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Dispositifs dindividualisation des cursus et différenciation des pratiques de formation
Philippe Perrenoud
Faculté de psychologie et de sciences de
léducation
Université de Genève
1995
I. Cursus, curriculum, histoire personnelle : trois lectures des parcours de formationII. Une individualisation peu maîtrisée
III. Maîtriser lindividualisation à plusieurs niveaux systémiques
IV. Lindividualisation au niveau du plan de formation
V. Lindividualisation au niveau des unités de formation
VI. Lindividualisation au niveau dun groupe de formation
Une précaution dabord : lindividualisation des parcours de formation est un terrain encore neuf, dans lequel on ne sait très bien ni penser, ni formuler, ni faire. On balbutie, on se répète, on enfonce des portes ouvertes, on reste souvent dans labstraction. Cest hélas létat de lart daujourdhui.
Ce thème mintéresse à un double titre. Dabord parce que, depuis vingt-cinq ans maintenant, jétudie léchec scolaire, ses causes et éventuellement ses remèdes (Perrenoud, 1995). Parmi ses causes structurelles, lindifférence aux différences mise en évidence par Bourdieu en 1966 ou, à la même époque, dans un autre langage, par Benjamin Bloom, lorsquil développait aux États-Unis la pédagogie de la maîtrise (mastery learning), appelée en France " pédagogie par objectifs " (PPO). Parmi les remèdes, la pédagogie différenciée, intégrée dans un second temps dans une approche plus systémique en termes dindividualisation des parcours de formation (Bauthier, Berbaum & Meirieu, 1993). Ces deux expressions ne sont pas interchangeables : lune sintéresse à laction pédagogique, lautre aux cheminements des apprenants, mais ce sont deux facettes dun même fonctionnement.
Je partage avec tous les formateurs denseignants une seconde raison de mintéresser à lindividualisation des parcours de formation : aucun institut de formation initiale ne reçoit des étudiants ayant les mêmes besoins, les mêmes acquis, les mêmes projets ; il importe donc que la structure et le plan de formation permettent une certaine individualisation des parcours. Pour aller dans ce sens, les instituts de formation des maîtres peuvent sans doute sinspirer des travaux sur la pédagogie différenciée conduits dans les écoles, collèges et lycées. Mais ils peuvent aussi consentir un détour par la formation des adultes, dont les structures et dispositifs échappent à la tradition scolaire. En labsence dun programme national, dun horaire rigide, dune évaluation notée, de découpages disciplinaires séculaires, de répartitions immuables des rôles, les formateurs dadultes ont dû et pu inventer toutes sortes de notions et de dispositifs, comme le bilan de compétences, létude indépendante sous contrat, lorganisation de la formation en unités capitalisables.
Enjeux, risques et mises en garde
En formation initiale des enseignants, quel est lenjeu ? Il est double : a. mieux ajuster les parcours aux besoins des apprenants et à leur façon dapprendre ; b. les préparer à faire de même dans lexercice de leur futur métier. Le " Faites comme je dis, mais pas comme je fais ", on le sait, nest jamais très convaincant. Lindividualisation des parcours et la différenciation de lenseignement seront dautant plus crédibles, au niveau des écoles, collèges et lycées, que les IUFM auront fait la preuve quelles étaient possibles en formation initiale denseignants.
Quand on parle dindividualisation, on parle dispositif, cursus, régulation, bilan, contrat, projet personnel ; ces expressions abstraites peuvent fonctionner comme des formes vides, sans référence à des contenus, à des savoirs, à des compétences, à des pratiques, à des champs intellectuels ou sociaux. Lanalyse pourrait donc tourner assez vite à une sorte dingénierie creuse, on pourrait parler longuement de lindividualisation de parcours sans substance, de différenciation dune action pédagogique sans objectifs explicites. Or, pour le dire un peu brutalement, il serait tout à fait inutile, voire nuisible dindividualiser une formation qui conduirait à des objectifs sans intérêt ou selon des démarches didactiques sans fondement. Il nest pas inutile de dégager quelques grands paradigmes transversaux, valables pour diverses disciplines, à divers niveaux du cursus scolaire ou universitaire. Au bout du compte, la différenciation de laction pédagogique et lindividualisation des parcours de formation se joueront dans le mariage heureux de dispositifs ingénieux avec des didactiques efficaces, des méthodes actives, un rapport stimulant au savoir, des relations intersubjectives et des contrats pédagogiques féconds.
Dans le cadre de la formation initiale des enseignants, lindividualisation des parcours de formation ne saurait être laffaire dun unique dispositif, dun seul moment de la formation. On peut certes envisager que certains modules, certains groupes, certaines phases de la formation contribuent plus que dautres à lindividualisation des parcours. Mais cest une caractéristique du système et ces " hauts lieux " de lindividualisation nauront guère deffets sils ne sont pas lexpression dun plan et dune logique de formation globalement orientés vers la différenciation des traitements et lindividualisation des parcours.
Tentons de lever une confusion. Dans certains systèmes, lindividualisation des parcours de formation autorise une réelle diversité des projets ou des objectifs des étudiants : tout le monde ne vise pas les mêmes apprentissages. Dans dautres systèmes, on propose à tous les mêmes objectifs dapprentissage, lindividualisation ne porte que sur les rythmes, les cheminements, les méthodes. Ainsi, au sein dune filière de lenseignement obligatoire, la marge de choix des objectifs est, dans la plupart des disciplines, relativement restreinte. Lindividualisation des parcours est alors limitée à une diversification des cheminements permettant à chacun dassimiler la même culture.
En formation professionnelle denseignants, est-ce pareil ou est-ce très différent ? Certes, les objectifs diffèrent dune discipline à lautre au second degré, et ceux quon assigne aux professeurs décoles sont encore distincts, puisquils nexerceront pas exactement le même métier. Il y a donc diverses filières de formation, mais à lintérieur du groupe détudiants quon prépare au même métier (conseiller déducation, professeur des écoles, professeur de collège, de lycée ou de lycée professionnel dans une discipline déterminée), y a-t-il véritablement une place pour un projet personnel de formation ? Sagit-il de viser la même maîtrise pour tout le monde ou peut-on imaginer que chacun définisse à sa façon le métier auquel il se prépare et donc les compétences quil veut acquérir ? Sur ce point, le débat ne semble pas très vif dans les IUFM. Peut-être est-il simplement raisonnable. LIUFM de Grenoble affiche par exemple lintention de former " un bon débutant ". Y a-t-il trente-six façons de définir un bon débutant ? Ne vaut-il pas mieux, au départ, assurer quelques bases communes assez solides ? Sans empêcher tout projet personnel de létudiant en formation initiale, un IUFM ne peut sans doute guère sécarter dune image relativement instituée du métier denseignant et de son cahier des charges. Il sensuit quen formation initiale, la problématique de la différenciation ou de lindividualisation porte moins sur les compétences visées que sur les façons de les construire. Tous les chemins mènent à Rome. Il reste à préciser où est Rome, autrement dit à expliciter limage du métier à laquelle renvoie le plan de formation. On voit bien que plus cette image est abstraite et floue, plus se produira une différenciation sauvage, au gré des représentations et des préférences des formateurs et des étudiants. Le thème de lindividualisation des parcours de formation à objectifs constants renvoie donc à la façon de définir les objectifs.
Mais quest-ce au juste quun parcours de formation ? Ceux des étudiants sont-ils vraiment uniformes ou leur individualisation est-elle simplement sauvage ? Lorsque linstitution tente de lorganiser, à quel niveau agit-elle ? Telles sont les questions dont je vais brièvement débattre.
On parle de parcours de formation comme si cette métaphore spatiale était limpide. Or, ce langage géométrique nous force à penser la formation comme une suite de trajets, de cheminements, dans un espace plus ou moins structuré. Sans cette structure, en effet, comment pourrait-on décrire les mouvements ou les positions des individus ? Lorsquon sintéresse à léducation, quel est lespace de référence, dans quel système de coordonnées se déplace-t-on ? Je distinguerai trois types de conceptualisation ou trois niveaux de lecture des parcours de formation :
Arrêtons-nous à chacun de ces trois niveaux.
Cursus de formation
Notre mode de pensée est à ce point imprégné de la forme scolaire que, lorsquon nous parle dun parcours de formation, nous imaginons immédiatement une succession de cours, par exemple cours préparatoire, cours élémentaire 1 et 2, cours moyen 1 et 2. La terminologie change dun pays à lautre, mais chacun est habitué à lidée que le cursus est découpé en degrés ou niveaux de programmes, qui se succèdent comme autant de marches ordonnées et nécessaires dans la longue ascension vers le savoir scolaire. Le cursus est ainsi défini comme une succession de paliers, caractérisés chacun, du moins sur le papier, par un programme standard et un niveau dexigence homogène. Cette succession constitue le cursus " normal ", censés être suivi par la majorité des élèves. Cette façon de représenter la progression dans un cursus est notre seule culture partagée, parce que lécole est notre commune référence. Or, cest un langage pauvre, réducteur, qui ne dit rien de ce quon enseigne et exige effectivement, moins encore de ce que vivent les apprenants. Cest néanmoins un langage commode, qui permet de gérer des flux, de calculer des taux de redoublement, dabandon ou de réorientation, de comparer des positions homologues dans le temps ou entre systèmes éducatifs de même type, de dresser une statistique des carrières. Pour parler de lindividualisation des parcours de formation, il faut toutefois faire un pas de plus, quitter labstraction du cursus, sintéresser aux contenus effectifs des enseignements et des apprentissages. Certes, le cursus correspond à un parcours prescrit dans le curriculum formel : en consultant les textes, on comprend ce qui est censé être enseigné et appris à chaque étape. Mais, justement, ce nest quune prescription !
Curriculum réel de formation
En " programmant " une série denseignements, le système éducatif prétend maîtriser non seulement les flux délèves, mais aussi les contenus. La question est de savoir sil y arrive et quel est le décalage entre le curriculum formel et le curriculum réel. Je définis ce dernier (Perrenoud, 1984, 1994 a) comme une suite de situations et dexpériences formatrices pour des personnes. On se situe alors à la limite entre leur vécu subjectif et les situations quils affrontent, parce que lidée même dexpérience a une face à la fois objective et subjective (Dubet, 1994).
Quest-ce quune expérience formatrice ? Etre assis dans une salle, au sein dun public, pour écouter un orateur qui montre des transparents, est-ce une expérience formatrice ? Certainement pas pour tout le monde. On saisit là limmense simplification que représente le curriculum formel : cest une fiction, mais elle permet de traiter comme identiques des apprenants astreints à suivre le même programme. Dès le moment où on considère les situations et les expériences effectivement formatrices, cette fiction vole en éclat : dun groupe à lautre, à lintérieur du même programme, lenseignement effectivement dispensé diffère selon la façon dont lenseignant interprète les textes, selon ses intérêts et compétences, selon ses démarches didactiques, selon le niveau de ses élèves et de leur manière de négocier.
Et pourtant, cette diversité en cache une plus grande encore, celle des histoires de formation.
Histoires de formation
À lintérieur du même groupe, tous les apprenants ne vivent pas la même expérience. Elle diffère selon leur place, leur niveau, leur disponibilité, leur rapport au professeur et au savoir, etc. Nul napprend tout seul, mais son histoire de formation est singulière, parce que deux personnes nabordent jamais les mêmes situations avec les mêmes attentes, les mêmes atouts, les mêmes limites. Tout au long de notre vie, avec des temps forts et des temps faibles, nous construisons progressivement des savoirs, des compétences, des schèmes de pensée et daction, des attitudes. Le langage dont nous disposons pour nommer ce en quoi la formation nous transforme nest pas stabilisé, il dépend des théories et des partis pris idéologiques. Cest ainsi quon peut opposer capacité et compétence, savoir et connaissance, ou au contraire traiter ces expressions comme interchangeables. Par-delà les querelles de concepts et de vocabulaire, chacun saisit au moins intuitivement ce quest une histoire de formation : la suite de transformations que lenvironnement, les événements ou ses propres choix induisent dans la culture, les acquis, les façons de voir, de sexprimer, de penser, de faire dune personne. Là est le véritable " parcours de formation ", le cheminement (Dominicé, 1990 ; Josso, 19) par lequel on devient progressivement ce quon est tout au long de son existence. Cest donc une partie de lhistoire de vie, celle qui concerne la construction des compétences, des savoir-faire, des représentations.
On voit bien quentre ces trois niveaux de description des parcours de formation, il y a quelques rapports, mais aussi beaucoup de jeu. Le curriculum formel ne détermine par mécaniquement le curriculum réel, qui ne commande pas à lui seul lhistoire de formation. Or, cest en dernière instance à ce troisième niveau quimporte lindividualisation des parcours de formation.
On pourrait imaginer quelle est à construire. Au contraire, elles est déjà là : les histoires de formation sont de facto fortement individualisées :
1. A lintérieur de la même structure, tous les individus appartenant à la même classe dâges ne suivent pas nécessairement le même curriculum formel, et ne vivent pas, en conséquence, le même curriculum réel et la même histoire de formation ; seuls les systèmes éducatifs centralisés tentent encore de standardiser les programmes sur lensemble du territoire dun pays ou dune région. Cela va à lencontre du courant visant une certaine autonomie des écoles dans le cadre de projets détablissements, autonomie autorisant, dans certaines limites, à ne plus offrir le même programme.
2. Les individus astreints à suivre le même curriculum formel (quil soit standardisé à léchelle dun établissement, dune région ou dun pays) nen rencontrent pas une traduction identique ; les curricula réels résultent en effet de toutes sortes dinterprétations au niveau des finalités, de la transposition didactique, de diverses négociations avec les étudiants, dune adaptation aux conditions de travail, aux attentes et aux niveaux des uns et des autres, à ce qui se noue dans un groupe ou un module de formation.
3. Même ceux qui suivent leur scolarité dans la même classe ne vivent pas la même histoire de formation et nen tirent pas les mêmes acquis. Prenons deux enfants du même âge, nés dans le même quartier, qui entrent à lécole le même jour et ne se quittent pas jusquau bac ou même à la sortie de lIUFM. Cela peut se produire. Ces deux personnes ont, semble-t-il, été confrontées aux mêmes situations pendant une quinzaine dannées ou davantage ; elles nont pas pour autant vécu la même chose. Ce peut être, tout simplement, parce que lune se plaçait systématiquement au premier rang et lautre au fond de la classe ; les élèves qui sont au fond ne voient pas tout ce qui se passe au tableau, alors que ceux qui sont devant nen perdent pas une miette ; tous ne vivent donc pas la même situation. On sen rend compte si lon prête aux élèves un petit appareil, en leur demandant de photographier, vingt fois dans lheure, ce quils voient de leur place. On saperçoit que certains ne voient quune partie des éléments censés donner du sens à la leçon. Si on prend un enregistreur, cest pareil, certains élèves nentendent que le quart de ce qui se dit. Dautres nessaient pas, ou nessaient plus découter ou de voir !
4. Enfin, même si deux élèves étaient assis côte à côte, entendaient et voyaient en apparence exactement les mêmes choses, recevaient les mêmes tâches, on sait bien que ce quils entendraient, verraient, comprendraient en fait dépendrait ce quon appelle en sciences sociales et humaines la part de construction subjective de la réalité et de lexpérience : les personnes confrontées à une situation apparemment identique construisent des expériences subjectives différentes, parce quelles investissent dans la situation leurs moyens intellectuels, leur capital culturel, leurs intérêts, projets et attitudes, leurs énergies, leurs stratégies et enjeux du moment. Il sensuit que la même réunion nest pas la même réunion si on se place du point de vue dun acteur particulier : Fabrice à Waterloo observe sa bataille, à nulle autre pareille ! De la même façon que chacun agit en vertu de sa propre construction de la réalité, chacun apprend selon ce quil perçoit, retient, comprend, valorise dans une situation. Il ne suffit donc pas de standardiser les situations didactiques pour standardiser les apprentissages. Toute situation de formation est une auberge espagnole, ou un pique-nique canadien : on y mange à la fois ce quon y apporte et ce que les autres apportent, dans un menu assez imprévisible et en fonction des appétits du moment
Une individualisation impensée
La différenciation est toujours déjà là. Pourquoi est-elle difficile à maîtriser ? Probablement parce quelle nest pas pensée comme telle. Ce que je viens de rappeler na sans doute surpris personne, et en même temps, on nen tient pas grand compte lorsquon planifie, lorsquon fait des programmes, lorsquon organise des formations. Pour une raison assez simple : cest que si on devait en tenir compte, on sarracherait les cheveux et on prendrait la mesure de son impuissance à gouverner au centre les contenus effectifs des formations. On verrait aussi que lénergie quon dépense pour maîtriser les parcours au niveau des textes est souvent sans commune mesure avec les effets de ces textes sur les contenus et les pratiques. Si lorganisation scolaire admettait ouvertement que la diversification effective des parcours de formation se joue largement dans linterprétation des textes, dans la négociation avec les élèves, les parents, les collègues, dans la réalisation de toutes sortes de projets personnels de formation, dans la diversité des intentions, des valeurs et de rapports aux savoirs des formateurs et des formés, elle devrait reconsidérer ses modes dincitation et de contrôle. Si elle voulait être réaliste, elle cesserait de peaufiner les programmes de façon obsessionnelle et sintéresserait au travail dinterprétation, de transposition didactique, ce qui changerait radicalement la gestion des institutions de formation. Mais il est probablement encore un peu tôt pour aller dans ce sens. On reste condamné à entretenir la fiction selon laquelle on maîtrise les formations en écrivant des plans de formation. Lindividualisation des parcours de formation est donc pour une part un " impensé ", une réalité que linstitution connaît, mais refuse de prendre en compte.
Il sensuit une conséquence considérable : plutôt que dinfléchir les processus dindividualisation existants, on crée des structures nouvelles, par exemple le soutien pédagogique, les cycles ou les modules comme sils étaient au fondement de lindividualisation des parcours de formation alors quils tentent " simplement " den prendre le contrôle. Ce qui nest pas inutile, mais peut se révéler dérisoire, voire riche deffets pervers, au regard des individualisations sauvages.
À lécole primaire, au collège ou au lycée, la maîtrise de lindividualisation des parcours vise surtout à ne pas accroître les inégalités devant la formation. Il sagit donc de mettre laccent sur les " discriminations positives ", de favoriser les défavorisés de toujours, alors que lindividualisation sauvage accroît les écarts ou du moins ne contribue pas à leur réduction.
En formation professionnelle, en formation dadultes, il y a toutes les raisons de penser que les mécanismes de fabrication de léchec jouent encore, notamment lindifférence aux différences. Mais, dans la mesure où les formateurs travaillent avec des publics hypersélectionnés, ils peuvent être tentés de se dire que laccession minimale à la culture nest plus lenjeu majeur. Lindividualisation nest pas, comme au primaire et au collège, dabord au service de la démocratisation, mais plutôt de loptimisation des ressources de formation en fonction des itinéraires suivis par les étudiants auparavant, des besoins, des modes dapprentissage des uns et des autres. On dépasse la simple discrimination positive, laide, le soutien aux apprenants les moins à laise, pour chercher une véritable personnalisation des parcours de formation, compte tenu de lensemble des caractéristiques des étudiants.
Lautorégulation par létudiant, hypothèse de base
Maîtriser lindividualisation des parcours et des cursus est une tâche gigantesque. Elle oblige à résoudre un nombre incroyable de problèmes de gestion des populations de formateurs et de formés aussi bien que dinvention de dispositifs, pour que le système tourne de façon sinon cohérente, du moins viable. Cela conduit à affronter beaucoup de contradictions, beaucoup de paradoxes. Il est donc assez normal quon balbutie, parce que cest très complexe.
Une idée simple pourrait guider la réflexion ; en formation initiale des enseignants comme dans toute formation dadultes, on ne peut pas individualiser à la place des formés. Lautorégulation est donc la règle de base. Les formateurs peuvent aider létudiant à clarifier ses projets, à identifier ses besoins, à se donner une image réaliste de sa façon de travailler, ils peuvent lorienter, le conseiller, lui offrir un soutien. Mais il est, en fin de compte, maître de lindividualisation de son parcours de formation. Renforcer ses capacités dautorégulation est alors une stratégie majeure de formation. On rejoint ici, en lélargissant, lune des intuitions qui se trouve au fondement de la notion dévaluation formatrice, qui se distingue de lévaluation formative parce quelle enseigne dabord à lapprenant à se représenter les objectifs finaux de son action, à le décomposer en tâches, à prendre conscience de ses paradigmes de travail ou de production, puis à sautoréguler (Nunziati, 1990). On touche alors à ce quon appelle maintenant la métacognition, cest-à-dire une certaine prise de chacun sur ses propres processus de pensée et dapprentissage. Les idées de suivi individualisé, de projet personnel, de bilan de compétences ne valent rien si les étudiants ne jouent pas le jeu, ninvestissent pas un certain nombre defforts dans la régulation de leur propre apprentissage. Seul létudiant peut dresser les bilans, formuler les besoins et les projets, prendre les décisions qui le mettront constamment ou le plus souvent possible dans des situations formatrices pour lui. Hélas, ce nest pas ni à lécole, ni au collège, ni au lycée, ni même à luniversité quon apprend vraiment à réguler son travail intellectuel et sa formation. Cest donc dans les formations dadultes, et notamment les formations professionnelles, quil faut prendre enfin lénergie et le temps voulus pour que les étudiants apprennent non seulement à travailler, mais à penser leur propre formation.
Cela ne dispense nullement daménager en conséquence les dispositifs et les pratiques de formation. Je distinguerai trois niveaux dorganisation auxquels peut se jouer lindividualisation des parcours de formation :
Ces trois niveaux correspondent grosso modo aux trois niveaux de lecture des parcours de formation, mais il sagit alors de maîtriser lindividualisation :
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Arrêtons-nous plus longuement à chacun de ces trois niveaux.
Lidéal serait de faire un bilan de compétences tout au début de la formation initiale, détablir sur cette base un projet de formation personnalisé et de le réaliser étape par étape, en offrant à chacun un parcours " sur mesure ". Il devrait être redéfini au gré de la progression de létudiant, car un bilan de compétences, aussi fondé soit-il, ne repose en début de formation sur aucune expérience. Cest pourquoi la définition dun projet personnel de formation ne peut être que progressive. Progressive parce que létudiant ne découvre que peu à peu qui il est, quel rapport il entretient au savoir et à la pratique, quels sont ses besoins prioritaires de formation. Cela ne peut certainement pas se faire dans le premier mois détudes. Cest un processus continu et qui doit être négocié.
Les contraintes financières et la lourdeur des institutions empêchent en général une telle flexibilité. On peut au mieux prévoir des cursus différenciés, si possible avec une orientation en plusieurs phases, qui tienne compte des impasses, des chemins de traverse, des retours en arrière, des échecs, des raccourcis, bref de la complexité des processus dapprentissage et de formation.
En pratique, au niveau du plan de formation, on pense dabord lindividualisation comme la possibilité de cheminer de façon individualisée entre des modules ou des unités de formation instituées. Lindividualisation permet de faire léconomie de tel ou tel module, ou de les enchaîner dans lordre qui convient le mieux à tel étudiant. Les modules de formation sont alors relativement stabilisés dans leur contenu et leur fonction, sans faire partie dun parcours imposé. Les étudiants fréquentent les unités de formations dont ils ont besoin et de préférence au moment où ils en ont besoin. Cest une formation " à la carte ", par exemple sous forme dunités capitalisables, de crédits. Cette forme dindividualisation nest nullement négligeable, mais on ne saurait limiter à cette flexibilité le rôle du plan de formation.
Il lui revient aussi de mettre en place des unités et des dispositifs soutenant les orientations individuelles. On pense bien sûr au conseil et à dautres dispositifs de suivi personnel des étudiants. Mais on peut aussi parier sur les capacités dautorégulation des étudiants et les renforcer, par exemple en créant des modules dintégration et de mise en relation des autres éléments de la formation, des cours " métis " et des cours " méta ", comme disent les responsables dun programme belge de formation de chefs détablissements. Cours " métis " qui organisent des rencontres entre des discours ordinairement cloisonnés, par exemple approches des didactiques disciplinaires et approches " transversales " (centrées sur lévaluation, la gestion de classe, léchec scolaire, etc.). Cours " méta " qui portent sur lexpérience de formation elle-même et la façon dont les étudiants la vivent, lintègrent, lui donnent du sens. De telles unités de formation de régulation, axées sur la mise en relation des diverses composantes de la formation, sont favorables à une individualisation autorégulée des parcours, parce quelles permettent à chacun de mieux comprendre ce qui lui arrive, de cerner ce qui lintéresse et ce dont il a besoin, de décider de son orientation ou de construire ses projets en connaissance de cause.
Le plan de formation peut aussi instituer des unités de formation propices à la prise en compte des différences. Par exemple, il peut donner un statut, une légitimité, une place, à des unités de formation dont lindividualisation de la formation est la logique principale, qui ne sont pas définies dabord par un programme standard, mais par leur rôle dapprofondissement de certains contenus en fonction des besoins et des projets des étudiants. Dans le parcours que nous construisons à Genève pour la formation des professeurs décole en sciences de léducation, nous avons, par exemple, prévu en dernière année un temps considérable de formation " à la carte ", dans des unités de formation dites de " consolidation différenciée ". Ces unités de formation nont pas dintitulé thématique substantiel. En principe, leur contenu se négocie chaque année avec des groupes détudiants. À eux de savoir, au seuil de leur pratique autonome, de quoi ils ont besoin, ce quil leur reste à faire ; à eux dévaluer, dans le temps qui reste, quels sont les apprentissages à consolider en priorité. Cela paraît relever du simple bon sens. Pourtant, en proposant de telles unités, qui figurent une sorte de " no mans land " dans la grille-horaire et le curriculum, on paraît arracher les yeux à certains formateurs, pour lesquels ces unités représentent justement le temps qui leur manque pour couvrir décemment leur programme. Ces plages représentent donc un temps quil faut protéger avec détermination, sans quoi il diminuera comme peau de chagrin, parce quil y aura toujours quelquun pour le convoiter et lhypothéquer, en le considérant comme un prolongement in-dis-pen-sable de modules spécialisés. Inclure systématiquement de tels modules ouverts, à négocier avec les étudiants, est une façon de favoriser lindividualisation des parcours au niveau des plans de formation, au moins aussi importante que la structure modulaire du cursus ou le caractère facultatif ou négocié des offres de formation. Cependant, tout ne saurait se jouer dans le plan.
Instituer une unité de formation relève du plan de formation, qui définit un espace de travail entre un ou des formateurs et des formés, esquisse les bases du contrat entre eux, leur attribue des temps et des lieux de travail, et surtout des objectifs spécifiques. Par son contenu et la nature des dispositifs et des démarches quelle met en place (cours, cours-séminaire, atelier, TP, groupe danalyse de la pratique), une unité de formation, telle quelle figure dans le programme, donne souvent au lecteur limpression quil sait davance ce qui sy passera et comment elle va fonctionner. Comme si le degré dindividualisation était donné par lintitulé, comme sil était évident quon peut individualiser fortement dans un atelier-mémoire et quon ne peut le faire que faiblement dans un cours. Peut-être aurait-on au contraire intérêt à concevoir une unité de formation comme un cadre ouvert, défini par ses objectifs, en laissant ouvertes les modalités de travail, notamment sous langle de leur contribution spécifique à lindividualisation des parcours de formation.
Lessentiel, dans une unité de formation, est de jouer sur tous les paramètres disponibles pour gérer lhétérogénéité des étudiants, toujours plus forte quon ne croit, même sils sont " censés " avoir le même niveau ou les mêmes besoins. Pour faire face à cette hétérogénéité, qui évolue au gré de la formation, les formateurs disposent dun certain nombre de moyens, de modes de groupement et de régulation, de dispositifs dautoformation et de formation mutuelle, de possibilités de mobiliser des ressources externes. Au niveau de lunité de formation, on gère non pas un dispositif, mais une gamme de dispositifs possibles, mobilisables en complémentarité ou en alternance dans les limites du temps, des moyens et des compétences disponibles. Ainsi pourrait-on souhaiter que, dans un groupe de formation professionnelle comme dans nimporte quelle unité de formation, on ne soit pas lié par contrat, par statut ou par habitude, à un dispositif standard, mais quon se pose au contraire chaque année et en cours dannée la question de savoir quels dispositifs on va adopter, successivement ou parallèlement, pour favoriser lindividualisation des parcours de formation.
Gérer lhétérogénéité au niveau dune unité de formation, cest notamment mettre en place et faire évoluer des dispositifs :
Il ne suffit pas doffrir des options. Lorsquon donne le choix, par exemple, entre douze ateliers, dont le chant et linformatique, on sait très bien que ceux qui connaissent bien linformatique choisiront souvent latelier correspondant et que ceux qui savent chanter opteront pour latelier de chant. Pourquoi se rend-on dans latelier le moins utile pour compléter ses connaissances ? Parce que cest là que le risque déchec est le plus faible. Les étudiants font souvent des choix à courte vue, imposés par les conditions dexercice de leur métier. Lautorégulation ne fonctionne quau prix dune sorte de lucidité sur léquilibre entre les envies et les besoins, lucidité que les formateurs ont mission de favoriser. Il ne suffit donc pas doffrir des activités à option, il importe de contribuer à des choix efficaces, fondés sur une autoévaluation réaliste et une stratégie cohérente de formation.
Dans le cadre dune même unité de formation, il reste donc dimportants degrés de liberté quant au groupement des étudiants. Mais on finit par retrouver des groupes plus ou moins stables et nombreux réunis autour dun ou plusieurs formateurs. Si ces groupes sont constitués sur la base de projets, de besoins, de difficultés spécifiques, ils sont déjà des outils dindividualisation. Cela ne signifie pas quelle sarrête au moment où un groupe est constitué. Dans le cadre dun groupe de formation, quil constitue lentier ou un sous-système dune unité de formation, lhétérogénéité demeure et lindividualisation des parcours peut et doit se poursuivre.
Il appartient aux formateurs dutiliser avec tous les degrés de liberté que leur cahier des charges et la situation ménagent pour de différencier leur action dans le cadre des groupes quon leur confie, autrement dit pour faire en sorte que chaque apprenant soit constamment ou du moins très souvent confronté aux situations didactiques les plus fécondes pour lui. Que ces situations soient individuelles ou collectives importe peu. La question est pragmatique : comment faire pour que chacun soit, la plupart du temps, dans une situation qui lui " profite ", qui ait du sens, qui le fasse progresser ? Cela ne va pas de soi, même en formation dadultes, même en fondant de grands espoirs sur lautonomie des apprenants. Une interrogation lancinante surgit : faut-il privilégier la dynamique, le climat de lensemble, au détriment de la formation des personnes ? Ou au contraire tout centrer sur les besoins et les démarches des personnes en acceptant une forme danomie, de désorganisation du groupe ? Ce dilemme, vécu par nombre de formateurs, nest pas un faux problème, mais il devrait être celui du groupe, le débat et la réponse du moment sinscrivant dans sa culture et ses institutions internes. Il importerait donc que formés et formateurs prennent le temps de réfléchir sur les pédagogies de groupe (Meirieu, 1989 a et b), et prennent conscience, notamment, du fait quil y a deux façons dindividualiser dans un groupe de formation :
1. Considérer le groupe comme un mal nécessaire, une contrainte institutionnelle, chacun rêvant dun tutorat dans une relation duale. Schéma en étoile : formateur malheureux, étudiants frustrés.
2. Considérer le groupe comme une ressource de formation mutuelle, cest de linteraction que naît la formation. Schéma en réseau : formateur-pivot, étudiants responsables.
Il y a des credo différents. Les uns aimeraient bien navoir que des relations duales, ils considèrent que le groupe est une fatalité, une contrainte économique ou institutionnelle à lintérieur de laquelle ils essaient de reconstituer autant de contrats singuliers, chacun avec un seul étudiant, éventuellement quelques-uns. Ces formateurs sont forcément malheureux, ce partage du temps ne peut pas donner des résultats satisfaisants : trop peu de temps pour chacun et faible utilisation des forces du collectif et de sa diversité. Cest comme si on voulait transformer une psychothérapie de groupe en autant de thérapies individuelles de courte durée, chacun recevant une fraction équitable du temps du thérapeute.
Dautres formateurs considèrent, au contraire, que le groupe est une ressource de formation mutuelle. Ils ne fonctionnent pas dans un schéma en étoile, mais dans un schéma en réseau, le formateur agissant dans les coulisses pour optimiser le fonctionnement du réseau. Cela exige un savoir-faire danimation, de négociation de contrats, de suggestions et de mobilisation dautres ressources.
Même si le choix personnel du formateur est clair, il fonctionne dans un groupe qui a une dynamique propre et doit tenir compte des représentations et des attentes des étudiants, qui, eux aussi, ont une vision dun groupe de formation : on ne peut entraîner dans une thérapie de groupe des personnes qui rêvent dune analyse personnelle ; et inversement.
Quelle que soit la tendance dominante, nul néchappe complètement à lun des dilemmes de lindividualisation : si le formateur sintéresse trop aux personnes, le groupe va à vau-leau, perd sa culture, son climat, sa dynamique ; si le formateur se concentre trop sur les phénomènes de groupe et la construction dune identité collective, les individus risquent de disparaître - symboliquement - ou au moins de ne plus être traités pour ce quils sont, mais comme des membres, des acteurs dun collectif. Ce dilemme, on le vit dans une classe de maternelle comme dans un groupe de formation dadultes ; il traverse toutes les pédagogies de groupe. On ne peut le dépasser par la pensée, il faut simplement le vivre en cherchant constamment à rester sur la ligne de crête
Autre paradoxe : plus on va vers des pédagogies qui minimisent le rôle de lenseignant comme acteur tenant le devant de la scène et le transforment en metteur en scène, ou en " ingénieur de réseau ", si lon préfère lanalogie informatique, plus sont ouvertement ou secrètement frustrés ceux qui sont devenus enseignants ou formateurs, justement, pour occuper le devant de la scène. Pour aller dans le sens de lindividualisation des parcours, un formateur dadultes doit faire léquivalent des deuils que la pédagogie différenciée impose aux professeurs décole ou de collège (Perrenoud, 1995), notamment le deuil dune position centrale de chef dorchestre et de rhétoricien ou de comédien au milieu dun groupe. Ce narcissisme népargne aucun formateur, mieux vaut le reconnaître et y travailler.
Pour affronter ces dilemmes, peut-être faut-il distinguer les trois fonctions dun groupe de formation.
1. Le groupe comme cadre dinteractions duales. 2. Le groupe comme marché.
3. Le groupe comme espace de parole et de travail collectif.
Si le groupe est dabord conçu ou pratiqué comme le cadre dinteractions duales, le formateur devient avant tout une personne-ressource pour chacun. Lenseignement de la lecture, jusquau XVIIe siècle, était organisé selon ce modèle. On regroupait les élèves dans un même local, mais le maître soccupait de chacun tour à tour ; pendant ce temps, les autres jouaient, chahutaient et ne travaillaient guère ; cet aimable désordre signifiait quils étaient là en attente. Par moments, dans une classe daujourdhui, le fonctionnement par " plan de travail " peut induire les mêmes effets. Tout le monde est censé travailler, contrairement à lenseignement de la lecture au 18e, mais en réalité, le professeur ne contrôle, à un moment donné, que ceux qui travaillent véritablement avec lui ; les autres soccupent, passent dune tâche ou dun atelier à lautre, sans quon sache exactement si leur activité est bénéfique. En formation dadultes, le risque est sans doute moins grand, parce que les gens sont plus autonomes, plus responsables, plus conscients de travailler dans leur propre intérêt. Mais on sait aussi que même les adultes volontaires ont de temps en temps des défaillances Par ailleurs, même lorsquils sont fortement impliqués dans la tâche, les apprenants livrés à eux-mêmes nont pas toujours les moyens de faire du travail utile. Aujourdhui, le groupe comme cadre dinteractions duales nest défendable que sil est simultanément le cadre de dispositifs de travail autonome, individuel ou petits groupes.
Si le groupe est conçu comme un marché, il devient le lieu où se rencontrent des offres et des demandes de formation mutuelle. Le formateur nest pas la principale source du savoir. Il fait office de régulateur du marché (transparence, respect des contrats), il renforce les offres fragiles, il compense certaines lacunes, il est le soutien et le conseiller des étudiants lorsquils deviennent à leur tour formateurs, une sorte dexpert quon peut consulter sur les contenus ou les démarches de formation mutuelle.
Si le groupe est un espace de parole et de travail collectif, il importe que chacun y trouve assez de place et de reconnaissance pour exister comme sujet et apprendre ce qui lui importe. Le formateur anime et structure des échanges dans lesquels chacun trouve son compte, en fonction de ses projets et de ses besoins. Ce fonctionnement peut se dégrader, tendre à reconstituer des relations duales entre le formateur et un étudiant, les autres devenant des spectateurs moyennement intéressés, chacun attendant son tour pour poser une question ou faire réagir le formateur sur un thème qui lui tient à coeur.
Individualiser les parcours de formation ne consiste pas à isoler les étudiants, à les couper les uns des autres. Chacun peut suivre son cheminement en travaillant dans un groupe. Cependant, le formateur devrait prendre en compte la face subjective de lindividualisation, autrement dit les sentiments de solitude, de singularité, de déviance ou de rupture dune solidarité, qui peut accompagner un traitement différencié ou un parcours individualisé. Si le but est dorganiser les activités et les interactions de sorte que chaque apprenant soit, aussi souvent que possible, confronté aux situations didactiques les plus fécondes pour lui, on se gardera de demander à des étudiants dapprendre seuls sils ont besoin de " sautoriser de la tribu ". On ne considérera pas pour autant la solidarité comme une donnée intangible et inanalysable. Elle fait partie du contrat didactique et de la culture de lorganisation et peut être aménagée, négociée, à condition quon reconnaisse, parmi dautres, le sentiment dappartenance à un groupe comme une condition dapprentissage.
Il est assez important daccepter quen matière dindividualisation et peut-être en matière de didactique, en général, rien ne marche du premier coup, rien ne marche sans compromis avec la réalité et avec les étudiants, avec les institutions et les autres formateurs. Et rien ne marche durablement, ne serait-ce que parce que tout suse assez vite, que les étudiants considèrent volontiers comme du déjà vu et déjà fait, des démarches de formation impensables dix ans plus tôt.
Il faut mobiliser au moins trois ressources lorsquon est formateur :
Ces trois points renvoient à ce quon peut appelle maintenant une pratique réflexive (Schön, 1983, 1987, 1991), cest-à-dire une disposition à remettre constamment sur le métier ses façons de faire et les dispositifs dont elles participent. Si lindividualisation des parcours de formation est une quête plutôt quun résultat consolidé, si aucun dispositif nest une réponse définitive et stable, on voit bien que la ressource principale des formateurs est leur capacité de se reposer constamment la question, de préférence en équipe, dévaluer et de faire évoluer les dispositifs et les pratiques.
Pour éviter à chacun de réinventer la roue dans son coin, on peut souhaiter aussi que se développe des réseaux déchanges entre institutions de formation, qui franchissent résolument les frontières entre les métiers et entre formation initiale et continue. La formation initiale des enseignants pourrait faire rapidement quelques pas vers une plus forte individualisation des parcours en sinspirant de ce qui se fait dans dautres domaines
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