Source et copyright à la fin du texte

 

In Bautier, É., Berbaum, J. et Meirieu, Ph. (dir.) Individualiser les parcours de formation, Lyon, Association des enseignants-chercheurs en sciences de l'éducation (AESCÉ), pp. 145-182. Repris in Perrenoud, Ph. : La pédagogie à l'école des différences, Paris, ESF, 1995, chapitre 5.

 

 

Organiser l'individualisation des
parcours de formation : peurs à
dépasser et maîtrises à construire

Philippe Perrenoud

Faculté de psychologie et des sciences de l'éducation
Université de Genève
1993

 

Sommaire

I. Le curriculum réel est déjà individualisé !

II. Contre une individualisation laissée au hasard

III. Agir à plusieurs niveaux

IV. Les obstacles au niveau du système d'enseignement

V. Les obstacles au niveau de l'établissement

VI. Les obstacles au niveau des interactions didactiques

VII. Faut-il désespérer ?

Références


L'individualisation des parcours de formation est un fait. Du moins si l'on saisit le parcours comme une suite singulière d'expériences formatrices, autrement dit un curriculum réel. Ce sera ma première thèse.

La seconde en découle : l'enjeu n'est pas de créer de toutes pièces une individualisation qui n'existerait qu'en utopie, mais de la contrôler, de l'organiser, de la mettre au service d'une politique de l'éducation.

Ma troisième thèse est que ce contrôle s'opère à plusieurs niveaux complémentaires et qu'il est inutile d'agir à l'un d'eux uniquement. Je tenterai de définir ces niveaux, des interactions didactiques quotidiennes aux structures qui sous-tendent les cursus.

A tous ces niveaux, on rencontre des résistances, il y a des peurs à dépasser, qui sont autant de verrous. Et il y a des maîtrises à construire, sans lesquelles l'individualisation des parcours de formation restera un mirage. Peurs à dépasser et maîtrises à construire relèvent à chaque niveau des ambivalences et des multiples logiques des acteurs. Ce sera ma quatrième thèse. 


I. Le curriculum réel est déjà individualisé !

Lorsque qu'on propose d'individualiser les parcours de formation, on suggère implicitement qu'ils sont aujourd'hui standardisés pour l'ensemble des élèves d'une même génération dans le même système scolaire. Or il n'en est rien.

Qu'est-ce qu'un parcours de formation ? Au niveau le plus abstrait, on peut l'assimiler à un cursus-type suivi par un élève traversant le système éducatif, autrement dit à une suite de positions occupées dans le système scolaire. Même à ce niveau d'abstraction, il y a plusieurs cursus-types, parce qu'à l'issue de l'enseignement primaire, les filières se hiérarchisent et se diversifient, le tronc commun fait place à un fourmillement d'embranchements qui se complexifient encore à l'issue de la scolarité obligatoire.

La diversité s'accroît lorsqu'on passe des cursus-types (en principe les plus probables statistiquement) aux cursus effectifs des élèves, autrement dit aux carrières observées. Même lorsqu'on limite la statistique des carrières scolaires à la succession des degrés suivis, on observe une grande variété de parcours, qui s'accroît si l'on tient compte de l'éducation spécialisée, des échanges entre le secteur public et le secteur privé, ou entre les réseaux scolaires étatiques, communaux ou libres. A cela s'ajoute évidemment l'immense diversification des parcours imputable aux mouvements migratoires, qui amènent une fraction croissante des enfants à traverser plusieurs systèmes éducatifs entre 4 et 20 ans.

Au-delà des carrières

La diversité des parcours de formation s'accroît encore lorsqu'on va au-delà des carrières. Suivons une cohorte d'élèves qui commencent leur scolarité dans le même système éducatif et la poursuivent parallèlement, en progressant de conserve de degré en degré, en prenant les mêmes orientations à chacun des embranchements. Ils ont la même carrière, au sens de la statistique scolaire. Ont-ils pour autant suivi le même parcours de formation ? Ce n'est vrai que si l'on fait abstraction des contenus effectifs de l'enseignement qu'ils ont reçu.

Dans les systèmes éducatifs décentralisés, les lois nationales ne prescrivent que des " programmes cadres ", que les régions, voire les communes ou les établissements, adaptent aux circonstances particulières. Il est donc alors de notoriété publique que le même degré de la scolarité obligatoire n'est pas censé recouvrir exactement les mêmes apprentissages. Mais n'en va-t-il pas en réalité de même dans un pays centralisé ? Peut-être y a-t-il eu une époque où l'on faisait la même dictée, à la même heure à Marseille et à Strasbourg. Cela ne garantit pas qu'on ait jamais enseigné l'orthographe de la même façon dans toutes les classes de France. Car, faut-il le rappeler, les plans d'études et les programmes, aussi explicites et volumineux soient-ils, ne sont que des prescriptions. Comme toute norme, ils permettent et appellent des transgressions, des interprétations, des appropriations par les acteurs collectifs et individuels, des variations et des déviances. Si l'on s'affranchit du discours mythique sur l'égalité devant l'école et l'uniformité de l'administration, on redécouvre le secret de Polichinelle : il n'y a pas deux professeurs qui enseignent le même programme de la même manière (Perrenoud, 1984). Les variations ont de multiples causes, dont je ne peux rappeler que les principales :

a) Comme le dit Chevallard (1986), le programme n'est qu'un cadre, il reste à peindre le tableau, ce qui fait forcément appel à la culture de l'enseignant, à son rapport au savoir, à ses préférences, à sa vision de ce qui est important, intéressant, nécessaire, facile ou difficile, etc. (cf. aussi Perret & Perrenoud, 1990)

b) La plupart du temps, les programmes sont trop chargés pour qu'on puisse les couvrir intégralement ; les enseignants allègent donc sélectivement, en fonction de multiples facteurs.

c) On sait que le plan d'études est en général une référence plus abstraite et lointaine que les moyens d'enseignement ; lorsque ceux-ci ne sont pas standardisés, ou pas totalement, le vrai programme, ce sont les manuels et cahiers d'exercices que le maître choisit d'utiliser avec ses élèves.

d) Le maître choisit, adapte ou construit des démarches didactiques personnelles qui impliquent nécessairement une interprétation particulière, un infléchissement singulier du programme, en fonction du traitement didactique privilégié - plus substantiel, plus convaincant, mieux illustré, plus réaliste - de certaines notions ou objectifs.

e) Selon son énergie, sa conviction, son adhésion au programme, sa capacité de mobiliser l'intérêt de ses élèves, son efficacité didactique, un enseignant fait passer un nombre variable de notions, savoirs et savoir-faire pendant la même année scolaire.

f) Selon le niveau et les attitudes des élèves, et dans une négociation explicite ou implicite avec eux, le maître module les contenus pour qu'ils restent accessibles, conservent un minimum de sens, permettent le fonctionnement du contrat didactique.

g) Davantage que du programme, qui est une abstraction, le maître se soucie des attentes de ses collègues, en particulier ceux qui recevront ses élèves l'année suivante et le jugeront sur le travail accompli ; le contenu est partiellement dicté par les attentes réelles ou supposées des collègues enseignant en aval dans le cursus.

h) La culture, le climat pédagogique, le degré de sélectivité de l'établissement influencent également les exigences et l'orientation pédagogique dans une école particulière.

i) Comme l'a montré Viviane Isambert-Jamati (1987) à propos des activités d'éveil, les enseignants tiennent compte de la composition sociologique de leur public, en terme à la fois d'attentes, d'apports culturels et de destinées probables dans l'existence.

j) De façon générale, l'enseignement est infléchi en fonction des débouchés scolaires ou professionnels locaux, et l'on privilégie les savoirs et savoir-faire les plus rentables dans une région particulière ; dans un environnement orienté vers les industries électroniques de pointe, on peut s'attendre à d'autres intérêts, chez les parents mais aussi chez les gens d'école, que dans un environnement orienté vers le commerce et les langues étrangères.

k) Au-delà du contexte économique, la communauté locale pèse parfois sur la définition même de la culture scolaire, sur son degré de laïcité, sur son imprégnation par des valeurs traditionnelles ou une coloration ethnique ou confessionnelle dominante.

***

Tout cela est évidemment plus accentué encore pour les écoles privées, dont la vocation même est de respecter les options de groupes sociaux ou d'usagers particuliers. Mais même dans l'école publique, il existe d'immenses et inévitables variations du curriculum réel d'une classe à l'autre, même lorsqu'elles sont censées mettre en œuvre un même curriculum formel (programme, plan d'études, textes officiels), aussi explicite, substantiel et impératif soit-il.

Il y a donc, de fait, diversité considérable des parcours de formation. Si l'on tente de reconstituer les contenus effectifs de l'enseignement dispensé à cent élèves pris au hasard dans la même génération, à l'échelle d'un système éducatif unifié, on trouvera très probablement cent parcours différents, parce que ces élèves ont suivi leur scolarité dans des classes et des établissements différents.

Une suite d'expériences singulières

Allons encore plus loin dans l'analyse du curriculum réel. Car ce qui précède s'en tient au niveau de l'établissement et de la classe, et laisse entendre par conséquent que des élèves qui auraient vécu toute leur scolarité obligatoire ensemble auraient partagé le même curriculum réel. Or, rien n'est moins sûr.

Y a-t-il encore une classe de l'enseignement obligatoire où l'on pratique un enseignement purement frontal, où le maître s'adresse constamment à tous les élèves, où chacun d'eux reçoit les mêmes consignes, les mêmes tâches, les mêmes ressources ? On peut en douter. Dans la plupart des classes de l'enseignement obligatoire, les élèves ne sont pas confrontés constamment aux mêmes situations. Pour de multiples raisons :

Mais imaginons une classe où l'enseignement serait purement frontal, constamment collectif. Faudrait-il imaginer, parce que le maître s'adresse constamment à tous, que chacun entend la même chose ? Faudrait-il croire que parce qu'il donne une tâche standard, les élèves la perçoivent et la comprennent de façon identique ? Qu'est-ce en fin de compte que le curriculum réel, sinon l'expérience de l'élève, ou plus exactement la part de son expérience qui engendre des apprentissages plus ou moins stables. Or, dans une classe de vingt-cinq élèves, même si l'acteur principal joue son rôle devant le groupe entier, il y a autant d'expériences que d'élèves. Pour des raisons diverses, mais que je ne peux qu'indiquer superficiellement :

a) La classe est un espace dans lequel certaines choses se font, se montrent ou se disent de sorte à être inévitablement perçues de façon très inégale ; comme au théâtre, il y a le balcon et le poulailler. Ce que le maître écrit au tableau noir sera un phrase lisible ou un graffiti indéchiffrable selon la distance à laquelle se trouve l'élève et peut-être selon qu'il a mis ou non ses lunettes… De même, les propos du maître seront un bruit de fond pour tel élève alors qu'un autre n'en perdra pas un mot. Espace sonore et visuel, la classe met les élèves à distance inégale de ce qu'il y a à voir ou à entendre. Ils ne voient et n'entendent donc pas constamment la même chose.

b) En raison des fluctuations de l'attention, de la concentration, de la disponibilité, de l'intérêt, de l'implication de chacun, une partie de ce qui se passe dans la classe échappe à la conscience ou ne laisse aucune trace ; il est impossible d'être mentalement présent chaque seconde durant six à sept heures par jour ; une différenciation majeure du curriculum réel tient donc à la fréquence et à la façon dont les élèves sont mentalement absents de la scène scolaire ; à quoi s'ajoutent les absences effectives, très variables d'un élève à l'autre ; pour une partie des élèves, ce qu'ils vivent en classe est une suite décousue de moments sans queue ni tête, parce que le fil conducteur leur échappe.

c) Même lorsque les élèves sont présents et relativement intéressés, le sens qu'ils peuvent attribuer à ce qui se passe varie fortement selon leurs moyens intellectuels, leurs stratégies, leurs enjeux cognitifs ou non cognitifs ; lorsqu'en cours d'histoire les élèves ont engagé les paris sur le nombre de fois où le professeur se laisserait aller à son tic de langage favori, ils écoutent très attentivement en apparence, mais quoi ?

d) La coloration affective et relationnelle des contenus est très variable d'un élève à l'autre : on n'entend pas le même texte selon qu'on s'identifie à tel ou tel personnage, la même leçon selon qu'on trouve le professeur sympathique ou détestable, ou selon qu'aller à l'école vous enchante ou vous désespère, vous amuse ou vous révolte.

On touche ici à un problème théorique et conceptuel fondamental : quel est le statut de l'expérience ? Qui peut vraiment savoir ce qu'entend, voit, comprend, vit un élève ? Deux élèves assis côte à côte, regardant ensemble le professeur et le tableau noir, donnant les mêmes signes extérieurs d'activité et d'intérêt, vivent-ils la même expérience ? D'un point de vue behavioriste, si on ne s'intéresse nullement à la construction du sens et aux processus cognitifs et métacognitifs du sujet, ces deux élèves pourraient sembler suivre le même curriculum réel. En réalité, l'expérience n'est jamais dissociable du sens et de l'implication et se dérobe donc définitivement à une analyse purement externe. Il n'y a en dernière instance d'expérience que singulière. Prenons deux élèves penchés sur l'énoncé d'un problème de mathématique, chacun ayant ouvert son livre à la même page et ayant bien entendu la consigne : " Lisez le problème n° 37 et faites-le dans votre cahier de mathématique en explicitant toutes les opérations ". Même situation didactique en apparence. Mais pour l'un l'énoncé est limpide, alors que pour l'autre, " c'est du chinois " Les sociologues ont souvent rappelé que ce n'est pas la situation à elle seule qui induit le comportement, mais la façon dont les acteurs la définissent. C'est l'apport de tout le courant constructiviste, qui accorde la plus grande importance à la façon dont les acteurs fabriquent des représentations et du sens, seuls ou collectivement.

Dès qu'on saisit le curriculum réel comme une suite d'expériences, on aboutit grosso modo à une conclusion évidente : le curriculum réel est personnalisé, deux individus n'ont jamais exactement le même parcours éducatif, même s'ils se tiennent par la main durant des années…


II. Contre une individualisation laissée au hasard

La diversification effective des parcours de formation est-elle un gage d'individualisation ? On répondra par l'affirmative si l'on entend l'individualisation dans un sens purement descriptif : à chacun son histoire éducative. Chaque élève incarne, à sa façon, Fabrice à Waterloo ; il ne voit de la bataille qu'une facette, selon la position où le hasard ou ses efforts l'ont conduit.

Toutefois, en sciences de l'éducation, on ne s'en tient pas, généralement, à ce sens descriptif. L'individualisation désigne plutôt l'adaptation délibérée et pertinente des parcours éducatifs aux caractéristiques, aux possibilités, aux projets, aux besoins différents des individus.

La thématique de l'individualisation des itinéraires de formation ne s'inscrit pas, ordinairement, dans une problématique purement descriptive, qui aurait pour principale ambition de faire la part des ressemblances et des différences dans le curriculum réel des élèves d'une même génération. On se situe dans une perspective de lutte entre l'échec scolaire, en quête d'une école plus efficace dans la construction des compétences fondamentales. Dénoncer le peu d'individualisation des itinéraires de formation n'est pas dire, dans cette perspective, que chacun suit exactement le même parcours, mais que la diversité est anarchique, ou pire qu'elle créée ou renforce les inégalités.

L'indifférence aux différences

Bourdieu (1966) a parlé d'indifférence aux différences pour signifier que l'école traite tous les élèves comme égaux en droits et en devoirs. J'ai souvent tenté de nuancer cette formulation (Perrenoud, 1970, 1979, 1989), en montrant que l'on traite rarement tous les élèves comme égaux en droits et en devoirs, même à l'intérieur d'un seul groupe-classe, a fortiori à l'échelle du système éducatif, compte tenu des disparités régionales et des variations de curriculum réel dont j'ai parlé plus haut. Je définirai donc plutôt l'indifférence aux différences comme une inégalité parfaitement aléatoire. La loterie en est la parfaite illustration : tout le monde ne gagne pas et les gains sont très inégaux, mais ce qui échoit à chacun est totalement indépendant de ses caractéristiques individuelles : seul le hasard attribue les lots.

Dans ce sens, l'immense diversité des itinéraires de formation serait, dans l'abstrait, parfaitement compatible avec une totale indifférence aux différences. En réalité, l'individualisation est loin d'être totalement aléatoire. Ce qui ne veut pas dire qu'elle est maîtrisée par des acteurs définis. Le curriculum réel suivi par un élève particulier relève en effet de trois mécanismes :

L'individualisation volontariste

Pour que l'individualisation du curriculum réel soit maîtrisée dans une perspective de lutte contre l'échec scolaire et de démocratisation de l'enseignement, suffit-il qu'elle résulte de décisions explicites des enseignants ou des établissements, éventuellement de négociations avec les parents ou les élèves ? Non, car les décisions qui président à l'individualisation des parcours (ou de fragments de parcours) suivent toutes sortes de logiques, que je répartis volontiers, sommairement, en trois catégories :

1) Il y a les logiques étrangères à l'inégalité devant l'école ; ainsi, lorsqu'on favorise l'autonomie des établissements ou la liberté académique des professeurs, ce n'est en général ni pour diminuer l'échec scolaire, ni pour l'accroître, mais pour répondre à d'autres préoccupations.

2) Certaines décisions se situent clairement dans le registre de la discrimination négative, elles favorisent les favorisés ; c'est la cas par exemple lorsqu'on crée des écoles pour surdoués, des écoles d'excellence ou des écoles pour sportifs ou artistes de haut niveau, auxquels on propose un curriculum sur mesure, compatible avec leur pratique.

3) Enfin, certaines décisions sont clairement dans le registre de la discrimination positive, par exemple lorsqu'on crée des zones d'éducation prioritaires ce qui conduit non seulement, comme l'a montré Viviane Isambert-Jamati (1990) à donner des ressources supplémentaires aux établissements, mais à transformer le curriculum dans le sens d'une école plus active, plus ouverte sur la vie et la communauté de l'école, etc. De même, lorsqu'on envoie des élèves dans des classes de soutien ou des filières tenant mieux compte de leurs difficultés, on prétend lutter contre l'échec scolaire et les inégalités.

Lorsqu'on parle d'individualiser les parcours de formation, c'est en général à ce type de décisions que l'on pense, en les situant dans le contexte des mesures de différenciation de l'enseignement et des chemins didactiques, des politiques délibérément orientées vers l'optimisation des apprentissages et l'affaiblissement des inégalités devant l'école. Mon propos consiste simplement à rappeler :

On peut donc schématiser comme suit les processus qui sous-tendent l'individualisation de fait du curriculum réel :

.
.
Décisions prises dans une logique de
discrimination négative
Hasard pur
(rencontre de séries causales indépendantes)
Régularités
fonctionnant
à l'insu des acteurs
Décisions prises dans une logique indifférente aux inégalités
.
.
Décisions prises dans une logique de
discrimination positive

La conclusion que j'en tire est assez simple, mais fondamentale pour la politique de l'éducation : il ne suffit pas, pour individualiser les parcours de formation, de multiplier les décisions explicitement orientées dans le sens de la discrimination positive. Il faut aussi compter avec le hasard, maîtriser les régularités inconscientes, faire la part des décisions prises dans une autre logique et neutraliser la discrimination négative. Sans quoi les efforts consentis pour démocratiser l'enseignement en individualisant les parcours se heurteront à mille processus qui en ruineront l'efficacité.


III. Agir à plusieurs niveaux

La maîtrise de l'individualisation des parcours se joue à l'échelle du système, de l'établissement, de l'équipe pédagogique et de la classe, et de toute structure intermédiaire. Seule une action concertée a des chances de contrôler l'ensemble des processus qui déterminent l'individualisation du curriculum réel et surtout son effet global sur les inégalités.

Les politiques de l'éducation sont, par la définition même des compétences d'un État régional ou national, conduites à l'échelle du système éducatif qui en dépend, en fonction d'exigences d'égalité et de finalités éducatives circonscrites à la région ou à la nation. Mêmes les sociétés qui consacrent des efforts considérables à la démocratisation de l'enseignement ne se soucient guère des écarts formidables entre régions ou nations. Dans la mesure où seule une société politique constituée peut poser et gérer le problème de l'inégalité devant l'école et infléchir les politiques de l'éducation en conséquence, ce cloisonnement, aussi absurde soit-il, est assez explicable. Seule la constitution de l'Europe ou de la planète en société politique intégrée permettra de poser les problèmes à cette échelle. Pour l'instant, chacun " bricole " un peu dans son coin, alors même que l'intégration économique et les mouvements démographiques créent déjà une comparaison et des compétitions à une échelle plus vaste.

Au moins peut-on espérer que de semblables cloisonnements ne se reproduiront pas à l'intérieur du même système éducatif. A quoi servirait-il, en effet, qu'un unique établissement développe, par exemple, une pédagogie de maîtrise très sophistiquée, faisant éclater les degrés et les groupe classes, pour conduire les élèves aux maîtrises fondamentales par des itinéraires très individualisés ? Il importe évidemment de montrer que c'est possible, et à quelles conditions. Mais au-delà ? A quoi sert une goutte d'égalité dans une mer d'injustice ? Tant mieux pour les élèves et des familles directement concernés, et pour les enseignants et des cadres de l'établissement, qui peuvent éprouver une fierté légitime. Il reste que la démocratisation des études ne se définit qu'à large échelle !

On se trouve là devant un paradoxe qu'il importe de cerner de mieux en mieux : une partie des solutions aux problèmes du système éducatifs seront nécessairement locales, inventées ou réinventées par les enseignants à l'échelle des classes, des équipes pédagogiques et des établissements. Pourtant, s'il n'y a pas développement parallèle, dans la plupart des établissements, de dispositifs d'individualisation des parcours de formation - aussi divers soient-ils dans leurs modalités -, le bilan global sera maigre : on disposera de quelques lieux privilégiés, de quelques expériences pilotes, de quelques raisons d'avoir bonne conscience. Et alors ?

Ce qui pose le problème de l'articulation de politiques nationales (ou régionales) de lutte contre l'échec scolaire et de dynamiques de changement à l'échelle des établissements et des enseignants, pris individuellement ou en équipes pédagogiques. Je ne puis espérer le résoudre, ni même le poser ici. Je ne puis qu'essayer d'analyser les variables changeables, et aussi les résistances, aux divers niveaux du système.

Je distinguerai trois niveaux :

1. Le niveau du système d'enseignement, national ou régional et ses directions générales des enseignements primaire, secondaire, etc.. A cette échelle se décident les lois sur l'instruction publique, l'orientation générale des politiques de l'éducation (avec leurs incidences budgétaires), les mesures de décentralisation, la gestion de la carte scolaire, les structures globales de l'enseignement (cursus, filières), les diplômes, les programmes, la division du travail entre établissements. C'est à ce niveau aussi que s'élaborent des formes de gestion locale, d'innovation, de résolution de problèmes, de formation continue qui autant de ressources imposées ou proposées aux établissements et des maîtres. Tous ces paramètres, même lorsqu'ils ne l'organisent pas de façon centralisée, sous-tendent l'individualisation des parcours de formation, la rendent possible et la limitent en même temps.

2. Le niveau de l'établissement, échelle à laquelle l'individualisation des parcours s'incarne concrètement et, pour une large part, se décide, surtout dans un système décentralisé. C'est à ce niveau qu'on institue la rencontre régulière entre enseignants et enseignés dans des classes, des groupes de niveaux, des filières, des ateliers, des aires ouvertes ou tout autre mode de travail.

3. Le niveau des interactions didactiques. Dans une structure scolaire traditionnelle, on pourrait assimiler ce niveau à celui de la salle de classe. Mais l'individualisation des parcours de formation, justement, passe souvent par une rupture avec les formes classiques d'organisation, de division du travail entre enseignants et de groupement des élèves. Il reste qu'en dernière analyse l'organisation met en présence, pour des périodes données, un certain nombre d'élèves et d'enseignants, entre lesquels se négocient des situations didactiques et des modalités de travail et d'évaluation. A cette échelle encore, l'individualisation des parcours est possible, même si elle est plus souple, moins stable, moins visible aussi qu'à l'échelle du système d'enseignement ou de l'établissement.

Ces trois niveaux ne rendent évidemment pas compte de la réalité complexe des organisations scolaires modernes, caractérisée par la multiplication des niveaux et des acteurs collectifs institutionnels menant leur propre politique (Perrenoud & Montandon, 1988). A ce stade de l'analyse, la distinction suffira cependant.

A chacun de ces niveaux, je tenterai d'identifier :

Bien entendu, en pratique, l'anticipation des difficultés à maîtriser peut alimenter les peurs, et ces dernières ne sont pas des obstacles dont on peut se débarrasser une fois pour toutes : les conservateurs mènent des combats d'arrière-garde et les difficultés du changement font souvent régresser aux peurs initiales.

L'attribution d'une peur ou d'une maîtrise à tel ou tel niveau est parfois arbitraire, parce qu'on retrouve des processus semblables - par exemple la peur de la complexité - tous les niveaux, et parce que les niveaux supérieurs sont censés comprendre, anticiper et encadrer les processus de changement aux niveaux inférieurs : les peurs des uns peuvent devenir les soucis des autres. Le tableau qui suit n'a donc qu'une valeur indicative.

Vue d'ensemble des peurs et des maîtrises,
à trois niveaux

Niveaux
  • Peurs à dépasser
  • Maîtrises à construire

  • Système d'enseignement
    • Peur de l'égalité
    • Peur de perdre des avantages acquis
    • Peur de perdre la maîtrise du système
    • Peur de miner l'unité républicaine
    • Maîtrise des phénomènes de concurrence
    • Maîtrise des rationalités inégalitaires
    • Maîtrise des dérives de l'autonomie
    • Maîtrise de la diversification des formes d'excellence


    Établissement
    • Peur de la complexité
    • Peur des différences
    • Peur des conflits
    • Peur du pouvoir et des responsabilités
    • Maîtrise de la régulation continue des dispositifs
    • Maîtrise des pressions externes
    • Maîtrise des dynamiques de collaboration entre enseignants
    • Maîtrise des stratégies des acteurs de l'organisation

    Interactions
    didactiques
    • Peur de perdre son innocence
    • Peur de perdre son plaisir
    • Peur de perdre sa liberté
    • Peur de perdre ses certitudes
    • Peur de perdre sa tranquillité
    • Peur de perdre son pouvoir
    • Maîtrise du contrat didactique et les stratégies des usagers
    • Maîtrise de la régulation des apprentissages
    • Maîtrise des contradictions entre pédagogies actives et différenciation

    Reprenons, pour chaque niveau, chacune des peurs à dépasser et des maîtrises à développer. Je ne puis évidemment qu'indiquer quelques pistes, sur chaque point il faudrait s'arrêter longuement et donner de nombreux exemples. Mais ici, c'est surtout la vue d'ensemble et le survol qui importent.


    IV. Les obstacles au niveau du système d'enseignement

    Les politiques de l'éducation régissent la logique générale des parcours de formation offerts par le " système ", donc, notamment, la nature et l'ampleur des inégalités de formation caractérisant les générations successives. A ce niveau, les individus ont, comme partout, des stratégies et des enjeux personnels. On s'en tiendra ici aux peurs des acteurs collectifs jouant un rôle décisif dans les " politiques d'individualisation " au niveau du système.

     

    Peurs à dépasser

    J'en distinguerai quatre : a. Peur de l'égalité ; b. Peur de perdre des avantages acquis ; c. Peur de perdre la maîtrise du système ; d. Peur de miner l'unité républicaine.

    a. Peur de l'égalité

    Dans la perspective adoptée ici, l'individualisation des parcours de formation est une stratégie de démocratisation de l'enseignement. Elle se heurte donc à tous ceux qui pensent que l'inégalité protège leurs privilèges de classe. Et aussi à ceux qui, estimant que l'inégalité est dans l'ordre des choses, ne voient pas pourquoi les collectivités publiques dépenseraient des fortunes pour lutter contre la fatalité. Les débats des années 1970 autour de la reproduction ont écarté la thèse du complot, montrant que les mécanismes de l'héritage culturel et de la reproduction des hiérarchies fonctionnaient en partie à l'insu des acteurs, en particulier les enseignants. Il reste que l'analyse de Bourdieu et Passeron et de quelques autres nous a fait perdre toute innocence : aujourd'hui, on sait que des politiques de l'éducation volontariste peuvent neutraliser partiellement les mécanismes qui fabriquent l'échec scolaire et les inégalités. Encore faut-il y mettre une volonté politique cohérente, constante, à long terme, assortie de ressources budgétaires à la mesure des ambitions. On voit bien que ce n'est pas la situation générale, même dans les pays développés.

    Nous nous trouvons à cet égard dans une conjoncture passablement contradictoire : la fin du communisme porte un coup aux idéologies égalitaristes, et en même temps oblige ou obligera les pays capitalistes développés à trouver en leur sein de nouveaux mécanismes de régulation. Plus on s'avance vers le XXIe siècle, par ailleurs, plus il devient clair que proportionner le niveau d'éducation des générations nouvelles aux qualifications actuellement requises par l'économie est un non sens, à la fois parce que les transformations technologiques exigent une mobilité et une polyvalence croissantes et parce que la complexité juridique, culturelle, scientifique et technique des sociétés modernes crée des besoins de formation bien au-delà de la qualification professionnelle stricto sensu.

    A ces tendances de fond s'ajoutent les cycles conjoncturels, la crise des finances publiques, la reconstruction de l'Europe, les nouveaux équilibres planétaires, autant de dynamiques qui rendent les rapports de force incertains. Sauf dans les sociétés les plus immobiles, les plus conservatrices, il devient difficile d'identifier deux camps bien tranchés : si elle veut amener 80 % d'une génération au niveau du baccalauréat, aucune société ne pourra faire l'économie d'une forme ou d'une autre d'individualisation des parcours de formation, quelles que soient les forces politiques au pouvoir. Entre cette évidence et les fluctuations conjoncturelles des politiques de l'éducation, il y a toutefois place pour pas mal d'incertitudes. Car les classes au pouvoir sont toujours divisées entre les impératifs de la modernisation et la défense de leurs privilèges.

     b. Peur de perdre des avantages acquis

    Les systèmes scolaires contemporains sont devenus d'immenses bureaucraties, régies par des textes légaux et des statuts, aussi bien pour les personnes que pour les établissements. Chacun a des devoirs et des droits, et n'entend pas voir sa situation modifiée sans compensation sonnante et trébuchante. Or l'individualisation des parcours de formation passe nécessairement par un assouplissement des structures, par des recompositions d'horaires, d'espaces, de ressources, par des décloisonnements, des coordinations, toutes choses qui obligent à prendre certaines libertés avec les cahiers des charges et les privilèges statutaires. Dans un collège ou une école professionnelle, par exemple, on ne peut reconstruire des modules et des itinéraires de formation en fonction des élèves, de leurs besoins, de leurs demandes, sans bousculer un peu les habitudes des professeurs, sans les inviter, du moins durant une période de transition, à faire ce pourquoi ils ne sont pas payés et éventuellement à ne pas faire ce pourquoi ils sont payés, en cherchant de nouveaux équilibres.

    Ces phénomènes se manifestent surtout à l'échelle locale, dans la gestion des établissements, mais surtout dans le système centralisé, les verrous sont en bonne partie nationaux, puisque c'est à cette échelle que se décident les statuts de la fonction publique, les titres, les charges de service, les privilèges dont chacun veut se prévaloir à diverses étapes de l'innovation.

    c. Peur de perdre la maîtrise du système

    On pourrait rêver d'une individualisation des parcours de formation complètement pensée et décidée au centre du système, comme l'ont été les niveaux, les filières, les options dans les réformes classiques de l'école moyenne. Chaque établissement travaillerait alors selon un schéma unifié, avec quelques accommodements en fonction du nombre de professeurs et d'élèves, éventuellement de la demande locale.

    Ce rêve serait un cauchemar. Aller vers une vraie diversification des parcours de formation, c'est accepter de donner davantage d'autonomie aux régions et aux établissements pour penser et organiser l'individualisation. C'est donc, à l'échelle du ministère ou d'une direction générale, s'exposer à ne plus contrôler, fût-ce sur le papier, les parcours proposés par un établissement. Engagés dans des stratégies d'individualisation des parcours, les établissements ne passeront pas leur temps à décrire leur fonctionnement et ce dernier aura déjà changé lorsque l'information parviendra au ministère…

    Toute marche vers l'individualisation des parcours de formation se heurtera donc à des résistances classiques dans l'administration : peur de perdre le contrôle en renonçant à l'uniformité, peur de couvrir et de financer " n'importe quoi ", peur de devoir faire " aveuglément " confiance, faute de moyens d'évaluer et de contrôler ce qui se passe dans les établissements.

    Les mauvais esprits pourraient soutenir que la réalité, aujourd'hui déjà, n'est pas bien différente. Mais l'individualisation systématique des parcours de formation obligerait à renoncer à la fiction d'un système unifié, ce qui inciterait du même coup à inventer de nouveaux modes de gestion administrative, portant davantage sur les objectifs et les résultats que sur l'observance de règles identiques sur tout le territoire.

    d. Peur de miner l'unité républicaine

    Lorsque l'école est " unique ", on peut avoir l'impression qu'elle est " démocratique ". Ou du moins qu'on fabrique des inégalités devant la même culture, les mêmes exigences, les mêmes conditions de scolarisation. Il est évident que la diversification des structures et des itinéraires de formation comporte un véritable risque : brouiller complètement les cartes, masquer pour un temps les inégalités sociales et les disparités régionales, et ce faisant, les laisser s'aggraver.

    Dans le même ordre d'idées, on peut craindre un effritement de l'unité nationale si ne sont pas maintenues des valeurs et des connaissances communes à tous les élèves fréquentant l'école obligatoire.

    Ces craintes ne sont pas absurdes, même si certains agitent l'épouvantail du désordre pour mieux défendre les intérêts particuliers. Il est sûr en particulier que la diversification des formes d'excellence (cf. Perrenoud, 1991 d) peut conduire assez rapidement à de nouvelles hiérarchies. Toutes les peurs ne manifestent pas un conservatisme effréné.

    Maîtrises à construire

    J'en distinguerai quatre : e. Maîtrise des phénomènes de concurrence ; f. Maîtrise des rationalités inégalitaires ; g. Maîtrise des dérives de l'autonomie ; h. Maîtrise de la diversification des formes d'excellence.

    e. Maîtrise des phénomènes de concurrence

    Toute diversification de l'offre de formation renforce les usagers de l'école, élèves et parents, dans une identité de consommateurs avisés, les consommateurs d'école dont parle Ballion (1977). Pris dans le piège scolaire (Berthelot, 1982), les usagers cherchent à élargir leur espace de jeu, et toute diversification du système scolaire va dans ce sens. Plus il y a de filières, plus les établissements sont autonomes et offrent des formations de niveau et de contenus variés, plus les parents se sentent, avec leurs enfants, responsables de faire " le bon choix ".

    Dans la mesure où l'individualisation des parcours de formation a notamment pour logique de répondre à des attentes variées, à des besoins divers, les stratégies de consommateurs avisés ne sont pas entièrement négatives. Elles peuvent cependant avoir d'immenses effets pervers, en particulier parce que les capacités stratégiques des consommateurs redoublent les inégalités de capital culturel scolairement rentable. Ce sont en général les familles les plus favorisées et les élèves qui ont le moins de difficultés qui découvrent les premiers le meilleur usage du système, au besoin en pervertissant, en détournant de leur fonction initiale des itinéraires nouvellement mis en place.

    Toute individualisation des système de formation crée un marché et se heurte à des stratégies d'acteurs qui suivent leur propre rationalité, en se souciant parfois fort peu de la politique globale du système. C'est vrai aussi des professeurs : on le sait déjà pour les établissements et pour les filières, tout n'est pas équivalent du point de vue du confort, de l'intérêt, de la difficulté du travail. Tout accroissement de la diversité du système crée ou renforce des stratégies égoïstes, qui peuvent pervertir les meilleures intentions.

    f. Maîtrise des rationalités inégalitaires

    On peut supposer que l'individualisation des parcours de formation s'inscrit à l'échelle du système dans une rationalité égalitariste. Reste à savoir si l'ensemble des régions et des établissements sont prêts à épouser cette vue des choses. Pour certains, c'est contre leur intérêt. On peut faire un parallèle rapide avec les transports publics ou les médias : la diversification est en générale déficitaire. Ce qui intéresse une compagnie aérienne ou de chemins de fer, ce sont les lignes rentables. Une télévision privilégie les émissions qui font de l'audimat. Les besoins des minorités ne sont pris en compte que dans une logique de service public. Dès le moment où les établissements sont gérés comme des entreprises, ce qui est partiellement une condition de leur autonomie, ils ont tendance à optimiser sinon leurs profits, du moins la balance entre leurs dépenses et leurs ressources. En ce sens, il peut être beaucoup plus rentable de se concentrer sur quelques itinéraires de formation spécialisés ou de haut niveau, en espérant que les exclus trouveront ailleurs une offre correspondant à leurs besoins. Si l'on constitue les régions où les établissements en acteurs collectifs, il faut s'attendre à ce qu'ils aient une politique de l'éducation à leur échelle, qui ne va pas nécessairement dans le sens de la politique nationale (cf. Grisay, 1988 ; Perrenoud et Montandon, 1987).

    g. Maîtrise des dérives de l'autonomie

    Si la diversification des itinéraires de formation passe par une autonomie accrue des établissements, il faut accepter les deux faces de cette médaille : d'une part, cette autonomie permettra à une partie des établissements de construire des itinéraires de formation et des dispositifs didactiques plus souples, plus intelligents, plus adaptés à la diversité des élèves et des problèmes ; mais la même autonomie peut autoriser une partie des établissements à privilégier des structures plus rigides, des contenus plus sélectifs, ou des modes d'organisation plus anarchiques et donc inefficaces. La solution n'est évidemment pas de régresser vers la centralisation, mais d'offrir des ressources et des compétences de gestion, d'animation, d'évaluation aux établissements qui en éprouveraient le besoin, et aussi de se donner des instruments de contrôle des acquis et des effets qui ne laissent à aucun établissement, à long terme, la liberté de faire n'importe quoi…

    Sur ce point, il importe que l'autonomie soit clairement définie comme un moyen d'atteindre les objectifs d'un service public, non comme un droit de reconstituer des principautés ou des féodalités échappant à tout contrôle.

    h. Maîtrise de la diversification des formes d'excellence

    Lorsque la diversification des parcours de formation touche aux contenus, aux maîtrises visées, à la culture à laquelle on accède, le problème de la diversification des formes d'excellence se pose avec acuité. Sur le papier, on peut tenter de décréter l'équivalence de contenus différents : équivalence en terme de difficultés, de niveaux, d'intérêts, de dignité, d'utilité, etc. Cette équivalence volontariste résiste difficilement aux hiérarchies effectives que construisent les acteurs. Lorsque dans une école moyenne, les filières de langues modernes, cinq ou dix ans après leur introduction, envoient un tiers de leurs élèves vers les études longues, contre 80 % dans les filières " langues anciennes ", on a beau affirmer que ces filières sont équivalentes et représentent simplement des orientations qualitativement distinctes, la réalité est tout autre : dans l'esprit de chacun, ces filières sont hiérarchisées et on choisit le latin non par goût des langues anciennes, mais parce que c'est le meilleur placement, celui qui ménage le plus de possibilités de choix ultérieurs, y compris d'étudier les langues modernes à l'université…

    Le problème n'est pas neuf, mais toute diversification accrue des itinéraires de formation le rendra encore plus complexe.


    V. Les obstacles au niveau de l'établissement

    A ce niveau, on ne pense plus les effets globaux, mais les coûts et avantages d'une autre organisation à l'échelle locale, celle d'une école primaire, d'un collège ou d'un lycée, éventuellement d'un ensemble un peu plus vaste (réseau d'établissements) ou un peu plus restreint (équipe pédagogique au sein d'un établissement).

    Peurs à dépasser

    J'en distinguerai quatre : i. Peur de la complexité ; j. Peur des différences ; k. Peur des conflits ; l. Peur des responsabilités.

    i. Peur de la complexité

    Il est très rassurant, pour une direction d'établissement, de gérer un système stable de filières, d'options, de niveaux. De toute façon, en raison des fluctuations démographiques qui affectent les effectifs d'élèves et des mouvements dans le corps enseignant, il faut chaque année reconstruire un équilibre quantitatif et qualitatif, décider du nombre de classes dans chaque filière, du nombre et de la qualification des professeurs dont on a besoin, et de la répartition de leur temps entre différentes classes et filières. Dans le primaire, c'est plus simple ; dans toutes les autres écoles, la gestion est déjà complexe, chaque rentrée est une inconnue, surtout en période de turbulences démographiques ou budgétaires. Or la diversification des parcours de formation ajoute à cette complexité, en remettant régulièrement sur le métier, d'une année scolaire à l'autre, ou même en cours d'année scolaire, les structures mêmes qui sous-tendent le groupement des élèves et la division du travail entre professeurs.

    Il est normal que les gestionnaires responsables de " mettre régulièrement en présence des professeurs et des élèves " résistent à la complexité requise par la diversification et aussi le réajustement régulier des dispositifs didactiques et des parcours.

     j. Peur des différences

    Comme le montrent les travaux de Derouet (1985, 1988, 1991), en sociologie de l'éducation, et plus largement ceux de Boltanski et Thévenot (1987, 1991), l'équité, la justice sont des enjeux majeurs dans tous les groupes, toutes les organisations. C'est tout le problème de la proportionnalité entre la tâche et la formation requise, entre la tâche et le salaire ou les autres avantages matériels, entre la tâche formelle et ses conditions réelles de réalisation. Est-ce la même chose d'être professeur dans un lycée pourri de banlieue et un lycée prestigieux du centre ville ? Est-ce la même chose d'être instituteur dans une classe comportant 80% d'élèves immigrés ou seulement 10%?

    Ces problèmes ne sont pas nouveaux, mais l'individualisation des parcours de formation ne peut que les accentuer et les rendre plus aigus à l'échelle même de l'établissement. Supposons que pour individualiser les parcours, il faille reconstruire en cours d'année certains modules, de sorte que l'horaire de professeurs ne soit plus une constante hebdomadaire, et qu'il y ait des périodes où certains soient plus occupés que d'autres en fonction de projets d'élèves, d'une demande, de phases plus ou moins intensives d'encadrement ou de soutien pédagogique, etc. On le voit bien, il faudrait, en longue période, retrouver des équilibres, une certaine justice. Mais quelles sont les critères pertinents ? Est-il plus difficile de travailler avec trois élèves, sans programme ou avec vingt en suivant un rail ? Est-il plus confortable d'avoir un horaire régulier ou de reconstruire son emploi du temps chaque quinzaine ? Est-il plus enrichissant de négocier le programme avec les élèves ou de s'abriter derrière des textes relativement rigides ? Tout dépend, on le voit bien des attentes, des valeurs, des modes de vie des professeurs. Il faut donc s'attendre à ce que l'individualisation des parcours de formation multiplie les sentiments d'injustice et oblige à reconstruire des équivalences et des procédures d'arbitrage.

    k. Peur des conflits

    Les sentiments d'injustice sont évidemment une source privilégiée de conflit. Mais il y en a d'autres. Autour de la diversification des parcours de formation se joue la répartition des ressources, des espaces, du temps, des technologies informatiques et audiovisuelles, des moyens de documentation. Il faut aussi reconstruire des concertations et des collaborations entre enseignants, s'adapter à des conditions de travail qui changent, à de nouvelles contraintes, à de nouveaux objectifs, à d'autres élèves plus souvent que dans le fonctionnement traditionnel des écoles primaires, des collèges ou des lycées. Et surtout, il faut constamment décider soit de maintenir, soit de changer les dispositifs. Chaque décision est l'occasion d'un débat, d'affrontements sur des thèmes idéologiques, pédagogiques ou gestionnaires, les uns sortant gagnants, les autres perdants de la confrontation.

    La flexibilité des structures de la formation est à ce prix : on peut comprendre que cela fasse peur aux enseignants et aux responsables d'établissements.

     l. Peur du pouvoir et des responsabilités

    Il ne peut y avoir d'individualisation adaptée à la réalité du terrain sans délégation de pouvoir aux établissements et aux équipes pédagogiques. Ce qui change fortement les jeux habituels, dans les systèmes scolaires. Dans un système centralisé, chacun peut, tous les jours, dénoncer l'absurdité des programmes, des horaires, de l'usage des espaces ; c'est à la fois un constat d'impuissance et une façon confortable de mettre en question des décisions prises par d'autres, à l'échelon de la direction de l'établissement ou du ministère. Dans un fonctionnement plus décentralisé, où ces ressources seraient sous le contrôle des équipes pédagogiques, chacun doit prendre davantage de responsabilités. Plus moyen de chercher un bouc émissaire. Surgit alors la peur bien connue de la liberté et du pouvoir, parce qu'on leur associe des risques et des responsabilités.

    Maîtrises à construire

    J'en distinguerai quatre : m. Maîtrise de la régulation continue des dispositifs ; n. Maîtrise des pressions externes ; o. Maîtrise des dynamiques de collaboration entre enseignants ; p. Maîtrise des stratégies des acteurs de l'organisation.

    m. Maîtrise de la régulation continue des dispositifs

    Il n'y a aucune raison d'espérer que l'individualisation des parcours de formation puisse être pensée " une fois pour toutes ". Bien sûr, il y a des régularités dans la composition des volées d'élèves et dans l'histoire des apprentissages en cours d'année. Bien sûr, tout n'est pas à réinventer constamment. Mais une individualisation digne de ce nom, si elle n'interdit pas d'anticiper, de construire un scénario, devrait en principe s'adapter à la réalité, donc changer les offres de formation et les modalités de prise en charge au gré des besoin.

    Cette logique se heurtera nécessairement au besoin de stabilité des acteurs, qu'il s'agisse des professeurs ou des élèves. Dans la vie, professionnelle ou privée, on fait parfois des choses en pressentant qu'elles ne sont pas les plus intelligentes ou les plus efficaces, parce qu'on n'a pas le courage de remettre les solutions habituelles sur le métier, pas l'envie de déterrer la hache de guerre, pas l'énergie de se reposer des problèmes fondamentaux, de revenir aux objectifs, d'évaluer lucidement les succès et les échecs.

    On peut donc imaginer qu'une école qui a fait un grand pas vers l'individualisation des parcours de formation, en bousculant les habitudes et les droits acquis, ait la tentation, assez humaine, de vouloir souffler, de ne pas s'installer dans le changement permanent. C'est pourtant la seule façon de pallier l'usure des dispositifs didactiques et des itinéraires mis en place. Usure qui tient à la fois à l'évolution des problèmes et des usagers et à la perte d'efficacité inséparable de l'habitude. Le soutien pédagogique a été une bonne idée et le reste face à certaines difficultés (Perrenoud, 1991 a, 1991 b). Mais lorsqu'on le pratique sans plus y réfléchir, comme un job ordinaire, il perd nécessairement l'essentiel de ses vertus. En outre, une partie des changements sont appelés par des transformations externes, par exemple la nature changeante de l'immigration et des modes de vie familiaux, mais d'autres répondent à la nécessité de reconstruire régulièrement l'efficacité et le sens des pratiques, même pour faire face à des besoins connus.

    n. Maîtrise des pressions externes

    Un établissement n'est pas une île. Il vit dans une communauté urbaine ou rurale qui y investit des ressources et des attentes. Prenons un exemple élémentaire : dans certains quartiers, une partie des locaux scolaires sont mis à la disposition d'associations diverses le soir ou en fin de semaine. Or les groupes d'adultes qui viennent occuper l'école s'attendent à y trouver une organisation conventionnelle de l'espace et du mobilier. D'où des conflits possibles.

    A l'autre extrême, les enjeux portent sur la formation elle-même : l'individualisation des parcours se heurte aux attentes et aux exigences d'une partie des parents, qui ont des demandes bien précises pour leurs enfants, en termes de contenus et de niveaux. Schématiquement, on peut dire que toutes les familles dont les enfants réussissent bien dans l'école traditionnelle ont de bonnes raisons de s'opposer aux pédagogies différenciées et à l'individualisation des parcours, parce qu'elles perdent sans profit leurs points de repères et n'ont pas grand-chose à gagner dans ce changement.

    Dans certaines écoles, ce ne sont pas seulement les parents d'élèves, mais les collègues d'autres établissements ou les employeurs qui font pression pour maintenir des acquisitions et des modes d'organisation traditionnels.

    L'établissement doit donc composer constamment avec ces forces, ce qui l'empêche, par moments, de mettre en œuvre un projet éducatif cohérent. C'est en particulier le cas lorsqu'il dépend de la bonne volonté communale pour aménager les locaux, les horaires ou accroître les ressources technologiques.

    o. Maîtrise des dynamiques de collaboration entre enseignants

    Diversifier les itinéraires de formation, c'est rompre avec la division du travail pédagogique la plus classique et demander aux enseignants de travailler ensemble plus régulièrement, donc de se mettre d'accord non seulement sur des objectifs et des contenus, mais des modes de gestion des apprentissages, des dispositifs didactiques, des façons d'évaluer, de maintenir l'ordre, de définir le contrat didactique, etc. Même les enseignants qui sont actifs à ce travail collectif ont dans l'année scolaire ou la carrière (cf. Huberman, 1989) des phases de retrait, soit parce que leur vie hors de l'école absorbe une énergie qui n'est plus disponible pour des fonctionnements négociés, soit parce qu'ils sont amers, fatigués du travail en équipe. De plus, une partie des enseignants sont définitivement réfractaires à la collaboration, parce qu'ils se sont engagés dans ce métier pour être " tranquilles " une fois leur porte fermée, pour ne pas avoir à travailler avec d'autres adultes, pour être " seuls maîtres à bord ".

    Les établissements qui s'engagent dans la diversification des parcours de formation n'en auront jamais fini d'amener les réfractaires à un minimum de collaboration librement consentie et de soigner les blessures et les découragements de ceux qui y croient encore…

    p. Maîtrise des stratégies des acteurs de l'organisation

    Dès le moment où, dans un établissement, on crée un espace de décision collective, dès le moment où les structures ne sont plus données d'avance mais à construire, où les contenus et les niveaux d'exigences sont négociables, où les groupements d'élèves peuvent être faits et défaits, les chemins didactiques inventés ou supprimés, il faut s'attendre à la confrontation de toutes sortes de logiques pour certaines totalement étrangères à la démocratisation de l'enseignement. L'individualisation des parcours de formation, c'est pour les uns l'occasion de prendre du pouvoir, pour les autres de rompre la routine, pour d'autres encore d'abandonner des disciplines ou des activités qu'ils n'aiment pas ou maîtrisent mal au profit d'autres où ils sont plus à l'aise. Tout cela est normal, on ne voit pas comment on pourrait en faire l'économie. Mais cela veut dire que la logique de l'individualisation se heurtera en permanence à d'autres logiques, dites ou non dites, qui vont la limiter ou la pervertir.


    VI. Les obstacles au niveau
    des interactions didactiques

    L'individualisation des parcours de formation brouille les stratégies des acteurs. Elle modifie fort concrètement les conditions de travail quotidiennes des enseignants et le contrat pédagogique qu'ils établissent avec les élèves. Chacun sent bien qu'il devra reconstruire une identité, des manières de délimiter son territoire, de protéger son autonomie, etc.

    Peurs à dépasser

    J'en distinguerai six : q. Peur de perdre son innocence ; r. Peur de perdre son plaisir ; s. Peur de perdre sa liberté ; t. Peur de perdre ses certitudes ; u. Peur de perdre sa tranquillité ; v. Peur de perdre son pouvoir. Ces thèmes sont développés un peu plus amplement dans l'analyse des deuils exigés par la différenciation (Perrenoud, 1992)

    q. Peur de perdre son innocence

    Diversifier les parcours de formation, c'est mettre en partie l'échec scolaire, l'inégalité sous le contrôle des établissements et des équipes pédagogiques. C'est donc prendre constamment la mesure de ce qu'on pourrait faire, mais qu'on n'arrive pas à faire parce que les ressources, l'imagination, la bonne volonté ou le consensus font défaut. Il y a un certain confort à penser qu'on ne peut rien faire pour les élèves en difficulté du fait de la structure, des programmes, du cloisonnement des degrés et des classes, etc. Dès le moment où on peut faire quelque chose, qu'on a prise sur des variables changeables, on devient rapidement responsable si on ne fait rien ou si on se trompe.

    r. Peur de perdre son plaisir

    Enseigner dans un établissement qui pratique la diversification d'itinéraires de formation, c'est en partie accepter de faire un autre métier, donc de perdre certains plaisirs professionnels sans être sûr d'en retrouver d'autres au moins équivalents. Le plaisir qu'il y a à être au centre d'un groupe fermé disparaît dans un système de niveaux, d'options, de modules par exemple. Le professeur charismatique cède la place à la personne ressource visant à faire fonctionner des dispositifs didactiques et des itinéraires plus qu'à délivrer un message pédagogique flamboyant.

    s. Peur de perdre sa liberté

    S'il y a diversification des parcours de formation, l'interdépendance des enseignants s'accroît. Ce ne sont plus des " combattants solitaires " (Gather Thurler, 1991), des artisans individualistes qui maîtrisent l'ensemble de la relation pédagogique lorsqu'ils travaillent avec un groupe, dans leur discipline et s'en désintéressent lorsqu'ils ont fini leur cours.

    On peut difficilement gérer un système d'itinéraires individualisés sans une forte coopération entre enseignants, un travail d'équipe, des temps de concertation et de négociation, une division du travail et des spécialisations qui ne sont pas nécessairement coulées dans le bronze des découpages disciplinaires, mais peuvent être conçues pour faire face à certains problèmes ou prendre en charge des catégories particulières d'élèves.

    On perd aussi une part de sa liberté face aux élèves. Dans toute pédagogie différenciée et toute forme de lutte contre l'échec scolaire, il importe de travailler en priorité avec les élèves qui en ont besoin, plutôt qu'avec ceux qui sont les plus coopératifs ou les plus gratifiants comme partenaires du jeu didactique. Dans l'enseignement traditionnel, le maître ne peut pas se désintéresser complètement de certains élèves, mais il a une autonomie qui lui permet d'établir avec certains un rapport minimal, strictement professionnel et avec d'autres un rapport privilégié, plus riche, fait de complicités et de plaisir de communiquer. La lutte contre l'échec scolaire met, à sa façon, fin à cette liberté. Non pas qu'elle l'interdise formellement, mais la priorité devient la prise en compte des besoins des élèves, le cas échéant contre les préférences personnelles des intéressés. Le soutien pédagogique ou des formes de différenciation intégrées à la salle de classe n'induisent pas les mêmes contraintes que la diversification des parcours. Cette dernière oblige peut-être moins à une confrontation avec des élèves pris individuellement, mais elle répartit les enseignants entre des groupes qu'ils n'auraient pas toujours choisis spontanément…

    t. Peur de perdre ses certitudes

    Dans un cursus stable, un enseignement relativement frontal, on s'accommode des routines, sans même prendre conscience de l'arbitraire et des inconvénients d'un certain type de fonctionnement, de contrat didactique, de progression dans le programme, de façon d'évaluer. Lorsqu'on s'adresse en priorité aux élèves en échec, qui résistent à l'action pédagogique ou la mettent en défaut, on est forcément porté à douter à la fois des contenus et des démarches d'enseignement. Lorsqu'on essaie de faire face en diversifiant les situations didactiques et les parcours, on ne peut méconnaître l'arbitraire de chaque mode de travail, de chaque groupement, de chaque type de tâches privilégié dans tel ou tel groupe.

    La diversification des parcours de formation et la différenciation de l'enseignement s'accompagnent d'un lot d'incertitudes personnelles et collectives, qui peuvent légitimement faire peur.

    u. Peur de perdre sa tranquillité

    Les incertitudes et les doutes sont autant de raisons de perdre sa tranquillité intérieure. Mais il n'y a pas que la tranquillité de l'esprit. Dans un établissement qui diversifie les itinéraires de formation et différencie l'enseignement, on ne cesse de réorganiser, de négocier des modules, des découpages, des groupements, des modes de collaboration et de régulation. Autrement dit, ce qui dans les écoles plus traditionnelles passe pour acquis, au moins le temps d'une année scolaire, parfois pour une décennie, devient un ensemble de paramètres qu'on peut changer en permanence, avec ce que cela suppose de temps de conception, de négociation, de mise en place, d'évaluation d'un dispositif.

    Certes, c'est aussi un pouvoir, un défi, un plaisir intellectuel. Mais ceux qui cherchent dans l'enseignement un gagne-pain, ou n'ont pas beaucoup d'énergie à investir dans leur métier à cause de leur santé, parce qu'ils sont en crise dans leur vie personnelle ou ont d'autres engagements, ont des raisons d'hésiter à aller dans le sens d'itinéraires diversifiés de formation. Cela va inévitablement compliquer leur vie professionnelle et les placer face à un certain nombres de problèmes et de décisions dont on fait largement l'économie dans les écoles qui fonctionnent de manière routinière, sans trop se préoccuper de l'échec scolaire.

    v. Peur de perdre son pouvoir

    Dans une école qui tente de diversifier les parcours de formation, le pouvoir collectif des enseignants s'accroît. Mais chacun, devient plus dépendant des autres, parce que la diversification, nul ne peut la décider et la mettre en pratique " dans son coin ". Certains enseignants peuvent avoir l'impression que dans de tels dispositifs ils vont " perdre le contrôle de la situation " : les élèves sont confrontés à une équipe pédagogique, donc à une diversité d'attentes et de pratiques ; l'emploi du temps, les exigences, les modalités de travail et d'évaluation, l'usage et la clôture des espaces doivent être régulièrement négociés. Chacun perd du pouvoir.

    Or un certain nombre d'enseignants tiennent à ce pouvoir. Parfois parce qu'il garantit un espace de liberté où investir leur créativité personnelle, souvent parce qu'il les protège, leur permet de ne pas faire ce qu'ils n'aiment ou ne savent pas faire, les aide à concentrer leurs forces sur la négociation avec leur seul partenaire " incontournable ", les élèves, de moins en moins dociles et disciplinés. Pour beaucoup, le goût du pouvoir n'est pas une " volonté de puissance " ; c'est un mécanisme plutôt défensif, qui permet aux enseignants de survivre en limitant la complexité et les incertitudes de leur environnement.

    Maîtrises à construire

    J'en distinguerai trois : w. Maîtrise du contrat didactique et les stratégies des usagers ; x. Maîtrise de la régulation des apprentissages ; y. Maîtrise des contradictions entre pédagogies actives et différenciation.

    w. Maîtrise du contrat didactique et les stratégies des usagers

    Toute diversification des itinéraires de formation modifie l'espace de jeu des acteurs, qu'il s'agisse des enseignants ou des élèves, et derrière ces derniers, des familles. Lorsqu'on met en place des dispositifs d'appui, de pédagogie différenciée, d'enseignement à la carte, c'est en général pour venir en aide aux élèves les plus défavorisés. On peut avoir l'illusion qu'ils vont savoir gré aux enseignants des efforts faits à leur intention et qu'ils vont coopérer. Or l'observation montre :

    Plus globalement, tout dispositif de formation offre des possibilités que les acteurs vont utiliser à leur profit, au besoin en détournant les fonctionnements à leur profit, en les pervertissant. Une partie des structures les mieux pensées deviennent ainsi rapidement inefficaces, parce qu'elles sont investies par les intérêts d'autres acteurs.

    x. Maîtrise de la régulation des apprentissages

    La diversification des itinéraires de formation et la différenciation de l'enseignement se fondent sur l'hypothèse qu'on peut, à tout moment, identifier les difficultés des apprenants et savoir ce qui convient le mieux à chacun. Voilà un pari diablement positif sur la connaissance didactique et psychopédagogique disponible ! Dans un certain nombre de domaines du curriculum, la pensée didactique et les instruments d'observation et de régulation sont encore d'une pauvreté considérable. Même dans les champs où l'expérience et la recherche offrent des éléments de réponse, on manque cruellement de certitudes. S'agissant d'apprentissages supposés fondamentaux, comme la lecture, les opérations arithmétiques, la production de textes, on est bien loin de comprendre la diversité des modes de fonctionnement et d'apprentissage, et de savoir analyser les obstacles, les difficultés, les blocages, les erreurs pour réorienter l'action éducative.

    Il faut donc accepter l'idée qu'une partie de l'énergie investie dans la différenciation de l'enseignement et l'individualisation des parcours sera dépensée en pure perte, parce que les décisions auront été prises sur la base d'intuitions ou d'analyses erronées (Perrenoud, 1991 c). A quoi s'ajoute la difficulté d'évaluer le bien-fondé des décisions d'orientation ou de prise en charge, et de les remettre sur le métier. Tout système complexe a une inertie considérable, qui tient notamment aux limites de l'énergie, de la compétence et de la bonne volonté des acteurs.

     y. Maîtrise des contradictions entre pédagogies actives et différenciation

    Tout système d'individualisation des parcours de formation et de différenciation des situations didactiques et des prises en charge pédagogiques pousse vers une logique gestionnaire, avatar de celle qui, à certaines époques, s'est incarnée de façon caricaturale dans l'enseignement programmé ou les pédagogies par objectifs. Et c'est assez normal : une partie de l'énergie est investie dans la régulation des apprentissages et l'orientation vers d'autres modules, d'autres filières, d'autres niveaux d'études. La métaphore même des parcours suggère bien qu'il s'agit notamment de régler la circulation, l'écoulement des flux d'élèves à l'intérieur d'un système plus complexe et plus mouvant que le cursus traditionnel, ce qui implique davantage de décisions, de contrôles, de moyens de savoir exactement qui fait quoi.

    L'excès d'individualisation peut aussi conduire à faire éclater les groupes et à considérer l'apprenant comme un individu cheminant à son rythme et selon une trajectoire originale dans un système modulaire. La maîtrise du système présente alors quelque parenté avec le travail des contrôleurs du ciel, chacun prenant en charge un certain nombre de vols…

    Ces caractéristiques structurelles peuvent avoir des incidences fortes sur le contrat pédagogique et le sens du travail scolaire. Elles peuvent altérer la relation maître-élèves, faire éclater le temps et l'espace, multiplier les interlocuteurs et les changements. Or les pédagogies actives, les pédagogies coopératives, les pédagogies du projet construisent le sens, en partie, en tablant sur la continuité, l'identification à un groupe, l'engagement dans une action.

    Il faut envisager une contradiction toujours possible entre la logique de la différenciation et celle des pédagogies actives (Meirieu, 1988 ; Perrenoud, 1985). Même si ce sont souvent les mêmes militants, les mêmes innovateurs qui se réclament des deux courants, la lucidité oblige à reconnaître que, si la contradiction n'est pas idéologique ou théorique, elle peut être pratique, au niveau de la relation pédagogique, de l'emploi du temps, de la nature des tâches, de la répartition du pouvoir, etc.


    VII. Faut-il désespérer ?

    Cette accumulation de peurs à dépasser et de maîtrises à construire, au niveau du système, de l'établissement ou des interactions didactiques, risque évidemment de décourager l'innovateur le plus enthousiaste. Ce n'est pas mon propos. Aucun des obstacles analysés ne me semble définitivement insurmontable. A condition de ne pas verser dans la pensée magique et de ne pas croire qu'on parviendra à individualiser les parcours de formation et à différencier l'enseignement sans anticiper et surmonter toutes sortes de résistances qui ne sont nullement irrationnelles, qui ne reflètent pas l'égoïsme, le conservatisme ou la bêtise des acteurs ou des organisations, mais simplement leur diversité, leurs ambivalences, leurs hésitations fort compréhensibles entre les certitudes du statu quo et les risques du changement.

    En éducation, on sait la tendance des innovateurs à en appeler " au bien de l'enfant " comme principal moteur du changement. Avec les désillusions que l'on connaît. Il me semble que l'analyse froide des résistances, si elle peut affaiblir certains enthousiasmes, est la seule façon de sortir de l'alternance entre moments d'utopie et moments de déprime. Individualiser les parcours de formation n'est pas une entreprise simple et la mise en place d'un dispositif n'est qu'un début, l'essentiel se jouera dans la durée, dans la capacité de réévaluer et de remanier les structures mises en place. Il faut donc avoir du temps, ne pas être prisonnier de politiques ou de réformes étroitement dépendantes d'un ministre ou d'une conjoncture. D'où l'importance aussi de documenter les essais et les errements, d'analyser les erreurs, de raconter les stratégies efficaces, et les autres, pour constituer peu à peu un corps de savoirs et de savoir-faire sur l'innovation elle-même (Gather Thurler, 1991, Gather Thurler & Perrenoud, 1991).


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