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Le dialogue scolaire,
un échange définitivement
inégal ?
Philippe Perrenoud
Faculté de psychologie et de
sciences de léducation
Université de Genève
1996
Un regard normatif et une affaire de pouvoirJuger la communication, cest juger les personnes
" Il ne faut pas quun ange passe "
La prise de parole et le silence, le fond et la forme
Le mensonge et la sphère privée
La conversation utile ou le mépris du bavardage
Lart de poser de bonnes questions
Un dialogue à très grande vitesse auquel chacun participe peu
" Les muets parlent aux sourds ", écrivait S. Mollo (1975), pour résumer la substance des discours des enfants sur lécole. " Écris, tais-toi ! ", écrivait D. Fontaine (1974) pour illustrer le statut prééminent de lécrit à lécole. Sans doute, depuis, la valeur accordée à la parole des élèves sest elle renforcée grâce à la diffusion des pédagogies nouvelles, à linsistance croissante sur le rôle de linteraction dans la construction des savoirs (CRESAS, 1987). Par ailleurs, les didactiques du français ont mis davantage laccent sur loral, lexpression, le débat, largumentation (Wirthner, Martin et Perrenoud, 1991). Malgré cette évolution, le dialogue pédagogique reste asymétrique, plus asymétrique sans doute que ne le justifient à eux seuls le rôle du maître et létendue de son savoir en regard de lignorance des apprenants.
La plupart des enseignants souhaitent certainement ouvrir avec leurs élèves un vrai dialogue, mais ils sont pris dans un tissu de contradictions ou de dilemmes que nul ne peut maîtriser une fois pour toutes (Perrenoud, 1991, 1994). Dans les conditions habituelles du travail scolaire, enseigner un programme défini est une pratique complexe et contraignante, qui ne permet pas dêtre constamment disponible, prêt à entrer dans un échange égalitaire. La communication en classe ne peut donc être, à chaque instant, lexpression dun idéal humaniste. Lorsque " dire cest faire " (Austin, 1970), ou faire faire, la communication devient une pragmatique, qui se juge à ses effets. Cest un mode de réalisation du curriculum et du contrat didactique, une forme dexercice du métier denseignant et du métier délève (Perrenoud, 1995 b), un outil dont lenseignant se sert pour expliquer, mobiliser, réprimer, séduire, expliquer, bref pour (re) créer les conditions du " rapport pédagogique " (Bourdieu, Passeron et De Saint-Martin, 1965).
Rapporter la communication pédagogique à son contexte institutionnel et à ses contraintes psychosociologiques paraîtra peut-être bien négatif à ceux qui imaginent une école où le dialogue le plus authentique serait la règle. Ce réalisme, loin dêtre décourageant, se voudrait au contraire un exercice de lucidité et donc un atout pour maîtriser vraiment, au delà des déclarations dintention, ce qui se joue dans une classe ou entre la famille et lécole (Montandon et Perrenoud, 1994).
Un regard normatif et une affaire de pouvoir
Face à ses élèves, lenseignant se sent le chef dorchestre de la communication, linitiateur, lorganisateur et le garant des échanges, de leur contenu, de leur niveau, de leur correction, de leur durée, de leur progression vers un but. En classe - comme à léglise, à larmée ou devant la justice - la communication est gouvernée par un acteur plus responsable et puissant que les autres, à la fois joueur et arbitre. Cest lui qui fixe les règles du jeu, dans le cadre des quelles lélève est invité se cantonner. Cette asymétrie apparaît dans lordre des choses, même si le contrat de communication reste souvent implicite et napparaît quen creux, à loccasion des multiples rappels à lordre adressés aux élèves qui ne respectent pas les règles. Ainsi, peut. on entendre, ou lire dans les carnets scolaires :
Ne cesse de bavarder. Élève taciturne, peu communicatif. Veut toujours avoir le dernier mot. Ne tient jamais compte de lopinion des autres. Bafouille, incapable dénoncer deux phrases qui se tiennent. Ferait mieux de réfléchir avant de parler. Prend constamment la parole sans la demander. Incapable découter plus de cinq minutes. Senferme souvent dans un silence buté. Envie maladive de se faire remarquer en disant nimporte quoi. Se perd dans dinnombrables détails inutiles. |
Sexprime de façon confuse et hachée. Ne dit jamais ce quil pense. Prend un air effronté lorsquon lui fait une observation. Ne cesse de poser des questions hors du sujet. Ment de façon éhontée dès quil est pris en faute. Ne participe pas aux discussions. Médisant et blessant à lendroit de ses camarades. Manque de confiance en soi, ne sexprime pas. Se croit toujours obligé dajouter son grain de sel. Incapable dexpliquer son raisonnement. |
Ces jugements négatifs stigmatisent des conduites, des attitudes, des façons dêtre ou de faire comme autant de manquements à une règle ou à un contrat. Les remarques positives - il y en a - parlent elles aussi de la communication sur un mode normatif. En classe, communiquer, cest bien ou cest mal, selon quon se conforme ou non aux règles du jeu. En classe comme ailleurs, à cette différence près que, dans dautres cadres, le pouvoir de juger ouvertement nest pas réparti de façon aussi inégale. Les élèves jugent le maître sur sa façon de parler et de dialoguer, mais ils ne se réclament pas dune norme légitime.
Juger la communication, cest juger les personnes
Les jugements des enseignants sur la façon dont communiquent leurs élèves manifestent souvent une certaine confusion :
Comment sen étonner ? La communication nest pas facilement détachable du contenu des échanges et de la personnalité des interlocuteurs. En jugeant la façon de communiquer dune personne, on juge du même coup son caractère (timidité, agressivité, égocentrisme par exemple), son savoir-vivre (patience, disponibilité, discrétion, etc.), son éthique (franchise, respect de la parole donnée ou des secrets confiés), sa motivation à sengager dans linteraction. À travers ses jugements, le maître renvoie donc à chaque élève une image plus globale de sa valeur individuelle et sociale.
" Il ne faut pas quun ange passe "
Contrôler la communication, tel est limpératif du professeur, à des fins denseignement, mais avant cela pour instaurer la possibilité même dun fonctionnement didactique, et, en amont encore, pour vivre et survivre dans lespace clos de la classe. Ce passage dun entretien rapporté par Derouet montre à quel point un enseignant peut se percevoir comme quelquun qui doit conjurer le désordre :
La directrice insiste beaucoup pour que nous ayons une façon de travailler très rigoureuse, avec jamais de flottement, jamais de projet qui avorte Par exemple pendant un cours, il ne faut pas quun ange passe, le temps quun ange passe, il y a quatre ou cinq élèves qui sont sur la table ou debout sur leur chaise ou debout dans la classe. Le brouhaha, ou lagitation ou le chahut ou le désordre commencent très vite, si un ange passe (cité par Derouet, 1988).
Confrontés à cette affirmation, les enseignants expérimentés, du moins pour la plupart, ne sidentifient pas à ce professeur stressé, anxieux, qui craint à chaque instant dêtre débordé. Peut-être reconnaissent-ils tel de leurs collègues, vite dépassé par les événements, ou se souviennent-ils de leurs premiers pas dans le métier. Mais aujourdhui, affirment-ils, ils nont plus besoin de contrôler étroitement la situation, parce quils ont construit avec les élèves une relation qui est à la fois de confiance et dautorité. Amenés à inventorier ce quils ont à perdre lorsque la communication en classe dysfonctionne, ils énumèrent cependant une quantité impressionnante de peurs.
Parmi les peurs évoquées, on trouve par exemple :
Chacun néprouve pas constamment toutes ces peurs. La crainte de perdre le contrôle de la communication est cependant rarement absent. En pédagogie, il nest pas facile de parler ouvertement du pouvoir. Cela jette un voile sur les vrais enjeux de la communication en classe. Le maître sabrite derrière son rôle institutionnel (" Vous savez bien que je nai pas le choix "), les élèves ne parlent quentre eux de leurs façons respectives de se protéger de lautorité et des exigences de linstitution ou du maître. Pourtant, la communication est fondée sur des rapports de pouvoir et elle les renforce en retour.
La prise de parole et le silence, le fond et la forme
En classe, toute prise de parole doit être autorisée. Les jeunes élèves apprennent à leurs dépens à " demander la parole ", pour permettre un échange ordonné, dit le maître, mais son enjeu est aussi de faire reconnaître son pouvoir comme chef dorchestre des échanges. Le bavardage dans le réseau clandestin de communication et les prises de paroles sauvages dans le réseau officiel (Sirota, 1988) sont donc doublement proscrits : 1. ils perturbent le fonctionnement ; 2. ils effritent lautorité du maître. Quant au silence, il est réputé nécessaire pour travailler et laisser les autres travailler. Ce qui nempêche pas le maître de le rompre à sa guise, par exemple pour compléter ses consignes ou réprimander un élève. À dautres moments, le silence devient intolérable. Il est le signe dune résistance, dune absence, dun doute, dune dérision, dun manque dintérêt, toutes choses menaçantes, sur lesquelles lenseignant na pas prise. Lenseignant prétend donc avoir le privilège à la fois dimposer le silence et de le rompre.
La conversation en classe est donc comme un train qui sarrête et qui repart sans que les voyageurs aient la moindre prise sur ce mouvement. Un train dont on ne peut descendre quà la fin du trajet, sauf à se faire éjecter en cours de route pour " Bavardage intempestif ". Lélève apprend donc assez vite que, comme les prévenus, " tout ce quil dira peut être utilisé contre lui ", mais que, contrairement à eux, cela ne lui donne pas le droit de garder le silence. Il arrive même quon réprimande un élève pour avoir dit quelque chose quil nest pas encore censé savoir (" Nous apprendrons cela lannée prochaine ").
Dans la communication entre maîtres et élèves, la correction de la forme prend souvent le pas sur lefficacité du message. Limportant nest pas dabord dêtre compris, mais de respecter les formes et les normes. Lexpérience de beaucoup délèves est dêtre interrompus pour être repris sur la forme (" On ne dit pas "), ce qui leur fait perdre le fil de leur propos. Même les adultes ont du mal à prendre la parole lorsquelle les expose dabord à un jugement de pure forme.
Le mensonge et la sphère privée
La transparence est une valeur majeure des éducateurs. Le mensonge dun enfant est facilement interprété comme un signe de perversité ou dimmaturité. Un enfant devrait soffrir comme un " livre ouvert ". Les adultes savent, mais refusent souvent daccepter, que les enfants ou les adolescents soient des acteurs comme les autres, ayant de bonnes raisons de ne pas tout dire ou denjoliver la réalité.
Pour la même raison, les enseignants ne respectent pas la sphère privée des mineurs autant que celle dautres adultes. Ils y entrent " par nécessité " ou " pour leur bien ". Intervenir dans une conversation privée, demander ironiquement de la mener à haute voix (" Mais, ça nous intéresse, ce que vous dites "), intercepter un billet qui circule, mettre un élève en demeure de dire ce quil pense, le pousser dans ses retranchements, interrompre sa rêverie (" Alors, encore dans la lune ? "), tout cela nest pas, dans une classe, considéré comme une atteinte aux libertés individuelles. Lélève na pas systématiquement droit à son for intérieur.
À lécole, le conflit nest pas, en général, vécu positivement. Même ceux qui valorisent le " conflits sociocognitif " en ont souvent une image aseptisée : ce doit être un conflit tranquille, sans passion, sans implication des personnes, sans vainqueurs ni vaincus, un conflit fait sur mesure pour susciter des apprentissages, et rien de plus. Comme si les seuls désaccords intellectuels pouvaient exclure demblée les partis pris, la violence verbale, la mauvaise foi, les enjeux de pouvoir, la compétition. Certes, la communication pourrait aider à verbaliser et à régler de véritables conflits, tels quil en existe en classe, entre élèves ou entre eux et les enseignants. Mais on se sert plutôt de la parole pour nier la dimension conflictuelle des rapports sociaux, pour étouffer les paroles agressives : " Tu nas pas le droit de dire ces choses là ", " Tu nas pas honte ? ", " Ne critique pas tout le temps ". La communication scolaire est associée à lordre, voire une harmonie préétablie, plutôt quà la négociation et aux rapports de force.
La classe et les lieux qui lentourent sont le théâtre démotions et daffects constants et forts, positifs ou négatifs (Cifali, 1994 ; Imbert, 1994). Il est difficile de les nier, mais la communication scolaire ne favorise pas leur expression, faute sans doute de savoir que faire de ce qui surgit dans la classe lorsque les souffrances ou les fantasmes se disent. Favoriser une médiation, quel beau programme, mais correspond-il à la formation actuelle des enseignants ?
La conversation utile ou le mépris du bavardage
Alors que la conversation est fondamentale dans la vie humaine, en classe elle devient du bavardage dès quelle échappe au contrôle de lenseignant. La seule communication acceptable est celle quil organise, sur le sujet légitime dont il a choisi de parler et de faire parler. Tout le reste est du " bruit ", au sens de la théorie de linformation, autrement dit ce qui brouille la communication principale. La " bonne communication " est centrée sur un thème, ordonnée, elle fait avancer le débat ou la leçon, elle est donc essentiellement fonctionnelle et rigoureuse. Or, en la limitant de la sorte, on ne fait appel quà une part très marginale des raisons qui poussent les êtres humains à communiquer.
" Ce qui se conçoit bien sénonce clairement et les mots pour le dire arrive aisément " : on vit dans lécole, assez souvent, sur une dissociation entre pensée et expression. Lidée que le savoir se construit dans linteraction, la coopération, la négociation nest pas courante. Cest pourquoi chacun est fermement invité à " travailler pour soi ", dans le silence, pour ne faire part quensuite de ses conclusions. La didactique en usage nest pas fondamentalement constructiviste et se fonde sur une image trop rationnelle de lapprentissage aussi bien que de la communication. Il ny a pas despace pour penser à haute voix, se tromper, hésiter.
Lart de poser de bonnes questions
Lécole exerce un contrôle aigu sur les questions. Elles doivent nêtre posées que lorsque le maître les sollicite, en demandant la parole. Elles doivent être " dans le sujet ". Plus fondamentalement, elles doivent permettre de faire avancer la leçon, autrement dit participer du scénario pensé par le maître. Pas de chemins de traverse, derrances cognitives : pas le droit de raconter sa vie, de revenir en arrière, danticiper, de sortir du jeu.
Le métier délève (Perrenoud, 1995 b) consiste notamment à connaître les moments judicieux et les façons orthodoxes de poser des questions en classe. Kubanek et Waller (1995) concluent leur étude de la façon suivante : " Avoir limpression de pouvoir poser des questions, poser des questions et obtenir des réponses, voilà trois éléments qui ont été au centre des observations des étudiantes qui ont réussi leurs études [ ] Par contre, ne pas avoir le droit de poser des questions, faire rire de soi ou obtenir des réponses inadéquates, sarcastiques ou condescendantes ont été décrits comme autant dexpériences décourageantes qui ont amené les étudiantes à obtenir des résultats médiocres, à changer de programme ou à doubler des classes ". Létude montre que ces expériences décourageantes sont le lot de nombreux élèves, auquel ce dialogue faussement socratique a enseigné surtout à ne plus ouvrir la bouche
Un
dialogue à très grande vitesse
auquel chacun participe peu
Dans une classe, selon Astolfi (1995), maîtres et élèves échangent 300 répliques à lheure. Cest ce quil appelle " leffet TGV " ! Beaucoup de ces répliques sont courtes. Entre deux répliques des élèves, lenseignant reprend en général le contrôle de la conversation, si bien quil sattribue une large part du temps global de parole. Les élèves interviennent sporadiquement et très inégalement, en sadressant principalement à lenseignant. Lapparente densité de la conversation cache le fait quelle donne très peu de place à chaque élève : imaginons 300 répliques en 45 minutes, 150 pour le maître (en tout 30 minutes de temps de parole) et 150 pour les élèves (à eux tous 15 minutes de temps de parole). Cela fait en moyenne, dans une classe de 25 élèves, 6 interventions par élève, de 6 seconde chacune en moyenne ! On voit que, même si lon nobserve pas une seule seconde de silence, chacun parle peu. Beaucoup de répliques nont dautre fonction que de rendre la leçon plus " vivante ". Ce rythme effréné exclut en effet quon puisse véritablement entendre chaque élève et sintéresser à ce quil dit dinattendu. Comme le prêtre des enfants de chur, le maître attend surtout des élèves les " réponds " adéquats. De fait, à lécole primaire, comme le montre Sirota (1988) ce sont les enfants de classe moyenne qui sont les plus " coopératifs ", ceux dont les stratégies de participation et de prise de parole sinscrivent le mieux dans la forme de dialogue pédagogique et dans le registre de communication instaurés par lenseignant.
Lillusion du communisme linguistique
Les conversations en classe doivent se dérouler dans la langue scolaire, dont on feint de croire quelle est la langue commune. Or, il est rare que la langue scolaire corresponde à la langue maternelle de tous les enfants. Même lorsque la langue parlée dans la famille est apparemment la même quà lécole, son usage diffère. Selon Bourdieu (1982) et les sociolinguistes, " ce que parler veut dire " na pas le même sens selon les classes sociales, les communautés ethniques ou linguistiques, et même selon les familles dans un milieu social homogène. Le sens de la prise de parole et du silence ne sont pas identiques, les fonctions de la conversation varient, par exemple, selon que parler est un jeu ou une chose grave, une affirmation de soi ou une marque de solidarité, une " seconde nature " ou une conduite rare, une forme de leadership ou un geste de soumission à lordre établi, une recherche de distinction (Bourdieu, 1979) ou un acte dhumilité. Faire de la maîtrise de la langue nationale standard un objectif majeur de la scolarisation ne peut que contribuer à fabriquer de léchec lorsque les élèves sont aussi inégaux devant cette forme dexcellence (Perrenoud, 1995 a et c).
Linégalité devant la langue se manifeste déjà par des formes découte et de prise de parole très différenciées. La conversation que le maître orchestre na ni le même sens ni la même pertinence pour tous les élèves. Les uns y retrouvent un jeu familier, dautres ont peur de sy engager ou nen voient pas lintérêt. Cest ainsi que lécole insiste pour que les éléments de contexte soient verbalisés, pour que lon sexprime de sorte à être compris par quelquun qui ne vit pas la situation de lintérieur et ne décode donc pas les implicites du genre " Il est venu et il le lui a pris ". Face à un tel énoncé, lenseignant dira " Qui, quoi, à qui ? ", alors que chacun dans la classe aura compris. Lusage scolaire de la langue est très diversement éloigné des usages familiaux. Il relève du code élaboré décrit par Bernstein (1975), code que maîtrisent mieux les enfants des classes instruites.
Aujourdhui encore, lorsque les muets osent prendre la parole, nombre denseignants ont intérêt à nentendre que ce quils peuvent accepter sans être complètement déstabilisés. Ils participent à cet égard à la cécité ou à la surdité du monde des adultes : lorsque les enfants demandent pourquoi, ne vaut-il pas mieux répondre, brutalement ou subtilement, " Cest comme ça ? ". En ajoutant de préférence : " Cest pour ton bien ! ". Toute réponse plus ouverte peut déclencher un séisme
Le dialogue authentique représente un risque, il invite à entendre ce que lautre a à dire, et à en tenir compte. Le thérapeute, le chercheur, le journaliste qui mènent des entretiens en face à face peuvent se protéger, soit par des règles strictes, soit par le fait quils sengagent dans des interactions de brève durée. Lenseignant ne peut sabriter derrière des conventions, ni fuir la situation. Il reste là, il fait avec. Il a donc des raisons de ne pas ouvrir complètement le dialogue.
Par ailleurs, il a autre chose à faire quà dialoguer à partir des intérêts des uns et des autres. Il a un programme à respecter, des comptes à rendre, des apprentissages à favoriser, un groupe à faire fonctionner dans un établissement qui définit les horaires, les espaces, les normes de comportement. Qui ne voudrait enseigner comme Socrate ? Toutefois, la maïeutique nest quune vision romantique du métier denseignant dans les systèmes éducatifs, en particulier dans lenseignement obligatoire. Le rapport pédagogique nest que rarement un pur contrat entre des sujets entièrement libres de leurs engagements. Le dialogue y est donc, on la rappelé, soumis à de fortes contraintes.
Sans doute peut-on travailler à sen libérer et une partie des enseignants y parviennent-ils, parfois à leurs risques et périls. Nest-ce pas parce quil a instauré un vrai dialogue avec ses élèves quon renvoie le professeur du " Cercle des poètes disparus " ? On peut espérer que les établissements scolaires et les corps professionnels sont aujourdhui moins fermés à la diversité et aux contradictions, sans lesquelles il ny a pas de dialogue ouvert.
Astolfi, J.-P. (1991) Perdre du temps pour apprendre, in Éducation-Formation (Université de Liège), n° 225.
Austin J. L. (1970) Quand dire, cest faire, Paris, Seuil.
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Bourdieu, P. (1979) La distinction. Critique sociale du jugement, Paris, Ed. de Minuit.
Bourdieu, P. (1982) Ce que parler veut dire. Léconomie des échanges linguistiques, Paris, Fayard.
Bourdieu, P., Passeron J-.C. et De Saint-Martin, M. (1965) Rapport pédagogique et communication, Paris, Mouton.
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CRESAS (1987) On napprend pas tout seul ! Interactions sociales et construction des connaissances, Paris, ESF.
Derouet, J.-L. (1988) Désaccord et arrangements dans les collèges : vingt collèges face à la rénovation, Revue française de pédagogie, n° 83.
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Imbert, F. (1994) Médiations, institutions et loi dans la classe, Paris, ESF.
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Perrenoud, Ph. (1995 a) La fabrication de lexcellence scolaire : du curriculum aux pratiques dévaluation, Genève, Droz, 2e éd. augmentée.
Perrenoud, Ph. (1995 b) Métier délève et sens du travail scolaire, Paris, ESF, 2e éd.
Perrenoud, Ph. (1995 c) La pédagogie à lécole des différences, Paris, ESF.
Schoeni, G., Bronckart, J-P. et Perrenoud, Ph. (éd.) (1988) La langue française est-elle gouvernable ? Normes et activités langagières, Neuchâtel et Paris, Delachaux et Niestlé.
Sirota, R. (1988) Lécole primaire au quotidien, Paris, PUF.
Wirthner, M., Martin, D. et Perrenoud, Ph. (dir.) (1991) Parole étouffée, parole libérée. Fondements et limites dune pédagogie de loral, Neuchâtel et Paris, Delachaux et Niestlé.
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