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Diversifier le curriculum et les formes dexcellence à lécole primaire, une stratégie de démocratisation ?
Philippe Perrenoud
Faculté de psychologie et des sciences de
léducation
Université de Genève
1991
I. Une diversification des formes dexcellence ne vaut que si elle est démocratisanteII. Lillusoire équivalence des formes dexcellence
III. Y a-t-il des formes dexcellence vraiment oubliées ?
IV. La reconnaissance au-delà de lécole
Le premier principe dune évaluation équitable est de ne pas exiger des élèves des maîtrises quils nont pas eu loccasion dacquérir en classe. Lévaluation traditionnelle contribue à la sélection, notamment, lorsquelle prend en compte des acquis dont lécole nest que marginalement responsable : sous prétexte dévaluer les effets de lenseignement, on sanctionne alors les inégalités préalables de capital culturel. Diversifier les formes dexcellence sans diversifier le curriculum aurait le même effet et favoriserait les favorisés. Je traiterai donc ici non seulement des attentes de lécole au moment de lévaluation, mais des contenus de lenseignement :
Cette approche sinscrit dans un ensemble de stratégies de démocratisation mettant en jeu le curriculum formel ou réel. La place me manque pour les envisager. Je me borne à signaler quatre directions complémentaires :
Ces stratégies " curriculaires " doivent se combiner à dautres approches : aménagement du cursus et des structures, différenciation de lenseignement, évaluation formative, didactiques plus actives et plus efficaces, association des parents et des collectivités locales au fonctionnement des écoles, gestion plus participative des établissements, formation des maîtres, équipements, travail en équipe des enseignants, etc. Que le lecteur veuille bien garder à lesprit que la lutte contre léchec scolaire passe par un ensemble de stratégies, la diversification des formes dexcellence, saisie à la fois au plan du curriculum formel et du curriculum réel, nétant quune composante, nécessaire mais pas suffisante, dun dispositif global de lutte contre les inégalités.
Diversifier le curriculum et les formes dexcellence, prendre en compte dautres facettes de lélève, cest une idée séduisante. Mais elle peut aussi être naïve. Jinsisterai donc sur les pièges et les limites, en essayant danticiper des effets pervers et de montrer les indispensables connexions entre des changements internes à linstitution scolaire et des changements culturels dans la société globale.
Je parle ici de lécole primaire, en me situant avant toute orientation/sélection vers des niveaux, options, filières. Il sagit donc de diversifier le curriculum à lintérieur dun cursus unique.
En cherchant à diversifier le curriculum, on espère valoriser des formes dexcellence moins dépendantes des ressources culturelles qui favorisent la réussite scolaire traditionnelle. Et de ce fait, de donner des chances à des élèves ou catégories délèves qui en sont actuellement démunis. Est-ce possible ?
Aujourdhui, il ny a pas douze mille façons dêtre bon élève à lécole primaire :
Peut-on concevoir une scolarité de base qui ne privilégierait pas les mêmes savoirs et savoir-faire pour tous, qui donnerait droit de cité à divers types de réussites, faisant appel à des ressources, à des compétences et à des attitudes différentes ? Et surtout à des ressources et des attitudes qui ne favoriseraient pas, aussi différentes soient-elles, toujours les mêmes classes sociales et les mêmes familles ? Il est clair que si léducation artistique prenait davantage de poids et équilibrait lorthographe ou la mathématique dans la sélection scolaire, pourquoi cela contribuerait-il à démocratiser lenseignement ? Selon la façon dont le curriculum artistique ou musical est conçu, il pourrait tout aussi bien renforcer les avantages des enfants issus de milieux favorisés, dans lesquels il y a des instruments de musique, lhabitude daller au concert, la fréquentation des musées, la familiarité avec les arts plastiques, etc.
La question est alors : quel pourrait être le visage dune diversification démocratisante, qui ne reconstituerait pas, ne redoublerait pas la force des mécanismes créateurs dinégalités, mais au contraire les ébranlerait, répartirait mieux les chances, donnerait au plus grand nombre la possibilité dêtre bon élève dune façon ou dune autre ? Y a-t-il des raisons de penser que la reconnaissance dautres formes dexcellence profiterait en priorité aux enfants actuellement défavorisés ? La prise en compte de capacités de négociation ou de leadership, par exemple, viendrait-elle réellement compenser le poids de disciplines plus académiques ? On se doute bien que les classes sociales qui préparent le mieux à labstraction et au maniement de la langue préparent aussi bien à lexercice du pouvoir et à la maîtrise des rapports sociaux. Parce que tout cela va de pair et participe dune position dominante dans la société. Certes, on peut imaginer des formes de sociabilité et de leadership différentes, dans lesquelles excelleraient les enfants dorigine populaire. Mais on est alors confronté à un problème auquel je reviendrai plus loin : lécole est-elle prête à reconnaître non seulement le leadership et la sociabilité, mais des formes de leadership et de sociabilité moins policées, moins respectueuses des apparences que celles quelle valorise aujourdhui ? Lexercice du pouvoir dans la rue, dans une bande de jeunes de la zone, fait appel à des compétences et des attitudes que lécole actuelle rejette.
Autre exemple : la débrouillardise. On connaît le stéréotype : dun côté lenfant de classe moyenne ou supérieure fort en thème, à laise devant des textes et des équations, actif pendant les leçons, de lautre lenfant peu scolaire, mais débrouillard, qui sait manier largent, faire des courses, bricoler, arranger les choses, cuisiner, vivre seul, etc. Est-ce bien ainsi que les choses se passent en moyenne ? Ny a-t-il pas autant de bonnes raisons de soutenir que la débrouillardise est le fait dune partie des enfants dans toutes les classes sociales et qui sait, peut-être davantage encore dans les classes favorisées, parce quelle participe dun habitus dominant : autonomie valorisée, " culot " lié à une assurance et une expérience de classe, réseau de relations, bon usage de largent et des appuis, etc.
Je nentends pas ici suggérer quon ne peut rien faire, mais je voudrais souligner les risques dune diversification trop aveugle à la réalité des inégalités. Être favorisé, dans une société stratifiée, cest en général être avantagé à beaucoup dégards simultanément, dans toutes sortes de registres, économiques et culturels certes, mais aussi relationnels et parfois pratiques. On ne peut pas faire comme si la société se divisait dune part en classes intellectuelles dépourvues de tout sens pratique et de toute qualité humaine, dautre part en gens moins instruits mais qui auraient le monopole du coeur ou de lexpérience de vie. Il conviendra donc, devant toute hypothèse de diversification, de se demander, avec réalisme, si elle ne risque pas de redoubler les mécanismes générateurs dinégalités.
Lécole secondaire a une certaine pratique de la diversification des formes dexcellence dès le moment où elle spécialise des filières et des formations, mais que cette diversification a. nest possible quà partir dune forte sélection préalable, b. prépare souvent, de façon invisible, une nouvelle sélection :
Par exemple, pour les bons élèves, les sections de langues anciennes, de langues modernes, de sciences ou de gestion se présentent comme également susceptibles de conduire aux études gymnasiales ou universitaires. Mais si lon considère lorigine sociale et le niveau scolaire moyen de leur public, leurs exigences à lentrée, le destin le plus probable de leurs élèves, on saperçoit que cette équivalence déclarée dissimule une hiérarchie de fait, que les professeurs, les élèves, les parents reconnaissent et dont ils se servent. Avec des stratégies dorientation fort classique : choisir apparemment un contenu détudes pour garantir en fait un niveau et des chances daccès ultérieur aux écoles les plus enviées.
À lécole primaire, on pourrait certes imaginer que, dès six ans, les élèves soient orientés vers des filières à dominante linguistique, technique, manuelles, mathématique, artistique, concrète, abstraite Jécarterai résolument cette approche. Outre lappauvrissement prématuré que cela impliquerait pour chacun, à un âge où comptent avant tout le développement global, les savoir-faire transversaux et lapproche interdisciplinaire, on anticipe la sélection masquée que représenterait le choix dune filière.
Lanalyse des effets pervers du modèle secondaire peut par contre permettre denvisager lucidement les risques de dérive lorsquon institue des formes dexcellence réputées équivalentes. Ces glissements sont monnaie courante. Chacun admet quon peut exceller au même degré en pratiquant des arts, des sports ou des métiers bien différents. Toutefois, comme Bourdieu la fort bien montré dans ses travaux sur la distinction (1979), toutes les formes dexcellence ne se valent pas, il existe un classement des classements, en vertu desquels le meilleur boucher sera, dans lesprit de la plupart de ses contemporains, définitivement inférieur au plus médiocre chirurgien, le plus habile ouvrier moins digne destime que le peintre le moins créatif.
On saisit là le problème fondamental :
De telles diversifications ambiguës existent dans divers domaines : il y a des arts " mineurs ", un talentueux joueur dharmonica ne sera jamais considéré comme légal dun pianiste virtuose. Parmi les sports ou les métiers comparables, certains sont " plus égaux que dautres ". Lambiguïté a des fonctions évidentes : elle atténue les compétitions, oriente une partie des praticiens vers des disciplines de seconde zone, tout en leur donnant loccasion dêtre excellents. Dans les rapports sociaux, ces hiérarchies subtiles ont un effet pacificateur. Mais à lécole, lenjeu nest pas seulement de donner à chacun limpression quil excelle dans un domaine ou une autre. Cest de véritable égalité quil devrait sagir
La diversification peut être un marché de dupes, si léquivalence déclarée des formes dexcellence ne résiste pas aux pratiques et aux stratégies des acteurs, qui recréent des hiérarchies dautant plus pernicieuses quelles sont niées par les textes.
Y a-t-il beaucoup de qualités non reconnues par le système éducatif ? On peut avoir cette impression si lon sen tient au curriculum formel et à son découpage en disciplines. En revanche, si lon considère ce que les maîtres exigent et valorisent vraiment, à travers épreuves, interrogations orales et autres tests, mais surtout dans la conduite et le travail quotidien, on est conduit à nuancer passablement le tableau.
Sil y a des qualités totalement méconnues à lécole, cest peut-être parce quelles y sont radicalement inacceptables ou simplement parce quelles sont totalement étrangères au monde scolaire. Sont inacceptables, par exemple, toutes les formes dexcellence dans un genre ou un autre de déviance : violence, racket, trafics divers, consommation de drogue. Dans ces domaines, certains enfants et surtout certains adolescents, ont des compétences extrêmement développées, comme chefs de bande, trafiquants, escrocs à la petite semaine, etc. On voit mal lécole valoriser ces " qualités ", même si, dans labstrait, on peut reconnaître quelles manifestent des compétences de haut niveau taxonomique (anticipation, organisation, prise de décision et de risque, etc.). De la même façon, une série de compétences dans le domaine relationnel et sexuel nont pas droit de cité dans les classes.
Dautres qualités, par exemple savoir faire la cuisine ou soccuper denfants en bas âge, ne sont pas valorisées à lécole parce quelles se réfèrent à des pratiques qui y ont aucune place. On retrouve là lun des problèmes classiques de la séparation de lécole et de la vie. La diversification des formes dexcellence est limitée notamment par le fait que, dans la division actuelle du travail de lespace, du temps social, toutes sortes de choses ne se font pas à lécole, ou alors dans des lieux et des temps qui ne concernent pas directement les enseignants. À part certaines écoles alternatives, la vie communautaire est plutôt réduite et, même dans les internats, où les élèves vivent ensemble, on ne fait pas nécessairement appel à leurs compétences et on ne fait pas le lien avec ce quon leur demande en classe.
À lintérieur des pratiques scolaires existantes, cependant, il existe peut-être des occasions de mettre en valeur des qualités moins étrangères à lunivers scolaires et pourtant méconnues ou peu valorisées. Dans lun des documents préparatoires au présent colloque de lUNESCO, on propose de " promouvoir une évaluation multidimensionnelle visant à motiver les élèves notamment par la reconnaissance dun plus grand nombre de domaines dexcellence. Prise en compte par le système éducatif de qualités généralement non reconnues : habileté manuelle, débrouillardise, sociabilité, leadership, endurance, curiosité, etc. ; et de valeurs éthiques : tolérance, franchise, etc. " La liste nest pas fermée, mais elle suffit à poser le problème : sagit-il vraiment de qualités ignorées ou sont-elles déjà prises en compte ?
On peut raisonner sur la diversification à un niveau dabstraction relativement élevé, celui du curriculum formel. Cest celui auquel on définit la politique de léducation, donc les objectifs de lenseignement obligatoire. Valoriser la tolérance ou la débrouillardise, cest forcément en donner une sorte de définition institutionnelle comme on la fait pour le calcul mental ou lanalyse grammaticale. On peut envisager une diversification plus sauvage, moins centralisée, au niveau du curriculum réel, chaque maître inventant, dans son coin, des formes dexcellence non standards, donnant davantage de chance à une partie de ses élèves. Cette seconde approche me paraît beaucoup plus crédible, parce quil est évident que beaucoup de maîtres attendent de leurs élèves davantage ou autre chose que de bons résultats. Si on leur donnait le pouvoir, plus ouvertement, dévaluer globalement les élèves en fonction dun ensemble de paramètres, sans devoir à la fois exclure une partie des qualités importantes à leurs yeux et découper les autres en rondelles, on irait certainement vers des évaluations globales moins défavorables aux enfants actuellement en échec.
Lendurance, par exemple, est une qualité sinon évaluée explicitement comme telle, du moins fortement liée à la performance scolaire, diversement selon les établissements et les classes. Si lon considère le rythme de vie et lorganisation du temps dans beaucoup décoles, on peut se dire que lendurance compte autant que lintelligence ou les acquis notionnels. Lannée scolaire est une course dobstacles, une alternance de temps forts et de temps faibles institutionnels tout à fait indépendants des rythmes personnels des individus, une succession de stress et de contrôles. Dès 8-10 ans, un élève subit durant lannée scolaire un nombre impressionnant dépreuves écrites, par exemple, en moyenne, deux ou trois par semaine pour quarante semaines décole par an. En réalité, déduction faite des périodes où il nest pas opportun dévaluer formellement, la moyenne hebdomadaire est nettement plus élevée et certaines semaines, cest au rythme dune ou deux épreuves par jour que les élèves doivent résister. Indépendamment de lévaluation formelle, il y a les petits contrôles, les devoirs à la maison, les exercices à rendre, la course constante pour tenir des échéances, pour avoir son matériel, pour rassembler ses esprits au moment des changements fréquents dactivités, etc. On peut donc tout à fait soutenir que lendurance est déjà évaluée dans la réussite scolaire.
On pourrait en dire autant de la débrouillardise. Dès les premiers degrés de la scolarité primaire, les élèves sont confrontés à un ensemble dattentes très difficiles à satisfaire sans tricher un peu. Tricher au sens étroit, autrement dit frauder, copier des réponses sur le voisin, saider douvrages clandestinement, faire faire certains travaux par ses parents ou par des camardes complaisants. Tricher aussi dans un sens plus large, cest-à-dire sauver les apparences, donner des gages dadhésion au système et jouer constamment avec la limite. On pourrait soutenir donc que les élèves qui réussissent sont ceux qui ont appris rapidement à jouer avec les attentes du système, à ne pas les prendre constamment au sérieux, à " en prendre et en laisser ", à conserver une réserve et une distance pour durer. Cette forme de débrouillardise là, fondamentale dans les organisations, lécole y prépare et en même temps la valorise indirectement. Cela nexclut pas naturellement dautres formes de débrouillardise, dans des domaines plus pratiques ou plus relationnels, qui elles, en effet, pourraient être valorisées plus explicitement à lécole.
Le leadership, la sociabilité, la curiosité sont aussi présents, indirectement, dans la réussite scolaire. Du moins si lon prend en compte les didactiques rénovées de la mathématique, de la langue maternelle, des sciences et des langues étrangères. Il fut un temps où on demandait aux élèves beaucoup de mémorisation, un certain conformisme et une certaine application dans la mise en uvre des règles, un travail très personnel, etc. Aujourdhui, les attentes se sont fortement diversifiées. Dans les systèmes scolaires contemporains, on demande aux élèves de travailler en groupe, de sorganiser, de conduire des recherches, de prendre des initiatives, damener des objets et des questions, daller travailler dans les bibliothèques, etc.
Si lon prend en compte non seulement les ressources mobilisées dans lévaluation formelle (qui décide de la réussite scolaire), mais lensemble des critères que le maître utilise dans son appréciation globale des élèves, de leur travail en classe, de leur attitude dans le groupe, on saperçoit que la gamme des qualités requises est moins étroite quil ny paraît de prime abord. Si ce nest pas évident lorsquon observe les performances académiques, cest déjà plus visible lorsquon prend en compte lappréciation du comportement ou de lattitude. Dans beaucoup de systèmes scolaires, lévaluation comporte deux volets, lun portant sur les acquis prévus au programme, lautre sur lordre, lapplication, la participation, lintégration au groupe-classe, etc. Dans ce second registre, on fait évidemment appel constamment à des qualités humaines et éthiques. Un bon élève est un élève pacifique, qui aide ses camarades, qui ne ment pas, qui ne triche pas, qui ne soppose pas au maître constamment, qui joue un rôle actif dans le dialogue maître-élèves et dans les travaux déquipe, qui manifeste du plaisir et de ladhésion.
La variable déterminante, alors, est le type de pédagogie et dévaluation quon pratique :
Pour le dire schématiquement : toute avancée vers lécole active et les pédagogies nouvelles est un gage de diversification du curriculum, tout progrès vers une observation qualitative et une évaluation formative garantit une prise en compte plus riche et tolérante des qualités des élèves.
Que la diversification des formes dexcellence soit officielle, au niveau du système ou informelle, au niveau de la salle de classe ou de létablissement, reste un problème de fond : à quoi sert-il de valoriser des formes dexcellence qui ne seront pas reconnues par la suite ? Prenons un exemple très concret : certains maîtres valorisent ouvertement la prise de risque et la prise de parole, la capacité et le courage dexprimer ses idées même en situation dincertitude, de souvrir à la contradiction, dénoncer des hypothèses. Cest une forme de diversification. Les situations dincertitude effraient une partie des bons élèves, qui ont peur de ne pas savoir, qui attendent de maîtriser pour saventurer dans un domaine moins connu. Dautres élèves, peut-être moins brillants, ont davantage le sens du jeu et du risque. Imaginons donc quun maître valorise limagination, la prise de risque et le courage tout au long dune année scolaire, voire de deux ou trois années consécutives où il garderait les mêmes élèves. Et par la suite ? Quarrivera-t-il si, lorsque ces élèves changent de classe, la première chose quils entendent est " Quand on ne sait pas, on se tait ! " ou " Vous feriez mieux de réfléchir avant de dire nimporte quoi " ou " Tu vas encore dire une bêtise ! ". Toutes façons de signifier que dans cette nouvelle classe, on ne parle quà coup sûr, quil faut avoir un rapport sérieux et non ludique au savoir, quil faut faire juste tout de suite parce quon na pas loccasion de rectifier le tir.
Ce nest quun exemple. On pourrait les multiplier à propos de lautonomie, de loriginalité des démarches intellectuelles, de lentraide entre élèves, etc. Déjà à lintérieur de lécole, les attentes sont souvent contradictoires, un maître demande aux élèves de prendre des initiatives, davoir un projet, de ne pas attendre quil les tienne par la main, le maître suivant ne supporte pas ces comportements. Ou encore, un maître encourage les élèves à la coopération, à se donner des informations, à saider dans les tâches intellectuelles et le maître suivant revient à la compétition et au chacun pour soi.
À supposer quà lintérieur du système scolaire, ou en tout cas dun cycle détude, il y ait une plus forte cohérence au sein du corps enseignant (ce qui nest pas une mince affaire !), resterait le problème majeur, celui de la continuité entre les formes dexcellence valorisées à lécole et celles qui ont cours dans les familles, dans les entreprises, dans la société.
Un maître ou une école qui favorisent pendant plusieurs années lesprit critique, la prise de parole, lhabitude dargumenter, de contester, de négocier les décisions, préparent, on le sait bien, des élèves inadaptés aux attentes dune partie des familles et des employeurs. Là où on valorise la créativité, limagination, le rêve, on prépare une partie des élèves à se retrouver devant des gens qui leur demanderont de travailler sans réfléchir, de suivre les règles, de ne pas se poser de questions et de faire ce que le chef a ordonné.
Cest une façon de souligner que lécole ne peut faire cavalier seul sans prendre de risques et surtout sans en faire courir à une fraction de ses élèves. Elle ne peut valoriser des formes dexcellence alternatives ou plus diverses sans se soucier de leur statut dans la société. Cest pourquoi, diversifier les formes dexcellence ne peut être une affaire strictement interne à la classe ou à létablissement, ni même concerner le seul système éducatif. Toute diversification qui ne coïnciderait pas, quitte à lanticiper un peu voire à la favoriser, avec une évolution des représentations et des valeurs qui ont cours dans la société, conduirait, à un décalage, au détriment dune partie des élèves.
Les écoles alternatives, actives, nouvelles sont depuis longtemps confrontées à ces choix. Elles montrent quon peut défendre des formes alternatives dexcellence à condition de le faire avec beaucoup de force et de cohérence, de sorte à nantir les élèves de ressources adaptatives qui leur permettront de " sen tirer " même sils ne sont pas conformes aux attentes standards dun employeur ou dune école postobligatoire. Pour survivre dans un système conformiste, il faut beaucoup dautonomie, un peu ne suffit pas. Pour imposer une négociation des méthodes de travail là où elle na pas cours, il faut une force, une habileté, un patience qui requièrent une longue préparation et probablement aussi une réflexion constante, durant la formation, sur la distance probable entre les valeurs internes à lécole et les valeurs auxquelles on sera confronté plus tard.
Gérer lécart est donc possible. Mais lexpérience des écoles nouvelles ou alternatives montre quil faut un fort engagement idéologique et pédagogique du côté des enseignants, une adhésion des parents et une scolarisation assez longue dans un curriculum cohérent. Si on ne peut pas réunir ces conditions, qui sont en quelque sorte celles dune contre-culture ou dune culture dissidente ou critique, on ne peut aller très loin dans la diversification des formes dexcellence, sauf si elle est parallèlement amorcée dans les mentalités au-delà de lécole, et dabord dans lesprit des parents.
On pourrait imaginer une école qui aurait pour ambition principale de donner à chacun loccasion dêtre excellent dans au moins un domaine. Rien ninterdirait alors délargir et de diversifier les formes dexcellence, pour que chacun trouve au moins un instrument qui lui convienne dans le concert. Mais cette logique, nest-ce pas plutôt celle dun centre de loisirs, dune maison de la culture, dun espace communautaire au service du développement et de lépanouissement des personnes ?
Sans vouloir dramatiser, il me semble lucide dadmettre quhistoriquement lécole obligatoire a partie liée avec la sélection et la valorisation de formes dexcellence spécifiques. Si lon ne voulait pas donner à chacun un niveau de maîtrise minimale dans certains domaines prioritaires, et fonder une sélection scolaire, puis professionnelle sur les maîtrises acquises dans ces mêmes domaines, à quoi bon sembarrasser de systèmes éducatifs aussi lourds, aussi dominés par lÉtat et la société, aussi préoccupés dégalitarisme, dhomogénéité, de standardisation ?
Il ne viendrait à personne lidée de demander à une église de diversifier les formes de foi et de croyance. Précisément parce quune église est un lieu de défense et dillustration dune forme particulière de foi et de croyance. Une église parfaitement cuménique, où coexisteraient toutes les religions, toutes les organisations, tous les rituels, toutes les croyances, serait-elle encore une église ?
Dans beaucoup de pays encore, lécole reste solidaire dune église dominante. Même lorsquelle est entièrement laïcisée, elle reste solidaire dun État, ou en tout cas dune société civile dont les forces vives veulent assurer la cohésion, la reproduction, le développement, la sécurité, lidentité. Sans caricaturer lécole comme un simple appareil idéologique dÉtat, un instrument de pure reproduction des privilèges de la classe dominante, on ne peut en nier la nature profonde, qui est dêtre une institution à travers laquelle la société pèse sur les individus dans le sens du conformisme, de lintégration, de la transmission du patrimoine et de systèmes de valeurs, de la perpétuation dun ordre social et dune organisation de la production. La diversification des formes dexcellence scolaire doit nécessairement composer avec cette réalité. À la limite, pourrait-on dire, notre société na que faire dune école qui valoriserait la macramé ou le yoga au même titre que la mathématique ou lexpression écrite.
Aussi longtemps que cette société na pas évolué vers une redéfinition sociétale (et non pas scolaire seulement) des formes dexcellence, de leur diversité, de leur hiérarchie, lécole a un pouvoir limité. Certes, en jouant sur son autonomie relative, la confusion sémantique, la générosité des uns, le souci de démocratisation des autres, la vogue dun certain pluralisme, elle peut trouver toutes sortes de façons de valoriser des élèves dans dautres registres que le traditionnel savoir lire, écrire, compter. La question quil faut alors poser crûment est : à quoi bon ?
Lune des perversités de toute pédagogie de la réussite, cest quelle est tentée de tourner le dos aux acquis réels, de nier les inégalités qui sinstallent, pour maintenir lestime de soi et créer contre vents et marées un sentiment de maîtrise et de réussite. En ce domaine, on peut atteindre un seuil où tout bascule. Ce qui, en deçà du seuil, était stratégie efficace denseignement, façon de redonner à un plus grand nombre délèves des espoirs, des chances, des mobiles dapprendre, pourrait devenir, au-delà du seuil, pure manipulation des apparences, installation des élèves dans un faux semblant, une illusion de maîtrise, une zone protégée qui ne fait que différer la confrontation avec les exigences réelles de la société.
En pratique, le seuil nest pas toujours facile à identifier. Lorsquà un enfant de 7-8 ans qui ne sait pas lire, on dit quil apprendra, quil a beaucoup dautres qualités, quil ne doit pas se faire trop de soucis, on laide évidemment à garder de lespoir, à se concevoir comme capable dapprendre à lire, fût-ce un peu plus lentement et plus tard que les autres. On fait donc du bon travail. Mais on doit bien se dire en même temps quune fois ou lautre ce discours optimiste sonnera creux et finira par ressembler aux paroles rassurantes quon tient aux mourants en les assurant, alors que personne nest dupe, que tout va sarranger, que ce nest pas si grave.
Il serait regrettable que la diversification des formes dexcellence aille dans ce sens, fonctionne comme une sorte de " machine à brouillard " qui donnerait lillusion, pendant les années de scolarité, que " tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil ", autrement dit, dans le domaine scolaire, que tout le monde est compétent et motivé, simplement dans des registres différents. Ce discours, constructeur et constructif dans ses intentions, peut devenir aliénant lorsque sa seule fonction est de consoler, de protéger de la réalité, de dissimuler trop longtemps les inégalités.
On peut évidemment souhaiter que notre société, dans son ensemble, évolue, notamment, vers une diversification des formes dexcellence les plus valorisées. Lécole peut contribuer à une telle politique, à supposer quelle existe, notamment en ne menant aucun combat darrière garde pour conserver les valeurs anciennes, en éduquant au pluralisme et à la tolérance, en diversifiant ses programmes et ses exigences même lorsque cela complique son fonctionnement, en anticipant les changements de société, en aidant une partie des parents à les comprendre, en formant les enseignants, en prenant des initiatives et en faisant des expériences dans le domaine de la diversification du curriculum.
On peut même aller un peu plus loin. Aujourdhui, dans les sociétés développées, le système éducatif représente une concentration impressionnante de spécialistes de la socialisation et de la culture. Bien plus que dans les parlements ou dautres instances de réflexion et de planification, cest dans lécole quon trouve les gens capables de penser et de proposer la diversification des formes dexcellence au-delà de lécole. Non pas en vase clos et en se substituant à la société ou à ses autres corps constitués, mais en faisant un travail idéologique, scientifique, didactique qui prépare le changement en structurant le débat, en dessinant des alternatives, en accumulant des arguments et des modèles. Aujourdhui, lécole pourrait et devrait jouer un rôle moteur non seulement dans sa propre adaptation aux changements de la société, mais dans lanticipation et la conceptualisation de ces changements. On peut parfaitement imaginer quelle se donne et reçoive le droit, université comprise, de faire des propositions dans le domaine de la diversification des formes et des normes dexcellence.
Il reste que le système éducatif nest pas maître de lévolution et quà trop précéder ou ignorer les hiérarchies et les formes dexcellence qui ont cours dans la société, il risque simplement de marginaliser encore plus une partie des élèves, de leur faire croire durant des années, et avec eux à leur parents, quils ont acquis des compétences réelles et reconnues alors quen réalité elles nont de validité que dans lunivers scolaire.
Est-ce à dire quil faut renoncer à toute diversification ambitieuse des formes dexcellence scolaire aussi longtemps quelle ne suit pas ou nanticipe pas de près et avec réalisme une diversification des formes dexcellence socialement reconnues ? Je le crois. Mais cela ne signifie pas que le thème de la diversification est sans importance et encore moins quil faut considérer cette stratégie là comme une impasse. Elle est seulement moins prometteuse quune première impression, un peu naïve, ne pourrait le laisser croire.
Pour tempérer ce relatif pessimisme, jajouterai cependant quil y a entre la différenciation de lenseignement, nécessaire, et la diversification des formes dexcellence scolaire, problématique, peut-être une voie médiane.
En effet, en sattaquant aux formes et aux normes dexcellence, on touche au coeur même de lentreprise dinculcation scolaire. Cest pourquoi la diversification a des limites : au-delà dun certain seuil, lentreprise même perd son sens historique, lécole devient un supermarché où chacun trouve ce quil veut, ce qui lui convient. Cest peut-être une définition alternative du système éducatif, mais aujourdhui, nos sociétés ne sont pas prêtes à aller jusque là. Et il nest pas sûr que ça règle en quoi que ce soit le problème de linégalité devant la vie et léducation, car il y a toutes les raisons de penser que, dans un système éducatif régi par loffre et la demande, autrement dit les lois du marché, les favorisés seraient encore plus favorisés, parce quils feraient les bons choix, disposeraient du capital économique, social et culturel leur permettant de faire les meilleurs " placements éducatifs " comme ils font aujourdhui les meilleurs placements spéculatifs ou immobiliers.
Il me paraîtrait en définitive beaucoup plus fécond et efficace de chercher à diversifier le curriculum réel et les manières dêtre ensemble, de travailler, denseigner et dapprendre dans lécole. Évidemment, elles sont pour une part fonction des formes et des normes dexcellence scolaire. Si lon veut que les élèves maîtrisent le calcul mental, lanalyse grammaticale ou la géographie nationale, il faut consentir à ce quils passent un certain temps à exercer ces savoirs et savoir-faire. Mais :
Là est à mon sens le véritable potentiel de diversification : dans les aménagements des contenus, du travail scolaire, des situations didactiques, du temps scolaire, des usages de lespace, des modes de sociabilité, des rythmes, des rapports aux savoirs et à autrui dans lécole. En simplifiant à lextrême on pourrait dire : acceptons quen gros, à lécole, lenjeu soit, même et peut-être surtout pour les enfants issus des classes populaires, dassimiler un savoir de nature élitaire, parce que, maîtrisé, il donne accès aux emplois qualifiés et aux positions de pouvoir. La question est : est-on condamné à lassimiler dune façon élitaire ? Ou, plus subtilement : est-on condamné à apprendre dune seule façon, en loccurrence celle qui convient le mieux aux enfants des classes favorisées, qui respecte leurs valeurs, leur rapport au monde et au savoir, leur manière de donner du sens à laction et à lapprentissage ?
Prenons lexemple de la mathématique. Diversifier les formes dexcellence pourrait vouloir dire que la mathématique nest pas un savoir indispensable pour tous les enfants dune même génération, que dautres formes dexcellence peuvent sy substituer. Différencier lenseignement de la mathématique veut dire quon donne à chaque élève des appuis, des ressources, des conditions dapprentissage optimales en regard de ses acquis antérieurs et de sa façon dapprendre.
En cherchant une voie médiane, on peut se poser une autre question : ny a-t-il quune seule façon dapprocher la mathématique, de sy intéresser, den faire ? La diversification dont je parle ici ne se limite pas à celle des moyens ou des méthodes, des rythmes et des niveaux denseignement. Cest réellement dans le rapport aux savoirs, dans la façon de mettre la mathématique en relation avec des besoins, des projets, des problèmes, des modes de vie quil faut chercher un espace de diversification.
En schématisant, on pourrait dire que le rapport des classes favorisées à la mathématique simpose aujourdhui à tous les élèves de lécole, dès lécole maternelle : un rapport abstrait, censé être ludique dans les petits degrés, mais qui ne lest réellement que pour les élèves qui remplissent deux conditions : trouver amusant ce genre de jeu abstrait et y jouer convenablement. Pour sintéresser à lenseignement des mathématiques, aujourdhui, il faut un goût prononcé pour labstraction, le langage symbolique, les algorithmes, les procédures, les concepts dont le sens nest donné que par la cohérence interne du système formel ou par le goût pris à faire à vide un certain nombre dexercices, de raisonnements, de calculs.
Certes, depuis lavènement de la mathématique dite moderne, contemporaine dautres pédagogies rénovées, on a insisté sur la mathématisation du réel, sur la nécessité de la manipulation, sur laller et retour indispensable entre les concepts et des observables à la portée des élèves. Mais on sait dune part que, dans la pratique quotidienne des classes, ces bonnes intentions sont loin dêtre toujours réalisées. Et aussi, ce qui est plus pernicieux, que lorsquelles le sont, cest de façon aussi scolaire, voire scolastique que les exercices papier-crayon traditionnels.
Rendre possible un autre rapport, moins abstrait, à la mathématique, ce nest pas enjoliver les exercices traditionnels à laide de formes multicolores, de boîtes dallumettes et de tiges démontables ne fait pas vraiment sortir du registre de la mathématique désincarnée, coupée de tout projet daction sur le monde mais aussi, sauf aux niveaux les plus avancés du cursus, de tout véritable projet théorique ou formel que les élèves pourraient sapproprier. Dun bout à lautre du cursus, la mathématique scolaire tourne à vide et nintéresse, voir nenchante, que ceux qui ont une forme desprit particulière qui les incline à ces jeux abstraits.
Un autre rapport à la mathématique, cest nécessairement une autre intégration de la mathématique et dautres disciplines, techniques ou technologiques par exemple. Lidée, qui nest évidemment pas neuve, est de lier les apprentissages mathématiques à une instrumentation permettant de calculer, danticiper, de coordonner des actions humaines, en particulier des actions techniques. Il peut venir à lesprit de chaque instituteur quil serait plus facile de faire découvrir la notion, les unités et les instruments de mesure si on donnait aux élèves loccasion de les utiliser dans des projets qui les rendent indispensables, plutôt que de les introduire à un moment précis du cursus prévu par le plan détudes, sans autre nécessité fonctionnelle. Mais évidemment, dans le cadre des quelques heures de mathématique, surtout lorsque le programme annuel est relativement rigide, comment faire autrement que de déverser des notions et des exercices qui sont dans le pire des cas purement et simplement parachutés comme une chose à apprendre parmi dautres, dans le meilleur des cas amenés par une mise en scène plus pratique, mais qui reste de lordre de la simulation (par exemple " Si vous voulez mesurer la classe ").
On pourrait tenir le même raisonnement à propos de lapprentissage de lexpression écrite. À lécole primaire, et même jusquà la fin de la scolarité obligatoire, lécole na guère de prétentions littéraires. Elle souhaite former des élèves à écrire correctement des textes simples et pratiques, qui seront plus souvent de lordre de la correspondance commerciale ou administrative que de la littérature ou du texte théorique. Pourtant, aujourdhui encore, et en dépit des rénovations de lenseignement de la langue maternelle, on donne un poids considérable aux textes littéraires. À lécole primaire, les élèves passent encore des heures à rédiger des portraits, des récits de vacances, à inventer des textes de fiction alors quon leur donne beaucoup plus rarement loccasion dinscrire lécrit dans une perspective pragmatique. Ce faisant, on favorise considérablement les enfants issus des classes où les textes scientifiques, juridiques et littéraires sont le pain quotidien des parents, qui en lisent ou en fabriquent, qui en remplissent la bibliothèque familiale et en parlent à table. On peut, sans toucher à la forme dexcellence scolaire proprement dite (maîtriser la production de textes correctement construits, lisibles et efficaces), diversifier considérablement la façon de sy prendre en pratique, et diversifier dabord les écrits sociaux de référence, les textes demandés aux élèves et leur insertion dans un contexte culturel ou pragmatique. Ces idées sont maintenant assez anciennes, il resterait à les réaliser : par ce quils vivent quotidiennement, beaucoup délèves peuvent comprendre à quoi sert une lettre protestant contre une augmentation de loyer ou demandant un emploi, alors quune minorité seulement ont les clés pour comprendre à quoi rime un pastiche, une variation poétique ou le portrait dune grand-mère.
On peut proposer un raisonnement analogue à propos de la géographie. Plus elle reste un savoir théorique, encyclopédique, composante obligée de la culture générale et de lidentité nationale, plus on la tient à distance des classes sociales et des familles pour lesquelles la géographie est au mieux un savoir pratique, lart de se repérer et de se déplacer dans un territoire. Concrètement, aujourdhui, pour la majorité des familles, la géographie cest tout simplement les vacances. Pour une fraction des élèves, dans un registre moins frivole, ce sont les migrations de leur parents et les leur propres. Dune autre façon encore, la géographie, cest lactualité politique mondiale, le dialogue Nord-Sud, la paix au Moyen-Orient, les fluctuations des prix du pétrole ou dautres matières premières, la recomposition de lEurope de lEst, les filières de la drogue, etc. Ces diverses pratiques géographiques offrent dimmenses possibilités de diversification. Encore faut-il que lécole les saisissent. Pour cela, elle na pas besoin de modifier les formes et les normes dexcellence, autrement dit des objectifs de maîtrise. Il lui suffit de modifier les méthodes et les contenus du travail quotidien, notamment en assouplissant le curriculum, en donnant à chaque maître le droit, voire le devoir et les moyens de partir de lactualité, des besoins des élèves, des occasions qui se présentent ici et maintenant.
On pourrait multiplier les exemples. Je ne retiendrai ici, en guise de conclusion provisoire, que lidée générale : avant de toucher aux formes et aux normes dexcellence scolaire, du moins dans leur état le plus général, lécole dispose dune large autonomie dans le choix des situations didactiques, des moyens denseignement, des exercices et des illustrations, des activités, des événements, des projets, des problèmes à partir desquels les élèves travaillent quotidiennement. Dans tout cela, sincarnent aussi des valeurs et des représentations. Tout cela aussi peut faire lobjet dune ouverture et dune diversification, ou au contraire dune définition monolithique et élitiste. Là se joue une diversification moins utopique et peut-être plus à la portée du système éducatif, parce quelle nexige pas des bouleversements sociaux et relève de la pédagogie et du curriculum réel plutôt que de la mission globale de lécole.
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