Source et copyright à la fin du texte
In Actes du Séminaire des formateurs de l'IUFM, Grenoble, IUFM, 1994, pp. 32-34.

 

 

 

 

Du projet au plan de formation

Philippe Perrenoud

Faculté de psychologie et des sciences de l'éducation
Université de Genève
1994

Les IUFM ont été constitués à partir d'institutions diverses, ayant chacune leur culture propre. Même si l'IUFM de l'Académie de Grenoble a été créé un an avant les autres, son processus de construction n’est pas achevé. La période initiale, inévitable et légitime, pendant laquelle la préoccupation de chacun est de se situer dans l'institution semble maintenant terminée. Il devient possible de se " désintéresser de soi ", et de prendre du recul sur le fonctionnement de l'institution.

Le séminaire Autrans II témoigne de cette volonté. Il a permis :

En voici quelques uns, que j’appellerai :

  1. Le temps de l'approfondissement
  2. Le temps de la coopération
  3. Le temps de l'ouverture
  4. Le temps du projet.
1. Le temps de l'approfondissement

A la création des IUFM, il a fallu aller vite, très vite. Donc trancher dans le vif, décider avant que des débats de fond - les compétences, l’alternance, la place des didactiques et des savoirs, etc. - aillent à leur terme, à supposer qu’ils soient jamais clos. Il est temps de reprendre ces questions, plus tranquillement, puisque " ça tourne ", que l’accueil et l’encadrement des étudiants sont assurés.

Former un enseignant débutant

Viser à former un bon débutant est un objectif réaliste et mobilisateur. Il est juste d’en faire le fondement du plan de formation de l'IUFM. Or, la réflexion n’est qu’amorcée. Il faut la poursuivre et apporter un début de réponse à un certain nombre de questions, en vue de l'élaboration du plan de formation 1995-99 :

Formation professionnelle, formation d'adultes, formation universitaire

C’est une formation professionnelle : elle prend les pratiques professionnelles pour référence ultime et pour base de la transposition didactique.

C’est une formation d’adulte : elle s’adresse à des étudiants autonomes et responsables.

C’est une formation universitaire : elle doit rester critique, indépendante du système éducatif.

Évidences, peut-être. En a-t-on tiré toutes les conséquences quant aux formes et aux modalités de la formation des enseignants en IUFM ? Par exemple en matière d’individualisation de la formation ? de négociation des contenus et des pratiques de formation ? d’évaluation ?

La formation pendant les premières années d'enseignement

L'insertion dans le milieu professionnel est un moment difficile. L’enseignant débutant est aux prises avec un grand nombre de problèmes, qui renvoient en partie à des besoins de formation. Une réflexion sur cette période de transition devrait être menée conjointement avec la MAFPEN et les chefs d’établissements :

Mise en cohérence de la formation

Cette cohérence doit être prévue par le plan de formation, mais elle se joue en définitive dans l’esprit des formateurs, puis dans celui des étudiants stagiaires. C’est le rocher de Sisyphe. On n’en a jamais fini de reconstruire les liens et les raisons d’être des divers modules, leur pertinence pour la pratique, leurs présupposés.

Les temps et les lieux où la cohérence peut se construire ouvertement sont d’une importance stratégique pour l’ensemble de la formation ; ils existent : ateliers-mémoires, encadrement du dossier professionnel, groupes d’analyse des pratiques, co-animation de modules de formation, suivi personnalisé des étudiants. Mais les formateurs, qui ne sont pas tous impliqués dans ces moments, en ont des visions extrêmement diverses et sont loin d’être tous convaincus de leur utilité, pas au point en tout cas de leur laisser volontiers une place substantielle dans l’horaire… Il importerait que chacun soit associé à certains de ces " lieux communs " et surtout que le thème de la cohérence, de l’intégration, de la métacommunication sur la formation soit l’affaire de tous.

Observatoire de la formation

Chaque débat pose de très nombreuses questions sur la formation (les pratiques, les représentations, les effets). Elles restent souvent sans réponse, par absence d'une instance qui rassemblerait les questions posées par la direction de l'institut, les formateurs, les étudiants, voire les établissements scolaires et travaillerait à y répondre de façon légitime et méthodique, de sorte que chacun puisse accorder le même crédit aux résultats.

La création d'un observatoire de la formation permettrait de rassembler les questions posées, de travailler sur certaines d'entre elles, d'avancer et de vérifier des hypothèses. Parmi les priorités :

La création d’un observatoire conduirait à la définition et à la mesure d’un certain nombre d’indicateurs de la formation et de ses effets, qui seraient autant de points de repères.

2. Le temps de la coopération

Comme dans tout établissement complexe, la formation suppose une division du travail. Elle s’accompagne toujours d’un risque d’individualisme, valorisant le chacun pour soi, poussant chaque formateur à optimiser ce en quoi il croit et qui le mobilise et à se désintéresser du reste. D’où l’importance de veiller à la nature des relations professionnelles qui se nouent entre formateurs de l'IUFM.

Favoriser une culture de coopération

Les travaux sur les établissements efficaces et capables d’innovation indiquent qu’il est préférable que se substitue à l’individualisme traditionnel des formateurs une culture de coopération. C’est plus qu’une culture commune, notion qui a fait fortune à la création des IUFM parce qu’on y regroupait des institutions différentes. Une culture commune peut en effet, paradoxalement, donner à chacun le droit de se désintéresser des autres et de travailler en solitaire ! Elle peut nier, dénigrer la coopération. Elle peut au contraire la valoriser. C’est alors qu’on peut parler d’une culture de coopération, qui favorise le travail en équipe, tout en donnant les moyens de le pratiquer à bon escient et de façon critique, pour plus d’efficacité et de plaisir professionnel, non comme valeur en soi.

Sans l’imposer - ce qui donne une forme peu dynamique de " collégialité contrainte " - la direction peut encourager la coopération et d’abord en donner l’exemple.

Tous formateurs

Il existera toujours des identités distinctes chez les formateurs, mais dépasser les cloisonnements initiaux, prendre en compte les compétences et les expériences de chacun, construire une part d'identité commune, doit être une préoccupation permanente de l'institut.

  • Cela passe par :
  • C’est particulièrement important s’agissant des formateurs de terrain ou de ceux qui n’ont qu’un temps partiel à l’IUFM et peuvent très bien y survivre sans se préoccuper de l’ensemble.

    3. Le temps de l'ouverture

    Dans une phase de construction, il est normal que chacun se ferme au monde extérieur, le temps que chacun trouve ses marques, délimite son territoire, se rassure sur sa place et ses compétences. Ce processus n’est jamais achevé, mais peut-être est-il aujourd’hui assez avancé pour aller vers plus d’ouverture.

    Décentralisation/déconcentration de l'IUFM : rôle des centres

    Dans l'évolution de l'institution, une réflexion doit être menée sur les centres, leurs spécificités, les transformations nécessaires…

    Partenariat avec le terrain

    Il est de plus en plus nécessaire de travailler avec les enseignants du terrain et les chefs d'établissements, dans des structures à inventer, autour de thèmes divers, par exemple : " Le métier d’enseignant et son évolution ", " Les attentes des établissements à l'égard de la formation ", " La culture et le rapport à l’école des élèves et des familles d’aujourd’hui ", " La formation en alternance, les stages, le rôle des établissements ", etc. Le travail que cela suppose pourrait être intégré au temps de service des formateurs IUFM.

    L'IUFM, acteur collectif du débat sur le système éducatif

    L'IUFM représente une concentration exceptionnelle de compétences sur les questions de l'éducation. A ce titre, non seulement pour développer des actions de relations publiques, mais pour consolider son identité et exister comme acteur collectif dans la région, l'IUFM peut et doit favoriser le débat sur les questions qui se posent au système éducatif : les ZEP, l'insertion des adolescents, etc.

    4. Le temps du projet

    Les conditions semblent réunies pour avancer vers l'élaboration d'un projet d'établissement. Qu'entend-on par projet ? Ce n’est pas un plan de formation. Il l’englobe et le sous-tend.

    Ce sont de préférence deux textes, mais ils diffèrent sous nombre d’aspects :

    Aspects
    Plan de formation
    Projet d’établissement

    Destinataire

    Le Ministère, l’Académie, les étudiants, les personnels de l’IUFM.
    Les formateurs, les collaborateurs.

    Statut

    Texte contraignant, formel, public.
    Texte argumentatif, idéologique, texte de travail, interne, contrat entre membres de l’IUFM.

    Contenu

    Parcours, objectifs de la formation, dispositifs, certification, statut des étudiants, procédures et règles diverses, structures de participation et de régulation.
    Philosophie de la formation, objectifs de l’institution, valeurs communes des formateurs, perspectives à long terme, rôle des formateurs, conception de l’alternance.

    Usage

    Référence formelle pour les acteurs dans leurs actions quotidiennes
    Document d’orientation, base pour l’interprétation et la régulation des plans de formation.

    Validité

    Pour une période définie par le Ministère.
    Aussi longtemps qu’il exprime le consensus des acteurs de l’IUFM.

    EN BREF

    Les règles communes
    Ce qui leur donne du sens

    Un IUFM ne peut fonctionner sans plan de formation, il peut fonctionner sans projet. Ce dernier ne doit pas être une formalité, à la manière de tout projet d’établissement établi à des fins bureaucratiques. Il en doit pas émaner de la direction seulement, même si elle joue un rôle moteur dans son élaboration et sa mise à jour.

    On peut faire l’hypothèse que, sans projet d’établissement, le plan de formation n’aura guère de perspectives. Quant à la méthodologie de projet, on transposera sans difficulté ce qui vaut pour les écoles, collèges et lycées. Quant au contenu, on peut imaginer qu’un projet d’IUFM dise :

    Tout cela non pas dans un style administratif sec et neutre, mais comme un texte argumentatif ne cachant pas les divergences et les incertitudes. Le projet est un outil de travail, pas de contrôle social…

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