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Philippe Perrenoud
Faculté de psychologie et des sciences de
léducation
Université de Genève
1991
I. Faire feu de tout bois !II. Didactique et régulation des apprentissages
III. Une régulation par défaut : lévaluation formative
IV. Régulation de lapprentissage ou de lactivité ?
V. Stratégies des acteurs et contrat didactique
VI. Espaces de jeu et qualification des maîtres
VII. Une évaluation économique et praticable
Lidée dévaluation formative se prête à des débats spécialisés sur des questions très pointues. Mais il importe, périodiquement, de retrouver une vue densemble et de se demander : les praticiens et les chercheurs se posent-ils les bonnes questions ? Quels sont aujourdhui les acquis et les incertitudes ? Les impasses et les pistes fécondes ? Entre labstraction un peu creuse et la technicité bornée, entre lautonomie et la fusion dans la didactique, lévaluation formative cherche encore sa voie. Sur la conception des objectifs, la nature de linstrumentation, les rapports entre évaluation formative et pédagogie, nul ne peut prétendre détenir des vérités définitives. Sur la façon dintégrer lévaluation à la pratique, sur les stratégies de changement ou de formation des maîtres, diverses conceptions saffrontent également.
Je ne prétends pas faire ici uvre de synthèse, mais plutôt présenter de façon condensée ce qui me paraît la voie la plus féconde pour orienter aussi bien la recherche que la formation au cours des années qui viennent.*
Est formative toute évaluation qui aide lélève à apprendre et à se développer, autrement dit, qui participe à la régulation des apprentissages et du développement dans le sens dun projet éducatif. Telle est la base dun approche pragmatique. Il importe bien sûr de savoir comment lévaluation formative aide lélève à apprendre, par quelles médiations elle rétroagit sur les processus dapprentissage. Mais au stade de la définition, peu importent les modalités : ce sont les effets qui comptent. Des effets attendus sur le processus dapprentissage, il reste à remonter à lintervention régulatrice qui les produit, et, en amont encore, aux observations et aux représentations qui guident cette intervention.
Lévaluation formative a été longtemps associée à limage dun test critérié intervenant après une période dapprentissage, test suivi dune séquence de remédiation pour les élèves ne maîtrisant pas les acquis visés.
Depuis une dizaine dannées, les chercheurs francophones sefforcent délargir ce modèle, den retenir linspiration globale plutôt que des modalités peu compatibles avec les théories de lapprentissage ou les didactiques de référence.
On peut donc espérer aujourdhui navoir plus à plaider longuement pour lélargissement :
Une conception large de lobservation
Mieux vaudrait parler dobservation formative davantage que dévaluation, tant ce dernier mot est associé à la mesure, aux classements, aux carnets scolaires, à lidée dinformations codifiables, transmissibles, comptabilisant les acquis et les lacunes.
Observer, cest construire une représentation réaliste des apprentissages, de leurs conditions, de leurs modalités, de leurs mécanismes, de leurs résultats. Lobservation est formative lorsquelle permet de guider et doptimiser les apprentissages en cours, sans souci de classer, certifier, sélectionner.
Lobservation formative peut être instrumentée ou purement intuitive, approfondie ou superficielle, délibérée ou accidentelle, quantitative ou qualitative, longue ou brève, originale ou banale, rigoureuse ou approximative, ponctuelle ou systématique. À priori, aucun type dinformation nest exclu, aucune modalité de saisie et de traitement de linformation ne doit être écartée.
Sans doute pourra-t-on avancer quune observation médiocre a peu de chance de guider une intervention efficace. Quon se garde cependant dassimiler la qualité dune observation à sa conformité à des standards méthodologiques développés dans le domaine de la mesure. Une mesure digne de ce nom doit être valide, fidèle, précise, exempte de biais, stable. Une évaluation formative ne doit se plier à aucun de ces critères par pur souci de respectabilité. Sa logique est différente, seuls comptent ses effets.
Quant au champ des observables, il est aussi divers et complexe que les processus dapprentissage et de développement et leurs conditions (Cardinet, 1983, 1986 b). Rien ninterdit dévaluer des acquis, de pratiquer des bilans. Pour réorienter laction pédagogique, il faut en général avoir une idée du niveau de maîtrise déjà atteint. Mais on peut sintéresser aussi aux processus dapprentissage, aux méthodes de travail, aux attitudes de lélève, à son insertion dans le groupe, autrement dit à tous les aspects cognitifs, affectifs, relationnels, matériels, de la situation didactique. Pour comprendre certaines erreurs de lecture à partir dune interprétation psychanalytique à la manière de Bettelheim et Zélan (1983), il faut évidemment observer tout autre chose quun niveau de performance.
Ce qui compte le plus, dans lobservation, cest moins son instrumentation que les cadres théoriques qui la guident et gouvernent linterprétation des observables. Mais ici encore, évitons les normes a priori : certaines théories savantes et explicites de lapprentissage et du développement guideront certaines formes dobservation et dévaluation formative ; mais des théories plus naïves, des paradigmes plus vagues, des représentations plus personnelles des processus et des causalités en cours pourront se révéler tout aussi efficaces. En létat actuel des sciences humaines, on ne peut espérer disposer de modèles théoriques fondés et partagés pour tous les apprentissages prescrits par le curriculum. Existerait-il de tels modèles quon ne pourrait espérer ce que tous les maîtres les comprennent, les acceptent et les intériorisent au point de les faire fonctionner avec rigueur dans toutes les situations didactiques.
Une conception large de lintervention
Il ny a aucune raison dassocier lidée dobservation formative à un type particulier dintervention.
Le développement et lapprentissage dépendent de mille facteurs, souvent enchevêtrés. Toute évaluation qui contribue à optimiser, si peu que ce soit, lun ou plusieurs dentre eux peut être considérée comme formative. On ne voit pas pourquoi on sen tiendrait à la définition de la tâche ou aux consignes, à la démarche didactique et à ses supports, au temps accordé à lélève ou à lappui quon lui prodigue. Tout ce qui agit sur le climat, les conditions de travail, le sens de lactivité, limage de soi importe autant que les aspects matériels ou cognitifs de la situation didactique.
On peut aider un élève à progresser de mille façons. En expliquant plus simplement, plus longuement ou autrement. En lengageant dans une autre tâche, qui soit plus mobilisatrice ou proportionnée à ses moyens. En allégeant son angoisse, en lui redonnant confiance. En lui proposant dautres raisons dagir ou dapprendre. En le plaçant dans un autre cadre social, en dédramatisant la situation, en modifiant la relation ou le contrat didactique, en modifiant le rythme de travail et de progression, la nature des sanctions et des récompenses, la part dautonomie et de responsabilité de lélève.
Lélargissement de lintervention suit plusieurs axes complémentaires :
Les pédagogies de soutien suivent le même chemin. Reste évidemment à trouver les ressources (temps, énergie, disponibilité), les méthodes et les règles déontologiques qui permettront daller dans ce sens. Lintervention devient problématique lorsquelle relève du travail social, de la thérapie familiale ou de la prise en charge clinique autant que de la pédagogie, fût-ce au sens large. Cet élargissement de lintervention, fondé en théorie puisquil répond à la complexité du réel et adopte une approche systémique, rencontre en pratique dinnombrables obstacles : rôle et formation des maîtres, division du travail entre enseignants et entre eux et dautres intervenants (psychologues, assistants sociaux notamment).
Une conception large de la régulation
Historiquement, lidée dévaluation formative sest développée dans une logique de laprès-coup. On peut (contre les connotations les plus spontanées) tenter de débarrasser lidée de remédiation de ses connotations orthopédiques ou curatives, considérer quelle fait partie des régulations ordinaires de lapprentissage, quelle intervient bien avant léchec et quelle concerne tout élève qui napprend pas spontanément. Il reste que la remédiation est de lordre de la réaction, de la rétroaction à lissue dune ou de plusieurs séquences dapprentissage, compte tenu des acquis et difficultés observables.
Dès 1978, Linda Allal, à propos dévaluation formative (1979, 5ème réédition 1989) puis plus généralement de pédagogie de maîtrise (1988 a), a distingué trois types de régulations :
Ces trois modalités peuvent se combiner. Nulle ne devrait être associée à une procédure stéréotypée. La régulation rétroactive peut prendre la forme dune remédiation, mais ce nest pas la seule possibilité. Et la remédiation doit elle aussi être entendue dans un sens large : " remédier " ne veut pas dire nécessairement retravailler les mêmes notions et savoir-faire, fût-ce avec de nouvelles explications, plus de temps, un matériel différent. Une remédiation large peut amener à reconstruire des éléments bien antérieurs, en renonçant provisoirement aux apprentissages problématiques. Elle peut aussi conduire à agir sur dautres dimensions de la situation didactique, voire de la carrière scolaire. Intervenir après coup ne signifie pas ipso facto : refaire immédiatement le même chemin dans de meilleures conditions.
La régulation " proactive " se situe aux limites de lévaluation formative. Linda Allal la définit dailleurs comme une forme de régulation, pas nécessairement dévaluation. Avant denseigner, il paraît raisonnable de se demander à qui on sadresse, ce que les élèves savent déjà, quelles sont leurs dispositions desprit et leurs ressources, quelles difficultés ils risquent de rencontrer. On ne se trouve pas alors dans une logique de lorientation, ni même de lattribution à des niveaux ou des traitements pédagogiques séparés, mais de lajustement des tâches et des situations à la diversité des élèves.
Quant à la régulation interactive, il faut lapparenter à une modalité de gestion de classe et de différenciation de lenseignement. Certes, en définissant des microséquences de travail, sinon denseignement, on peut ramener toute régulation interactive à une régulation proactive ou rétroactive et se retrouver dans une logique de lanticipation ou de la remédiation. Mais lintérêt du concept est justement de faire basculer lévaluation formative du côté de la communication continue entre maîtres et élèves (cf. Cardinet, 1988). Dans cet esprit, mieux vaudrait considérer les régulations proactives et rétroactives comme des formes un peu frustes de régulation interactive, des concessions aux conditions de travail qui, dans la plupart des classes, empêchent une interaction soutenue avec tous les élèves. Sans tout miser sur la régulation interactive, elle est à mon sens prioritaire, parce que seul véritablement capable de mordre sur léchec scolaire.
Les limites de lélargissement
Lélargissement de lobservation, de lintervention, des moments et des modalités de régulation va dans le sens non seulement dune autre évaluation, mais dune pédagogie plus efficace.
Aussi réjouissante soit-elle, cette évolution pose cependant des problèmes conceptuels importants, liés à la représentation de la régulation et à la définition même de lévaluation formative comme pratique identifiable, distincte des autres facettes de laction pédagogique.
Cette tendance saccentue à la faveur des apports les plus récents de la recherche sur lintégration de la perspective formative à la didactique, sur le rôle de la métacognition et de lautoévaluation, sur les régulations inscrites dans les interactions didactiques,
Peut-être le moment est-il venu de reconstruire plus explicitement les problématiques autour du concept de régulation des apprentissages, en considérant lévaluation formative comme une forme parmi dautres de régulation. Je proposerai même de la concevoir comme une régulation par défaut, nintervenant quen dernière instance, lorsque dautres formes de régulation ont (provisoirement) épuisé leurs vertus. Non pour minimiser le rôle du maître et de son travail dobservation et dintervention, mais pour ne pas gaspiller cette ressource rare ! Toutes les régulations qui fonctionnent sans le maître sont à la base dune pédagogie différenciée.
On peut considérer que tout feed-back, doù quil vienne et quelle quen soit lintention, est formateur dès lors quil contribue à la régulation de lapprentissage en cours. Faut-il pour autant parler dévaluation ou dobservation formatives ? Ne risque-t-on pas de dissoudre le " formatif " à force de lélargir ?
Dans son esprit, cet élargissement est dans la ligne dune approche pragmatique : si lon sintéresse à lefficacité de lenseignement, il est indispensable de sintéresser à tout ce qui contribue à la régulation du développement et des apprentissages. Lévaluation nest donc quune pièce dun dispositif plus vaste. Faut-il pour autant, par glissements successifs, étendre la notion dévaluation formative pour désigner lensemble du dispositif de régulation ?
Mieux vaut reconnaître que les recherches sur lévaluation formative conduisent partiellement à en sortir, à constituer ou à développer des théories plus générales des interactions et régulations didactiques, théories qui na pas encore trouvé leur unité et leur ancrage, mais qui sorganisent autour dune question fondamentale : comment concevoir des dispositifs didactiques favorables à une régulation continue des apprentissages ?
Ne pas dissocier lévaluation formative de la didactique
Participant de la réflexion sur lefficacité de lenseignement, lévaluation formative devait être pensée dans le cadre dune didactique. Cela devrait être évident, mais la tendance à la spécialisation des recherches et des formations tend à réserver aux uns le territoire de lévaluation, aux autres celui des didactiques disciplinaires.
Au cours des dernières décennies, les rénovations de curricula et de didactiques nont pas manqué. Souvent en rupture avec les didactiques traditionnelles (et implicitement avec leurs formes dévaluation sommative, lépreuve papier-crayon ou linterrogation orale), les nouvelles didactiques nont en général pas été très imaginatives en ce qui concerne lévaluation. Peut-être parce que, dans lesprit des rénovateurs, lévaluation reste du côté des contraintes, de linstitution, de la tradition et quils aspirent à " sen débarrasser ". Ou alors, ils anticipent avec résignation un " retour du refoulé ", comme si les pratiques traditionnelles dévaluation avaient suffisamment de force pour survivre aux rénovations et simposer aux maîtres contre lesprit de toute pédagogie nouvelle.
Peut-être ce raisonnement est-il valable en ce qui concerne lévaluation certificative ou sommative, notamment les notes et les carnets scolaires traditionnels. Même là, on peut suggérer que cest une politique à courte vue que dignorer ces formes dévaluation lorsquon veut renouveler la didactique de la mathématique ou de la langue maternelle par exemple. De toute façon, le raisonnement ne sapplique pas à lévaluation formative, qui devrait être prise en compte dans toute rénovation didactique. Mais cette façon de penser est encore loin dêtre partagée. Cest pourquoi les enseignants les plus soucieux defficacité sont souvent pris entre deux modèles : un modèle didactique séduisant (pédagogies des situations mathématiques, du projet, de la communication), mais qui ne dit pas grand chose de lévaluation et un modèle dévaluation formative transdisciplinaire, inspiré par la pédagogie de maîtrise ou dautres théories de lapprentissage et de la régulation, qui sest développé indépendamment de la didactique et du curriculum spécifique dune discipline. Lexemple le plus évident, à lécole primaire, est la confrontation entre les pédagogies nouvelles inspirées des principes de lécole active, mais muettes sur lévaluation, et des modèles dévaluation formative étroitement inspirés des premiers travaux de Bloom. La didactique parle alors le langage des situations de communication, des activités-cadres, des problèmes ouverts, des recherches, des enquêtes sur le terrain, de lengagement du groupe classe dans diverses entreprises ambitieuses. Alors que les modèles dévaluation formative parlent le langage dobjectifs précis, de tests formatifs, de séquences de remédiation.
Doù limportance de rechercher, avec Linda Allal (1988 a), un élargissement de la pédagogie de maîtrise. Il sagit dinventer des régulations adaptées aux pédagogies nouvelles, à leurs objectifs et à leurs théories de lapprentissage, plutôt que de faire régresser ces pédagogies pour les faire entrer dans le moule classique enseignement - tests - remédiations.
Peut-être faut-il aller plus loin.
En 1987, à Dijon, dans le cadre des rencontres francophones sur lévaluation, Daniel Bain affirmait : " Lévaluation formative fait fausse route " (Bain, 1988 a). Refusant que lévaluation formative soit constituée en champ autonome, il plaidait pour une " entrée par la didactique ", autrement dit pour une problématique de lévaluation formative construite à partir des contenus et des structures spécifiques du savoir aussi bien que des mécanismes dapprentissage correspondants. Prenant lexemple de la pédagogie de lexpression écrite, il montrait quune évaluation formative dans ce domaine suppose une théorie du texte et de la production de texte et doit sinscrire dans une démarche didactique cohérente, avec des hypothèses précises sur la façon dont se construisent les compétences et sur la nature des erreurs ou des errements probables des élèves.
Cette mise en garde provoquait, un an plus tard à Fribourg, une amicale confrontation entre Daniel Bain (1988 b), qui développait sa thèse, et Linda Allal (1988 b), qui, sans sopposer à toute entrée par la didactique, affirmait néanmoins la valeur dune approche transdisciplinaire de lévaluation formative, à partir de théories générales des objectifs, de lapprentissage et de la régulation.
Il y a en fait deux débats distincts. Lun touche à la spécificité relative de chaque type de connaissances et dapprentissages : on nacquiert pas la maîtrise dune langue étrangère comme on construit un savoir mathématique. Les régulations, au sens le plus large, et notamment celles qui relèvent de lévaluation formative au sens plus étroit retenu ici, ne devraient être conçues que dans un premier temps, parce que cest heuristique, comme des processus généraux. Dans un second temps, il importe de les spécifier. Il me semble sur ce point possible et nécessaire de ménager un va-et-vient entre des théories de lapprentissage relativement indépendantes des contenus, qui proposent des paradigmes généraux, et des théories de la connaissance, de la transposition didactique et de la construction des savoirs à lintérieur de champs délimités, quils correspondent ou non au découpages actuels du curriculum scolaire.
Le second débat me semble plus complexe. Il porte sur les rapports entre évaluation formative et didactique. Dans le mesure où lon définit lévaluation formative par sa contribution in fine à la régulation des apprentissages, on ne peut esquiver la question : quest-ce qui distingue lévaluation formative de la pédagogie tout court ? La question se pose dautant plus quon conçoit la didactique, au sens le plus large, comme un dispositif de régulation des apprentissages dans le sens dobjectifs affirmés.
La didactique comme dispositif de régulation
Concevoir la didactique comme dispositif de régulation, cest rompre avec une distinction classique, sinon toujours explicite, entre un temps de lenseignement, au sens large, et un temps de la régulation. Ce schéma suppose quon peut à bon droit dissocier deux moments successifs dans laction pédagogique :
Cette dissociation convient sans doute à certaines actions techniques fondées sur une science de référence solide et formalisée. Lorsquon lance une fusée, on peut calculer lessentiel de la trajectoire. Le calcul fonctionne alors comme une régulation anticipée. La régulation en temps réel devient une régulation résiduelle, qui permet de faire face aux perturbations mineures de lenvironnement.
La pédagogie aspire à sapprocher de ce modèle. Mais en a-t-elle les moyens ? Est-il raisonnable dinvestir essentiellement dans la construction dun curriculum, dun cours, de séquences didactiques bien faites, dans lespoir quà ces conditions, lapprentissage " ira tout seul " ? Tout auteur dun manuel ou dune méthode aimerait croire que la démarche denseignement quil propose est si " bien pensée " quelle anticipe les questionnements de lélève, ses perplexités, ses doutes, ses découvertes, ses cheminements. Ce qui devrait permettre de faire léconomie de toute régulation forte en cours dapprentissage. Dans les ouvrages méthodologiques, on trouve à foison des séquences et des situations didactiques exemplaires, censées produire des effets dapprentissage très importants. La question de léchec ou de laboutissement partiel de la démarche, du moins pour une partie des élèves, semble relever dun autre registre, celui de la vie quotidienne avec ses imperfections. Le discours didactique se meut encore très souvent dans un monde de fiction où les élèves veulent apprendre, maîtrisent les prérequis et ne résistent pas au génie de la méthode
Peut-être en arrivera-t-on un jour à ce degré de maîtrise anticipée des processus sociaux et mentaux. Aujourdhui, les didactiques les mieux conçues nassurent davance que les apprentissages dune fraction des élèves, les meilleurs, ceux dont on dit volontiers quils apprennent en dépit de lécole et saccommodent de toutes sortes de pédagogies. Parmi les autres, des nuances simposent : certains apprennent juste assez pour sen tirer honorablement et progresser de degré en degré. Dautres napprennent rien ou presque en se trouvent rapidement en échec grave. Par delà la diversité des destins scolaires, on saisit un seul phénomène : limpuissance des pédagogies à engendrer chez la majorité des élèves, du moins dans les temps impartis, des apprentissages à la hauteur des ambitions déclarées de lécole.
On peut analyser cette impuissance de diverses manières, insister sur le curriculum, les moyens denseignement, la méthode, les supports audiovisuels, la relation pédagogique, etc. Sans écarter totalement ces facteurs, il me semble quils passent à côté de lessentiel : le succès des apprentissages se joue dans la régulation continue et la correction des erreurs davantage que dans le génie de la méthode. On le sait fort bien pour la lecture : il y a toutes sortes de manières denseigner et dapprendre à lire. Sans les renvoyer dos à dos, on ferait mieux de chercher ce que les apprentissages efficaces ont de commun. Et on trouverait sans doute un dénominateur constant : des régulations fortes tout au long de lapprentissage.
Doù la conception de la didactique défendue ici : un dispositif favorisant une régulation continue des apprentissages. Au jeu déchecs, les premiers coups sont importants. Mais à eux seuls, ils commandent rarement lissue de la partie. Un bon joueur se soucie de choisir une bonne stratégie initiale, mais plus encore de lajuster en permanence au comportement de ladversaire, en allant au besoin jusquà en changer du tout au tout. Un entretien de recherche approfondi ne se joue pas davantage sur les trois premières questions. Lessentiel est la capacité de linterviewer de faire face à limprévu, dimproviser, de décider en situation. De même, un thérapeute sait quil lui faudra constamment réorganiser son action pour tenir compte de lévolution de la situation et de la relation.
La didactique, telle quelle est conçue ici, devrait relever du même registre : anticiper, prévoir tout ce quon peut, mais savoir que lerreur et lapproximation sont la règle, quil faudra constamment rectifier le tir. Dans cet esprit, la régulation nest pas un moment spécifique de laction pédagogique, elle en est une composante permanente.
Que devient lévaluation formative, dans cette perspective ? Elle est une forme de régulation parmi dautres. Avant dy recourir, il faut, si lon privilégie la régulation en cours dapprentissage, fonder davantage de stratégies éducatives sur le dispositif didactique lui-même et en particulier sur deux autres mécanismes qui nexigent pas lintervention constante du maître : la régulation par laction et linteraction et lautorégulation dordre métacognitif.
La régulation par laction et linteraction
Weiss (1979, réédition. 1989) a proposé de parler dinteraction formative, en pensant non seulement aux interactions didactiques classiques, mais à toutes les situations de communication dans lesquelles la stimulation ou la résistance de la réalité ne sont pas incarnées par le maître seulement, mais par dautres partenaires.
Tout apprentissage nexige pas un feed-back ad hoc. Pour une part, il se nourrit des régulations inscrites dans la situation dinteraction elle-même, qui oblige lapprenant à ajuster son action ou ses représentations, à identifier ses erreurs ou ses doutes, à tenir compte du point de vue de ses partenaires, autrement dit à apprendre par essais et erreurs, conflits cognitifs, coopération intellectuelle ou tout autre mécanisme régulateur.
Lidée que lapprentissage et le développement passent par une interaction avec le réel nest pas neuve. Toute la psychologie génétique piagétienne est indissociablement constructiviste et interactionniste (Perret-Clermont, 1979, Mugny, 1985). De leur côté, toutes les pédagogies nouvelles, modernes, actives insistent sur limportance de laction du sujet qui veut atteindre un objectif et se heurte à la réalité. On peut évoquer aussi les travaux dAnne-Nelly Perret-Clermont ou Marie Schubauer-Leoni (Perret-Clermont et Mugny, 1985 ; Perret-Clermont et Nicolet, 1988 ; Schubauer-Leoni, 1986, Schubauer-Leoni et Perret-Clermont, 1985) sur les conflits sociocognitifs et les interactions didactiques. Ou encore affirmer avec le CRESAS (1987) : " On napprend pas tout seul ! "
Certains insistent davantage sur les dimensions sociales de linteraction, quelle soit conflictuelle ou coopérative. Dautres donnent à la notion dinteraction un sens plus général de confrontation avec le réel, présente dans le travail solitaire aussi bien que dans léchange avec autrui. Linformatique et dautres machines audiovisuelles favorisent une interaction intermédiaire, puisquelles confrontent lapprenant à des mécanismes programmés par lhomme pour lui servir de partenaire. Papert (1981) parle de lordinateur comme dune " machine pour penser avec ".
Laction est facteur de régulation du développement et des apprentissages tout simplement parce quelle oblige lindividu à accommoder, différencier, réorganiser ou enrichir ses schèmes de représentation, de perception et daction. Linteraction sociale conduit lindividu à décider, à agir, à prendre position, à participer à un mouvement qui le dépasse, à anticiper, à conduire des stratégies, à préserver ses intérêts.
La leçon traditionnelle " modernisée " est une forme dinteraction sociale. On peut douter de son efficacité, notamment quant à la participation des élèves les plus faibles. Les pédagogies actives cherchent donc des structures dinteraction moins dépendantes du maître comme personnage central (travaux déquipes), moins enfermées dans lécole (enquêtes, spectacles), et qui sordonnent à des projets, des règles du jeu ou des problèmes ayant pour les élèves davantage de sens et dattrait que les exercices scolaires conventionnels.
Mon propos nest pas ici de débattre des pédagogies actives et interactives dans leur détail, mais de signaler que cest une des problématiques auxquelles conduit la perspective pragmatique, dès lors quon se soucie davantage des régulations que de lévaluation.
Lautorégulation dordre métacognitif
Lautre voie prometteuse touche à ce que J.J. Bonniol et G. Nunziati ont appelé évaluation formatrice. Il ne sagit plus alors de multiplier les feed-back externes, mais de former lélève à la régulation de ses propres processus de pensée et dapprentissage, partant du principe que lêtre humain est dès la prime enfance capable de se représenter au moins partiellement ses propres mécanismes mentaux.
Se rejoignent là, ce qui nexclut ni les différences ni le débat, divers courants de recherche partiellement indépendants au départ :
Ici encore, lapproche nexclut nullement lévaluation explicite faite par le maître, notamment comme incarnation dun modèle dobjectivation des processus et des acquis et dexplicitation des objectifs et des attentes. On est très loin cependant des tests critériés suivis de remédiations. Lévaluation formatrice na finalement quune parenté limitée avec lévaluation formative. Elle privilégie lautorégulation et lacquisition des compétences correspondantes.
Les deux approches qui viennent dêtre schématiquement décrites sont fort prometteuses. Elles recoupent ce que le Groupe français dEducation nouvelle appelle " auto-socio-construction des savoirs ", insistant à la fois sur lauto-organisation du sujet et sur linteraction sociale comme ressources majeures dans la construction des connaissances. Linspiration est globalement la même : combattre léchec scolaire par une pédagogie plus efficace, fondée sur des feed-back fréquents et pertinents aussi bien que sur une autorégulation.
Que les tenants de lévaluation formative soient aussi dactifs partisans dune évolution de lécole vers des pédagogies plus actives et interactives dune part, plus réflexives de lautre, qui sen plaindrait ? Que lidée dévaluation formative contribue à renouveler le débat pédagogique, tant mieux. Mais cela ne justifie pas quon élargisse indéfiniment le champ couvert par lévaluation formative. Je lai déjà indiqué, il me semble plus clair et plus fécond de lui conserver une signification précise, renvoyant à une action de lenseignant. Cela ne conduit pas à lisoler, sauf si lon tient à définir un champ de recherche par un unique mot-clé.
On peut esquisser trois sous-ensembles :
1. Dans le champ le plus vaste, il sagit de développer pour elle-même, fût-ce à partir de questions suggérées par lévaluation, une théorie générale des régulations métacognitives et interactives des apprentissages et du développement, en général et en situation scolaire, sans vouloir sous cet angle distinguer absolument, dans lensemble des feed-back participant à la régulation des apprentissages, ce qui résulte dune évaluation formative et ce qui participe dautres logiques daction ;
2. Dans le champ intermédiaire, lenjeu est de construire une théorie de lenseignement comme construction dun dispositif didactique, pratique de création et de gestion de situations didactiques censées à la fois stimuler et réguler certains apprentissages ;
3. Dans le champ le plus restreint, on sefforcera de mettre en évidence, à lintérieur du système dintervention du maître, certaines conduites dites dévaluation formative, qui se caractérisent par des modes spécifiques de prise dinformation et daction qui, sans quon les dissocie complètement de laction pédagogique, peuvent néanmoins faire lobjet dune réflexion, dune formation, dune instrumentation particulières.
Reconnaître que lévaluation formative nest quune régulation par défaut nest pas une façon de la dévaloriser, mais daffirmer :
Est-ce une forme de hara-kiri pour les " spécialistes " de lévaluation ? Je ne le crois nullement. Il y a maintenant plus de dix ans quils tentent, dans un vocabulaire de plus en plus étroit, de retrouver lunité des processus, tant du côté de lapprenant que du côté de lenseignant et du système didactique. Pourquoi ne pas en tirer les conclusions épistémologiques qui simposent ?
En sciences humaines, que ce soit sur le mode descriptif ou prescriptif, nous avons affaire à des totalités complexes qui ne sont traitables que par un travail permanent danalyse et de construction conceptuelle. Lémergence de la notion dévaluation formative a représenté une étape importante et a permis de rapprocher évaluation et didactique. Peut-être faut-il aujourdhui aller vers une redéfinition explicite des découpages et donc de notre vocabulaire. Si lévaluation formative est désormais conçue comme une modalité parmi dautres de régulation des apprentissages, mieux vaut redéfinir et renommer explicitement ce champ plus vaste que laisser durablement la partie représenter le tout.
Faut-il pour autant confier la recherche sur lévaluation formative aux seuls didacticiens ou théoriciens de lapprentissage ? Dans létat actuel de la division du travail et des territoires, cela ne serait guère prudent, pour au moins quatre raisons :
1. Il subsiste des mécanismes communs et des paradigmes généraux dévaluation formative ; il serait absurde de réinventer la roue dans chaque domaine.
2. Il faut faire la part, notamment dans lenseignement élémentaire et primaire, des objectifs interdisciplinaires ou transdisciplinaires, et des objectifs développementaux qui exigent une régulation sans pour autant sinscrire facilement dans le cadre des didactiques disciplinaires.
3. Une partie des situations et conditions dapprentissage se jouent au niveau de la gestion de la classe, voire de létablissement, en termes daménagement des espaces et du temps, de contrat didactique, de règles disciplinaires, de conception du travail scolaire et des savoirs, etc.
4. Enfin, une partie des didacticiens ont manifesté jusquici une profonde indifférence à lévaluation ; Daniel Bain ne saurait ignorer que sa conception de la didactique ne fait pas lunanimité, que certains des formateurs ou méthodologues qui constituent la noosphère préfèrent ne pas se compliquer la tâche en intégrant vraiment lévaluation, quelle soit certificative ou formative, à leur réflexion. Aujourdhui encore, tant dans la formation des maîtres que dans la conception des méthodologies et des moyens denseignement, lévaluation reste souvent le parent pauvre, quelle soit sommative ou formative. Cela tient à toutes sortes de traditions dans le fonctionnement de lécole et des instituts de formation des maîtres.
Lintégration de lévaluation formative à la didactique est indispensable. Reste à savoir quand et à quelles conditions elle pourra se faire. Aussi longtemps quelle ne va pas de soi, cette intégration avancera dautant mieux quil subsiste une réflexion multipolaire sur lévaluation formative, de préférence avec des lieux institués de rencontre.
Etre pragmatique, ce nest pas tourner le dos à la théorie, ce nest pas décider, comme certains enseignants sont tentés de le faire, de jeter aux orties les concepts compliqués et les hypothèses incertaines sur les mécanismes dapprentissage. Ce qui menace le plus lidée de régulation des apprentissages, cest la confusion entre apprentissage et activité. Intellectuellement, chacun peut faire la différence entre lactivité plus ou moins visible dans laquelle un élève est engagé à un moment précis et les concepts, les schèmes, les savoir-faire que cette activité contribue, dans le meilleur des cas, à développer ou à consolider. Cest dans le vif de laction que la distinction seffrite. Nombre dinterventions du maître ne sont régulatrices que de lactivité en cours et du fonctionnement de la classe.
On ne peut guère espérer apprendre sans être actif. Mais toute activité nengendre pas automatiquement des apprentissages. La confusion entre régulation des apprentissages et régulation des activités est dautant plus forte que la régulation est interactive. Car elle intervient alors en cours dactivité et le maître doit concilier dans lurgence au moins deux logiques :
Ces deux logiques ne se conjuguent pas facilement. Toute décision favorable à la gestion de lactivité en cours ne contribue pas nécessairement à la régulation des apprentissages. À linverse, certaines régulations des apprentissages peuvent être destructrices ou perturbatrices pour lactivité en cours.
Le problème serait compliqué même si la dissociation était évidente et explicite. Mais en réalité, lapprentissage en train de se faire nest pas observable. On en est donc réduit à des indices visibles, parmi lesquels limplication dans la tâche, la participation aux activités collectives. Lenseignant doit donc, dans le flux des événements, conduire une double interprétation : retenir et comprendre ce qui laidera à animer lactivité, dune part, retenir et comprendre ce qui laidera à favoriser les apprentissages, dautre part.
Un certain nombre de rénovations didactiques peuvent accroître la confusion. Elles insistent, à juste titre, sur limportance de la communication, des projets, des activités-cadres, des recherches, des moments de création, etc. Ces activités complexes présentent un double avantage : dune part elles ont un sens immédiat pour une bonne partie des élèves et les mobilisent fortement, à condition dêtre bien animées. Dautre part, elles font appel à des compétences de haut niveau taxonomique et favorisent en principe des apprentissages transférables : savoir anticiper, comparer, décider, raisonner, communiquer, négocier, etc.
Pour tenir leurs promesses, de telles activités exigent de lenseignant beaucoup dénergie investie dans la préparation, lanimation du groupe, lorchestration des interventions et des tâches des uns et des autres. Préparer un spectacle, monter une exposition ou conduire une enquête sont des entreprises ambitieuses, qui font courir des risques sociaux, psychologiques, pédagogiques, parfois physiques (lorsquon sort de lécole ou quon travaille avec certains matériaux ou certains outils). Il arrive donc souvent que la vigilance de lenseignant soit toute entière captée par le souci de faire fonctionner le groupe et la tâche.
Il sagit bien de régulations, mais elles portent davantage sur laction que sur lacquisition de compétences. On ne peut donc alors parler dune évaluation formative, fût-ce pour la qualifier dimplicite ou dinformelle. Le maître fonctionne comme les autres acteurs, il est centré sur la tâche à réussir plutôt que sur lapprentissage à construire. De plus, il a souvent conscience de porter lentreprise, et se trouve donc deux fois plus impliqué et responsable que ses élèves Bien sûr, un maître expérimenté peut, en participant à la mise en scène dune pièce de théâtre, à lélaboration dun journal ou à la préparation dune enquête, observer toutes sortes de fonctionnements et de compétences qui motiveront plus tard une forme ou une autre dintervention. Les situations dinteraction sont, potentiellement, des situations dobservation privilégiées. Mais sur le vif, laction du maître consiste à incarner ou à organiser la résistance du réel à laction, ou à sengager aux côtés de lélève pour la surmonter. Que lui reste-t-il alors, comme disponibilité et comme forces, pour se faire une représentation des acquis et des processus dapprentissage en jeu ? Souvent pas grand-chose. Son action est formatrice, mais il ny a pas pour autant " évaluation formative ".
On ne peut sans conséquences renoncer soit à des activité prometteuses, soit à une observation plus fine de ce qui sy joue dans la tête des élèves. On se trouve donc ici dans une véritable contradiction : une pédagogie active exige, pour soutenir les interactions, des choix et un regard peu compatibles avec la posture de lobservateur attentif. Or dans la classe, il faut choisir. Par souci de réalisme, Cardinet (1986 b) propose, surtout en situation de régulation interactive, de centrer lobservation sur les conditions dapprentissage plutôt que sur les résultats, qui napparaîtront clairement que plus tard. Mais ici encore, il nest pas facile de dissocier les conditions de lapprentissage du bon fonctionnement global du groupe-classe ou même de la situation didactique.
La régulation des conduites peut évidemment, dans le meilleur des cas, entraîner une régulation des apprentissages. En gérant le groupe et ses tâches, le maître sengage dans des interactions avec les élèves et en encourage dautres entre eux. Reste à savoir, parmi ces interactions, lesquelles engendrent des apprentissages, par modification, différenciation, coordination des connaissances et des schèmes acquis, et lesquelles contribuent simplement au fonctionnement. Cest toute la question des pédagogies actives, des travaux de groupes, des tâches coopératives, du conflit cognitif. Comment discerner les interactions fécondes (du point de vue des apprentissages) des interactions de routine ? Et comment favoriser les premières en contenant les secondes dans les limites du nécessaire ? À ces questions pourrait répondre une méthodologie de la régulation plutôt de que lévaluation formative stricto sensu. Mais les processus en jeu sont en partie du même ordre : identifier dans le flux et la complexité du réel les variables à la fois pertinentes et changeables
Les pédagogies actives peuvent aussi, sous certaines conditions, stimuler les mécanismes dautorégulation, à la fois parce quelles font peser sur chacun des attentes sociales plutôt que scolaires, qui invitent les élèves à prendre leurs responsabilités et à tenir leurs engagements ; et parce que la planification collective dune enquête, dun roman ou dun spectacle oblige à expliciter des modèles de gestion de tâches intellectuelles, pour diviser et organiser le travail, négocier et tenir un planning, évaluer la progression.
Paradoxalement, lélargissement de la perspective formative à divers modes de régulation tend à la fois à rendre laction pédagogique plus efficace et plus dispersée, parce que saccroît. le nombre déléments à coordonner dans la classe. La régulation devient plus clairement encore inséparable de la gestion de classe.
Langélisme est lun des travers de la pédagogie différenciée et de lévaluation formative. Même à luniversité, même dans lenseignement postobligatoire, on ne peut pas faire comme si tous les apprenants avaient constamment envie dapprendre, savaient pourquoi ils sont là et voulaient coopérer à leur propre formation.
Lévaluation formative doit constamment composer avec dautres rationalités. Les rationalités inégalitaires des systèmes scolaires et des établissements (Grisay, 1988). Les rationalités des consommateurs décole (Ballion, 1982), celles de tous ceux dont le souci est de se dégager du piège scolaire (Berthelot, 1983) et de triompher dans la compétition pour les titres et les postes.
Intégrer lévaluation formative au contrat didactique
Le contrat didactique (Brousseau, 1980 ; Schubauer-Leoni, 1988) est larrangement implicite ou explicite qui sétablit entre le maître et ses élèves à propos du savoir, de son appropriation et de son évaluation. Ce contrat, tel quil fonctionne dans beaucoup de classes, ne laisse guère de place à une évaluation formative. Or le maître nest pas libre de redéfinir le contrat à sa guise. Les attentes des élèves se sont forgées au gré de leurs expériences scolaires antérieures ; ils ont appris que le métier délève consiste en général à en savoir et à en montrer juste assez, au bon moment, pour avoir la paix ; que lart consiste à travailler de façon juste assez appliquée et intensive pour que le temps passe et quon arrive au bout dune période sans contentieux, autrement dit sans sattirer un blâme, un travail supplémentaire ou une prise en charge ad hoc qui obligerait à rester à la récréation, à aller au cours dappui, etc.
Bien entendu, dans une classe, il y a toujours certains élèves disposés à travailler plus que la moyenne, pour apprendre davantage, faire plaisir aux adultes ou mille autres raisons. Ceux-là se prêteront volontiers au jeu de lévaluation formative, qui exige leur pleine coopération, tant au stade de la prise dinformation que de la régulation.
Mais cela ne va pas de soi pour tous les élèves. Certains résistent à lidée de donner à voir leur façon de sorganiser, de penser, de construire un texte ou un raisonnement, de faire des hypothèses. À la curiosité du maître à propos de leurs processus cognitifs, ils opposent une résistance active ou passive. Quant à lintervention qui pourrait les aider à progresser, elle suppose de la bonne volonté, du temps, un travail supplémentaire et aussi un face à face avec le maître. Un certain nombre délèves naspirent pas à en apprendre le maximum, mais se contentent de " sen tirer ", darriver à la fin de lheure, de la journée ou de lannée sans catastrophe, en ayant gardé du temps pour dautres activités que le travail scolaire. Tout contrat didactique est un compromis fragile : le maître doit tirer ses élèves assez loin pour quils maîtrisent une partie du programme et fassent bonne figure au degré suivant, mais en se souciant de ne pas casser la dynamique par des exigences excessives, qui provoqueraient une révolte ouverte ou des stratégies de défense moins contrôlables, absentéisme, tricherie, attitude bureaucratique, absence dinitiative, etc. (Chevallard, 1986 ; Perrenoud, 1988 a).
Lévaluation formative suppose toujours un déplacement de ce point déquilibre vers plus de travail scolaire, plus de sérieux dans lapprentissage, moins de défenses contre linstitution scolaire. Pour lélève, les avantages dun investissement plus important ne sont pas toujours faciles à anticiper. Lécole, en abusant du rituel " Peut mieux faire ! ", a peu à peu privé son discours incitatif de crédibilité. Les élèves peuvent se sentir piégés au jeu de lévaluation formative et de la recherche dune plus grande maîtrise des savoirs et savoir-faire, embarqués dans le " toujours plus ".
Autre aspect : lévaluation formative suppose une visibilité, une transparence qui sopposent aux stratégies de dissimulation des enfants et adolescents rompus aux ficelles du métier délève. Comme en témoigne le thème du congrès de Neuchâtel, les travaux sur lévaluation formative prêtent une attention croissante aux phénomènes de communication. Mais là encore, langélisme menace (Perrenoud, 1990).
Le poids du contrat didactique est dautant plus fort que lévaluation formative et la différenciation de lenseignement sont très inégalement pratiquées dun maître à lautre, dun degré à lautre. Chaque maître souhaitant pratiquer une évaluation formative doit reconstruire le contrat didactique, contre les habitudes acquises par ses élèves. De plus, il a affaire à des enfants ou à des adolescents enfermés, pour certains, dans une identité de mauvais élève et dopposant. Même si lévaluation formative va au-devant des intérêts bien compris de lélève, cela ne suffit pas à assurer sa coopération
Evaluation formative et course aux diplômes
Lévaluation formative et la pédagogie de maîtrise, de façon plus générale, partent du principe idéaliste et très optimiste selon lequel cest la compétence qui compte, et quil faut par conséquent optimiser les processus dapprentissage pour élargir les savoirs et les savoir-faire du plus grand nombre.
En réalité, ce qui intéresse une partie des élèves et de leur famille, cest la position dans la hiérarchie dexcellence et le niveau formel de scolarisation atteint. Passer au degré suivant, entrer dans la meilleure filière, obtenir son baccalauréat ou tout autre diplôme enviable, tel est lobjectif. Pour cela, dans la logique actuelle du système scolaire, il nest pas nécessaire de maîtriser lessentiel des connaissances et des savoir-faire inscrits au programme. Il suffit dêtre meilleur ou moins mauvais que les autres. Lécole reste un champ de bataille où lenjeu est le classement plutôt que le savoir (Perrenoud, 1984 ; 1986 c).
Dans une perspective stratégique, il nest nullement indispensable de prendre au sérieux toutes les attentes de lécole. Pour réussir, sur lensemble dune carrière scolaire, il faut souvent savoir en prendre et en laisser, investir dans les branches sélectives au moment décisif et se laisser vivre ou reprendre des forces dans les disciplines secondaires ou les temps faibles de lannée scolaire. Dans la compétition scolaire, survivre ne consiste pas à répondre constamment à la norme la plus exigeante, mais à doser savamment leffort, pour tenir la distance. Or lévaluation formative et les pédagogies de maîtrise tournent le dos à ces stratégies utilitaristes, voire cyniques. Elles postulent quil ne faut pas sarrêter avant de maîtriser solidement et durablement les savoirs et savoir-faire enseignés, le fameux 80 % de Bloom. Alors que les gens qui connaissent dexpérience le bon usage de linstitution scolaire ont compris quà ce jeu là on perd parfois plus quon ne gagne.
Cela ne veut pas dire que lévaluation formative sera constamment combattue. Elle sera au contraire utilisée lorsquelle sert les intérêts des familles et des élèves les mieux placés, cest-à-dire lorsque linvestissement dans le savoir paraît un bon placement. Mais, dans tous les domaines où il suffit de faire la preuve quon est digne de passer au degré suivant ou dans le cycle détude supérieur, il faut sattendre à des stratégies beaucoup plus économiques, les familles encourageant leurs enfants à faire " juste ce quil faut ".
La réflexion sur lévaluation formative insiste en général, cest compréhensible, sur la construction dune représentation des acquis et des processus, sur la part de linterprétation des observables (Cardinet, 1986 a et b) Cest évidemment un aspect décisif. Si le maître ne se construit pas une image adéquate de ce qui se passe " dans la tête de lélève ", il y a peu de chance que son intervention soit décisive dans la régulation de lapprentissage.
Il serait cependant fâcheux doublier que lévaluation formative na deffets que si elle est pratiquée en situation, par un acteur dont elle est rarement le seul souci et dont les stratégies denseignement sont limitées aussi bien par les contraintes environnantes que par ses propres compétences.
Pas dévaluation formative sans différenciation
Lidée dévaluation formative a un certain sens même dans le cadre dun enseignement frontal totalement indifférencié. Un professeur duniversité qui sadresse à plusieurs centaines détudiants, têtes anonymes dans un immense auditoire, peut pratiquer une part dévaluation formative sil prend la peine dajuster le contenu et le rythme de son enseignement aux réactions ou aux acquis partiels de son public.
Mais lévaluation formative nest alors quun mot savant pour caractériser le fait quaucune pédagogie, aussi collective soit-elle, nest totalement insensible aux réactions des destinataires. Il y a toujours une forme de feed-back, ne serait-ce que les signes dattention et dintérêt que capte le conférencier. Il nest évidemment pas sans importance dorganiser la prise dinformation en faisant de temps en temps un sondage, en laissant un temps pour les questions, en administrant quelques épreuves avant un examen final. On peut même, plus sérieusement, construire des tests critériés et évaluer périodiquement le niveau de maîtrise des étudiants.
Alors naîtra le paradoxe qui mintéresse ici : plus linformation se précise, plus elle sindividualise. Pour adapter lenseignement, il ne suffit plus alors de réexpliquer, de ralentir le rythme, de revenir en arrière ou dadopter un mode plus concret dexposition, par exemple. Tout public, aussi sélectionné soit-il, est hétérogène. Confronté au même enseignement, les élèves ou les étudiants ne progressent pas au même rythme et de la même façon. Si lon sattache à une évaluation formative, arrive tôt ou tard le moment où il faut se rendre à lévidence : aucun ajustement global nest à la mesure des besoins. La seule réponse adéquate est de différencier lenseignement.
Que lévaluation formative soit liée à la différenciation de lenseignement nest pas une découverte lorsquon se situe dans le cadre des pédagogies de maîtrise ou apparentées (Huberman, 1988). Lévaluation formative apparaît alors comme une composante obligée dun dispositif dindividualisation des apprentissages et de différenciation des interventions et des encadrements pédagogiques, voire des démarches dapprentissage ou des rythmes de progression, ou encore des objectifs eux-mêmes.
Jai défendu ailleurs lidée quil y avait une part dévaluation formative, au moins potentielle, dans toute évaluation continue (Perrenoud, 1988 b) et quil ne fallait par conséquent pas réserver lévaluation formative aux classes et aux écoles ouvertement engagées dans une expérience de pédagogie différenciée. Mais à linverse, il est inutile dinsister sur lévaluation formative là où il ny a aucun espace de jeu pour les maîtres, là où la différenciation nest quun rêve jamais abouti, parce que les conditions de travail, leffectif des classes, la surcharge des programmes, les rigidités de lhoraire ou toute autre contrainte font de lenseignement frontal une fatalité ou presque (Perrenoud, 1988 e).
Lévaluation formative pratiquée avec une certaine constance entraîne une pression à la différenciation. Si cette pression se heurte à une résistance insurmontable, il sensuivra des conflits et des frustrations, donc une régression à des méthodes denseignement et dévaluation plus conformes aux contraintes des maîtres (Perrenoud, 1988 d).
Il y a chez tout acteur social une volonté de ne pas savoir ce dont il ne peut rien faire. Cest une des formes de prévention de la dissonance cognitive que chacun pratique constamment. À quoi bon se heurter tous les jours aux mêmes impasses ? Jai souligné limportance du rêve dans la dynamique de changement des pratiques vers plus de différenciation (Perrenoud, 1986 a). Mais le rêve devient un cauchemar sil débouche chaque fois sur un constat déchec, " On ne peut rien faire ", " Ça ne marche pas ", " Ce nest pas suffisant ", " Ça ne vaut pas la peine ".
Il est donc peu raisonnable, tant en théorie quen pratique, de plaider pour une évaluation formative sans se préoccuper immédiatement de lespace de jeu dont disposent les maîtres de fait ou de droit dans une organisation scolaire particulière. Sils nont pas ou pensent ne pas avoir de possibilités de différenciation, il ny a aucune raison quils sengagent dans une évaluation formative qui ne leur laissera que des regrets ou des frustrations. En savoir plus sur ses élèves, ce quils maîtrisent, comment ils apprennent nest motivant que si on peut concrètement réinjecter une partie de cette information dans laction pédagogique.
Réinventer lévaluation formative
Il est naturel que les spécialistes de la didactique ou de lévaluation aillent le plus loin possible dans la construction conceptuelle et le développement de modèles dévaluation formative et de régulation. Mais il faut bien se souvenir que ce ne sont pas les spécialistes qui agissent au jour le jour dans les classes. On peut certes faire comme si des concepts clairs, des modèles prescriptifs réalistes et une formation adéquate allaient permettre aux maîtres de sapproprier lévaluation formative et de la mettre en pratique. Léchec de nombre de réformes autorise-t-il aujourdhui encore à conserver un tel optimisme ?
Il me semble plus raisonnable dadmettre que lévaluation formative en classe passe par une appropriation et une reconstruction que nul réformateur ne peut entièrement " programmer " de lextérieur. Laction essentielle porte me semble-t-il sur lidentité et la qualification des enseignants. Lidentité, parce que cest delle que dépendent les investissements professionnels. Aussi longtemps quun maître ne se conçoit pas comme quelquun qui peut faire apprendre tout le monde à condition de sy prendre dune manière adéquate, il ny a aucune raison de sattendre à ce quil sintéresse à lévaluation formative. Aussi longtemps quun maître estime que léchec est inscrit dans lordre des choses, quil y a de bons et de mauvais élèves, que son travail est de donner un cours et non dintervenir dans la régulation des processus dapprentissage de chacun, les modèles les plus sophistiqués dévaluation formative lui resteront indifférents. Mais, il ne suffit pas dêtre acquis à lidée, un maître doit encore avoir les moyens de construire son propre système dobservation, dinterprétation et dintervention, en fonction de sa conception personnelle de lenseignement, des objectifs, du contrat didactique, du travail scolaire. Proposer des modèles daction qui exigeraient de lacteur un renoncement à ce quil est, à ce quil fait volontiers, à ce quil croit équitable ou efficace ne peut conduire à un changement durable des pratiques.
Doù limportance, dans cette problématique comme dans beaucoup dautres, dinvestir dans la qualification pédagogique des maîtres. " Mieux vaut apprendre à pêcher que de recevoir un poisson ". Une pratique de lévaluation formative suppose une maîtrise du curriculum et des processus denseignement et dapprentissage en général. Il ne sert à rien de vouloir implanter un dispositif sophistiqué dans une pédagogie rudimentaire.
Lévaluation formative évoluera donc, comme la différenciation de lenseignement, avec le niveau moyen de qualification pédagogique des maîtres (Gather Thurler et Perrenoud, 1988 ; Perrenoud, 1988 c).
Lévaluation formative a, historiquement, partie liée avec la recherche, les sciences de léducation. Cest dire quelle est souvent du côté du prescriptif, de la rationalité, de lutopie. La notion même de régulation fonctionne dautant mieux quon lutilise à un niveau élevé dabstraction. Dans là-peu-près de laction quotidienne, il devient difficile didentifier la part de la régulation dans le flux des événements. Lévaluation formative a aussi une filiation avec la docimologie et les méthodologies de la mesure, dont elle hérite des normes déquité et de transparence et un souci de précision et de validité.
Dans ces deux domaines, mieux vaudrait se défaire dun excès de perfectionnisme et dégalitarisme, pour aller vers une évaluation plus économique et réellement praticable.
Évaluer en fonction des besoins
Lorsque lévaluation a des fonctions pronostiques, il est normal quelle touche tous ceux qui envisagent de suivre telle formation exigeante. Lorsquelle est certificative, à lissue dune année scolaire ou dun cycle détude, lévaluation doit sadresser à tous ceux qui prétendent obtenir une certification. Lorsquelle est normative, et vise à construire un classement, des hiérarchies dexcellence, il est juste que chacun soit soumis aux mêmes épreuves dans des conditions identiques. Cest la morale de lexamen équitable.
Lorsquon pense évaluation formative, il faut rompre avec ce schéma égalitariste. Il ny a aucune raison de donner à tous les élèves la même " dose " dévaluation formative. La différenciation commence déjà avec linvestissement dans lobservation et linterprétation des processus et des acquis de chaque élève. On peut faire un parallèle avec le diagnostic médical : limportant nest pas dadministrer à tous les patients les mêmes tests, les mêmes analyses, les mêmes examens. Cest darriver à poser un diagnostic correct, à identifier une pathologie et si possible ses causes. Dans certains cas, le diagnostic crève les yeux et aucune analyse particulière nest requise. Dans dautres cas, il passe par une succession dhypothèses et de vérifications qui mobilisent des équipements, des spécialistes, beaucoup dénergie. Comme le diagnostic médical, lévaluation formative exige des investissements différenciés.
Cette différenciation sopérera selon plusieurs axes :
Une évaluation formative économique ne produit pas des informations et des vérifications par esprit de système ou déquité, ni pour faire fonctionner une machine évaluative ou pour se rassurer. Elle donne au maître, ni plus ni moins, des informations dont il a besoin pour agir efficacement sur les apprentissage de ses élèves.
Il faut faire aussi la part de la routine, de lerreur dappréciation ou là-peu-près. Un maître trouve parfois plus simple dadministrer un test à toute la classe plutôt que de se demander longuement pour quels élèves il est utile et comment justifier une différence de traitement. On peut accepter, dans une perspective pragmatique, quon évalue un peu plus que nécessaire. Les médecins pratiquent aussi certains examens de routines, à la fois " par acquis de conscience " et pour gagner du temps. Reste à prévenir les abus et surtout à bannir tout esprit égalitariste. À terme, la seule égalité qui compte est celle des compétences acquises !
Faut-il craindre de trop évaluer ? Autrement dit, lévaluation formative, même inutile, peut elle faire du mal ? Il faut considérer au moins trois aspects :
1. lévaluation, quelle soit formative ou non, soustrait du temps et de lénergie aux apprentissages ; certes, un test critérié ou une épreuve scolaire sont des occasions dexercer, de réviser, de consolider ; toute évaluation nest donc pas entièrement du temps perdu ; mais rien ne garantit quon fasse toujours dune pierre deux coups.
2. lévaluation absorbe aussi le temps et lénergie du maître ; à en faire trop, à certains moments, dans certains domaines ou pour certains élèves, on gaspille des forces qui pourraient être mieux investies ailleurs ; souvent, mieux vaut investir dans lévaluation formative fine de trois élèves sur vingt que dans une évaluation superficielle de toute la classe.
3. enfin, toute évaluation, même formative, est une forme de contrôle social et de contrainte quil ne faut pas instituer inutilement.
Dès 1977, Jean Cardinet (1977, 1979, 1981, 1982) a insisté sur la nécessité de distinguer les fonctions et de proportionner les instruments et les démarches aux visées de lévaluation. Cette rationalité reste hélas souvent battue en brèche par la confusion théorique ou lespoir de " faire dune pierre deux coups ".
Il est vrai quaussi longtemps que lécole donnera autant dimportance aux notes et à lévaluation formelle, les maîtres seront tentés de faire de lévaluation formative " par dessus le marché " et dutiliser des informations et des démarches qui leurs sont imposées par le carnet scolaire.
Allier lintuition et linstrumentation
Linda Allal (1983) a clairement situé lenjeu : trouver pour lévaluation formative une ligne médiane entre lintuition et linstrumentation. Cela ne veut pas dire quil faut pratiquer constamment une évaluation " semi-instrumentée " :
Etre pragmatique, cest être éclectique. Cest blanchir la subjectivité (Weiss, 1986) lorsquelle est défendable et efficace, mais cest aussi plaider pour linstrumentation lorsquelle est indispensable en raison de la complexité ou de lambiguïté de la réalité. La question nest pas théologique, mais pratique : linstrumentation est toujours plus coûteuse que lintuition ; elle ne se justifie donc que si ce coût est garant de représentations plus fines ou plus fiables là où elles sont utiles.
On laura compris, lapproche pragmatique défendue ici ne conduit nullement à tourner le dos à la théorie. Pour être efficace dans la régulation des apprentissages, il faut ne pas se payer de mots et ne pas se cacher derrière des principes inapplicables. Mais si le pragmatisme se méfie des modèles prescriptifs, il exige une lucidité constante sur les conditions et les limites de laction pédagogique, donc une forme de théorisation de lapprentissage et de ses mécanismes. Privilégier la régulation, cest renoncer constamment à des activités, des moyens, des idées qui naident pas à apprendre, en dépit de lattachement quon peut leur porter pour dautres raisons.
Pour être pragmatique avec continuité et méthode, il faut une grande cohérence personnelle alliée à une certaine tranquillité desprit ; cest pourquoi il est presque indispensable que le pragmatisme soit partagé, assumé collectivement par des enseignants se ralliant aux mêmes objectifs.
En matière dévaluation formative, nest pas pragmatique qui veut. Le pragmatisme coûte peut-être dautant plus que les enseignants qui sengagent vraiment dans une pratique régulière dévaluation formative y cherchent une forme supérieure de rationalité didactique
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