Réussir ou
comprendre ?
Les dilemmes classiques
dune démarche de projet
Philippe Perrenoud
Faculté de psychologie et des
sciences de léducation
Université de Genève
1998
Réussir ou comprendre ? Mieux vaudrait réussir et comprendre, mais justement, une démarche de projet oblige à un exercice acrobatique déquilibre entre deux logiques : le projet nest pas une fin en soi, cest un détour pour confronter les élèves à des obstacles et provoquer des situations dapprentissage. En même temps, sil devient un vrai projet, sa réussite devient un enjeu fort, et tous les acteurs, maîtres et élèves, sont tentés de viser lefficacité, parfois au détriment des occasions dapprendre. Comme le dit Philippe Meirieu, lorsquon monte un spectacle, ce nest pas au bègue quon confie le premier rôle, alors même que cest lui qui en profiterait sans doute le plus. La logique dune représentation réussie contredit la logique de formation, pour une raison assez évidente : pour apprendre, il faut que chacun soit mobilisé dans sa zone de proche développement, zone où, par définition, il peut apprendre, mais na pas déjà appris, zone où il hésite, va lentement, revient sur ses pas, commet des erreurs, demande de laide. Lorsque la réussite de lentreprise est en jeu, cest prendre un risque que de confier des tâches à ceux qui ne les maîtrisent pas. Du coup, on les prive de la possibilité, selon la formule de Meirieu, " dapprendre, en le faisant, à faire ce quils ne savent pas faire ".
Ce nest pas le seul dilemme. Dautres en découlent ou senracinent dans la profonde ambiguïté dune démarche de projet. Le tableau annexé en donne quelques exemples. Que faire de ces dilemmes ? Ce sont de vraies contradictions, quon ne peut écarter par la simple réflexion, car lanalyse montre justement que, pour mieux aider à apprendre, on provoque une démarche qui a un autre objectif. Il y a donc un conflit entre un projet de formation et un projet daction.
Il ny a pas, face à une telle contradiction, de recette, mais au moins deux pistes :
1. Accepter la contradiction, la travailler, lanticiper.
2. La faire partager aux élèves, ne pas la considérer comme laffaire de lenseignant.
Ce qui signifie quune démarche de projet devrait, si lâge des élèves le permet, sancrer dans une réflexion sur les finalités et les démarches de la formation. Présenter une démarche de projet comme "allant de soi" ou la justifier simplement par la pratique, parce que les élèves se mobilisent, est une tentation compréhensible : au départ, cest plus simple.
Toutefois, cela fausse le jeu : les élèves imaginent alors quon sort du contrat didactique, quon fait autre chose, que la règle du jeu est désormais de réussir. Ils savent certes quils sont à lécole et que la logique de formation reprendra ses droits en marge du projet, pour les autres activités. Mais ils peuvent imaginer que le projet ouvre une parenthèse dans le travail scolaire. Si lenseignant entretient cette illusion, en incarnant seul la logique de formation, et laisse aux élèves la logique de laction, il ne saura que faire lorsque la régulation de la démarche impose la confrontation des deux logiques ?
Mieux vaudrait viser, en quelque sorte, une double dévolution :
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logique daction |
logique de formation |
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