfin, et c'est surtout pour cela qu'il rencontre une certaine audience, il fournit des indications pratiques sur les environnements éducatifs ou médiatiques propres à faciliter les apprentissages. Ainsi il permet d'inférer des hypothèses heuristiques par rapport à des projets éducatifs ou médiatiques spécifiques. Dans ce texte, nous situons brièvement ce modèle par rapport aux autres théories contemporaines sur l'éducation, ceci dans un premier temps. Dans un second temps, nous apportons un certain nombre de précisions pour affiner sa pertinence.
1. Les théories contemporaines sur l'apprentissage
L'éducation est encore très souvent affaire d'habitude ou d'empirisme. Toutefois dès que l'on approfondit les pratiques en place, on peut repérer une série d'axiomes plus ou moins implicites qui sous-tendent à la fois discours et pratiques. Ces postulats de base sont excessivement divers, ce qui rend leur catégorisation peu aisée. Heureusement un certain nombre d'écrits existent. Sans tomber dans un schématisme de mauvais aloi, on peut alors tenter de les catégoriser.
La grille d'analyse proposée prend appui sur les trois discriminants principaux, les plus souvent avancés dans la littérature : la connaissance, l'élève, la société. Cette option permet de ranger les multiples approches dans une dizaine d'ensembles théoriques et de les situer dans l'espace selon trois axes :
- axe connaissance : théories académiques, théories technologiques, théories béhavioristes, théories épistémologiques;
- axe société : théories sociales, théories socio-cognitives, théories psycho-sociales;
- axe apprenant : théories humanistes, théories génétiques, théories cognitives.
Pour être relativement complet, il nous faut encore citer les théories spiritualistes. Il faut dire qu'elles prennent une certaine ampleur en cette fin de millénaire.
1.1. Théories spiritualistes
Un très vieux courant est ressorti de ses cendres depuis une dizaine d'années. Il s'agit du courant "spiritualiste", encore appelé "transcendantal" ou aujourd'hui "new-age". Historiquement, ces théories de l'éducation se situaient dans une perspective religieuse ou métaphysique. Les religions et les philosophies orientales ont toujours alimenté les réflexions sur l'éducation. Notamment, elles avancent que la personne doit apprendre à se libérer du connu pour le dépasser. Sous certaines conditions, l'élève peut s'élever à un niveau jugé "supérieur" par une série d'étapes initiatiques. Aujourd'hui, cette tendance retrouve les mêmes bases avec le renouveau de la religiosité, pour "toucher" plus particulièrement les personnes préoccupées par le sens de leur vie. La personne doit maîtriser son développement spirituel ou matériel en utilisant ses énergies intérieures et en les canalisant dans des activités telles que la méditation, la contemplation, l'autosuggestion. "L'énergie" nécessaire se trouve à l'intérieur de la personne qui apprend. Elle est présentée sous diverses appellations, tels "Dieu", le "Tao", "l'Invisible", "l'Energie divine", etc. Les principales valeurs porteuses sont la "bonté", la "justice", "l'amour", "l'autre" ou encore la "beauté".
Dans ce courant spiritualiste, on retrouve notamment les théories éducatives de Harman (1974), Krishnamurti (1970), Maslow (1968, 1971), Leonardet de Ferguson. Le transcendantalisme américain, dont les pionniers sont Emerson (1983), Thoreau et Fuller, ainsi que les philosophies métaphysiques l'ont également alimenté. Notons également qu'au sein de ces tendances, se développe en parallèle tout un ensemble de pratiques pédagogiques qui vont de la relaxation à la suggestopédie ou qui empruntent aux autres courants (importance de la personne, acquisition de méthodes de travail, etc.).
1.2. Théories académiques
Les théories que nous nommons "académiques" sont également appelées : "rationalistes", "réalistes", "essentialistes" ou "classiques". Ce sont les plus fréquemment employées dans les systèmes éducatifs. Elles focalisent leur attention essentiellement sur la transmission des connaissances (Bloom 1987). Tout est centré sur les savoirs à enseigner, qu'il s'agit, par l'enseignant, l'animateur, de maîtriser et de contrôler au mieux.
Les pédagogies de cette tendance misent sur l'exposition des connaissances disciplinaires par les maîtres (Snyders 1973; Houssaye 1987). Le rôle de l'enseignant consiste à transmettre les contenus et celui de l'étudiant à les assimiler. Le cours dogmatique ou frontal est le plus souvent préconisé. Parfois celui-ci, logiquement conçu, peut s'appuyer sur des illustrations (schémas ou photos) ou encore sur des expériences qui confirment les propos du formateur. L'excellence à viser est une structuration des idées et une progression dans leur présentation. L'effort maximum à fournir est dans les études et dans un travail de mémorisation.
Deux tendances marquent le courant académique: les traditionnels et les généralistes. La première tendance voudrait que l'on transmette des contenus classiques et indépendants des cultures et des structures sociales actuelles (Hutchin 1953, Pratte 1971, Adler 1986, Finkielkraut 1988, Domenach 1989). L'autre tendance voudrait s'attarder sur une formation générale préoccupée par l'esprit critique, la capacité d'adaptation, l'ouverture de l'esprit, etc. (Hamel 1989); celles-ci étant considérées comme les retombées inéluctables d'un enseignement bien conduit.
1.3. Théories technologiques
Les théories technologiques, également appelées systémiques, mettent généralement l'accent sur l'amélioration du message par le recours à des technologies appropriées. Le mot &laqno;technologie» peut être pris toutefois, dans un sens très large. Cela comprend autant les procédures telles qu'elles sont décrites dans le design de la communication (émetteur, récepteur, codes) que le matériel didactique de communication et de traitement de l'information.
Historiquement, l'accent a été mis sur le visuel (panneaux, projections fixes) puis l'audiovisuel (films). Aujourd'hui on retrouve des discours similaires à propos de la télévision, du magnétoscope, du magnétophone, du vidéodisque, du disque compact et de l'ordinateur (Lockard et al. 1990, Wager et al. 1990, Lapointe 1990). Les principes directeurs de ce courant sont la décomposition du message et sa visualisation de façon saisissante pour que l'élève puisse y adhérer automatiquement par une sorte d'imprégnation (Tickton 1971). La plupart de ces approches misent actuellement sur les capacités "impressionnantes" de l'ordinateur (Kearsle 1987, Lawler 1987, Solomon 1986). Celui-ci peut facilement gérer de multiples sources d'informations (images, sons, écriture, etc.) ou permettre aux élèves d'entrer dans des simulations (Papert 1980).
La tendance la plus récente met l'accent sur les environnements informatisés d'apprentissage et sur les logiciels interactifs (Suppes 1988, Bergeron 1990). Elle prend de l'importance avec le développement des multimédias ou autres hypermédias. Les objectifs consistent à créer des situations faisant appel à des concepts et à des outils d'intelligence artificielle, à simuler des scènes de la vie réelle ou des expériences de laboratoire. Des appareils tels que des disques compacts, contenant des quantités phénoménales d'images et de commentaires sonores, sont de plus en plus souvent mis en avant.
1.4. Théories béhavioristes
Les théories "béhavioristes" issues des travaux de Watson sont encore appelées "apprentissage programmé" ou "skinnérien" (Holland et Skinner 1961, Skinner 1968). Hostiles à la méthode d'introspection, elles prolongent les études sur les réflexes conditionnés. De type stimulus-réponse, ces propositions misent sur les idées de "conditionnement" et de "renforcement". Pour l'élève, le renforcement consiste dans le fait de savoir qu'il a donné la bonne réponse.
Cependant, pour que le renforcement soit efficace, il faut que ce dernier porte sur une petite quantité d'informations. La théorie "behavioriste" conduit alors à décomposer la matière à enseigner en unités élémentaires de connaissance, chacune faisant l'objet d'un exercice particulier.
Ce mouvement a eu beaucoup d'influence sur les enseignements professionnels et technologiques. Dans l'enseignement général, il a conduit à développer l'enseignement programmé d'une part (Landa 1974), la pédagogie par objectifs d'autre part (Bloom et al. 1956, Mager 1962, Krathwohl 1964). Leur retombée sont présentes encore dans de nombreux curriculums, notamment dans les pays anglo-saxons et dans certains didacticiels.
1.5. Théories épistémologiques
Cette mouvance "épistémologique", en cours de développement, repose sur l'idée qu'une meilleure connaissance des structures du savoir ou des méthodes propres à les produire facilite l'acte d'enseignement. Le point de départ est toujours la construction du savoir sur un plan épistémologique ou historique. Les écrits de Kuhn (1970) et surtout Popper (1961) dans les pays anglo-saxons, Bachelard (1934, 1938) dans les pays francophones sont mis principalement à contribution (idées de changement de paradigme, de réfutabilité ou d'obstacle épistémologique).
Il en résulte des pratiques éducatives très diverses. Par exemple, pour les tenants de Bachelard, l'enseignant essaie en s'appuyant sur l'histoire des sciences de repérer les obstacles et d'en expliciter la nature (Canguilhem 1974, Rumelhard 1986). Pour chacun d'eux, il prévoit ensuite des situations pédagogiques propres à les dépasser ou à les éviter. Différentes variantes existent cependant dans leur traitement. Le plus souvent, l'enseignant essaie de faire exprimer les représentations des élèves puis l'enseignant explique en tenant compte des obstacles potentiels (Bednarz 1989).
Aujourd'hui cette tendance devient également systémique. Se basant sur les idées de Von Bertalanffy (1967) ou Morin (1977), le savoir se conçoit en terme de système. Sur le plan de l'éducation, citons quelques écrits prenant en compte cette direction : De Rosnay (1975), Pocztar (1989) et Dick et Carey (1990).
1.6. Théories sociales
Les théories sociales de l'éducation insistent sur les déterminants sociaux ou environnementaux de la vie éducative. Elles mettent en valeur leur dimension objective. Les thèmes favoris de ces chercheurs sont la division en classes sociales, l'hérédité sociale et culturelle, la provenance sociale des étudiants, l'élitisme. Plus récemment l'accent a été mis sur les problèmes de l'environnement, les impacts négatifs de la technologie et de l'industrialisation, la dégradation de la vie sur la planète Terre, etc.
Ces théories se sont largement développées dans les années soixante et septante. Elles ont joué essentiellement un rôle contestataire par rapport aux pratiques traditionnelles en critiquant les institutions (Vasquez 1967, Lapassade 1967, Lourau 1970, Lobrot 1972, Oury et al. 1971). Selon ces théories, le système éducatif a pour principale mission de préparer les élèves en dépassant les handicaps socioculturels. Or, les institutions éducatives feraient exactement le contraire: elles reproduiraient les inégalités sociales et culturelles sans trop se préoccuper de ce qui se passe à l'extérieur de l'école.
Les théories sociales mettent encore l'accent sur les transformations à apporter à l'éducation en fonction de ses rapports avec la société (Freire 1974). Ces transformations couvrent pratiquement toute la panoplie possible des changements. Elles vont de l'analyse critique des fondements culturels et sociaux de l'éducation (Lapassade 1971, Lobrot 1972) à des propositions de changement radical de la société (Illich 1970).
Par ailleurs, certaines théories s'attardent sur l'analyse des interactions sociales (Grand'Maison 1976). D'autres insistent sur les fondements culturels de l'éducation et proposent d'inclure dans la pédagogie une nécessaire dimension culturelle (Oury et al. 1971). Elles s'opposent ainsi au mouvement cognitif préoccupé par la nature même du processus de la connaissance.
1.7. Théories sociocognitives
Ce courant théorique sur l'éducation insiste non pas sur
la société prise dans son ensemble mais sur les facteurs culturels
et sociaux intervenant dans la construction de la connaissance. Plusieurs
variantes existent. Les premières mettent en avant les interactions
sociales et culturelles qui façonnent l'évolution de la personne
dans la société. D'autres s'interrogent sur l'acte d'apprendre
et mettent en avant la coopération dans la construction des savoirs.
Ces derniers proposent une pédagogie coopérative afin de sensibiliser
les élèves à l'importance de cette façon de
travailler (Augustine et al. 1990), ou mieux insistent sur toutes les interactions
possibles entre apprenants. Le travail de groupe est souvent préconisé
(Brandt 1990, Kagan 1990).
Ces chercheurs s'interrogent également sur la domination du courant cognitiviste en recherche (Bandura 1971, Joyce et Weil 1972). Ils notent plus particulièrement les problèmes posés par une vision trop psychologique de l'éducation et insistent beaucoup sur les conditions sociales et culturelles de la connaissance (Bandura 1986, Lave 1988, Johnson et Johnson 1990). Ce courant est actuellement très dynamique notamment aux Etats-Unis (Slavin 1990, Johnson et Johnson 1990) et au Canada.
1.8. Théories psychocognitives
Les théories psychocognitives se préoccupent d'abord du
développement des processus cognitifs chez l'élève
tels que le raisonnement, l'analyse, la résolution de problèmes,
etc. Toutefois, elles mettent l'accent sur les paramètres interactifs
dans le groupe-classe (McLean 1988).
Relativement proches du mouvement d'idées précédent,
elles insistent sur les aspects socialisés et contextuels de l'apprentissage.
Les fondements de ces théories éducatives se trouvent très
souvent dans les recherches psychosociales (Moscovici 1961, Doise 1975,
Perret-Clermont 1979).
Ce qui est d'abord mis en avant c'est l'interaction entre les individus
dans l'acte d'apprendre (Doise et Mugny 1981, Carugati et al. 1985, Gilly
1989). Suivant les auteurs, il sera nommé "conflit sociocognitif",
"pratique de groupe", "opposition de représentations".
L'important est la confrontation entre plusieurs représentations
qui permet la prise de recul et le dépassement (Perret-Clermont 1988).
1.9. Les théories humanistes
Les théories humanistes, également appelées "personnalistes", "libertaires", "pulsionnelles", "libres", ou encore "ouvertes" prennent appui essentiellement sur la personne. Suivant les auteurs, ces théories mettent en avant les notions de "soi", de "liberté" et "d'autonomie". Elles insistent sur la liberté de l'étudiant, ses désirs, sa volonté d'apprendre.
La plus connue est l'oeuvre de Rogers (1951, 1969). C'est la personne
en situation d'apprentissage, appelée parfois "client"
qui doit maîtriser son éducation en utilisant ses possibilités
intérieures. L'enseignant dans ses relations avec les élèves
ne joue qu'un rôle de facilitateur. Il doit viser continuellement
l'auto-actualisation de l'apprenant (Paré 1977).
Suite aux développement de ces idées, il y eut, dans les décennies
soixante et septante, une prolifération d'écoles "ouvertes",
"alternatives", "non directives" qui s'inspirèrent
d'une approche du développement intégral de l'enfant (Kirschenbaum
et Henderson 1989).
1.10. Les théories génétiques
Dans le prolongement des théories philosophiques du XVIIIème
siècle (Leibnitz 1704, Kant 1781), ces théories supposent
une structure cognitive déjà existante chez tout apprenant.
Cette dernière "se développe" principalement par
"maturation" au cours d'une série d'étapes. Elle
facilite la mémorisation et constitue un point d'ancrage pour les
nouvelles données à acquérir.
Présente chez de nombreux psychologues du début du siècle,
cette tendance prend une importance grandissante après la dernière
guerre jusqu'aux années septante. Parmi les plus fréquemment
citées, on peut noter Wallon (1945), Kelly (1962), Gagné (1965,
1976), Bruner (1986), Piaget (1966, 1967), Ausubel et al. (1968).
Au cours des vingt dernières années, ces trois derniers
chercheurs ont eu le plus d'impact sur les pratiques éducatives.
Gagné (1965), par exemple, distingue d'une part des concepts "concrets"
dont l'apprentissage est basé sur des propriétés observables
comme l'identification d'une classe au moyen de ses exemples et d'autre
part des concepts "définis" pouvant être appris au
moyen d'une définition, qu'il nomme encore : concepts relationnels.
Pour lui, l'apprentissage scolaire se fait au travers du langage et des
concepts concrets, ceux-ci sont progressivement remplacés par des
concepts définis. Ainsi le concept concret "rond" est transformé
en concept défini "cercle" ou "courbe dont tous les
points sont à égale distance d'un point fixe appelé
centre". L'apprentissage de concepts définis conduit l'élève
à exprimer la connaissance acquise par une démonstration ou
une utilisation de cette définition.
Pour Ausubel (1968), tout est affaire d'intégration, et cette
dernière est facilitée par l'existence de "ponts cognitifs"
qui rendent l'information signifiante par rapport à la structure
globale préexistante. Dans son cadre conceptuel, les nouvelles connaissances
ne peuvent être apprises que si trois conditions sont réunies.
Premièrement, des concepts plus généraux doivent être
disponibles et se différencier progressivement au cours de l'apprentissage.
Deuxièmement, une "consolidation" doit être mise
en place pour faciliter la maîtrise des leçons en cours : les
informations nouvelles ne peuvent être présentées, tant
que les informations précédentes ne sont pas maîtrisées.
Si cette condition n'est pas remplie, l'apprentissage de toutes les connaissances
risque d'être compromis.
Enfin, la troisième condition concerne "la conciliation intégrative",
elle consiste à repérer les ressemblances et les différences
entre les anciennes connaissances et les nouvelles, à les discriminer,
éventuellement à résoudre les contradictions ; de là
elle doit conduire obligatoirement à des remodelages.
Le modèle de Piaget et des psychologues généticiens
est le plus fréquemment cité. Il repose sur "l'assimilation
et l'accommodation" et plus particulièrement sur la liaison
étroite qui existe entre ces deux concepts. Ce qui le conduit à
avancer le concept d'"abstraction réfléchissante".
L'élève fait entrer dans sa propre organisation cognitive
les données du monde extérieur. Les informations nouvelles
sont traitées en fonction des acquis constitués antérieurs,
il les assimile. En retour, il y a accommodation, c'est-à-dire transformation
des schèmes de pensée en place en fonction des circonstances
nouvelles. Pour lui, il s'agit de rattacher la nouvelle information à
ce qui est déjà connu, de la greffer sur des notions en prenant
en considération les "schèmes" dont dispose le sujet.
Très souvent, ces derniers sont réorganisés par les
nouvelles données.
Aujourd'hui, il faudrait enfin ajouter Vygotsky (1930, 1934), fondateur de la psychologie soviétique et mis sous le boisseau durant toute la période stalinienne. Il ne sera redécouvert qu'à partir de 1985 sur le plan éducatif. Nourrie d'une vaste culture non seulement psychologique mais d'abord linguistique, appuyée sur des recherches expérimentales et une méthode originale (analyse en unités de base), sa réflexion abonde sur la signification du mot comme unité de pensée, sur les stades successifs du développement verbal et intellectuel, depuis les premiers balbutiements de l'enfant jusqu'aux concepts de l'adolescent et de l'adulte en passant par le syncrétisme, la "pensée par complexes" ou le "langage intérieur".
1.11. Les théories cognitives
Née à partir d'origines très diverses, tout à la fois dans le prolongement de la psychologie animale (Tolman, Krechevski, Brunswik), de la psychologie génétique, de la psychologie sociale (Lewin, Asch, Heider, Festinger), mais aussi de la gestaltpsychologie, de la neurophysiologie, la psychologie cognitive s'installe au cours des années 80, au travers des travaux sur l'information. Actuellement en grand développement, elle pénètre toute la psychologie au point d'englober progressivement toutes les tendances antérieures .
Son projet global vise à construire une connaissance de "ce
qui se passe dans la tête" de l'individu lorsque celui-ci pense
(activités motrices, perception, mémorisation, compréhension,
raisonnement). En particulier, la psychologie cognitive tente d'élucider
les mécanismes de recueil, de traitement (image mentale, représentation),
de stockage, de structuration et d'utilisation de l'information (Anderson
1983, Gardner 1987, Holland et al. 1987). Une place de choix est accordée
à la notion de communication. Les activités cognitives complexes
consistent en des traitements de représentations intégrées.
Ces explications non encore stabilisées peuvent prendre des formes
hétérogènes, et se spécifier dans des sous-familles
de modèles le plus souvent locaux (Rumelhart et al. 1981), très
différents dans leurs détails mais néanmoins apparentés
par leurs notions principales.
Dans son prolongement se situent l'intelligence artificielle et les théories
connexionnistes issues du développement de la neurobiologie proposant
des bases cérébrales aux grandes fonctions cognitives.
Toutes ces théories sont aujourd'hui à un tournant, des liens
étroits s'établissent avec la biologie, -pas seulement du
système nerveux, l'appareil immunologique présente des phénomènes
d'apprentissage-, la linguistique, la sémiologie, l'informatique
(système expert), la sociologie (épidémiologie des
représentations) ou d'écologie cognitive.
Des retombées existent dans la théorie "de la gestion
et de la décision", ainsi que dans la production de didacticiels.
Toutefois dans l'enseignement, les applications envisagées bien que
parfois performantes, restent peu fondées (cerveau droit et gauche
ou connexionnisme neuronal).
2. Brèves notes critiques
Toutes les théories ci-dessus demanderaient une analyse plus détaillée
pour préciser toutes leurs potentialités et leurs limites,
notamment sur les plans de la pratique éducative ou culturelle. Nous
nous contenterons de schématiser ici brièvement quelques-unes
de leurs lacunes.
Celles-ci peuvent se situer sur un plan général ou sur un
plan spécifique. Il est hors de question dans ce texte d'entrer dans
le détail de chacune d'elles, cela constitue le projet d'un texte
ultérieur. Il sera établi quand une certaine décantation
sera possible pour les dernières d'entre elles : les théories
cognitives.
2.1. Critiques générales
A l'exception de certaines tendances cognitives, l'apprentissage n'est pour aucune d'elles leur objet premier d'études. Il n'est considéré au mieux que comme une retombée éventuelle. Leur projet est selon les cas : la construction "naturelle" du savoir (théories épistémologiques), le fonctionnement social (théories sociales) ou encore l'appréhension de processus de développement généraux (théories génétiques).
Si l'on prend ces dernières par exemple, on constate qu'elles éludent allègrement : contenu (objet du savoir) et contexte (conditions dans lesquelles se déroulent l'apprentissage). Notamment, elles présupposent qu'il suffit de connaître la pensée de l'enseigné pour enseigner rentablement. Or on constate aujourd'hui que tout savoir est contextualisé (Perret-Clermont 1992). Comment dès lors généraliser des processus généraux à des apprentissages spécifiques ? C'est d'ailleurs à ce niveau que se situent les échecs les plus patents. Déjà, toutes les observations courantes montrent ostensiblement qu'il est toujours difficile de mobiliser des savoirs scolaires dans des milieux professionnels ou de transférer des savoirs quotidiens en situations scolaires. Les obstacles sont multiples et variés, de plus ils apparaissent spécifiques à chaque contenu et à chaque contexte. Or la plupart des psychologues, à commencer par Piaget, ne disent rien (ce que reconnaissent très clairement ses successeurs : "il manque une psychologie de l'élève", Vinh Bang 1989), sur les activités de l'apprenant, sur les situations scolaires ou institutionnelles (encore moins sur les situations médiatiques) ou sur les interventions facilitantes de l'enseignant. Cette tendance est également observable dans les écrits d'Ausubel, de Kelly ou de Wallon, alors même que ce dernier est très sensible aux aspects sociaux.
Ainsi un consensus se développe pour avancer que les études
sur l'apprentissage nécessitent des études spécifiques,
même si ces dernières se situent au point de convergence du
social et de l'institutionnel (les écoles, les lieux culturels, les
lieux professionnels sont d'abord des institutions), du psychologique (les
structures mentales mobilisées par l'apprenant dans la situation
d'apprentissage et non les facultés mentales en général)
et de l'épistémologique (la structure et l'élaboration
du savoir).
En effet, même si l'on est encore loin de trouver des modèles
définitifs en la matière, on aperçoit nettement que
ces trois types de paramètres sont en interaction dans tout apprentissage.
Ce qui fait d'ailleurs l'originalité et la spécificité
du processus éducatif, ce sont principalement ces interactions et
leur intégration. Pourtant ces dernières sont rarement envisagées
dans toutes les études décrites ci-dessus.
De plus, l'approche de l'apprentissage nécessite de ne pas se limiter au sujet apprenant et à ses mécanismes conceptuels. Ces derniers, bien que de caractère autoorganisé, sont largement interdépendants des conditions et des successions des environnements dans lesquels ils ont émergé au cours de l'histoire de l'individu. C'est pour tenter de combler ce manque, que nous avons tenté de décrire un nouveau modèle, qui se veut tout à la fois "interaction" et "élaboration" mais aussi "intégration" et "interférence" : le modèle allostérique d'apprentissage.
2.2. Critiques spécifiques
S'il n'est pas possible ici de présenter les multiples théories ci-dessus en ce qui concerne la compréhension, l'utilisation des connaissances ou la mémorisation, il est néanmoins utile de proposer quelques constatations qui doivent changer la façon dont on peut concevoir le fonctionnement de la pensée.
D'abord il est clair que la compréhension d'un savoir scientifique
ne peut se réduire au simple décodage des éléments
verbaux qui les expriment (décodage linguistique et sémantique)
comme le préconise Vygotsky (1934), encore moins à une acquisition
de données isolées comme le prétend Gagné (1965).
Par-delà l'apprentissage de chaque élément, il faut
faire intervenir les apprentissages liés à l'ensemble, et
cela en réponse à un questionnement spécifique.
De même, la mémorisation n'est pas un simple processus de stockage
des faits (théories académiques), elle est aussi une fonction
structurée. L'individu n'enregistre pas simplement les savoirs ou
les savoirs-faire, il les "construit", mieux, il les "élabore".
D'ailleurs, cela est déjà repérable dans les simples
perceptions visuelles ou auditives. Elles ne peuvent être déconnectées
de la mémoire (ou des fonctions supérieures de la pensée)
qui leur fournit la trame du décodage.
Certes les théories génétiques ou cognitivistes
se sont davantage intéressées au traitement de l'information
et aux effets de l'environnement sur l'apprentissage. Mais les résultats
de ces études sont encore peu convaincants. Toute une série
de raisons peuvent être mises en avant.
Premièrement, nous constatons dans le cas des apprentissages conceptuels
que tout ne dépend pas des structures cognitives. Des individus qui
dans des domaines ont atteint des niveaux très développés
d'abstraction raisonnent devant des contenus nouveaux de façon comparable
à de jeunes enfants.
Ce qui est en cause dans tout apprentissage, ce n'est pas seulement la capacité
à raisonner mais la structure même de la conception en place
dans la tête de l'apprenant. Les schèmes de pensée de
l'élève ne sont pas uniquement opératoires, les conceptions
mobilisées recouvrent un ensemble en interactions multiples. Ce dernier
est constitué par des questions, des opérations, des cadres
sémantiques et de références et des signifiants qui
constituent la grille de lecture interprétative. De plus, il faut
nécessairement que l'apprenant concilie l'ensemble de ces paramètres
(questions, opérations, cadres sémantiques et de références
et signifiants) pour constituer un nouveau savoir. Celui-ci d'ailleurs ne
sera mobilisé que s'il "prend sens" pour l'apprenant. La
question de la signification est encore rarement envisagée dans la
psychologie génétique ou dans la psychologie cognitive.
Deuxièmement, l'élaboration des concepts ne peut se réduire
à un apprentissage de données isolées. Tout apprentissage
est caractérisé par une multiplicité de relations,
une pluralité d'organisations. Les processus élémentaires
ne peuvent donc rendre compte de tous ces aspects. "L'abstraction"
nécessaire n'est pas simplement "réfléchissante"
mais elle est aussi "déformante" ou "mutante".
Un nouvel élément ne s'inscrit pas directement dans la ligne
des connaissances antérieures ; celles-ci représentent le
plus souvent un obstacle à son intégration. Ainsi, les informations
propres à permettre un apprentissage ne peuvent être assimilées
directement, elles vont le plus souvent à l'encontre de la structure
de pensée. Celle-ci fréquemment les élude.
Il faut donc envisager une "déformation intellectuelle"
où interagissent informations et structure mentale pour que la structure
mentale se transforme. Elle débouche à terme, non pas sur
une simple accommodation, mais sur une mutation radicale du réseau
conceptuel. Lorsque les informations nouvelles sont intégrées
par le système de pensée de l'apprenant, celui-ci s'enrichit,
mais le plus souvent se transforme et transforme le problème.
Le problème de l'intégration des différentes données
dans un ensemble conceptuel reste alors entier, et cela d'autant plus que
les différentes théories ci-dessus ne s'intéressent
pas à la structuration d'un savoir spécifique par l'apprenant.
Les interrelations qui existent entre les concepts qui vont produire une
signification particulière sont rarement prises en compte. Or généralement
les concepts qui font l'objet de l'apprentissage ne sont pas compris tout
de suite par l'apprenant. Celui-ci a besoin d'informations complémentaires,
d'un autre système de relations ou tout simplement d'en apprécier
l'intérêt. Il ne peut effectuer ces activités nécessaires
que s'il a préalablement réalisé qu'en fait il n'a
pas compris l'information transmise ou que son système de pensée
n'est pas adéquat.
Et en général, on comprend la structure d'ensemble quand on
doit la décortiquer pour la faire fonctionner ou pour l'enseigner,
d'où l'importance d'une métacognition pour rendre le savoir
opératoire et mobilisable.
Enfin, supposer l'activité mentale comme un processus de traitement
de l'information (théories génétiques), ou même
comme un processus hiérarchisé de traitement d'informations
(théories cognitives) où ces dernières sont intégrées
au système conceptuel de l'apprenant, ne renseigne pas sur les conditions
qui facilitent l'apprentissage.
La connaissance des mécanismes cognitifs est nécessaire mais
elle demeure fort insuffisante pour inférer le contexte ou la nature
de la stratégie pédagogique ou médiatique adéquate.
Or ce sont ces dernières que les enseignants ou les médiateurs
ont le plus besoin de connaître.
Sur ce plan également, les théories psychologiques restent
muettes. Ce qui est tout à fait normal, ces éléments
n'entrent pas prioritairement dans leurs préoccupations, leurs projets
étant autres.
3. Un nouveau modèle d'apprentissage
Pour pallier à ces insuffisances en matière d'apprentissage,
il nous a donc semblé utile de promouvoir un autre modèle.
Sa particularité première est d'être à finalité
typiquement didactique. Ce nouveau modèle tente de répondre
directement et prioritairement aux questions liées à l'apprentissage.
De plus, il n'a pas été transposé à partir d'une
autre approche comme la plupart des théories ci-dessus, même
s'il comporte des éléments qui en sont issus. En outre, il
permet d'inférer des prévisions : un ensemble de conditions
propres à générer des apprentissages. C'est d'ailleurs
ce dernier plan, appelé environnement didactique, qui est le plus
souvent sollicité (Giordan et Girault 1992).
Dans ce texte, nous ne le décrirons que partiellement. Pour en savoir
plus sur sa structure, nous renvoyons les lecteurs à d'autres textes
(Giordan 1987, Giordan 1989).
3.1. Fonctionnement du modèle
L'appropriation de tout savoir dépend de l'apprenant, principal "gestionnaire" de son apprentissage. Elle se situe tout à la fois dans le prolongement des acquis antérieurs et en opposition à ces derniers. En effet pour tenter de comprendre, l'élève ne part pas de rien, il possèdent ses propres outils : les conceptions. Elles lui fournissent son cadre de questionnement, sa façon de raisonner et ses références. C'est à travers cette grille d'analyse qu'il interprète les situations auxquelles il est confronté ou recherche et décode les différentes informations qui l'interpellent.
Cependant tout apprentissage significatif doit se réaliser par
rupture avec les conceptions initiales de l'apprenant. Lors de l'acquisition
d'un concept, l'ensemble de sa structure mentale est profondément
transformée, son cadre de questionnement est complètement
reformulé, sa grille de références, largement réélaborée.
Ce qui nous a fait écrire que l'élève apprend à
la fois "grâce à" (Gagné), "à
partir de" (Ausubel), "avec" (Piaget) les savoirs fonctionnels
dans sa tête, mais dans le même temps, il doit comprendre "contre"
(Bachelard) ces derniers.
En effet, pour apprendre, l'apprenant doit aller le plus souvent contre
sa conception initiale, mais il ne le pourra qu'en faisant "avec",
et cela jusqu'à ce qu'elle "craque" quand cette dernière
lui paraîtra limitée ou moins féconde qu'une autre déjà
formulée.
Mais, encore faut-il qu'il ait l'occasion de faire fonctionner une telle
approche. Ce processus n'est pas le fruit du hasard, il s'établit
seulement en fonction des structures de pensée en place (questions,
cadre de référence, opérations maîtrisées)
et des enjeux que l'individu perçoit de la situation.
Les conceptions ne sont donc pas uniquement le point de départ, ni
le résultat de l'activité. Elles sont les instruments mêmes
de l'activité mentale. Appréhender une nouvelle connaissance
consiste alors à l'intégrer dans une structure conceptuelle
déjà fonctionnelle. La nouvelle conception se substitue à
l'ancienne en remplaçant les structures conceptuelles antérieures.
Toutefois ce qui change principalement dans la tête de l'apprenant,
et là le modèle allostérique le montre nettement, ce
ne sont pas les informations, c'est le réseau qui les relie et qui
produit une signification en réponse à une question.
L'apprenant est ainsi au coeur du processus de connaissance. Le savoir
ne se transmet pas, il procède d'une activité d'élaboration
pendant laquelle le système conceptuel mobilisé par l'apprenant,
confrontant les informations nouvelles et ses conceptions mobilisées
produit de nouvelles significations plus aptes à répondre
aux interrogations qu'il se pose.
L'enseignement du concept de circulation à l'école primaire
ou dans le premier cycle du secondaire ne va pas de soi. Faire passer l'idée
que le sang circule n'a pas de "sens" en soit, d'autant plus qu'on
ne sait trop quelle est la signification du mot circuler. En tout cas, on
peut constater que le message ne passe pas tant qu'il n'y a pas une question
derrière.
1. Une motivation possible pour approcher ce concept peut être
la question de la nutrition. Les organes ou les cellules (à discuter
suivant le public choisi) ont besoin de se nourrir. Comment le peuvent-ils
? Les élèves se rendent compte aisément qu'ils n'ont
pas d'accès direct sur l'extérieur. Un procédé
a du être mis en place par le vivant. A ce moment là, le sang
déjà bien connu prend sa place : il devient le liquide de
transport.
Ce déséquilibre conceptuel permet d'entrée de concerner
les élèves. Toutefois tous les obstacles sont loin d'être
encore franchis. Il faut encore que les enfants soient convaincus que la
nutrition est l'affaire de toutes les cellules ou de tous les organes et
non une fonction globale de l'organisme en général : "on
mange pour vivre". Un temps pour argumenter sur ce plan doit avoir
sa place à ce niveau.
2. L'excrétion des cellules peut mobiliser ce premier message et renforcer le rôle de sang. Toutefois l'idée d'apport de nourriture et de récupération des déchets n'implique pas automatiquement l'idée de circulation (au premier sens de cercle). Historiquement on a toujours envisagé un mécanisme type : l'arrosage des champs. Cette autre difficulté peut être dépassée si les élèves sont confrontés à une autre question: "le sang est-il sans cesse renouvelé comme l'eau dans les prés? Si non est-ce le même?"
Un petit calcul peut aider :
- "environ 5 litres de sang passent par minute dans le coeur",
- "on ne peut pas fabriquer autant de sang par minute surtout qu'on
en a autant en tout".
Cette argumentation ébranle le modèle de l'arrosage mais elle ne suffit pas seule à induire l'idée d'un transport en cercle. Sur ce plan, il est préférable d'introduire le modèle de circuit. La circulation seule, renvoie à l'idée de circulation automobile avec un aller-retour sur la même route. Le maître directement ou indirectement par les situations qu'il crée, doit induire l'idée de circuit. Les schémas habituels sont illisibles ou bloquent cette idée, notamment à cause de la double circulation où nutrition et respiration se superposent. Quelques situations de confrontation possibles :
- film sur un alevin transparent où on peut mettre en évidence,
grâce aux globules rouges, le circuit sanguin plus simple des poissons,
- envisager la continuité artères et veines et réflexions
sur ce qui se passe dans les organes (travaux sur capillaires),
- réalisation de maquettes dynamiques pour visualiser le parcours
du sang, avec pompe, organes et types de tuyaux et matérialiser les
fonctions des éléments du système. Dans les expositions,
la possibilité de visualiser par des boules se déplaçant
avec éclairage différent ou changement de couleur (à
cause de la température) peuvent aider à visualiser les transformations
du sang dans les organes et les poumons. En classe, cette modélisation
peut être entreprise avec du matériel de récupération.
Ce dernier point constitue une première approche pratique de la modélisation.
Des modèles papier-crayon peuvent également être fabriqués
par les élèves avec succès.
3. L'idée de nourriture peut être reprise et mobilisée à propos de la respiration, autre préoccupation facile à induire chez les élèves. "Il faut apporter de l'oxygène" aux organes ou aux cellules. Dans ce cas toutefois, un obstacle très fort est à franchir pour certains d'entre eux, la respiration n'est pas seulement affaire de poumons. De plus, des mises en relation multiples sont aussi à effectuer par les élèves :
- nourriture + oxygène --->énergie
- les organes ont besoin d'énergie,
- les organes fabriquent cette énergie : utilisation métaphore
de la voiture.
Chaque point nécessitent des explicitations et des confrontations entre élèves ou entre élève et documentation. Des conceptogrammes peuvent aider les élèves à y parvenir. Autre problème lié à résoudre : que peut-on dire sur l'oxygène pour ne pas en rester à l'idée fréquente de vitamine. Si tous ces éléments sont requis, on obtient dans ce cas un autre renforcement par mobilisation du savoir sur une autre situation.
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3.2. Obstacles à l'apprentissage
A côté de son aspect explicatif, le modèle allostérique
permet encore de prévoir une série d'obstacles à l'apprentissage.
Ils se situent à différents niveaux, ce qui induit nécessairement
des traitements spécifiques différents. En premier lieu, cas
le plus simple, il peut manquer une information nécessaire. Dans
d'autres cas, l'information nécessaire lui est accessible, mais l'apprenant
n'est pas motivé par rapport à cette dernière ou la
question qui le préoccupe est autre. Troisièmement, l'apprenant
est incapable d'y accéder pour des raisons de méthodologie,
d'opérations ou de référentiels. Enfin le plus souvent,
il lui manque les éléments propres à la gestion effective
de la compréhension.
C'est sur ces deux derniers points que le modèle allostérique
est le plus pertinent. Dans le cas des apprentissages fondamentaux, il montre
nettement que le savoir à acquérir ne s'inscrit jamais automatiquement
dans la ligne des connaissances antérieures ; celles-ci représentent,
le plus souvent, un obstacle à son intégration. Il faut donc
prévoir une transformation radicale du réseau conceptuel.
Cela implique un certain nombre de conditions supplémentaires.
3.3. Conditions pour une transformation
Si l'une des conditions précédentes n'est pas remplie,
l'apprentissage risque d'être compromis. La pensée d'un apprenant
ne se comporte donc pas comme un système d'enregistrement passif
qui graverait un nouveau savoir sur un terrain jusque là vierge.
Elle possède son propre mode d'explication qui oriente la manière
dont sont appréhendées les informations nouvelles.
Ce réseau conceptuel, constitué de manière involontaire
et inconsciente à partir des premières expériences
et des interprétations personnelles des situations d'enseignement
ou de médiation antérieures constitue un véritable
filtre pour toute nouvelle acquisition.
C'est donc l'apprenant qui, pour une raison ou pour une autre, doit se
trouver en situation de changer ses conceptions. Si l'enseignement ne les
prend pas en compte, celles-ci résistent vivement à tout changement
ou remodelage. Or, l'apprenant ne met pas seulement en place un simple processus
d'assimilation-accommodation. Certes, un processus autorégulateur
doit être établi, mais il ne peut fonctionner seulement comme
un "pont cognitif" (Ausubel) ou comme une "abstraction réfléchissante"
(Piaget 1976).
L'image qui peut qualifier au mieux la mécanique de l'apprendre est
celle d'une élaboration. En effet l'apprentissage présente
à la fois des modes principalement conflictuel et intégrateur.
De plus, sa principale caractéristique est d'être d'abord interférentiel.
Ces interférences sont la conséquence des multiples interactions
nécessaires, entre conceptions et contexte d'apprentissage, entre
conceptions et concepts, et surtout entre les multiples éléments
qui constituent les conceptions (cadre de questionnement, cadre de références,
processus conceptuel mis en jeu et même traces utilisées).
L'action propre de production de signification de l'apprenant est au coeur
du processus de connaissance. C'est ce dernier qui trie, analyse et organise
les données afin d'élaborer une réponse personnelle
à une question. Et personne ne peut le faire à sa place. Encore
faut-il qu'il ait "en tête" une question qui l'intrigue.
Seul l'apprenant peut travailler à intégrer les informations
neuves qui lui parviennent ou qu'il rencontre afin de leur donner un sens
qui demeure compatible avec l'organisation d'ensemble de la structure mentale
préalablement établie. C'est d'ailleurs là que la notion
d'interférences prend toute son importance. Ce qui demande du temps
et passe nécessairement par une séries d'étapes successives.
Toutefois le moteur de ce processus n'est pas une simple "maturation".
C'est plutôt une émergence dépendant des conditions
internes qui régulent la pensée de l'apprenant d'une part.
D'autre part, les conditions extérieures dans lesquelles est plongé
l'apprenant interfèrent à leur tour largement. D'ailleurs,
c'est le réseau de relations mobilisées entre le système
conceptuel de l'apprenant et les informations glanées à l'école
et hors de l'école qui est pertinent, et non la suite des données
enregistrées.
On voit alors combien l'apprentissage ne peut être non plus un mécanisme
d'accumulation. Pourtant cette idée sous-tend encore tous les programmes
scolaires. On décompose la connaissance en une série de disciplines,
et les disciplines en chapitres, sous-chapitres, etc. On les aborde successivement,
leur juxtaposition reconstituant spontanément le tout.
L'appropriation du savoir doit être envisagée d'abord comme une suite d'opérations de transformation systémique et progressive, où ce qui compte principalement est que l'élève soit concerné, interpellé dans sa façon de penser. Or habituellement, le savoir lui est proposé "à froid", sans questionnement.
3.4. Un environnement didactique
Ce processus ne peut pas être le produit du hasard. Il doit être largement favorisé par ce que nous appelons un environnement didactique, mis à la disposition de l'élève par l'enseignant, et d'une manière plus générale par tout le contexte éducatif et culturel. La probabilité pour qu'un apprenant puisse "découvrir" seul l'ensemble des éléments pouvant transformer les questionnements ou pouvant faciliter les mises en relation multiples et les reformulations est pratiquement nulle dans un temps limité. Même les autodidactes reconnaissent que leurs acquisitions ont été facilitées.
Parmi les paramètres significatifs, un certain nombre d'entre-eux peuvent être déjà répertoriés grâce au modèle allostérique. D'abord, le contexte éducatif doit nécessairement induire une série de déséquilibres conceptuels pertinents. Il s'agit de faire naître chez l'apprenant une envie d'apprendre, puis une activité élaboratrice. Pour cela, il faut le motiver par rapport à la question ou à la situation à traiter ou du moins le faire entrer dans cette dernière.
Un certain nombre de confrontations authentiques sont en particulier indispensables. Ce peuvent être des confrontations élève-réalité par le biais d'enquêtes, d'observations ou d'expérimentations dans le cas où celles-ci s'y prêtent. Ce peuvent être aussi des confrontations élève-élève par le biais de travaux de groupes ou de confrontations avec les informations. Toutes ces activités doivent convaincre l'apprenant que ses conceptions ne sont pas suffisamment adéquates par rapport au problème traité. Elles l'aident à expliciter sa pensée et l'entraînent à prendre du recul par rapport à ses évidences, le plus souvent à reformuler le problème ou/et à envisager d'autres relations. En outre elles peuvent le conduire à glaner un ensemble de données nouvelles pour enrichir son expérience.
Deuxièmement, il est important que l'apprenant ait accès
à un certain formalisme. Ce formalisme qui peut prendre des formes
très diverses (symbolisme, schématisation, modélisation)
est une aide à la réflexion. Pensez combien les chiffres arabes
et les règles de la multiplication peuvent faciliter cette acquisition
contrairement aux chiffres romains ou aux abaques du Moyen-Age !
Bien sûr le symbolisme choisi doit être accessible et facilement
manipulable pour l'apprenant. Il doit correspondre à une réalité,
lui permettre d'organiser les diverses données ou lui servir de point
d'ancrage pour produire une nouvelle structuration du savoir. Sur ce dernier
plan, l'introduction de modèles permet toujours une vision renouvelée
de la réalité. Elle peut servir de "noyau dur" pour
fédérer les informations et produire un nouveau savoir.
Faire naître chez l'apprenant une activité élaboratrice sur un tel sujet n'est pas simple. Les élèves ont l'impression de connaître, "la plante se nourrit dans le sol" et ils sont peu motivés pour en savoir plus. Diverses situations peuvent l'interpeller avec succès : plantes sans sol, cultures hydroponiques, plantes de forêts tropicales aériennes, lentilles, misères dans verre. Il faut signaler l'importance de la maîtrise, au préalable ou en parallèle chez l'apprenant, d'un certain niveau d'attitude et de démarche. Cela facilite le questionnement et une prise de recul par rapport aux phénomènes. Chaque fois une réelle confrontation est indispensable (confrontations élève-réalité, confrontations élève-élève) pour qu'il puisse expliciter sa pensée dans le cadre de travaux de groupe. De plus, divers travaux doivent l'amener à glaner un ensemble de données nouvelles pour enrichir son expérience par rapport à la question en jeu. Ils doivent le conduire à tester sa pensée par le biais d'observations ou d'expériences (variations des divers facteurs expérimentaux : lumière, température, concentration en CO2, sel minéraux, etc.). Ils doivent l'entraîner à prendre du recul par rapport à ses évidences, le plus souvent à reformuler le problème (que veut dire se nourrir ?) ou/et à envisager d'autres relations (relation nourriture-énergie). La nécessité d'arguments divers est primordiale en la matière, l'enseignant ne doit jamais se contenter d'un seul, présenté rapidement. De plus, tous ces éléments doivent être adéquats par rapport au cadre de références de l'élève, sinon, il les élude.
Pour les élèves maîtrisant bien la démarche scientifique, l'approche peut être facilitée par des confrontations élève-informations dans le cadre d'un travail documentaire (cultures sur sols divers, interactions de facteurs, rôle des engrais, de l'humus, du fumier). Toutes ces activités de confrontations doivent convaincre l'apprenant que ses conceptions ne sont pas adéquates ou sont incomplètes par rapport au problème traité, et éventuellement que d'autres sont plus opérationnelles.
Ensuite, l'apprenant doit avoir accès à un certain formalisme en tant qu'aide à la réflexion. Ce formalisme peut prendre des formes très diverses (schématisation, modélisation). Il doit être aussi facilement manipulable pour organiser les nouvelles données ou pour produire une nouvelle structuration du savoir (en tant que points d'ancrage). L'introduction d'un modèle global peut servir de "noyau dur" pour fédérer les informations au fur et à mesure.
Ce modèle peut être à compartiment. Certains modèles partiels doivent être envisagés de façon complémentaire pour préciser chacun des point (rôle de la lumière, des chloroplastes, respiration par rapport à photosynthèse, transduction d'énergie). Chaque fois, ils devront être adaptés au cadre de compréhension de l'élève. Enfin il faut ajouter que, pour que le concept de photosynthèse soit réellement opératoire, il est nécessaire de procurer à l'apprenant des situations où il pourra mobiliser son nouveau savoir et en tester l'opérationnalité et les limites (activités de cultures, chaînes trophiques).
Sur le plan didactique, un certain nombre d'investigations sont en cours. Un certain nombre de procédures différentes apparaissent utilisables avec succès suivant les moments. En tant que première étape, il se révèle que sur un contenu donné, il est plus économique que l'enseignant fournisse une ébauche de modèle. L'enseignant ou le médiateur doit toutefois s'entourer de précautions. Il est utile que ce "pré"-modèle soit lisible, compréhensible, adapté à la perception du problème que s'en fait l'élève.
Au préalable, il est souhaitable que ce dernier ait eu l'occasion de se familiariser avec leur usage. Qu'il ait eu la possibilité d'en produire et même d'en faire fonctionner... Il est surtout important que l'apprenant ait pris conscience qu'il n'y a pas de bons "modèles". Tout modèle n'est qu'une approximation temporaire. Il est ainsi utile que l'élève "jongle" avec plusieurs d'entre eux pour tester leur opérationnalité et leurs limites respectives.
Troisièmement, il est utile de procurer à l'apprenant des situations où, une fois élaboré, le savoir pourra être mobilisé. Ces activités sont indispensables pour montrer à l'élève que des nouvelles données sont plus facilement apprises lorsqu'elles sont intégrées dans des structures d'accueil ou quand elles ont un usage. N'apprend-on pas le plus souvent quand on est conduit à enseigner ou quand il faut réintroduire le savoir dans des pratiques ? De même, ces situations habituent l'apprenant à "greffer" le nouveau sur l'ancien. Elles l'entraînent à ce "va-et-vient" entre ce qu'il connaît et ce qu'il est en train de s'approprier. Les adhérences antérieures sont plus facilement dépassées.
Enfin, il est souhaitable que l'apprenant puisse mettre en oeuvre ce que nous appelons "un savoir sur le savoir". De nombreuses difficultés constatées montrent que souvent l'obstacle à l'apprentissage n'est pas directement lié au savoir lui-même mais résulte indirectement de l'image ou de l'épistémologie intuitive qu'il possède sur la démarche en jeu ou sur les mécanismes de production du savoir. Concrètement, il s'agit de mettre en place, et cela dès le plus jeune âge, une réflexion sur les pratiques conceptuelles. Quels sont leurs portées, leurs intérêts ? Quelles sont les démarches mises en jeu en classe ? Quelles sont leurs "logiques" sous-jacentes ? Pourquoi le savoir et même l'apprentissage ne seraient-ils pas un objet de savoir ... à l'école !
4. Conclusion
En conclusion, il est possible de resituer les différentes théories sur un graphe dont les trois axes sont ceux définis au point 1. On peut alors nettement voir que la plupart des théories en oeuvre à ce jour sont proches d'un seul axe. Elles mettent l'accent nettement sur un seul paramètre.
Le modèle allostérique par contre, et d'une manière
moindre le "zigzag modèle" développé dans
ce même livre par Schaefer sont d'un type nouveau. Ils apparaissent
de nature polyfactorielle : ils intègrent plusieurs paramètres.
Leur intérêt se situe au point de convergence d'un ensemble
d'éléments qui produit un système relationnel. Pour
le modèle allostérique, comme il l'a été dit
ci-dessus, l'apprentissage n'est pas l'affaire d'un seul facteur, c'est
un réseau de conditions nommé "environnement didactique"
qui est prépondérant pour l'enseignement et la médiation.
En fait, c'est même l'histoire de ces conditions qui s'avère
déterminante.