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Lorsque le sage montre la
lune
limbécile regarde le doigt
De la critique du
redoublement à la lutte contre léchec
scolaire
Philippe Perrenoud
Faculté de psychologie et des
sciences de léducation
Université de Genève
1996
1. Les critiques des chercheurs2. Les ambivalences des enseignants
3. Lintrouvable consensus sur la définition de léchec
4. Inégalités réelles et politiques de démocratisation
Le bien-fondé du redoublement est périodiquement discuté dans les systèmes scolaires qui le pratiquent encore. Chaque fois que le débat reprend, le risque est, à nouveau, de se centrer sur les symptômes plutôt que sur les causes profondes. Lexemple genevois est éloquent. Au cours des années 1960, les travaux de Roller et dHaramein (1961) et dHaramein (1985), au Service de la recherche pédagogique, puis ceux du Service de la recherche sociologique (notamment Bartholdi, 1970 ; Petitat, 1971), ont attiré lattention sur limportance du retard scolaire dans lenseignement primaire genevois. Cette prise de conscience a suscité une baisse sensible des taux de redoublement et donné le coup denvoi dune politique plus active de lutte contre le redoublement, qui a conduit au développement du soutien pédagogique et à de premières expériences de différenciation de lenseignement. La Genève pédagogique sest alors installée dans la douce illusion quelle luttait efficacement contre linégalité devant lécole. Or, en 1993, Hutmacher, à partir dune étude des taux de redoublement, montrait 1. quils tendaient, globalement, à croître à nouveau ; 2. que les écarts se creusaient entre favorisés et défavorisés. Ce constat a suscité un vaste débat, qui nest pas clos et qui a notamment donné lieu à un Forum réunissant plusieurs centaines denseignants et de cadres de lécole primaire. Un an plus tard, une rénovation de lenseignement primaire a été mise en chantier, dans le sens des cycles dapprentissage, donc à terme dune suppression du redoublement. Trente ans pour en arriver là, sans être sûr pour autant de faire mieux que dagir sur les signes extérieurs de linégalité.
En luttant contre le redoublement, aura-t-on pour autant lutté contre léchec ? Hutmacher (1993) le dit très clairement : le redoublement nest quun indicateur - incertain - des inégalités dapprentissage. Or, jeter le thermomètre na jamais fait tomber la fièvre. La suppression du redoublement est une mesure nécessaire, mais pas suffisante, et que toute solution alternative ne vaudra que par sa capacité à atténuer les disparités effectives dapprentissage. La démocratisation des études se joue sur les acquis réels des générations successives et donc sur les moyens que se donnent les systèmes éducatifs de développer, en lieu et place du redoublement, une véritable individualisation des parcours de formation, fondée sur une organisation scolaire et des didactiques qui permettent une réelle différenciation de lenseignement, des suivis sur lensemble dun cycle détude, une évaluation formative, des méthodes actives dans toutes les classes.
On ne peut cependant escamoter le débat sur le redoublement dans les systèmes scolaires où il paraît encore être la réponse adéquate à lhétérogénéité des capacités dapprentissage et des acquis des élèves. De nombreux pédagogues, de nombreux chercheurs en éducation ont plaidé et plaident aujourdhui avec conviction pour sa suppression pure et simple. Pourquoi ne sont-ils pas entendus, en dépit des travaux comparatifs qui leur donnent raison, en dépit de lexpérience des systèmes éducatifs qui ont renoncé apparemment sans dommages à une telle mesure ? Parce que le débat mobilise des représentations contrastées, ancrées elles-mêmes dans des visions différentes du savoir et de linégalité, dans des cultures nationales et régionales qui ne donnent pas le même sens à lexcellence, dans des cultures professionnelles qui préparent diversement à affronter les différences.
Dans les pays qui lont supprimé depuis longtemps, le redoublement semble aussi archaïque et cruel que les supplices médiévaux ou les remèdes des médecins de Molière et on y a quelque peine à imaginer quil existe des pays développés où on le pratique encore Au contraire, dans ces derniers, le redoublement apparaît, aux yeux de la majorité des enseignants, et dune bonne partie des parents, des élèves, des responsables scolaires et des leaders dopinion, une mesure de bon sens, entre mal nécessaire et mesure bénéfique ; certains le défendent même comme un " droit " inaliénable des élèves ou des familles. À léchelle sociétal, le redoublement est parfois présenté comme un garant du niveau de lenseignement et de la compétitivité du système éducatif. Le débat porte éventuellement sur lampleur du redoublement, ses critères, sa probabilité plus forte dans certains degrés, ses fluctuations au cours du temps, sa fréquence inégale selon le sexe, lappartenance de classe ou lorigine nationale. Dans son principe, il apparaît globalement légitime, quand bien même il a partout ses détracteurs. Lorsquun élève, parvenu au terme dune année scolaire, ne manifeste pas une maîtrise suffisante du programme, dans notre société, une majorité denseignants, de parents, de responsables politiques trouve " normal " de linviter ou de le contraindre à redoubler.
Nul ne songe pour autant à nier quun redoublement soit, dans la vie dun élève et de sa famille, un événement singulier, souvent lourd de sens. Comment nier quil soit difficile, pour un enfant ou un adolescent, alors que ses camarades plus heureux poursuivent leur progression dans le cursus, de se sentir en échec et, pour cette raison, de quitter son groupe pour se retrouver avec de plus jeunes. Cest dur, disent certains, mais nest-ce pas la vie même, où chacun paye la rançon dun manque de maturité, de travail ou daptitudes ? Dans une culture qui justifie globalement le redoublement, il ne suffit pas dinsister sur la souffrance des enfants et des familles, sur laspect humain. Il faut des arguments moins sentimentaux.
Le temps perdu est-il déterminant ? Chaque année supplémentaire de scolarité coûte cher à la collectivité, ce qui incite parfois les gouvernements à limiter les taux de redoublement pour des raisons purement budgétaires. Ce critère nest toutefois pas décisif : la dépense pourrait se justifier si elle améliorait en proportion le niveau global dinstruction et les chances des moins favorisés. Ajouter, à une scolarité qui en compte dix ou vingt, un ou deux ans détudes nest pas déraisonnable, si cest pour mieux atteindre les objectifs de la formation. Dautant plus que, lorsque le chômage des jeunes saccroît, les systèmes éducatifs tendent plutôt à les retenir, au besoin en allongeant la scolarité obligatoire ou en créant des formations postobligatoires nouvelles. Pousser les jeunes à se présenter le plus vite possible sur le marché du travail nest plus une priorité lorsque lemploi se fait rare.
Quen est-il du temps de redoublement dans la vie des élèves eux-mêmes ? Mettre un an de plus ou de moins pour acquérir une formation scolaire de base, est-ce un drame ? Dans toutes les entreprises humaines complexes, on sait quil faudra parfois, pour atteindre le but, mettre plus de temps quon ne prévoyait, et que certaines opérations devront être recommencées. On peut, certes, insister sur le coût du redoublement pour la personne, mais la vraie question est de savoir si le jeu en vaut la chandelle. Lorsquon tourne un film, lorsquon conduit une recherche, lorsquon construit un édifice, il apparaît en général plus rationnel daller jusquau bout de lentreprise, même lorsquelle exige plus de temps que prévu, plutôt que dy renoncer en laissant luvre inachevée et donc largement ou totalement inutile. Labandon survient lorsque le supplément de temps et de dépenses devient prohibitif en regard des résultats attendus. Durant les études secondaires, les années de réorientation ne sont pas rares, et la pratique dune année dinterruption &endash; voyage, travail, service militaire &endash; nest pas exceptionnelle. Lorsque la formation initiale dure quinze ans ou davantage, lorsque les sociétés sont incapables doffrir du travail à tous, est-ce quune année de plus ou de moins fait une grande différence dans la vie des jeunes ?
Enfin, nul ne soutient que tous les enfants sont capables dapprendre la même chose dans le même temps. Que les parcours scolaires soient de longueur variable nest donc pas en soi un scandale. Les critiques du redoublement se fondent sur son inefficacité, alors que ceux qui veulent le maintenir le trouvent utile et, surtout, ne voient pas comment sen passer.
Le redoublement est inutile
Quy a-t-il de plus abstrait quun " taux de redoublement ", défini comme le pourcentage des élèves dun degré qui redoublent ? Cette abstraction est néanmoins nécessaire pour suivre lévolution du redoublement au cours du temps et ses variations dun degré ou dune filière à lautre, ou encore pour comparer les degrés équivalents de systèmes éducatifs différents.
Cest ainsi que lon peut comparer quelques pays dEurope :
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Dans les pays qui connaissent plusieurs régimes scolaires, un taux national na guère de sens. Crahay (1992) montre quen Belgique, le redoublement est nettement moins fréquent dans la Communauté flamande. Les travaux des chercheurs belges donnent, pour la Communauté française de Belgique, des chiffres proches de la France, juste avant le Portugal, qui a les taux les plus élevés dEurope. En Suisse, le taux de redoublement varie selon les cantons. À Genève, pour lannée scolaire 1992-93, il était de 4.4 % en première primaire, de 2.9 % en quatrième primaire (respectivement 5.4 % et 3.6 % si lon regroupe redoublement et transfert dans lenseignement spécialisé)*.
Que conclure de tels chiffres ? Au minimum que le redoublement nest pas une mesure naturelle : dans certains pays il apparaît " normal " de faire redoubler, en moyenne, un à deux élèves sur vingt, dautres trouvent tout aussi " normal " de maintenir ce taux à hauteur de 1-2 %, alors que dans les pays scandinaves et en Grande-Bretagne, il semble " normal " de ne pas faire redoubler du tout. Lorsque la " normalité " varie aussi spectaculairement, on peut conclure que le redoublement est une construction sociale qui en dit plus long sur le système éducatif et les mentalités que sur le développement et le niveau scolaire " objectifs " des enfants de sept ou onze ans. Qui pourrait croire en effet que les jeunes Portugais, les jeunes Français, les jeunes Belges francophones sont moins capables dapprendre que les jeunes Italiens, les jeunes Scandinaves ou les jeunes Belges néerlandophones ? Chaque système national ou régional fabrique sa propre norme. Il la protège en ignorant la réalité des autres ou, lorsquil ne peut la méconnaître, en prétendant que " comparaison nest pas raison ". Ainsi, lexpérience des pays qui vivent sans redoublement reste-t-elle peu connue de ceux qui le considèrent comme une nécessité. Chacun trouve facilement quelques arguments pour ne pas se sentir mis en question par la " normalité " des autres : autres mentalités, autres finalités, autres exigences Les travaux de recherche qui plaident pour la suppression du redoublement ne sont guère mieux entendus.
Ces travaux montrent pourtant &endash; voir la revue de Crahay (1992) &endash; que les effets bénéfiques du redoublement sont très minces, sans commune mesure avec son coût humain et financier. Les enquêtes internationales ne donnent aucune raison de penser que les systèmes scolaire pratiquant massivement le redoublement envoient davantage délèves vers les études longues ou assurent globalement un meilleur niveau moyen de formation des générations scolarisées. Ni le niveau moyen dinstruction, ni la formation des élites ne se sont dégradés dans les systèmes qui ne pratiquent pas le redoublement ou ne lautorisent quexceptionnellement, avec des taux inférieurs à 1 %. Les recherches longitudinales montrent également que les élèves qui redoublent au primaire restent des élèves en difficulté et ont moins de chances que les autres dêtre admis dans les filières exigeantes du secondaire. Contrairement à ce quon entend parfois, le redoublement précoce nest pas plus efficace (Allal et Schubauer-Leoni, 1991).
Certes, cela ne prouve pas que le redoublement " ne sert à rien ". Les personnes soignées pour une maladie grave restent souvent membres dun " groupe à hauts risques " ; on ne peut en conclure à linutilité du traitement, car sans intervention médicale, leur sort eût sans doute été moins enviable encore. On peut donc soutenir que le redoublement améliore les choses, même sil ne restaure pas légalité. Pour le savoir, il faudrait conduire une expérience simple, mais difficilement généralisable, pour des raisons éthiques évidentes : parmi les élèves que les procédures courantes du système conduiraient normalement à répéter une année, il suffirait de nen faire redoubler quun sur deux, au hasard. On verrait bien alors sil y a une différence, " toutes choses égales dailleurs ", tant dans les acquisitions que dans limage de soi. Les rares " expériences " disponibles &endash; anciennes &endash; suggèrent quil ny a aucun gain substantiel.
Les données démontrent en tout cas que le redoublement rétablit rarement une situation dégalité des chances : lélève qui a redoublé reste souvent plus exposé que les autres à de nouvelles difficultés scolaires. Ce qui nest pas étonnant : en proposant " plus du même ", on ne sattaque pas aux causes profondes de léchec, qui produisent à nouveau les mêmes effets. Même sil permet une mise à niveau, le redoublement contribue à forger une identité de mauvais élève, " pas fait pour les études ", aussi bien dans lesprit de lintéressé quaux yeux de son entourage, de ceux qui le conseillent ou décident de son sort. À Genève, lorientation au seuil du secondaire est dans une très large mesure négociée, le système accorde assez libéralement des dérogations aux élèves dont les notes de sixième primaire ne permettent pas en principe laccès aux études longues. Le retard scolaire est alors un handicap sérieux, car les quelques dixièmes qui manquent pour accéder " normalement " à une filière nont pas le même sens si lélève est " à lheure " ou sil a redoublé (Hutmacher, 1993) : à résultats scolaires égaux, les aptitudes à réussir dans la suite du cursus semblent, toutes choses égales, diminuer en proportion inverse de lâge de lélève.
Le redoublement est injuste et démobilisateur
La recherche en éducation montre également que la décision de redoublement est une mesure fort aléatoire lorsquelle est prise par chaque enseignant sur la base de ses propres normes dexcellence, sans procédure de modération de son évaluation à léchelle du système. Le redoublement dépend dun seuil dont la détermination est largement arbitraire : on pourrait enseigner nimporte quoi à une classe composée de titulaires du prix Nobel et en faire redoubler un ou deux ; il suffirait de mettre la barre assez haut. Les fameuses dictées de Bernard Pivot fabriquent de spectaculaires hiérarchies dexcellence entre des gens qui maîtrisent tous fort bien lorthographe. Cest ce que jai appelé la fabrication de lexcellence scolaire (Perrenoud, 1995 a). En élevant ou abaissant ses exigence, le maître peut choisir de faire redoubler un, trois ou cinq élèves sur vingt ; il lui suffit de manipuler plus ou moins sciemment les normes dexcellence et les barèmes. Cest ainsi que chaque établissement a sa propre politique de sélection et que chaque professeur jouit à son tour dune certaine latitude pour fixer ses exigences. Il ne se sert pas de cette liberté pour faire nimporte quoi, mais plutôt pour se conformer aux normes non écrites du milieu professionnel ou de létablissement. La variation des taux de redoublement est en effet beaucoup plus faible que celle quon pourrait attendre des variations dans la composition et le niveau réel des classes. Les enseignants sarrangent pour ne pas faire doubler trop délèves. Certains sarrangent aussi, bon an mal an, ou un an sur deux, pour en faire doubler au moins un, ce qui nest pas très compliqué, puisque, dans toute classe de vingt élèves, on en trouve toujours qui ont plus de difficultés que les autres. On peut donc, dans une certaine mesure, faire redoubler ou promouvoir les élèves indépendamment de leur niveau réel de connaissance. La décision nest pas prise en fonction dun seuil absolu de maîtrise, mais dun classement. Les travaux de Grisay (1982, 1984, 1986, 1988) montrent que la disparité des niveaux dexigence produit des décisions de redoublement ou de promotion qui seraient fort différentes si on substituait à lévaluation de lenseignant un test national standardisé, en conservant le même taux national.
Si le redoublement provoque la critique des mouvements pédagogiques, des enseignants acquis à la démocratisation et des chercheurs en éducation, cest aussi parce quil engendre, souvent, plus quun sentiment passager déchec ; il inflige à beaucoup, sinon à tous, une profonde blessure narcissique &endash; perte de confiance en soi, sentiment de dévalorisation ou dimpuissance &endash; même lorsque lécole &endash; est-ce toujours le cas ? &endash; sefforce de le dédramatiser, de lhumaniser. Cet effet va à lencontre même des capacités dapprentissage et conduit lenfant ou ladolescent à restreindre ses ambitions et à intérioriser durablement le sentiment de ses limites.
Aux yeux de ses détracteurs, le redoublement napparaît donc ni efficace, ni équitable, ni humain, alors quil coûte cher, puisquil multiplie les années de scolarité, et laisse des " bleus à lâme ". Les chercheurs en éducation soutiennent donc presque tous quon peut renoncer au redoublement ou le réduire fortement sans mettre en danger lefficacité du système. Ce sont eux, dailleurs, qui ont pesé dans ce sens dans les pays où il a été supprimé ou drastiquement limité. Comme le souligne Crahay, lorsquon a compris, en médecine, que la saignée faisait plus de mal que de bien, on la supprimée sans trouver immédiatement un traitement positif de lanémie. En pédagogie, alors que le redoublement apparaît au mieux inutilement coûteux, au pire destructeur, il reste néanmoins, dans certains systèmes scolaires, une sorte de " vache sacrée ". Pourquoi ?
Que disent les enseignants ? Peu dentre eux sexpriment spontanément sur ce thème et il est difficile de dire sils sont représentatifs de la profession. Mieux vaut donc les interroger par sondage. Une recherche de Pini (1991), conduite à Genève auprès dune centaine denseignants primaires, montre que beaucoup pensent que le redoublement est un mal nécessaire, voire une mesure positive, favorable à lélève.
Un mal nécessaire
Voici dans quelles proportions les enseignants primaires genevois adhèrent aux affirmations suivantes :
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Certains élèves ont besoin dune année supplémentaire : cela leur permet de mûrir et de mieux se préparer à affronter les difficultés de leur scolarité future |
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Pour lélève qui redouble, le fait quil pourra parcourir une deuxième fois la totalité du programme est en général bénéfique |
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Trop souvent, le redoublement a des effets préjudiciables sur la scolarité ultérieure de lélève |
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Il est rare que le redoublement dune classe soit vraiment profitable pour lélève |
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Une partie seulement des personnes interrogées expriment un sentiment de malaise ou de culpabilité :
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On voit que tous ne se sentent pas mis en question par le redoublement, loin de là, et que beaucoup pensent que le redoublement est simple affaire de réalisme :
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Nombre denseignants ne pensent pas que le redoublement est dramatique :
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Et ils ne pensent pas quon pourrait sen passer :
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Pini conclut :
En tant que recours ultime face à des situations dune certaine gravité, le redoublement apparaît aux instituteurs genevois comme une mesure pour le moins acceptable. À cela, trois sortes de raisons.Sur le plan scolaire et pédagogique, ses effets sont jugés le plus souvent bénéfiques pour lélève confronté à des difficultés dapprentissage importantes (mieux se préparer aux difficultés de la scolarité future, parcourir une deuxième fois la totalité du programme). Ensuite, par rapport au fonctionnement actuel (rattrapage impossible au cours de lannée suivante) et face à labsence dalternatives réellement crédibles (organisation différente de lenseignement ou, plus généralement, mesures proposées par les spécialistes de léducation), lenseignant paraît confronté à une situation où la liberté de choix ne lui est pas véritablement donnée. Enfin, acceptable, le redoublement lest également parce que ses répercussions négatives semblent en définitive dampleur limitée : tant sur le plan psychologique (confiance dans ses propres moyens) quen ce qui concerne la scolarité ultérieure de lélève en situation de désavantage social (Pini, 1991, p. 266).
Une telle enquête a été renouvelée auprès dautres enseignants, dans dautres systèmes éducatifs pratiquant couramment le redoublement. Les tendances sont les mêmes. Je résisterai cependant à lidée que la majorité des enseignants adhérent sans hésitation au principe du redoublement. Il constitue clairement, pour une fraction dentre eux, une source inépuisable de doutes et de culpabilités, un problème qui prend du temps et de lénergie, qui oblige à peser le pour et le contre, à négocier, à faire ce quil faut pour se couvrir une fois la décision prise, à gérer la dissonance entre ce quon voudrait et ce quon doit faire. Paradoxalement, linconfort peut être dautant plus grand que le redoublement est marginal : lorsquil sagit dun élève sur vingt, on le traite comme un cas, on réfléchit, on discute. Lorsquon fait échouer 50 ou 70 % dune volée, comme dans certaines années propédeutiques de lenseignement postobligatoire ou universitaire, une machine impersonnelle assume la décision. Un QCM, un total de points et un barème identifient presque automatiquement ceux qui réussissent et ceux qui échouent à lexamen annuel. Cest encore mieux si lordinateur envoie lui-même la lettre annonçant la mauvaise nouvelle ! Entre ces extrêmes, on trouve certains degrés de lécole obligatoire où le taux de redoublement se situe entre 10 et 25 %. Trop pour quon se préoccupe de chacun comme dun cas singulier, trop peu pour quon puisse se protéger derrière une machinerie
À la diversité des situations &endash; selon le niveau du cursus, la filière, les enjeux, les conséquences pratiques du redoublement &endash; il faut ajouter les variations entre enseignants : les uns font redoubler sans états dâme, alors que dautres, devant la même situation, vivent à chaque fois un cas de conscience. Au total, lécole et les gens décole nen sortent pas indemnes, le redoublement nest pas bien vécu, on na pas facilement la conscience tranquille, surtout en un temps où les parents, lopinion, la classe politique ne se gênent plus pour mettre en doute lefficacité de lécole.
Comment expliquer alors que les enseignants ne pensent pas pouvoir se passer du redoublement alors quil fait mal à beaucoup dentre eux ? Comment en arrivent-ils à défendre un droit au redoublement, à le présenter de bonne foi comme une mesure en faveur de celui qui la subit ? Aussi longtemps quon na pas compris les raisons de cet attachement, on peut bien continuer à dénoncer les taux de redoublement ou leur aggravation. On parle dans le désert. Je vais tenter de montrer que le redoublement paraît un moindre mal aussi longtemps quon ne voit pas que mettre à la place ou que les alternatives paraissent trop coûteuses pour le système ou pour les professionnels.
Division du travail pédagogique et justification
Les parents ne sont favorables au redoublement de leur propre enfant que dans deux cas de figures : 1. lécole parvient à les convaincre que cest dans son intérêt ; 2. ils demandent le redoublement parce quils pensent que cela accroîtra les chances dune orientation plus favorable en aval. Au plan général, seuls tiennent vraiment au redoublement les parents qui nont rien à craindre pour leurs enfants et qui dénoncent le danger dune " baisse du niveau ".
En marge du dialogue entre les familles et lécole, il y a lensemble des enjeux internes au système éducatif. Le cursus divisé en degrés successifs de programme induit une " division verticale " du travail pédagogique : les enseignants se succèdent, en quelque sorte, " au chevet " de lélève, pour un, deux, parfois trois ans ; chacun promet de " faire sa part " dans la réalisation de lintention dinstruire. Sil ny arrive pas, que faire ? La possibilité dun redoublement ou dune relégation dans une filière spécialisée ne répond que partiellement au problème. Parmi les élèves quon fait progresser dans le cursus, certains sont loin de maîtriser lessentiel du programme.
Chaque enseignant ou presque se dit " Mes collègues, qui accueilleront mes élèves au degré suivant, sattendent à pouvoir partir de certains acquis. Leur envoyer des élèves qui ne leur paraîtront pas de niveau suffisant, cest mexposer, à travers eux, à être jugé peu efficace. De qui aurais-je lair sils estiment que mes élèves nont pas le niveau, quils sont mal préparés, voire quils ne sont pas à leur place ? " Face à cette interrogation, un enseignant très solide (ou au contraire très fragile ) peut se mettre soi-même en cause, reconnaître quil aurait pu mieux faire, quil sy est mal pris faute de compétences, dintelligence, de motivation, dintuition, dexpérience, de sensibilité, de réalisme dans la planification de lannée Ou encore faute de sympathie, dintérêt pour certains élèves, faute dune certaine connivence sans laquelle le rapport pédagogique reste dénué dhumanité et de sens. Ce discours demanderait un courage et peut-être un masochisme peu communs. Il est extrêmement difficile de prendre constamment sur soi sans perdre peu à peu courage et sans tendre les verges pour se faire battre. Il est donc très humain de chercher, systématiquement ou occasionnellement, à rejeter la responsabilité de léchec scolaire sur dautres facteurs ou dautres personnes :
On peut jouer de ces quatre registres. Certes, personne nest complètement dupe des justifications quil donne et elles ne sont pas nécessairement acceptées par autrui. Dans ce domaine, les enseignants savent cependant quils peuvent en général compter sur une certaine solidarité de leurs collègues : les professionnels nont pas intérêt à se jeter mutuellement la pierre, ils se mettent donc souvent daccord pour attribuer léchec à dautres acteurs ou facteurs. Même lorsquon sait que tel ou tel collègue " fabrique de léchec ", on censure le fond de sa pensée, on préfère ne pas ouvrir un conflit avec une personne quon côtoie tous les jours.
Redoublement et réputation
On a quelque indulgence pour un enseignant qui ne parvient pas à instruire tous ses élèves. On lui pardonne beaucoup moins denvoyer au degré supérieur des cas " désespérés ". À lui, par conséquent, de recourir au redoublement à bon escient. Tout se passe comme si, devant une impuissance collective, chacun devait prendre sa juste part du " sale boulot ", qui consiste à faire échouer. Celui qui nassume pas cette tâche ingrate place ses successeurs devant une mission plus impossible encore. Cest pourquoi nul enseignant ne peut prendre régulièrement le risque de faire progresser au degré suivant plusieurs élèves qui nont manifestement pas le niveau attendu par ses collègues, du moins sans une négociation avec eux, qui suppose une forme de travail déquipe. Chacun navigue donc au plus près entre divers écueils : à trop intérioriser les attentes des collègues, on dévalorise son propre travail ; à trop les ignorer, on nuit à sa réputation dans lécole et aux yeux des parents.
71 % des instituteurs genevois interrogés par Pini disent : " Vis-à-vis du collègue qui recevra ma classe lannée suivante, je nai pas le droit de promouvoir un élève qui présente des lacunes importantes. " Est-ce le droit ou le courage qui leur manque ? En choisissant de ne pas faire progresser dans le cursus un élève qui natteint pas un seuil de maîtrise suffisant, on se retrouve devant un autre dilemme : le remède ne sera-t-il pas pire que le mal ? Entre le risque dêtre accusé de laxisme et le risque dêtre suspect délitisme et de sévérité excessive, comment choisir ? Entre le risque de pénaliser certains élèves en les faisant redoubler et den envoyer dautre à léchec plus grave en ne les faisant pas redoubler, comment choisir ? Entre le risque de prendre une mauvaise décision pédagogique et celui dentacher sa réputation professionnelle, comment choisir ?
On pourrait répondre que le seuil est défini " objectivement " par limpossibilité daccéder au degré supérieur sans maîtriser ses " prérequis ". Hutmacher (1992) montre que ce facteur nest pas déterminant : dans lécole primaire genevoise, lorsque lenseignant " suit ses élèves ", autrement dit garde sa classe lannée suivante, le redoublement disparaît ! Cest donc quil nest pas impossible de travailler avec un ou deux élèves en grande difficulté. Dailleurs, 64 % des instituteurs genevois pensent que " Lélève qui est promu sans avoir atteint un niveau de maîtrise satisfaisant ne perturbe pas forcément le travail de la classe à laquelle il sera affecté ". Ils nosent tout simplement pas attendre de leur collègue un tel optimisme.
Alors que, pour les chercheurs, le redoublement ne sert à rien, les enseignants sont donc, pour des raisons compréhensibles, beaucoup plus hésitants. Les divergences dintérêts et de stratégies ne sont pas seules en cause. On ne peut concevoir léchec de la même façon selon quon se trouve confronté à des situations singulières ou quon raisonne à large échelle. Cest lune des causes du divorce entre représentations des enseignants et représentations des chercheurs, qui travaillent de façon comparative.
Pini met en cause la légèreté du discours des sciences de léducation ou des mouvements pédagogiques qui dénoncent le redoublement en ignorant la situation concrète des praticiens confrontés à des élèves, des parents et collègues en chair et en os. Et il montre que leur scepticisme à légard des beaux discours sancre dans une forme de réalisme : " A ma place, vous en feriez autant ! "
Le divorce est-il fatal ? Manifestement, il ne suffit pas, pour emporter la conviction des enseignants, daccumuler les données statistiques démontrant que le redoublement ne sert à rien ou nest pas équitable. Sans doute parce les raisonnements sont fondées sur des données difficilement comparables et font appel à des méthodes complexes, compte tenu de la disparité des indicateurs, des conventions statistiques nationales, des périodes dobservation. Le poids de lexpérience et des exemples vécus est sans commune mesure avec la force abstraite des statistiques. La loterie et dautres jeux de hasard péricliteraient si les gens croyaient aux probabilités ! Sans doute serait-il, pour faire changer les représentations et les attitudes, plus efficace denvoyer les enseignants sceptiques enseigner un an ou deux dans un système scolaire qui a proscrit le redoublement. Même si une telle expérience était possible, et démontrait que les bénéfices du redoublement sont faibles en regard de ses coûts, convaincrait-elle les praticiens ? On peut en douter. La racine du problème est ailleurs : dans une culture donnée, à un moment donné de lhistoire dun système éducatif, beaucoup denseignants ne voient pas comment on pourrait se passer du redoublement, nimaginent aucune alternative praticable face aux cas délèves en grande difficulté dont ils ont la charge, compte tenu des attentes de leurs collègues.
Échec et redoublement
On ne pourra avancer sans prendre le problème à un autre niveau, celui des politiques de démocratisation de lenseignement et des moyens quelles se donnent pour dépasser lopposition entre maintien et suppression du redoublement, en particulier la mise en place de dispositifs dindividualisation des parcours de formation et de différenciation de laction pédagogique. Pour aller plus loin, un détour simpose : on ne peut rien comprendre aux discours sur le redoublement sans analyser plus finement le rapport entre redoublement et échec scolaire. " Lorsque le sage montre la lune limbécile regarde le doigt " : ce " proverbe chinois " illustre fort bien la tentation de prendre le signe pour ce quil indique. Nous ne cessons de nous référer au redoublement &endash; dans les pays où on le pratique encore &endash; pour parler de léchec scolaire. Pourtant, cest un indicateur bien limité, dont le seul avantage est dêtre simple et disponible. Cest donc à travers lui que se mène un débat plus global sur lefficacité de lécole. Il importe de comprendre les tenants et aboutissants de cette confusion. Pourquoi est-il tentant dassimiler le redoublement à léchec scolaire ? Pour au moins deux raisons :
1. Il est difficile de mettre deux personnes daccord sur la définition de léchec scolaire : affaire de connaissances ? de compétences ? de motivation ? de développement ? dimage de soi ? didentité ? Est-ce léchec de lélève ou léchec de lécole ? qui en décide ? Qui le déclare ? Qui en tire des conséquences ?
2. Même si on se met daccord sur une définition univoque de léchec, on ne disposera de données correspondant à cette définition quau prix dune enquête originale, avec des instruments de mesure construits dans cette perspective. Cela suppose des mois ou des années de travail, aucune possibilité de comparaison avec dautres pays ou régions, aucune série chronologique pour étudier les tendances. Et même léventualité dune disparition du consensus au fil des mois ou au vu des premiers résultats
Il sensuit une curieuse contradiction :
On sen doute : sil ny avait aucun rapport entre redoublement et échec scolaire, on sortirait rapidement de la confusion. Le rapport existe, il est juste assez évident pour que la tentation soit forte de prendre le redoublement pour un indicateur de léchec, un signe fragile, pauvre, ambigu, mais le seul qui soit saisissable à grande échelle. Aussi longtemps que les systèmes éducatifs ne se seront pas donnés dautres indicateurs de léchec scolaire, à la fois stables, rigoureux, praticables à large échelle et généralement acceptés, on sera condamné à " faire avec " des indicateurs aussi fallacieux que le retard scolaire ou les taux de redoublement. Pourquoi ne disposons-nous pas aujourdhui de tels indicateurs, alors que, comme le montre Isambert-Jamati (1984), léchec scolaire a été reconnu comme problème de société dès le milieu du XXe siècle ? Parce que nos sociétés naviguent à vue entre deux tendances contradictoires : dune part, une volonté de ne pas savoir quelles compétences et incompétences leurs systèmes éducatifs produisent véritablement ; dautre part, le besoin de faire comme si on savait, pour affirmer que le niveau baisse ou monte, que linégalité devant lécole augmente ou diminue, que les politiques de démocratisation sont efficaces ou, au contraire, sans effets.
Pourquoi nos sociétés se donnent-elles si peu de moyens de savoir quels apprentissages la scolarisation produit effectivement ? Se contenter dincriminer chercheurs et statisticiens est un peu court ! Il est vrai que des querelles théoriques ou méthodologiques, des luttes de territoires, des scrupules excessifs ou des débats byzantins ont parfois empêché den savoir plus. Mais il est sûr aussi que des enquêtes isolées, aussitôt contestées ne servent à rien. Lorsque les enjeux sont aussi forts et aussi idéologiques, la transparence doit être voulue et organisée au plan politique, un peu à la manière dont on organise les élections dans les démocraties, en garantissant la plus grande neutralité possible des procédures, des instruments, des traitements, en nautorisant aucun camp à faire de lévaluation de lécole une machine de guerre pour ou contre telle réforme ou telle politique de léducation. Il y a des raisons de penser que les sociétés occidentales sortent peu à peu de la cécité organisée, parce quelles mesurent progressivement le coût de leur ignorance. Mais ne nous cachons pas le paradoxe démocratique : dans la mesure où les forces politiques jouent leur sort &endash; gouvernement ou opposition &endash; tous les quatre ou cinq ans, il est inévitable que les partis majoritaires tentent de prouver quils ont accompli un parcours sans faute, que lopposition tente de montrer quelle aurait fait beaucoup mieux si elle avait eu le pouvoir.
Dans nimporte quelle domaine, une statistique devient un enjeu politique lorsquelle met en évidence des inégalités sociales et surtout, lorsquelle démontre quelles saccroissent ou diminuent moins quon ne lavait promis. Entre autosatisfaction et dénonciation sans appel, y a-t-il place pour un peu dobjectivité, pour une analyse patiente des effets et des transformations des systèmes éducatifs ? Cest le programme des sciences sociales et des sciences de léducation, mais il nest soutenu que ponctuellement, alors que cest à long terme seulement que de tels efforts de recherche portent leurs fruits. En attendant, il faut bien vivre et gérer les systèmes éducatifs. Donc accepter le débat, même si les dés sont pipés.
Léchec, cest ce que les gens définissent comme tel
Peut-être est-il impossible de parvenir à une définition stable et partagée de léchec scolaire parce que cest, par nature, un concept à géométrie variable, dont chacun fait usage à sa façon, pour démontrer ce qui lui importe. Certes, les chercheurs en éducation sont constamment tentés, face à ce flou sémantique, de proposer une définition rigoureuse. Comme sociologue, je pense plus réaliste de soutenir que léchec scolaire est, en définitive, ce que les gens considèrent comme tel. Il a donc une définition à la fois plurielle et flottante, que nul ne peut remplacer de façon unilatérale par une définition unique et stable. Je mesure bien ce que cette conception relativiste peut avoir dinsatisfaisant pour lesprit. Chacun &endash; le chercheur comme les autres &endash; voudrait bien que tous se rallient à UNE définition claire et stable, de préférence la sienne ! Et cest bien pourquoi les ennuis commencent : le seul consensus que chacun soit prêt à accepter facilement, cest celui qui se construirait autour de sa propre vue des choses. La rigidité des uns et des autres est dautant plus grande que les enjeux idéologiques et les implications affectives sont plus fortes. La notion déchec nest pas neutre, elle sert à juger, à condamner. Autant dire quà moins dexercer un pouvoir totalitaire sur les esprits, toute définition rigoureuse est condamnée à être combattue ou simplement détournée, déformée, appauvrie. Est-ce pur égocentrisme, perversion intellectuelle, refus de la communication ? Nullement. Il se trouve simplement que notre langage nest pas à la hauteur de la complexité des choses et que toute définition précise est réductrice lorsquon dispose dun seul mot ou dune seule expression pour désigner des phénomènes connexes, mais distincts.
Que peut alors faire lobservateur ? Plutôt que de pester contre limprécision du langage commun, le sociologue y verra plutôt le signe de lambiguïté et de la complexité du réel, de notre difficulté à penser et à nommer de façon univoque les inégalités et leurs causes. Dira-t-on que les gens ne savent pas de quoi ils parlent ? Je ne le pense pas : en un moment précis de son discours, chacun sait en général assez bien ce quil entend par échec scolaire, même sil nest pas en mesure de lexpliquer clairement. La confusion apparente de chacun naît largement du fait de la confrontation avec dautres définitions : chacun se sent déstabilisé pour un temps lorsquon lui dit : " Pour moi, léchec scolaire, ce nest pas ce que tu décris ".
Le flottement sémantique nempêche pas la communication, ce qui suggère que les diverses conceptions de léchec scolaire ont un noyau sémantique commun. Et parce que les locuteurs ont conscience de la polysémie du langage et ne sont pas naïfs : ils savent que ce quils considèrent comme un échec nest pas interprété de la même manière par tout le monde. Ils peuvent aussi comprendre la conception dautrui, sans pour autant la partager : " Tu dis quun élève qui apprend dans langoisse et a constamment peur quon ne laime plus est en échec, plus que celui qui a des notes insuffisantes. Je comprends ce que tu dis, mais pour moi, léchec, cest autre chose. Cest lincapacité dassimiler en un an le contenu du programme Et je sais que pour dautres, cest encore autre chose, par exemple la non acquisition de compétences utiles dans la vie. Ou la dévalorisation de soi et le sentiment dêtre incapable dapprendre ".
Nous sommes tous capables de " gérer " une multitude de significations, et souvent de jouer des unes et des autres à notre avantage, parfois avec un certain opportunisme. Serait-il possible dinventorier ces significations, den cerner à la fois les points communs et les divergences ? Une telle entreprise serait vaine si elle prenait la forme dun sondage, dune question posée dans la rue, hors de tout contexte : " Pour vous, quest-ce que léchec scolaire ? " Parce que la signification dune telle expression est essentiellement pragmatique, liée à des enjeux interpersonnels ou institutionnels précis. Le débat nest jamais purement sémantique : il sagit soit de constater léchec, soit de lattribuer à tel facteur ou à tel acteur. Léchec nest jamais neutre. On se trouve toujours dans le registre de la dénonciation ou de la dénégation, de laccusation ou de la disculpation.
Il sagit dabord de déterminer sil y a ou non échec : certains laffirment, voire dramatisent ; dautres le contestent ou le minimisent. Le débat va bon train sur la réalité de léchec, donc aussi sur le réalisme des intentions, des promesses, des projets. Lorsque lon reconnaît, de bonne ou de mauvaise grâce, la réalité dun échec, il reste à mesurer son ampleur et surtout à cerner ses causes, donc les responsabilités engagées. En fait, les fonctionnements mentaux sont encore plus complexes : lattribution possible de la responsabilité commande souvent le constat ; si lon ne peut attribuer léchec à autrui, aux circonstances, à " pas de chance ", alors mieux vaut le nier. Lexplication précède le constat déchec, elle lautorise dautant mieux quon imagine pouvoir le justifier.
Nul ne peut définir unilatéralement léchec et espérer que les autres vont se rallier à sa définition. Mais il serait tout aussi absurde de se résigner, dans ce domaine, à une culture commune totalement vague ou contradictoire, du moins si lon veut des politiques de léducation aussi claires et efficaces que possible. Il ny a pas de politique publique sans construction intellectuelle partagée qui soit à la hauteur de la complexité des problèmes et des phénomènes.
En matière déchec scolaire, comme dans tous les autres champs de la politique sociale, il ne sert à rien davoir raison tout seul, il ny a daction collective quà condition davoir une vision partiellement commune des problèmes et des solutions. Il importe que les systèmes éducatifs pensent et repensent explicitement, publiquement et de façon aussi stable et rigoureuse que possible, leurs objectifs et le degré auxquels ils les réalisent, les projets des élèves et des familles et le degré auquel le système permet leur réalisation, autrement dit la réussite et léchec, les inégalités et les hiérarchies, lévaluation, la sélection et lorientation. Pour cela, il importe daccepter un détour par lanalyse des ambiguïtés de lintention dinstruire dans les sociétés hyperscolarisées.
Les ambiguïtés de lintention dinstruire et de sinstruire
Il ny a pas déchec sans projet. À lécole, léchec se mesure à laune dune intention dinstruire, telle quHameline (1971) la analysée. Lambiguïté commence du fait que cette intention sapplique à un sujet capable dentendement et de volonté, donc susceptible davoir lintention de sinstruire. Leffort constant de tout éducateur est de faire adhérer lapprenant au projet qui le concerne. Souvent, il y parvient, du moins en partie. Ou il entretient lillusion quil a su communiquer à lenfant ou ladolescent le désir et le projet de sinstruire. Doù la difficulté dattribuer léchec scolaire à tel ou tel acteur. À quelle intention faut-il le rapporter ? À celle &endash; incertaine &endash; de lélève ou à celle, pétrie de bonne conscience, des adultes et des institutions (famille, école, État) qui lui veulent du bien ?
Durant la scolarité obligatoire, peut-on véritablement prêter un projet dapprentissage à chaque élève ? Sans doute certains intériorisent-ils le projet des adultes. Dautres forment des projets personnels, qui ne recouvrent pas, et de loin, lensemble du " programme ". Dautres encore apprennent sous la contrainte &endash; lorsquils apprennent &endash; et nont pas de raisons de vivre leur non apprentissage comme leur propre échec. Prenons une comparaison qui paraîtra peut-être provocatrice : durant les guerres, les armées doccupation font souvent travailler de force, à leur profit, techniciens et savants des pays vaincus. Lorsque ces derniers " ne trouvent rien " et ne répondent pas aux injonctions quon leur adresse, se sentent-ils en échec ? Nont-ils pas, au contraire, le sentiment de résister avec succès à une exigence inacceptable ? Une fraction des élèves sont, à leur façon, des résistants. Que les adultes jugent leur attitude " infantile " ou " irresponsable " leur vaut des ennuis et explique que beaucoup finissent pas céder à la pression sociale. Cela nautorise pas à penser que la faible assimilation des savoirs scolaires est toujours un échec du point de vue des élèves. Pourquoi ceux qui nont jamais eu lintention dapprendre ou refusent quon les instruise, se sentiraient-il en échec ?
Si les formateurs entretiennent lambiguïté, cest probablement quils en tirent un certain profit " moral ". Ce sont eux qui veulent instruire enfants et adolescents, " pour leur bien ". Mais, lorsque lentreprise naboutit pas, plutôt que de se sentir ou de se dire en échec, cest lélève quils déclarent en échec, lui faisant porter la plus grande responsabilité, affirmant quil nest pas " capable ", quil souffre de nêtre pas assez mûr, intelligent, travailleur, sérieux, motivé, docile, ordonné, ponctuel, actif, autonome, organisé ou lucide pour apprendre " correctement ".
Est-ce simple perversion ? Confusion mentale ? Non, lattribution de léchec à lapprenant tient plutôt au statut de lenfant et de ladolescent, à lextrême difficulté quéprouvent les adultes à imaginer que les jeunes puissent ne pas se ranger à leurs " évidences ". Notre société ne laisse guère le choix : soit ils intériorisent les valeurs des adultes et les projets de formation quon leur propose, et du coup léchec scolaire devient leur échec ; soit ils refusent cette " projection " et se retrouvent stigmatisés comme déviants, caractériels, mauvais sujets ou personnalités perturbées. En pratique, certains parviennent à naviguer entre ces rives : ils feignent dintérioriser le projet des adultes, pour éviter une prise en charge lourde et flirtent avec les limites, donnant, au bon moment, juste assez de signes de conformisme pour sauvegarder une relative quiétude.
Division du travail et attribution de léchec
Dautres raisons tiennent à la logique des organisations et de la division du travail éducatif entre adultes. De gré ou de force, les parents cèdent leurs enfants à lécole vingt à trente heures pas semaine, durant dix à vingt ans. Comment nattendraient-ils pas de linstitution scolaire quelle tienne ses promesses ? Cette dernière sait bien que sa prétention exorbitante loblige, soit à réaliser son intention dinstruire, soit à se disculper en attribuant léchec à lélève ou à sa famille. À qui la faute, si tel enfant de six ans ne sintéresse pas aux livres et ne manifeste aucun " prérequis " de la lecture ? " Votre enfant nest pas tout à fait normal ", laisse-t-on entendre aux parents. " Il est peu développé, lent, pas très motivé, pour tout dire peu doué. Peut-être parviendra-t-on finalement à linstruire. Mais ne vous étonnez pas sil doit redoubler, aller dans une classe spécialisée ou achever sa scolarité dans une filière peu exigeante. De lécole, vous ne pouvez attendre de miracle ! "
Tous les enseignants ne tiennent pas ce discours. Paradoxalement, ceux qui le tiennent sy accrochent dautant plus quils en pressentent les faiblesses. Certes, à limpossible, nul nest tenu. Il reste à savoir qui définit limpossible ? Que dit exactement lécole ? Quelle ne peut rien pour quelques élèves décidément trop " déviants " ou " handicapés " pour relever dune simple action pédagogique ? Ou quelle ne peut rien pour tous ceux qui suivent sans grand profit un enseignement traditionnel, frontal et sélectif, mais pourraient apprendre dans dautres conditions ?
Le rapport entre échec scolaire et redoublement est difficile à cerner précisément parce quil participe de logiques de la dénonciation ou de la justification. Selon ce quon veut démontrer, selon la position quon occupe et les responsabilités quon assume, on construira autrement le rapport entre échec et redoublement. Si le redoublement augmente &endash; ou ne diminue pas, en dépit des promesses &endash;, ceux qui sont comptables de lefficacité de lécole seront tentés de nier ou de minimiser la relation entre redoublement et échec, surtout sils ne peuvent imputer laccroissement du redoublement à la dégradation des moyens ou à la difficulté accrue de la tâche. À linverse, ceux qui critiquent le système éducatif, la sélection, labsence de démocratisation ont intérêt à voir dans le redoublement un symptôme de léchec scolaire comme échec de lécole à réaliser son projet éducatif. Comment espérer que ces définitions et reconstructions à des fins tactiques puissent aider à y voir clair ?
Pourtant, il importerait dy voir clair, notamment pour savoir si, lorsquon a supprimé ou fortement atténué le redoublement, on a pour autant supprimé léchec scolaire. Tout dépend, une fois encore, de la définition quon choisit de donner de léchec. Dun point de vue politique étroit, un gouvernement prêt à supprimer le redoublement pourrait être tenté de lassimiler à léchec scolaire, comme il confond nombre officiel de demandeurs demploi et ampleur du chômage. Les démocraties nous ont habitués à ces tours de passe-passe : lorsquon na pas les moyens ou la volonté de sattaquer aux causes profondes des problèmes, on peut tenter de faire disparaître certains symptômes. Mais quel est lintérêt de lopération à long terme ? Les efforts " cosmétiques " diffèrent plutôt le moment de sattaquer aux vrais obstacles. La fortune des idées simples et miraculeuses fait toujours perdre des années !
Nul ne va à lécole pour gâcher une ou plusieurs années de sa vie en redoublant inutilement. En ce sens, une école qui renonce à faire redoubler met fin à une forme particulière de gaspillage. Il reste lessentiel : on va en classe pour apprendre, pour accumuler un capital de connaissances et de savoir-faire permettant daffronter lexistence, dans la sphère professionnelle aussi bien que dans celles de la politique, des loisirs, de la vie privée. Cest donc sur ce projet quil faut juger de la réussite ou de léchec, tant des élèves que de lécole.
Que faire des inégalités réelles dapprentissage ?
Qui pourrait prétendre quen supprimant le redoublement on combat ipso facto les inégalités dapprentissage ? Sans doute combat-on les inégalités chaque fois que la progression régulière dans le cursus permet à lélève de conserver le goût dapprendre, la confiance en soi, des rapports pacifiques avec ses proches. Nul ne saurait affirmer quil en va toujours ainsi. On peut même avancer lhypothèse inverse : si rien dautre ne change &endash; dans les exigences, la pédagogie, la prise en charge des élèves en difficulté &endash; la promotion automatique peut éloigner plus encore certains élèves de la culture scolaire, les installer définitivement dans la peau de ceux qui, résignés à ne plus rien comprendre, vivent à lécole sans participer aux apprentissages.
Les systèmes qui ont supprimé le redoublement appartiennent souvent à des sociétés plus soucieuses que dautres, du moins durant la scolarité obligatoire, du développement de la personne, de la socialisation, de lintégration sociale, du respect des différences. Dans les cultures francophones européennes, lécole reste plutôt le lieu de la performance intellectuelle et de lappropriation des savoirs, dans une visée élitiste, mais aussi dans une visée républicaine, lorsque la démocratie passe par laccès à lautonomie intellectuelle et aux savoirs. Peut-être les cultures méditerranéennes sont-elles aussi beaucoup moins que les cultures nordiques portées à faire confiance aux capacités de développement et de régulation des enfants et des adolescents, et à vouloir assurer aussi bien léducation que linstruction par une prise en charge de chaque instant. Cest pourquoi il serait absurde de proposer le modèle scandinave ou anglo-saxon aux pays francophones sans tenir compte de différences culturelles qui se traduisent par des conceptions différentes des finalités de lécole obligatoire, de la maîtrise des savoirs, du développement des personnes, donc du curriculum. Pour les uns, la scolarité de base propose un parcours éducatif dont les savoirs ne sont quune composante, qui met laccent sur le développement moral, social, physique et intellectuel, qui vise lacquisition de compétences globales : savoir, raisonner, communiquer, sexprimer par les arts ou le corps, imaginer, coopérer. Pour les autres, lessentiel est de parcourir des champs disciplinaires constitués de réseaux denses de savoirs et de concepts. Les uns saccommodent dune organisation par cycles détudes de deux ou trois ans orientées par des objectifs généraux et une évaluation large. Les autres insistent sur des découpages annuels et une évaluation sommative omniprésente. Les uns sont ouverts, transdisciplinaires, les autres composés dune juxtaposition de domaines disciplinaires.
Cette opposition est évidemment caricaturale, car nombre de systèmes éducatifs se situent aujourdhui dans lentre deux. Ils ne sont pas figés. LItalie et lEspagne ont fortement évolué vers des programmes ouverts, la France et la Belgique ont avancé plus récemment dans ce sens. Mon propos nest pas de simplifier des phénomènes complexes. Il est de souligner que toutes les sociétés ne vivent pas et nexpriment pas pareillement le souci de maintenir le niveau des classes, ou de ne pas placer certains élèves au-dessous dun seuil minimal de connaissances au moment où ils abordent de nouveaux apprentissages. La réflexion sur le redoublement, dans une perspective anthropologique et historique, ne peut être détachée dun contexte institutionnel et culturel qui explique lobsession du niveau ou au contraire un certain détachement à légard de lexcellence. Les études internationales semblent montrer, comme lindique Crahay (1992), que le niveau global de formation des générations aussi bien que des élites nest pas plus élevé dans les sociétés qui font redoubler davantage. Il reste que les raisonnements des uns et des autres sancrent dans des cultures qui donnent des places différentes à lobsession immédiate du niveau scolaire. Il est inutile de dire simplement aux francophones : " Vous voyez bien que les Britanniques ou les Scandinaves se débrouillent sans redoublement. Faisons comme eux ! " On ne peut faire comme eux sans devenir comme eux, sans adopter dautres systèmes de valeurs, dautres représentations de la culture, de lexcellence, des savoirs, de la sélection scolaire et sociale.
Jen tire une conséquence simple, déjà énoncée : on ne peut, dans de telles sociétés, supprimer purement et simplement le redoublement sans mettre en place dautres mécanismes capables de " maintenir le niveau ", puisque cest lenjeu dominant. Sans doute, une partie du problème se résout-il de lui-même au gré dune évolution progressive des sociétés, qui les rapproche du modèle scandinave. Une telle évolution culturelle ne se décrète pas. Si lon veut aller plus vite, et supprimer ou affaiblir rapidement le redoublement, il faut proposer autre chose. Ne pas nier ou banaliser les inégalités dapprentissage. Ne pas faire comme si elles allaient toutes disparaître comme par miracle du seul fait quon ne les sanctionne plus par des redoublements.
De vraies inégalités
Les hiérarchies dexcellence ne sont pas bâties sur rien et les élèves qui redoublent sont, dans leur majorité, ceux qui ont de véritables difficultés dapprentissage, même si on peut faire la part des erreurs de mesure (attentes diverses selon les classes et les établissements, Grisay, 1988) et des " erreurs judiciaires " (blocages de la communication ou de la relation qui créent des difficultés intellectuelles apparentes alors que le problème est ailleurs).
Le redoublement ninvente pas les difficultés dapprentissage. Certes, il les stigmatise et les assortit dune sanction lourde : refaire lannée. Ce faisant, il détourne de lessentiel : une partie des élèves qui passent beaucoup de temps à lécole napprennent pas ce quils sont censés y apprendre. Ou du moins pas assez vite ou solidement pour quon puisse affirmer que la scolarité a joué son rôle. Le redoublement est un leurre si on le tient pour autre chose que la partie émergente de liceberg : il y a beaucoup plus délèves en difficulté grave que délèves qui redoublent. Il serait naïf de croire que les 92 ou 95 ou 98 % des élèves qui progressent dans le cursus maîtrisent confortablement les connaissances et les savoir-faire dont lécole prétend favoriser la construction.
Comme le rappelle Hutmacher (1993), comme je lai montré en analysant la fabrication des jugements dexcellence (Perrenoud, 1986, 1995 a), le procédé qui déclare un élève en réussite ou en échec, suffisant ou insuffisant, obéit à tant de logiques quon ne peut, à partir des taux de redoublement, rien inférer de solide quant au niveau réel des acquis (moyenne et dispersion) dune cohorte délèves. Pas plus quon ne peut interpréter les variations du taux de redoublement ou de retard scolaire comme indices dune hausse ou dune baisse du niveau réel dinstruction. Le point de coupure relativement arbitraire quon fait passer entre les moyens et les mauvais élèves est moins important que ce quil nous rappelle : lexistence de fortes inégalités de capital culturel dès le début de la scolarité obligatoire.
La fabrication des inégalités réelles
Jai distingué ailleurs (Perrenoud, 1992 c) trois mécanismes principaux de fabrication de léchec scolaire : lévaluation, le curriculum et le traitement des différences. Je mattacherai ici surtout au dernier.
Lévaluation nest certes pas un simple thermomètre, elle participe à la fabrication des inégalités réelles, parce quelle les met en lumière et modifie de ce fait limage de soi de lélève, le traitement quon lui réserve dans sa famille et à lécole. Même lorsquelle nest quun simple reflet des inégalités de compétence, lévaluation change la suite des événements. Elle stimule parfois une régulation dans le sens des objectifs, elle agit parfois en sens inverse, en stigmatisant et en démobilisant les " mauvais élèves ". Même lorsquelle nen rajoute pas, ne dramatise pas dinfimes écarts, ne fabrique pas des inégalités de son cru, lévaluation nest jamais innocente. Un bilan " objectif " peut être néanmoins destructeur, parce quil induit forcément un jugement et des hiérarchies dexcellence dès lors que la comparaison est possible. Toutefois, conservons aux choses leurs proportions : lévaluation, aussi normative, sélective, arbitraire soit elle, nest pas le mécanisme majeur de fabrication des inégalités réelles.
Faut-il sen prendre aux programmes et aux modèles didactiques ? Il est évident que des choix idéologiques et politiques façonnent la culture scolaire, mais aussi les didactiques et le rapport pédagogique, et sous-tendent aussi bien le curriculum formel et réel que les formes et les normes dexcellence. Ce sont ces choix qui, statistiquement, mettent les enfants issus des classes populaires à une plus grande distance culturelle des programmes et des normes dexcellence scolaires que les enfants issus des classes les plus instruites. Le problème est dimportance, mais les solutions ne sont pas à portée de main : la norme scolaire nest-elle pas inéluctablement à distance inégale des élèves ? Comment les enfants des adultes qui ont réussi à lécole ne seraient-ils pas, au départ de la scolarité, puis de tout apprentissage scolaire nouveau, favorisés à leur tour, dune façon ou dune autre ?
Limportant est que ces différences initiales, qui portent sur le " capital culturel scolairement rentable " aussi bien que les attitudes favorables au travail scolaire, ne se transforment pas en inégalités durables de capital scolaire. Bourdieu a, dès 1966, analysé le moteur principal de la fabrication des inégalités dapprentissage scolaire : lindifférence aux différences. Il suffit, disait-il, de traiter les élèves comme égaux en droits et en devoirs pour que les différences et inégalités de départ &endash; personnelles, culturelles &endash; se convertissent en inégalités dapprentissage scolaire. Jai maintes fois nuancé ce constat : lindifférence aux différences nest jamais totale (Perrenoud, 1982 b, 1985 a, 1992 c, 1993 b). Mais elle est assez grande pour produire des effets majeurs.
Le redoublement est, avec la création de filières spécialisées, la tentative la plus ancienne dhomogénéiser les groupes délèves, donc de tenir compte de leurs différences de niveau. On sait que cela ne suffit pas. Depuis les années 1960-70, les pédagogies compensatoires, devenues en Europe pédagogies de soutien, ont tenté dapporter de laide individualisée aux élèves en difficulté. Cette forme externe de différenciation nest pas négligeable, mais elle nest pas non plus à la hauteur des écarts.
Depuis 1a fin des années 1970, les pédagogies de maîtrise et les pédagogies différenciées ont pris le relais, du moins sur le papier car, contrairement au soutien pédagogique, elles ne sont pas aujourdhui réalisées à large échelle sur le terrain, même si de nombreux systèmes éducatifs sen réclament. Il nest plus temps par conséquent de les " découvrir ". Il importe de comprendre pourquoi une idée aussi simple et séduisante ne se réalise pas. Et si lon passait à lacte, suggérait Huberman (1988) à propos des pédagogies de maîtrise. Quest-ce qui nous en empêche ?
Jai développé ailleurs (Perrenoud, 1988 a) lidée que la pédagogie de maîtrise est une utopie rationaliste et quelle suppose, si on ne veut ni ne peut en faire un dispositif livré clés en main, une compétence, une identité, une autonomie et une responsabilité nouvelles des enseignants, bref une autre formation et une réelle professionnalisation du métier. Pour être en mesure dadapter les situations didactiques à chaque apprenant, dindividualiser les contrats et les parcours, les enseignants ont besoin de qualifications et doutils nouveaux, qui passent par une transformation globale aussi bien de la formation que des conditions dexercice du métier, en particulier sous langle de la coopération professionnelle. Cest pourquoi cest un long chemin, même si lon peut différencier tout de suite (Perrenoud, 1995 c) et favoriser la politique des petits pas. À condition de ne pas se cacher la liste impressionnante des deuils quune pédagogie différenciée demande aux enseignants (Perrenoud, 1992 a). Leur évolution personnelle vers la pédagogie différenciée ne saurait être une simple ascèse, elle passe par la découverte et la construction dautres plaisirs professionnels, qui équilibrent la perte de sécurité, dénergie, de maîtrise, de narcissisme quinduit le renoncement au pouvoir et à la place traditionnelle de lenseignant au centre dun groupe. La différenciation fait partie du scénario pour un métier nouveau dont parle Meirieu (1989). Mais il serait absurde dattendre le changement du côté des enseignants seulement.
Différenciation et nouvelles didactiques
Trop souvent encore, la différenciation est attendue " par dessus le marché " : on fait comme si on pouvait conserver les programmes, les procédures dévaluation, les didactiques, les moyens denseignement, les temps et les espaces scolaires traditionnels tout en demandant aux enseignants dajuster leur action pédagogique à chaque enfant. Or la tâche ainsi conçue est surhumaine. Elle suppose que les enseignants trichent constamment avec les programmes, les méthodes, les règles dévaluation. Cela absorbe une énergie considérable et met en porte-à-faux avec linstitution, qui ferme les yeux si tout se passe bien, mais applique les critères traditionnels dans le cas contraire.
Pour différencier, il faut alléger les programmes (Perrenoud, 1990), sen tenir au noyau dur, aux compétences essentielles. Et avoir le droit de ne consacrer ni temps, ni effort, à des apprentissages qui, hic et nunc, nont aucun sens pour tel ou tel élève. Ce qui oblige à lévidence à rompre avec les programmes annuels et les parcours imposés.
Les méthodes dévaluation doivent évoluer parallèlement. Non seulement pour substituer une évaluation formative à lévaluation normative traditionnelle, mais pour autoriser les enseignants à évaluer le développement de compétences essentielles plutôt que dacquis notionnels moins importants mais plus facile à attester. Il faut donc accorder aux enseignants le droit de prendre des risques calculés, de garder le meilleur de leurs forces pour observer leurs élèves et cerner leurs fonctionnements, leurs attitudes et leurs acquis plutôt que pour " instruire " un perpétuel " procès en ignorance ", avec une débauche de preuves à opposer au scepticisme et aux protestations des élèves et des parents. Ce qui suppose une sélection moins unilatérale, une vraie coopération avec les parents, un pari sur leur lucidité. Aussi longtemps que lévaluation est une machine de guerre pour exclure de force des élèves de filières exigeantes ou imposer leur redoublement, elle ne peut être formative. Elle ne peut même pas se concentrer sur lessentiel. Peut-être lessentiel nest-il pas, comme chez Saint-Exupéry, " invisible pour les yeux ", mais il échappe à lévaluation aussi longtemps que sa logique principale est de nêtre jamais prise en défaut, du fait quelle soppose aux espoirs et aux projets de certains usagers.
Ces thèmes sont connus. Peut-être faut-il insister davantage sur les méthodes et les moyens denseignement. Dans nombre de systèmes scolaires, on pense encore quil y a un bon manuel et une bonne méthode pour tous les élèves et toutes les classes. Tout sest passé longtemps comme si la différenciation commençait au delà de la didactique. Les pédagogies de maîtrise, dans leur conception originale, ajoutaient un étage à un édifice didactique pour lessentiel inchangé, létage de la remédiation différenciée pour les élèves nayant pas atteint le seuil de maîtrise visé. Ce premier progrès, décisif, en appelle un autre : lélargissement de la pédagogie de maîtrise dans le sens de modèles de régulation moins sommaires (Allal, 1988) et plus généralement en direction des didactiques disciplinaires ; ce qui suppose, dans le même temps, louverture de ces didactiques à la problématique de la différenciation comme axe principal plutôt que corollaire facultatif et mineur (Perrenoud, 1993 c).
Les chercheurs qui sintéressent à lévaluation formative ont ouvert la voie : depuis 1986, lAssociation pour le développement des méthodologies dévaluation en éducation (ADMEE), au fil de ses congrès, approfondit les relations entre évaluation formative et didactiques disciplinaires (Allal, 1988 b ; Bain, 1988). La tentative est plus avancée en français (Allal, Bain et Perrenoud, 1993). Il reste à létendre à dautres disciplines et surtout à situer encore plus explicitement lévaluation formative dans ce qui lui donne son sens : un dispositif de pédagogie différenciée. Actuellement, de tels dispositifs sont souvent ajoutés aux propositions des didacticiens, au gré dun bricolage hasardeux. Mieux vaudrait ne mettre en circulation que des modèles didactiques intégrant dès le départ la problématique de la gestion des différences, de la diversité des cultures, de lhétérogénéité des publics, de la diversification des parcours dapprentissage. Non pas seulement pour reconnaître lexistence du problème et inviter les praticiens à y être sensibles, à la manière dont les modes demploi des médicaments attirent lattention sur les effets secondaires. Il sagit de donner des outils de gestion des différences, de concevoir une didactique plurielle, " tout terrain " (Perrenoud, 1993 c). Les travaux de Meirieu (1989, 1990) y contribuent, comme ceux de Develay (1992), dAstolfi (1992), de Clerc (1992), des Cahiers pédagogiques, du Groupe français déducation nouvelle, du mouvement Freinet. On ne part donc pas de zéro, mais on est très loin dune large diffusion de ces idées dans les établissements.
Si lon va dans ce sens, il faudra assumer la contradiction entre deux injonctions faites au corps enseignant : dune part différencier, dautre part pratiquer une pédagogie du sens, de la communication, de la recherche, du projet, de loccasion, une pédagogie interactive et constructiviste. La contradiction nest ni théorique ni politique : sur le plan des idées, rien noppose le souci de différenciation aux méthodes actives. La contradiction est pratique : la différenciation suppose une grande rigueur dans la définition des objectifs, dans lobservation des apprenants, dans la régulation des apprentissages, dans la gestion des parcours. Les pédagogies du projet, interactives et constructivistes, sont au contraire du côté de la négociation, de limprovisation, de dynamiques collectives complexes qui empêchent de sintéresser constamment à chacun si lon veut préserver lensemble. Il appartient aux mouvements pédagogiques et aux didacticiens et autres chercheurs de ne pas laisser chaque enseignant " se débrouiller " avec ces contradictions. Elles doivent être reconnues et dans la mesure du possible dépassées dès la conception des programmes, des méthodes, des moyens denseignement, des procédures dévaluation.
Individualisation des parcours et cycles pédagogiques
On peut différencier tout seul, entre les quatre murs de la classe et dans le temps dune année scolaire. Toutefois, dans de telles conditions, il est difficile de différencier suffisamment pour faire face à lampleur des écarts. Il semble donc indispensable de faire éclater le carcan des degrés et les cloisonnements induits par lactuelle division du travail pédagogique. Sur la base de cette analyse, en France, en Belgique, à Genève, lécole primaire introduit des cycles dapprentissage qui insistent sur la construction continue de compétences clés, à travers des activités disciplinaires, mais aussi des situations didactiques développant des compétences transversales. Dans une telle organisation, le redoublement na plus guère de raison dêtre, chaque enfant progresse à son rythme, le cas échéant en parcourant un cycle un peu plus vite ou un peu moins vite, de préférence en suivant un parcours individualisé lui permettant de progresser diversement selon les domaines.
Il est pertinent daller résolument dans ce sens, à condition de reconnaître que les cycles pédagogiques noffrent quune structure qui permet lindividualisation des parcours dapprentissage, mais ne la garantit pas. Pourquoi ? Parce quil ne suffit pas de décréter le décloisonnement dans les structures pour quil sopère dans les esprits. Parce que la gestion sur trois ans ditinéraires diversifiés est dune extrême complexité et fait peur aux inspecteurs, aux chefs détablissements et aux enseignants : les uns deviennent responsables dune organisation dont les fonctionnements se diversifient, se recomposent et changent avant même davoir été documentés. Les autres doivent renégocier constamment une division équitable du travail, des territoires, des zones dautonomie et des modalités de travail en équipe (Perrenoud, 1993 d, 1993 f, 1994 c). Louvrage édité par Bauthier, Berbaum et Meirieu (1993) donne une idée de cette complexité. Je la résumerai en reprenant le tableau des peurs à dépasser et des maîtrises à construire que javais proposé alors (Perrenoud, 1993 b) :
Sans doute devrait-on en ajouter quelques autres, par exemple la peur de lautonomie et de limprévu au troisième niveau, et la peur de ne pas savoir articuler les trois niveaux. Les cycles pédagogiques ne confrontent pas à tous ces problèmes au même degré, parce quils limitent les possibilités de groupement des élèves, parce quils portent sur la scolarité élémentaire et primaire &endash; tronc commun &endash; et mobilisent des enseignants généralistes, parce que les compétences transversales sont à cet âge moins difficiles à développer, en raison du moindre poids des savoirs disciplinaires. Il reste bien assez de peurs à dépasser et de maîtrises à construire pour " y perdre son latin ".
Les idées de cycles pédagogiques et dindividualisation des parcours de formation, loin dêtre des solutions magiques, ouvrent dimmenses chantiers dont ne sortiront des résultats convaincants que si lon ne fait pas peser sur la bonne volonté des enseignants tout le travail dinvention dune nouvelle façon denseigner, dévaluer, de décider, de coopérer avec ses collègues (Perrenoud, 1994 a).
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Système denseignement |
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Le Ministre nest évidemment que lemblème du politique. Mais peut-être nest-ce pas par hasard que lexpression surgit : les politiques de léducation sont très souvent faites dune suite dinitiatives ou de réformes prises par des ministres successifs. Certes, les textes sont préparés par des administrations plus stables, les problèmes et les solutions possibles ne changent pas du jour au lendemain, les faits sont têtus et devraient interdire de dire ou de faire nimporte quoi. On assiste cependant à des alternances peu favorables à une action à long terme.
La continuité des politiques publiques
Cest lun des problèmes majeurs des démocraties, en particulier en matière déducation. On ne peut espérer, en une législature, venir à bout de linégalité devant lécole, pas plus que du chômage ou de la pollution. Ceux qui prennent des décisions essentielles pour lavenir nen voient en général pas les effets ; on ne leur en saura gré que bien plus tard. Or, en politique, il faut montrer quon agit en moins dune législature. Il est donc tentant de prendre des décisions spectaculaires, même si elles sont sans véritable portée et risquent de casser les efforts patients des professionnels et de ladministration.
Peut-être, sur le modèle du Conseil national des programmes &endash; créé en France par le gouvernement socialiste, immédiatement mis en sommeil par le gouvernement qui lui a succédé, puis ranimé &endash; devrait-on instituer dans chaque système national ou régional une instance indépendante du gouvernement, assurant la continuité sinon de la politique de lutte contre les inégalités et léchec scolaire, du moins de la recherche et de la doctrine de base, par delà les changements politiques et les fluctuations de la conjoncture. Hormis quelques spécialistes, qui travaillent régulièrement sur le thème de léchec scolaire et de la démocratisation de lenseignement, les systèmes éducatifs et les sociétés semblent en effet frappés dinconstance : on passe par des phases de prise de conscience et des phases doubli, des temps dactivisme et des temps dattentisme, des humeurs défaitistes et des humeurs optimistes. On redécouvre tous les cinq à dix ans lampleur du problème, on pousse de hauts cris, on lance de grandes idées, et le soufflé retombe jusquà la prochaine fois.
Ce que le Ministre pourrait faire de plus utile, cest de garantir la continuité, de ne pas tout recommencer à zéro lorsquil arrive au pouvoir, de bâtir ou de poursuivre une politique à long terme, de chercher un large consensus plutôt que de renforcer les clivages. Cela ne veut pas dire que certaines réformes de structures sont inutiles. Mais elles nont de sens que sur une toile de fond faite dincitations concrètes au changement décentralisé, encadré et stimulé par des perspectives claires et souvent réaffirmées à léchelle du système dans son ensemble. Souvent, il suffirait dencourager, de renforcer les maîtres et les établissements qui sont prêts à sengager dans la lutte contre léchec scolaire. Plutôt que de donner un nouveau mot dordre, pourquoi ne pas reconnaître quune partie des professionnels attendent simplement quon leur donne le droit dinnover, et parfois quelques moyens, par exemple la possibilité de sassurer le concours dintervenants externes capables daccompagner un projet détablissement.
Quant aux maîtres et aux établissements qui se satisfont du statu quo, il nest pas nécessairement inutile de leur donner de claires injonctions. Mais lessentiel consisterait à examiner, avec les formateurs, les chercheurs, les inspecteurs et les chefs détablissements, ce qui empêche telle école ou groupe denseignants de prendre des risques.
En bref, les " grandes politiques ", qui transforment les structures et fixent des objectifs, mériteraient dêtre prolongées de façon différenciée. Pour les uns, elles ne font que confirmer un mouvement déjà engagé, pour dautres, elles sont un point de départ. Il peut paraître ingrat, pour un responsable politique, de nêtre quune personne-ressource au service dinnombrables processus dinnovation décentralisés qui se sont pour une part amorcés avant son arrivée et se poursuivront après son départ. Mais nest-ce pas exactement ce quon attend aujourdhui des enseignants, face aux processus de développement et dapprentissage de leurs élèves ?
Que faire ?
Mon propos insiste sur la complexité. Je ne voudrais pas cependant que le sens des nuances contribue à " noyer le poisson ". Jaboutis je crois à une conclusion assez claire : il faut supprimer le redoublement tout en développant dautres formes de traitement des différences.
Reste à savoir comment faire évoluer vers moins de redoublements un système éducatif qui est encore fortement attaché à cette formule ? Deux voies se présentent :
Selon les systèmes scolaires, lune ou lautre peut se révéler plus praticable, plus défendable. La stratégie douce est nécessairement lente : rompre avec lindividualisme et aller dans le sens dune culture de coopération (Gather Thurler, 1993) prendra beaucoup de temps et passera par une professionnalisation accrue du métier denseignant (Perrenoud, 1993 e et f). Faut-il attendre encore quelques décennies, espérer que le redoublement disparaîtra comme tombe un fruit mûr, une fois que les esprits seront préparés à des fonctionnements alternatifs ? Ou faut-il brusquer les événements ?
Je le crois. Si lon na pas le courage de supprimer purement et simplement le redoublement, ou si les conditions politiques ne le permettent pas, on pourrait au moins tendre à en faire une décision exceptionnelle, prise de façon concertée, en faisant la preuve quelle est une bonne solution compte tenu de tous les facteurs connus et de la volonté des acteurs concernés, y compris lélève et ses parents. Il ne suffit pas de lannoncer. Il faut ensuite vérifier que les acteurs, dans un premier temps dociles, ne reviennent pas progressivement à des redoublements plus nombreux. Ce qui est inéluctable si lon compte uniquement sur des décisions autoritaires, sans que changent les esprits. Et si lon pense sêtre de la sorte débarrassé du problème de léchec scolaire et de linégalité.
Les acteurs joueront mieux le jeu, parfois contre leurs convictions intimes, si lon prend dans le même temps un ensemble de mesures favorables à lindividualisation des parcours de formation et à la différenciation de lenseignement.
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