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Enjeux, atouts et limites des interventions de formation continue dans le cadre des établissements scolaires
Philippe Perrenoud
Faculté de psychologie et des sciences de
léducation
Université de Genève
1996
Travailler avec un collectif : le meilleur et le pire
Alors que la formation continue des enseignants sest développée dabord, presque partout, en faisant venir les enseignants dans un lieu de formation extérieur à leur lieu de travail, sur la base dinscriptions individuelles, on tend de plus en plus à développer des interventions auprès déquipes ou de groupes constitués dans le cadre du même établissement.
Est-ce nécessairement un progrès ? Pour neutraliser les effets de mode, mieux vaudrait savoir exactement pourquoi tel ou tel site convient mieux. Je me propose, dans une première partie, de montrer que linsertion de la formation continue dans un établissement ne donne pas que des atouts, quelle rend parfois les choses plus difficiles, que tout dépend de la configuration des forces, du climat de létablissement, de la genèse de la demande, de la position de la direction et dautres facteurs complexes.
Dans une seconde partie, jexaminerai un autre problème : alors que la formation hors de létablissement est une pratique spécifique, qui renvoie au rôle ou au métier bien identifiés de formateur dadultes, la formation en établissement peut évoluer plus ou moins délibérément et explicitement, vers dautres formes dintervention : médiation, conseil, audit, accompagnement de projet, participation à la production de moyens ou dactivités didactiques. Je tenterai de recenser les compétences nouvelles requises de formateurs pour intervenir en établissement et éventuellement élargir leur rôle.
Quels sont les avantages de la formation en établissement ? Il ny a pas de liste constituée et je ne suis pas certain que le travail dinventaire méthodique des arguments ait été fait. Sil fallait lesquisser, on pourrait évoquer les suivants :
Je vais reprendre un à un ces arguments et tenter pour chacun de mettre en évidence :
Il y a risque, en quelque sorte, didéalisation de létablissement et de méconnaissance des résistances, avouables ou non, dune partie des formateurs.
Négocier la demande : avec qui ?
Les formateurs qui proposent une formation continue à des enseignants issus de divers établissements ont lhabitude davoir affaire à une collection de personnes qui :
ne forment pas un groupe, du moins au début et ne se sentent pas nécessairement appelées à se constituer en collectif ;
ont des attentes, des niveaux de départ et des intérêts divers, qui ne seront connus, en général, quau début de la formation, trop tard pour en tenir compte, sauf si le dispositif a anticipé cette diversité.
Cette façon de faire pourrait sembler navoir que des inconvénients, ce qui pousserait inconditionnellement à favoriser des formations en établissements. Nuançons le tableau.
De lambivalence des formateurs
Il nest pas sans intérêt de pouvoir décider dune offre sans avoir à la négocier avec les intéressés. Compte tenu de la difficulté de réunir les inscrits avant la formation et des limites des consultations écrites, même le formateur le plus désireux de tenir compte des usagers est tenté de se dire " On verra bien ". Dautres préfèrent résolument décider seuls du contenu, même si cest inavouable, parce que ce qui les intéresse dans la formation continue, cest loffre, plus que la demande. Lorsquil se sent porteur dune compétence de haut niveau, le formateur est tenté de se prendre pour un expert en quête dun public digne de lui. Si, au contraire, il ne se sent pas beaucoup plus qualifié que les formés, il peut craindre une négociation qui lobligerait très vite à saventurer hors de son champ de compétences.
Dans le système scolaire, la formation continue est, dans une large mesure, assurée par des enseignants. Une partie dentre eux enseignent encore. Dautres retourneront dans une école, un collège ou un lycée. Cela signifie que leur identité principale reste denseigner. Or, enseigner, ce nest pas construire à partir de la demande, cest bâtir un cours à partir dun programme, en espérant avoir à négocier le moins possible. Dans les classes, on négocie, inévitablement, mais cest un mal nécessaire plutôt quune vertu. On entretient, dans lécole, le rêve dun enseignement si bien conçu quil fonctionnerait sans avoir à sajuster constamment aux désirs, aux stratégies ou au niveau effectif des apprenants. On lajuste de fait, dans la mesure où on na pas vraiment le choix, mais on le vit souvent comme un écart à une situation idéale.
Cest évidemment lié au fait que lenseignement se planifie à partir dun contenu préexistant dont la transposition didactique exige, en quelque sorte, le maximum de temps et de cohérence. La négociation est alors inévitablement ressentie comme une forme de perturbation.
On peut donc parfaitement comprendre quune partie des formateurs résistent, plus ou moins sourdement, à la vogue des formations en établissement, pour préserver leur pouvoir dans la définition des contenus et des démarches. Le temps disponible est un facteur important : plus le temps de formation prévu est court, moins la négociation a de sens
De la difficulté dactualiser les potentialités
Peut-être se font-il du souci pour rien. Car on aurait tort de croire que, du simple fait que la formation a lieu dans le cadre dun établissement, la démarche devient collective, quon a affaire à un groupe et que lhomogénéité des participants est plus forte. Pour que cette intégration se produise, il faut sans doute que la demande émane dun groupe constitué, qui se donne un projet de formation, utilise dans un premier temps ses ressources internes, puis fait appel à des ressources externes sur la base dune analyse concertée des besoins et, jusquà un certain point, dune homogénéisation des niveaux de départ.
Ce nest ni impossible, ni automatique. Il ny a pas aujourdhui, dans la culture professionnelle des enseignants et des établissements, dévidences partagées à ce sujet. Ce qui signifie que lon peut, dans un établissement, se retrouver exactement dans la même situation que lorsquon réunit des enseignants dispersés, avec deux caractéristiques qui peuvent devenir alors des handicaps :
Le formateur ne peut, à lui seul, transformer la dynamique et la culture dun établissement, létat des relations professionnelles et des représentations. Il a en revanche le droit de ne pas être naïf et de chercher à savoir " où il met les pieds ". Si la formation est de longue durée, concerne une fraction importante des enseignants et touche à des thèmes essentiels, les choses peuvent évidemment changer.
Le projet détablissement, en façade ou au cur du problème ?
La connexion avec un projet détablissement ou déquipe est évidemment au cur du plaidoyer pour les formations en établissement. Est-ce si simple ?
De lambivalence des formateurs
Il nest pas facile, venant de lextérieur, de se mettre au service dun projet :
Le formateur peut se sentir utilisé sans être associé, assigné à " boucher un trou " sans être consulté sur la démarche qui conduit à formuler telle ou telle demande. Pour un formateur, il est assez frustrant dêtre simple prestataire de service lorsquil a limpression quil pourrait être plus utile si on lintégrait à la démarche. Dune certaine façon, les rapports de pouvoir sinversent. Les équipes engagées dans un projet peuvent être très égocentriques et ne pas être prêtes, de leur côté cette fois, à une négociation.
De la difficulté dactualiser les potentialités
Les rapports entre projet détablissement et demande de formation sont complexes. Lobservateur extérieur peut avoir limpression que la formation survient trop tôt ou trop tard dans lhistoire du projet :
Les paradoxes des démarches de projet dans une classe sont en partie transposables à la formation des adultes : il arrive que dynamique de projet et formation soient antinomiques, dans le cas le plus bénin, faute davoir assez de temps et dénergie pour tout faire, dans des cas plus pervers, parce que le projet induit une certaine fermeture de la pensée et le besoin dêtre renforcé dans des certitudes plutôt que déstabilisé.
Ici encore, le formateur ne peut modifier le paysage à lui seul. Son atout principal est davoir assez de clés pour comprendre rapidement pourquoi on a besoin de lui dans le cadre dun projet et assez de lucidité pour saisir quil peut être lobjet dattentes fantasmatiques ou servir dalibi. Lorsquon a accepté lidée quune démarche de projet nest pas entièrement rationnelle, quil importe parfois de soutenir une dynamique ou déviter des conflits destructeurs davantage que daffronter de véritables problèmes, on risque dêtre moins surpris lorsquune demande de formation cache autre chose
Le poids du contexte et du climat
Même sil ny a pas de projet en bonne et due forme à la source dune demande de formation, il se passe toujours quelque chose dans un établissement scolaire. La formation dans ce cadre peut donc, dans le meilleur des cas, faire des liens avec les problèmes ou les intérêts du moment, donc se greffer sur des dynamiques locales, ce qui est supposé accroître son sens pour les participants.
De lambivalence des formateurs
Une partie des enseignants ne tiennent pas du tout à construire leur cours en intégrant le vécu des élèves. Ils ne sy sentent pas préparés, psychologiquement et dun point de vue didactique. Il sappliquent donc plutôt à renforcer la séparation entre lécole et le monde, à ne pas laisser surgir, dans le cadre de lenseignement, des questions existentielles qui désorganiseraient leur planification et brouilleraient le rapport au savoir quils tentent dinstaurer. La recherche en éducation et les mouvements décole nouvelle plaident depuis longtemps pour la contextualisation sociale des savoirs, en montrant que leur décontextualisation est une source déchec pour les élèves qui nont pas les codes culturels qui permettent de laisser toute sa vie au vestiaire pour se concentrer sur des leçons dallemand, de biologie ou dhistoire sans aucun rapport avec ce quon vit. Cest donc que ce nest pas si simple, que la forme scolaire nest pas faite pour intégrer, mais pour séparer.
Les formateurs peuvent avoir les mêmes réticences à faire entrer " la vie des gens " dans leur espace de formation. Probablement pour la même raison : le risque de perdre la maîtrise de la situation, de voir sengager des débats dont on nest plus chef dorchestre, mais spectateur passif ou acteur impliqué. On évoquera aussi le risque dêtre poussé aux limites de ses savoirs, ou même de ses convictions, voire dêtre interpellé sur ses propres pratiques de formation ou denseignement.
La prise en compte des dynamiques locales peut même conduire le formateur à se sentir parfaitement inutile. Supposons quil ait offert une formation technologique et que les esprits soient entièrement mobilisés par un conflit entre les professeurs et dautres acteurs (élèves, parents, direction, pouvoirs locaux, etc.). Le formateur qui perçoit le phénomène pourrait être tenté de dire " Je vous laisse, je reviendrai lorsque vous serez plus disponibles pour travailler avec moi ". Mais le planning étant ce quil est, chacun sauve les apparences Une certaine cécité est salvatrice lorsquon na pas les moyens ou la liberté de tenir compte de ce quon comprend !
De la difficulté dactualiser les potentialités
Sauf si le hasard fait bien les choses, il ny a pas de raison pour quune formation planifiée des semaines ou des mois à lavance tombe à point nommé pour répondre à un problème dactualité. La prise en compte du climat et des préoccupations du moment exige donc que le formateur se déplace, non pas seulement pour se rendre dans létablissement, mais pour rejoindre les acteurs là où ils sont quant à leurs représentations et attitudes. Cest évidemment plus difficile lorsquon est centré sur une technologie ou une didactique que lorsquon adopte une approche plus transversale et pédagogique, en entrant par lévaluation, la gestion de classe, les problèmes de discipline, dintégration ou de violence, les relations avec les parents, la vie scolaire, labsentéisme. Même alors, il reste à changer de cap, à faire autre chose que ce quon avait prévu. Cest simplement plus facile lorsquon adopte une perspective systémique et quon se sent à laise dans plus dun domaine.
Cette démarche suppose non seulement de la souplesse, mais aussi, paradoxalement, de la fermeté et une forte identité. Sinon, le formateur devient celui qui édifie, le temps dune journée, un " mur des lamentations ", qui autorise chacun à donner libre cours à ses états dâme, agressifs ou dépressifs. Il nest pas aisé de tenir une ligne de crête entre " Je nai rien à faire de vos problèmes, je ne suis pas venu pour vous tenir la main " et " Vous pouvez tout me dire, je suis à vos côtés ". Travailler à partir des problèmes du moment, mais sans renoncer à une formation digne de ce nom, ni changer complètement de cap, exige du formateur une grande compétence, beaucoup de sécurité et de métier.
Lanalyse de pratiques, démarche collective ou individuelle ?
Lanalyse des pratiques est à la mode. Se rapprocher de létablissement semble une façon de favoriser la prise en compte des pratiques, ou du moins denraciner la formation dans les situations effectives de travail. Cependant, il serait aventureux dimaginer que tous les formateurs aspirent à faire de lanalyse de pratiques, et naïf de croire que lon analyse mieux la pratique en sinstallant à côté de la salle de classe.
De lambivalence des formateurs
Le monde de la formation est prêt à " acheter " nimporte quoi de neuf et on trouve aujourdhui, aux côtés de gens expérimentés et compétents, nombre de formateurs qui se lancent dans lanalyse des pratiques comme si cétait la forme unique ou privilégie de formation des adultes. Cet engouement peut discréditer une démarche intéressante, mais qui demande une forme de compétence, de tolérance, déthique qui la réserve à une partie des formateurs.
Qui dit effet de mode dit nouvelle norme. Sil est assez aisé, et même assez snob, de décrier les idées à la mode, il est plus difficile, aujourdhui, de dire tranquillement " Lanalyse des pratiques, je crois que cest utile, mais jen suis incapable, je préfère donner des cours structurés, communiquer ce que je sais, je ne suis pas à laise quand les gens racontent et me font entrer dans la complexité de leurs raisons, étalent leurs doutes, leurs obsessions, leurs contradictions. Je narrive pas à retenir un jugement, ou je leur donne des conseils, cest plus fort que moi. Et toutes ces histoires narcissiques mennuient, les gens feraient mieux de se former sérieusement plutôt que de raconter leur vie ".
Si linstitution de formation a opéré le virage vers lanalyse des pratiques, une partie des formateurs ne lont pas pris, et nont pas de raison de le prendre. De ce point de vue, aller travailler dans les établissements pour être plus proches des pratiques nest pas ce dont ils rêvaient, au contraire. Mais peut-être est-ce tout de même mieux que de reprendre une classe à plein temps
De la difficulté dactualiser les potentialités
Pour ceux qui ont le projet et les moyens de sengager dans lanalyse de pratiques, linsertion dans létablissement nest pas nécessairement un avantage. Parler de sa pratique, cest se dévoiler, prendre des risques. Cest plus facile en face de personnes qui étaient hier des inconnus, qui ne savent de vous que ce quon veut bien leur raconter et quon ne côtoie pas tous les jours en dehors du groupe. Un groupe danalyse des pratiques nest ni un confessionnal, ni une procédure dinquisition, ni un tribunal populaire. On vient se former et on se forme dautant mieux quon se met en jeu. Mais cest au participant de peser le pour et le contre. Un groupe constitué danalyse de pratiques me semble en droit dexclure les voyeurs, ceux qui, régulièrement, ne sexposent pas et se nourrissent de la pratique des autres, parce quune norme de réciprocité est transgressée, ce qui peut finir par bloquer ceux qui veulent travailler sur leurs pratiques, et parce que les consommateurs de la pratique des autres prennent des places dans un dispositif de formation qui constitue une ressource rare. En contrepartie, le contrat doit protéger au maximum la liberté de parole, faire en sorte que les effets de lanalyse se limitent à ce quelle met en mouvement dans le groupe et dans la tête de la personne qui sexpose, ce qui est parfois déjà trop fort. Lidée de voir des choses dites dans ce cadre resurgir dans un autre, et y être utilisées contre le praticien téméraire, bloque à juste titre la parole. Entre collègues de travail, lanalyse des pratiques na donc de sens que si leurs relations professionnelles sont non seulement courtoises, mais impliquent estime mutuelle, respect des doutes, des contradictions et des erreurs de chacun, et solidarité dans la recherche des tenants et aboutissants de la pratique. Au formateur de juger si ces conditions sont remplies.
Même si elles le sont, il doit savoir que lanalyse des pratiques, lorsquelle réunit des gens qui coexistent dans le même établissement, sétendra inévitablement aux relations professionnelles et, de là, aux structures de communication et de pouvoir dans létablissement. Du coup, on se retrouvera au cur des problèmes institutionnels - où ny en a-t-il pas ? -, on impliquera les absents, on se transformera peut-être en groupe danalyse du pouvoir et donc, au moins indirectement, en lieu stratégique, avec tous les effets quon peut imaginer. Dans un groupe réunissant des enseignants issus détablissements différents, les rapports de travail et dautorité sont forcément évoqués, mais chacun parle dun univers différent, de son écosystème. Le groupe danalyse de pratiques ne sinscrit pas comme tel dans les jeux de pouvoir.
Compétences individuelles ou compétences collectives ?
La notion de compétence collective prend de limportance. On peut douter de lopportunité détendre à un collectif un concept dont le sens, au niveau des individus, nest pas stabilisé. Il me semblerait plus prudent de parler dorchestration, de coordination ou de synergie des compétences individuelles. Mais " compétences collectives " est plus simple, la métaphore est plus parlante que la patiente analyse des interdépendances qui font du tout plus - ou moins, cest selon - que la somme des parties. Utilisons-le donc, en gardant ces réserves en mémoire.
Quel que soit la langage adopté, il sagit dun phénomène fondamental : la concentration de gens compétents nest pas garante dune compétence collective. Chacun connaît des familles, des groupes, des services, des écoles où chacun investit toute son intelligence pour neutraliser les initiatives des autres et ruiner ainsi, même si ce nest pas son but premier, le potentiel daction collective. Cette neutralisation commence par un blocage du changement et des apprentissages des autres. Quiconque change crée un déséquilibre dans le système. Cest dailleurs pourquoi une partie des enseignants vont en formation de manière presque clandestine et se gardent bien de raconter ce quils ont appris à leur retour de stage. Ils évitent ainsi les railleries et autres tentatives de dévalorisation de tout ce qui pourrait troubler la quiétude du système.
Il est donc très logique de prendre le collectif pour cible dune action de formation, de sorte à ne pas dissocier les évolutions individuelles dune restructuration de la culture partagée et des relations de travail entre les professeurs. Cest lune des justifications les plus fortes de la formation en établissement : faire évoluer tous les acteurs en même temps, dans la configuration habituelle de leurs relations de travail. Ici encore, cest une bonne idée, mais
De lambivalence des formateurs
Peut-être est-ce sur ce point quon le discerne le plus clairement : lintervention en établissement change profondément la nature du métier de formateur. Cela ne plaît pas à chacun. Ce nest pas parce quon devient formateur quon rompt avec la culture individualiste des enseignants. Celui qui ne croyait pas au travail en équipe et aux dynamiques de groupes lorsquil était enseignant ne change pas davis en changeant de fonction
Même si on nest pas opposé à lidée de travailler avec un collectif, il faut reconnaître que cest nettement plus difficile et mobilise dautres manières de dire et de faire. Une partie des formateurs ne sont pas à laise face à un groupe constitué, ils perdent leurs moyens, nont pas ou pensent ne pas avoir les compétences de négociation et de communication adéquates.
De la difficulté dactualiser les potentialités
La formation orchestrée des compétences individuelles ou, en raccourci, dune compétence collective, voilà qui est fort séduisant. Mais cest plus compliqué que ne suggèrent les traités de management. Personne ne maîtrise le produit de linteraction dun ensemble de personnes ou de sous-groupes. La compétence collective nest pas une construction rationnelle à la façon dun assemblage de pièces formant, une fois emboîtées et connectées, un mécanisme sophistiqué et fonctionnel. Contribuer à la formation dune compétence collective ne relève par de lhorlogerie ou de la mécanique de précision, mais de la psychosociologie, de la science politique et de la thérapie de famille. Les appels rationalistes à la coopération sont rarement entendus. Elle ne peut reposer sur un dévouement ascétique au bien public, il faut que chacun y trouve son compte. Pour ce faire, le plus absurde serait de nier la quête didentité, de place, de reconnaissance, de pouvoir, de territoire, damour, de sécurité ou de distinction qui anime les acteurs. Ils ne cherchent pas tous la même chose, mais tous cherchent quelque chose, et la synergie des compétences individuelles ne peut se construire durablement que sil y a reconnaissance des personnes, dans leurs différences, équité des traitements et réciprocité des droits et obligations. Suffit-il dêtre expert dans tel ou tel domaine pour manier daussi complexes dynamiques ?
Le rôle du chef détablissement
Lorsque les enseignants vont en formation hors de létablissement, le responsable est concerné, mais son implication est très variable. Il peut avoir une politique active, inciter les enseignants à suivre des formations, les valoriser, établir des liens avec les problèmes et les projets internes, mais il peut aussi se contenter de donner son accord pour la forme, sans manifester le moindre intérêt pour les formations suivies, comme si cela ne le concernait pas et navait aucun rapport avec sa mission.
Il est évident que cette seconde attitude nest pas favorable au changement du système éducatif. On peut donc fonder certains espoirs sur la généralisation des formations en établissement : dans la mesure où elle se passe dans ses murs, le chef détablissement peut difficilement sen désintéresser.
De lambivalence des formateurs
Les formateurs nont pas nécessairement intégré à leur identité la négociation avec les chefs détablissements. Dès le moment où il est le demandeur, lincitateur, lorganisateur, le garant de la formation dans son école, elle devient inévitablement un enjeu dans les rapports dautorité. Il est des chefs détablissement dont la politique est limpide : proposer, sans imposer ; faciliter sans interférer ; ne pas se servir de la formation pour dire des choses quil nose pas dire lui-même ; ne pas mêler formation continue et évaluation des enseignants, sauf sil y un grave problème professionnel.
Tous les chefs détablissements nont pas une telle ligne directrice et la formation peut cacher dautres enjeux, étrangers aux formateurs, mais dans lesquels ils se trouvent impliqués. On comprend que certains dentre eux ne se sentent pas à laise dans ce rôle.
De la difficulté dactualiser les potentialités
Idéalement, une formation en établissement devrait avoir un lien explicite avec la politique et le projet dont le chef détablissement est lanimateur et le garant. Concrètement, il est tout à fait possible que la formation se déroule dans lindifférence générale des autres membres de létablissement et notamment de sa direction, sauf dans le registre administratif. En travaillant régulièrement avec un établissement, des formateurs ou une institution de formation continue peuvent certainement tisser des liens avec les divers responsables et faire évoluer la coopération dans le sens dun accompagnement formatif de lévolution de lécole, avec des anticipations, des régulations, des synergies pensées dans le cadre dune politique à long terme. Il nest évidemment pas du pouvoir des formateurs de créer ce partenariat lorsque, du côté de létablissement, rien ne bouge Le formateur nest pas un deus ex machina !
Un véritable suivi
Travailler une seule fois avec un établissement ne saurait créer une dynamique de formation tout à fait originale. Peut-être même est-il plus sage, si elle reste sans lendemain, de ne pas encombrer une formation de tout ce qui se joue dans un établissement.
Lintérêt principal de la formule est donc dassocier régulièrement des formateurs externes au même établissement, de sorte à inscrire chaque action de formation dans un suivi à long terme.
De lambivalence des formateurs
Il y a une certaine frustration à travailler un ou deux jours avec des inconnus, puisquen général on se quitte lorsque les choses sérieuses samorcent et quon se perd de vue, en restant dans lincertitude sur ce quon a déclenché. Peut-être une telle méthode de travail ne perdurerait-elle pas si elle noffrait pas certains bénéfices secondaires. Jen vois quelques-uns :
- le premier est quon peut, un ou deux jours durant, faire illusion de part et dautre ; le formateur peut donner limpression quil a vraiment quelque chose à apporter, les formés peuvent se montrer à la hauteur de leur demande ; il est plus difficile de tenir la distance, parce quau-delà des préliminaires, il faut entrer dans le vif des problèmes ; on rencontre alors, dune part, les limites des théories, des méthodologies et des technologies diffusées par les formateurs, dautre part, les ambivalences des enseignants, prêts à sinformer plus quà se transformer ;
- certaines formations se passent mal ; si elles sont sans suite, on efface tout et on recommence, un autre jour, avec dautres personnes ; la durée oblige à des régulations, nul ne peut supporter daller huit fois dans lannée dans un établissement où il ne se sent pas bienvenu, où il nest quun alibi, ou la cible dagressivités diverses ; nul établissement ne peut supporter de travailler durablement avec un formateur qui ne répond pas à ses besoins ou dont le style ne convient pas ; or, les plans de formation ne facilitent pas les ruptures, même concertées ;
La formation en établissement confronte plus fortement aux ambiguïtés du contrat, rappelle la difficulté de passer de la consommation dinformations et de savoirs au changement personnel ou collectif. Certains formateurs peuvent être tentés de se protéger en restant confinés dans un univers de paroles dont on peut espérer quil finira par influencer les pratiques, en se gardant bien dy aller voir de près
De la difficulté dactualiser les potentialités
Il est assez optimiste dimaginer que la plupart des établissements ont une culture professionnelle et une structure de gestion qui permettent darticuler apports de formation et dynamiques internes. Ici encore, la vertu de la formation en établissement reste souvent une virtualité. Des formateurs expérimentés peuvent aider les établissements " presque prêts " à franchir ce cap, ils ne peuvent susciter de toutes pièces un fonctionnement coopératif et une démarche de projet étrangère à la plupart des acteurs.
Faut-il revenir aux bonnes vieilles méthodes ?
Ces propos un peu sceptiques pourraient inviter à revenir au plus vite à la formule classique du regroupement, dans un centre de formation ou un lieu quelconque, denseignants venus sur la base dun choix personnel et provenant de divers établissements. Tel nest pas mon propos. Je dirai plutôt :
1. Que la formation en établissement nest pas lalpha et loméga pour tous les contenus et tous les enseignants, quelle devrait pouvoir coexister avec des formules plus centralisées, sans que lune dévalorise les autres.
2. Que tous les formateurs ne sont pas à laise avec cette manière de faire, pour de bonnes et de mauvaises raisons ; les bonnes tiennent à la faible efficacité de toute formule magique et au fait que les conditions dun bon travail ne sont pas toujours réunies ; les mauvaises tiennent à des craintes ou à des limites personnelles ; il importe que tant les bonnes que les mauvaises puissent sexprimer et être sereinement débattues au sein de chaque institution de formation continue, entre formateurs et avec la direction ; cette discussion peut déboucher sur une forme de division du travail.
3. Que ceux qui croient à la formation en établissement ont intérêt à reconnaître quils sen tireront dautant mieux quils se concevront et se formeront comme des intervenants en établissement dont la formation est le point dentrée, mais qui seront nécessairement poussés à jouer dautres rôles.
Je ne développerai ici que ce dernier aspect.
Donner une formation en établissement, cest, dans le langage courant des formateurs, y intervenir. Peut-être ne sarrête-t-on pas suffisamment au sens profond de cette expression. Intervenir, cest " venir entre ", sinterposer. Le Robert définit notamment lintervention comme un " acte par lequel un tiers, qui nétait pas originairement partie dans une contestation judiciaire, sy présente pour y prendre part et faire valoir ses droits ou soutenir ceux dune partie principale ".
Lintervenant modifie la réalité, la perturbe, à la fois dans son propre intérêt - il a quelque chose à gagner dans lopération - et dans lintérêt dune partie au moins des gens dans la vie desquels il " débarque ". Intervenir est donc une action sociale qui modifie les rapports de pouvoir, certaines décisions et le cours des événements.
Toute formation intervient dans les représentations des formés, en suscitant des conflits cognitifs, en renforçant certaines représentations ancrées dans des savoirs savants, des procédures rationnelles et des technologies au détriment de représentations plus ancrées dans lexpérience. Elle intervient aussi dans les rapports entre les gens, du moins lorsquelle est efficace : celui qui revient changé de la formation essaie des choses, en dit dautres et perturbe le petit monde où il est inséré. Mais cette intervention peut rester abstraite, notamment dans la mesure où ses effets ne sont pas aisément perceptibles pour les formateurs hors de létablissement, puisquils se déploient après le stage centralisé et ailleurs.
Devenir formateur-intervenant, cest assumer pleinement cette dimension, accepter dêtre, pour une bonne cause, un élément perturbateur, un agent extérieur qui altère les processus internes.
De nouvelles identités
Ce glissement de la formation à lintervention en établissement suppose une identité reconstruite ou élargie à de nouveaux rôles. Ou mieux encore, des identités, car lintervenant, selon les situations et les configurations, peut participer à toutes sortes de jeux
Analyseur
En entrant dans un établissement, lintervenant pousse au dévoilement ou à lexplicitation de logiques daction jusqualors plus cachées ou implicites. Dès le moment où il cherche à savoir ce que recouvre la demande et de qui elle émane, il commence à mettre des mots sur des contradictions ou des ambiguïtés. La réalité la plus courante est que la formation nest pas demandée, au même degré, par chacun de ceux auxquels elle est destinée. La demande est souvent une forme de prise de pouvoir et la formation sinscrit dans la stratégie de la direction ou dune minorité active.
Catalyseur
Lintervention peut réveiller des forces latentes, qui conduiront, selon les cas, à des dynamiques de changement ou à des conflits et à des crises. Lintervenant est toujours un peu un apprenti sorcier, il soulève le couvercle dune marmite et peut déclencher ou plus exactement ranimer des processus en sommeil. Un établissement tranquille est peut-être un volcan assoupi. Lintervention redonne du courage aux militants un peu las, fait revivre certains espoirs, amène à sinterroger sur le sens et les finalités de ce quon fait, sur ce quon est devenu
Médiateur
Dans la mesure où elle rouvre des débats et explicite certaines oppositions, lintervention fait peser sur son auteur certaines attentes. Les plus virulents tenteront de lattirer dans leur camp, soit, sils ny parviennent pas, de le repousser dans le camp adverse, et le dévaloriser du même coup. Les plus lucides sen serviront comme dun médiateur qui aidera les acteurs à se dire ce quils narrivent pas à se dire entre eux, en raison des routines défensives qui bloquent lexpression, lécoute et lanalyse dans la dynamique ordinaire de nombreux établissements.
Go-between
Lintervenant établit un lien entre létablissement et le système éducatif, un lien non hiérarchique. Il offre des repères, des points de comparaison, il fait état dexpériences intéressantes ou déchecs instructifs, il montre que dautres établissements vivent les mêmes dilemmes ou sont confrontés aux mêmes problèmes. Il peut aussi faire valoir, au-delà les préoccupations de létablissement, ce qui est à double tranchant
Surmoi
Lintervenant incarne une forme de rationalité : références aux savoirs constitués, modernité, rigueur de la méthode, fidélité aux intentions déclarées, cohérence entre les fins et les moyens, respect des calendriers, usage optimal des compétences et des ressources. Sil prend son rôle trop au sérieux, il peut devenir un commissaire politique, une sorte de conscience morale pesante, qui joue le projet contre les acteurs. Il est très facile de prendre quiconque en flagrant délit de contradiction. Cela peut encourager la tendance de certains enseignants à la persécution, donner raison à ceux qui sont toujours prêts à dénoncer les incohérences du système ou le peu daudace de leurs collègues. On ne devient pas surmoi impunément.
Contre-pouvoir
Lintervenant modifie les rapports de force. Dans la mesure où il nexiste que grâce une certaine clarification des problèmes ou des projets, il prête sa force aux acteurs qui veulent que les choses soient dites, quon affiche un projet, quon formule les objectifs, quon explicite les réticences et les objections, quon travaille sur les vrais problèmes. Il y a dans tout établissement des gens qui ont intérêt à ce que les choses restent non dites, les problèmes niés, les conflits larvés, les projets mort-nés. Le contre-pouvoir ne soppose pas nécessairement à la direction, encore que ce soit possible aussi. Il soppose au pouvoir de ceux qui veulent rester " entre soi ", qui naiment pas les parlotes et considèrent létablissement non comme une collectivité, mais comme un lieu-dit et une administration qui leur fournit des élèves et des moyens de construire avec eux une relation qui ne regarde personne
De nouvelles compétences
Les identités et les rôles mentionnés renvoient toujours, en creux, à des compétences nouvelles ou mieux assurées. Il ny a pas cependant une compétence par rôle. Sans prétendre à lexhaustivité, en voici quelques-unes. Je ne fais que mentionner ici les savoir-faire de base tels que communiquer, animer ou observer un groupe, rédiger un projet ou un compte-rendu, définir un dispositif de formation, élaborer des situations et des tâches formatrices, négocier un contrat, évaluer une démarche, trouver des supports ou des matériaux, etc. Tout cela nest pas facile, mais cest le fondement du métier de formateur. Je ne fais quallusion à des compétences plus sophistiquées qui supposent la maîtrise de démarches spécifiques comme savoir conduire une analyse de pratiques, un entretien, une observation de classe, savoir dresser un bilan de compétences ou savoir pratiquer une médiation dans un conflit ou une forme de supervision dune équipe pédagogique.
Je me limite à des compétences en apparence plus banales, quon pourrait regrouper toutes sous une bannière unique : maîtriser les processus psychosociologiques quon active ou quon transforme en intervenant.
Savoir qui on est
Cet impératif na lair de rien, et pourtant, dès le moment où on met le pied dans un établissement, il faut une identité professionnelle et personnelle bien accrochée pour ne pas se prendre aux jeux de la raison incarnée, de léminence grise, du transfert, du narcissisme, de la " Grande Oreille ", du sauveur ou de toute autre figure gratifiante.
Les acteurs cherchent assez normalement à impliquer lintervenant dans leurs enjeux, et il doit jusquà un certain point " se laisser faire ", pour faire son travail, mais sans être dupe, sans se prendre pour plus que ce quil est, un étranger de passage, proche par le métier et les idées, mais tellement irresponsable, du seul fait que, demain, il sera ailleurs
Savoir lire entre les lignes
Une demande peut en cacher une autre, chaque formateur lapprend à ses dépens. Dans un établissement aussi, un contenu en dissimule un autre, ce qui peut compliquer passablement les choses. Ainsi, une demande dinstrumentation en évaluation sommative peut masquer le désir, plus difficile à dire, den finir avec des exigences professorales tellement disparates quaucune napparaît légitime, le laxisme des uns soulignant et minant la sévérité excessive des autres, et réciproquement. Dans une formation centralisée, le thème peut apparaître, mais le formateur a beau jeu de dire quil est impuissant, puisque tous les intéressés ne sont pas présents. Dans un établissement, la demande déquité et dhomogénéité des exigences ne peut être aussi facilement écartée. Accepter dy entrer, cest évidemment prendre le risque de parler du fonctionnement de létablissement et de mettre en question la sacro-sainte autonomie des professeurs. Savoir lire entre les lignes, cest savoir décoder ce que la demande initiale peut cacher, souvent à linsu des demandeurs Cest aussi saisir les messages qui, au gré de lavancement de la formation, peuvent transformer une demande en un refus poli daller plus loin.
Savoir négocier
Intervenir est un métier à risque, qui donne donc des devoirs et des droits. Parmi les droits, celui de refuser dintervenir ou de poser des conditions. Lintervenant na aucune raison de se faire piéger, il ne rend service à personne sil accepte des conditions de travail qui rendront son rôle très difficile et aboutiront à un échec ou à un simulacre. Savoir négocier, cest sans doute savoir trouver des compromis et ne pas être maximaliste. Cest tout autant, on loublie très souvent, incarner sans complexe une autre logique et une forme de dignité professionnelle. Lintervenant est une ressource rare, qui na pas de temps à perdre. Sil demande à rencontrer un groupe de professeurs avant daccepter une demande, et si le proviseur ou le principal dit que cest inutile ou fait tout ce quil peut pour éviter cette rencontre, cest évidemment un signal dalerte et lintervenant pressenti devrait se sentir en droit de dire que cest " sine qua non ". Négocier, cest délimiter le non négociable. Il y a toujours une part de bluff, plus de jeu quon ne le laisse entendre en début de partie. Toutefois, si lintervenant a fortement besoin quon laime et quon lemploie, il acceptera nimporte quoi et deviendra le jouet des uns et des autres. Dès lors, non seulement il ne servira à rien, mais il sortira blessé de laventure. Négocier, cest aussi, on sen doute, percer à jour les stratégies du partenaire, ne pas être dupe des effets de manche, vérifier et recouper les informations, ne croire certaines choses que pour les avoir entendues de plusieurs sources. Le principe de base est le suivant : aucun établissement ne parle dune seule voix. Navoir quun interlocuteur dans la négociation, cest renoncer à être également reconnu de tous
Savoir analyser les dynamiques et les climats détablissement
Au-delà des tactiques de négociation interpersonnelle et des compétences de communication, le succès dune intervention dépend dune compréhension plus profonde des dynamiques à luvre, actuellement ou potentiellement. Lintervenant a donc intérêt à avoir fréquenté de nombreux établissements, comme professeur, formateur ou intervenant, mais encore à disposer dun minimum de modèles théoriques en psychosociologie des organisations et plus particulièrement des établissements scolaires. Une partie de ces modèles peuvent être issus de la recherche, ce qui nexclut pas, au contraire, la capitalisation de lexpérience et léchange de savoirs professionnels. Le formateur est autant que possible un praticien réflexif, qui apprend de ses essais et erreurs et se construit progressivement une théorie des établissements, si bien quil anticipe de mieux en mieux, comprend de plus en plus vite, se montre de moins en moins naïf sur ce quon attend de lui ou sur les marges effectives de changement. Il importe que cette théorie puisse, en partie, se mettre en mots, pour nourrir des échanges entre intervenants ou avec un superviseur, voire des moments de métacommunication et de régulation. Lessentiel reste quelle soit efficace !
Savoir improviser et naviguer à vue
Alors quon peut planifier une formation centralisée et exercer la pression nécessaire pour que les formés respectent le plan, il nen va pas de même dans un établissement. Lintervenant doit donc trouver le juste équilibre entre venir " les mains dans les proches " et venir bardé doutils et de méthodes, avec lintention de les imposer. Proposer, oui, mais pratiquer le repli élastique, chercher une autre entrée si " ça résiste ". Ce qui peu paraître le bon sens même est assez mal vécu par certains formateurs-intervenants, parce quils naiment pas quon leur résiste, ou parce quils ont peur dêtre pris en défaut sils doivent improviser. Intervenir, cest avoir une boussole qui indique la direction, une éthique qui fixe des garde-fous, une stratégie pour ne pas être le jouet des autres ou des circonstances, mais aussi une grande flexibilité dans les calendriers et les méthodes si lon ne séloigne pas de lobjectif. Naviguer à vue nest possible que si lon sait où lon va, ce qui autorise à emprunter des chemins de traverse, à marquer le pas ou à prendre des raccourcis. Lintervenant est un professionnel, guidé par le long terme, donc opportuniste et pragmatique à court terme, à condition de savoir ce quil fait.
Savoir attendre et susciter le désir
En se plaçant sans cesse dans la position de laiguillon ou du surmoi, on nourrit évidemment la résistance au changement. La plupart des interventions qui tournent mal révèlent une forme de rigidité ou de forcing. Il importe de ne jamais perdre de vue que les acteurs doivent rester maîtres de leur projet et de leur rythme de changement. Lintervenant a le droit de sortir de la partie si les règles ne sont pas respectées ; il na pas le droit dimposer à dautres sa vision de lécole et son impatience de voir les choses changer. Pour supporter la tension entre son désir davancer et linertie des structures et des pratiques, il faut sans doute quelques vertus - patience, tolérance, empathie - mais aussi des compétences danalyse. Dès quon a compris que les résistances au changement sont rarement irrationnelles et que les contradictions des uns valent bien celles des autres, que nul nen est exempt, on sénerve moins facilement, on ne se sent pas inutile ou mal aimé parce quon nexerce pas une influence immédiate. Les formateurs issus dune tradition militante ne sont pas toujours prêts à comprendre les hésitations de ceux de leurs collègues pour lesquels lenseignement nest quun job ou qui ont dautres priorités dans la vie. Quant aux formateurs qui sont " tombés dans le chaudron " des savoirs didactiques ou transversaux, ils ont tellement envie de croire quil suffit de les partager pour que les choses bougent
Savoir métacommuniquer
Dans laccompagnement dun projet ou toute autre intervention en établissement, il est probable que surviendront tôt ou tard des malentendus et des conflits. Non en raison dune perversité singulière des enseignants, mais parce que les entreprises collectives sont difficiles, elles mobilisent des gens différents qui veulent dans le meilleur des cas coopérer, mais pas à nimporte quel prix, sans renoncer à leurs privilèges ni se fondre dans le groupe.
Plutôt que de refuser cette phase plus difficile du travail dintervention, mieux vaudrait lanticiper et, lorsquelle survient, la reconnaître et la traiter adéquatement. Comme dans une classe, lorsque les conditions du travail pédagogique ne sont plus réunies, il est sage de suspendre le fonctionnement et de passer dans le registre de la métacommunication. Concrètement, cela veut dire : suspendre la tâche en cours pour sinterroger ensemble sur ce qui se passe, les attentes, les non dits, les effets pervers, les craintes ou les rancurs inavouées, les absences inexpliquées, les silences qui pèsent. La régulation du dispositif est à ce prix !
Savoir tenir sa place
Cest le pendant de " savoir qui on est ". Labus de pouvoir et la confusion des rôles est fatale à lintervenant. Autant il importe davoir une identité claire et affirmée, autant il reste essentiel de se sentir invité dans un établissement dont on ne fait pas partie.
Alors quau départ lintervenant peine à trouver une place, aussi petite soit-elle, il arrive quau gré de lintervention, il en vienne à jouer un rôle central dans létablissement. Cest alors quil est en danger, non pas seulement parce quil se monterait la tête, mais parce que dautres linvestissent dun pouvoir symbolique sans commune mesure avec son statut. Les conflits avec les chefs détablissements et les leaders informels sont le pain quotidien des intervenants. Quils noublient pas quil ne picorent pas dans leur propre basse-cour et ne sont pas censés entrer en compétition avec les leaders locaux. Il est difficile de maîtriser ses fantasmes de toute-puissance, bien plus difficile encore de tenter de neutraliser les pouvoirs mortifères ou pervers à luvre dans un établissement sans être tenté de sy substituer
Supervision ou analyse de pratiques
Sengager dans un job de formateur-intervenant en établissement devrait saccompagner soit dune supervision personnelle, soit dun groupe danalyse des pratiques et des problèmes professionnels réunissant régulièrement des intervenants travaillant dans des conditions comparables. Cest une des soupapes de sécurité, un lieu où se ressourcer, se défouler, se laisser aller, mais cest surtout un lieu de formation continue et de renforcement tant de léthique et de lidentité que des compétences professionnelles des formateurs.
Sur la formation en établissement, les références précises sont plutôt rares. Elles sont innombrables sur des thèmes connexes : innovation, accompagnement de projet, formation continue, recherche-action, analyse de pratiques, intervention, supervision, animation, pratique réflexive, formation, compétences et identité des formateurs, savoirs daction, fonctionnement des organisations, etc. Dans de très nombreux travaux, il y a quelque chose à transposer, même si on ne fait pas explicitement allusion à la formation en établissement. Jai donc choisi de me limiter à des apports genevois, sans dailleurs être exhaustif.
Cifali, M. (1993) Silences et rumeurs dans les établissements scolaires : problèmes de communication ? Apports psychanalytiques, Genève, Faculté de psychologie et des sciences de léducation.
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Gather Thurler, M. (1992) Les dynamiques de changement internes aux systèmes éducatifs : comment les praticiens réfléchissent à leurs pratiques, Genève, Faculté de psychologie et des sciences de léducation.
Gather Thurler, M. (1993) Amener les enseignants vers une construction active du changement. Pour une nouvelle conception de la gestion de linnovation, Éducation & Recherche, n° 2, pp. 218-235.
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Gather Thurler, M. (1994 b) Relations professionnelles et culture des établissements scolaires : au-delà du culte de lindividualisme ?, Revue française de pédagogie, octobre-novembre, n° 109, pp. 19-39.
Gather Thurler, M. (1996 a) Innovation et coopération entre enseignants : liens et limites, in Bonami, M. et Garant, M. (dir.), Systèmes scolaires et pilotage de linnovation. Émergence et implantation du changement, Bruxelles, de Boeck, pp. 145-168.
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Perrenoud, Ph. (1997) Professionnalisation du métier denseignant et développement de cycles dapprentissage, in Piron, V. et al. (dir.) Profession : instituteur, institutrice, du passé au présent vers un conditionnel futur, Bruxelles, Communauté française de Belgique, pp. 103-117.
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Vuille, M. (1981) La recherche-action : une pratique nouvelle ou comment simpliquer autrement dans une recherche sur les plans personnel, professionnel et institutionnel !, Revue internationale daction communautaire, n° 5/45, pp. 68-73.
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