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18 décembre 1998, pp. 23-29. |
Les cycles dapprentissage :
de nouveaux espaces-temps de formation
Philippe Perrenoud
Faculté de psychologie et des sciences de
léducation
Université de Genève
1998
On peut comparer les cycles dapprentissage à une auberge espagnole (Perrenoud, 1998), parce que lon y trouve largement ce que lon y apporte. Qui veut supprimer le redoublement et décloisonner les degrés annuels investira les cycles de cet espoir. Dans certains systèmes, cela représente une avancée majeure. Dans dautres, on assignera aux cycles de plus fortes ambitions. Ici, au-delà de ces attentes de base, les cycles dapprentissage sont conçus et défendus comme de nouveaux espaces-temps de formation, censés favoriser :
Le but est que tous les élèves atteignent les objectifs en fin de cursus, dans le même temps, mais au besoin par des chemins différents.
Le présent article propose un premier développement de ces éléments, sous la forme encore sommaire de neuf thèses. Chacune sera brièvement énoncée et commentée. Il importe, dans un premier temps, davoir une vue densemble, car un cycle dapprentissage est un système de travail quil faut considérer dans toutes ses composantes. Les thèmes les plus cruciaux seront repris de façon plus complète dans dautres articles plus ou seront approfondis à propos des réformes en cours en Suisse et ailleurs.
Les thèses qui suivent ne prétendent pas exprimer une définition orthodoxe des cycles. Chacun peut les concevoir à sa manière, lidée est assez générale pour autoriser diverses interprétations. Limportant est de se situer et daffirmer clairement ce quon attend des cycles, sans quoi on pourra difficilement débattre.
1. Un cycle dapprentissage nest quun moyen de faire mieux apprendre et de lutter contre léchec scolaire et les inégalités
Instaurer des cycles nest pas une fin en soi. Ce nest quun moyen de mieux atteindre les objectifs de la formation, en se donnant de nouveaux espaces et temps de travail. Il reste à les structurer efficacement, de façon équitable, concertée et lisible.
La mise en place dune structure na, par elle-même, aucun effet magique. Elle rend possible des pratiques nouvelles. Elle encourage et autorise à construire des dispositifs denseignement-apprentissage plus diversifiés et plus audacieux que ceux que chaque enseignant fait fonctionner seul dans sa classe durant une année scolaire. Il reste à concevoir et à mettre en uvre ces nouveaux dispositifs, qui portent notamment sur le groupement des élèves, la planification didactique sur plusieurs années, la division du travail entre les enseignants, lévaluation et la régulation des progressions individuelles, linformation des parents et la concertation avec eux.
Le développement de cycles dapprentissage exige plus dimagination pédagogique et organisationnelle que la gestion dun programme annuel, non seulement en raison de la nouveauté de cette forme de travail, mais parce que piloter des progressions diversifiées, durant plusieurs années, gérer divers types de groupements délèves et se partager le travail de façon souple complexifie la tâche de chacun. Dans une école structurée en degrés, on remet les compteurs à zéro à la fin de chaque année scolaire et chacun reste seul maître à bord. Aux élèves qui sont loin davoir atteint les objectifs, on propose ou on impose du soutien ou un redoublement. Dans un cycle, on ne peut attendre la fin pour dresser des bilans formatifs et prendre des décisions, qui doivent être concertées en équipe.
Nombre denseignants expriment la crainte de voir saccroître les écarts parce que, dans un cycle pluriannuel, une partie des élèves pourraient plus facilement " passer entre les gouttes ". On les retrouverait en fin de cycle, trop tard, souffrant de graves lacunes et dune image deux-mêmes dégradée, faute dune prise en charge rapide de leurs difficultés. Ces craintes ne sont nullement absurdes. Sil est mal géré, un cycle dapprentissage peut amener un accroissement des échecs et des inégalités.
Cest pourquoi ne peuvent sengager dans un fonctionnement en cycles que des enseignants capables de travailler ensemble pour planifier sur plusieurs années, anticiper et identifier les problèmes, se répartir les tâches, introduire des régulations nécessaires. Cest léquivalent ce que chacun fait dans sa classe, mais la responsabilité dun espace-temps plus vaste exige de nouvelles compétences. Elles se construiront en partie au gré de lexpérience, mais il importe de favoriser ce processus par des actions de formation ciblées sur la gestion de cycles aussi bien que par des modalités de travail favorables à une pratique réflexive, notamment à travers les projets détablissements et un fonctionnement en équipe.
Les cycles tiendront ou non leurs promesses en fonction de ce que les acteurs en feront. Ce qui souligne que leur mise en place nest pas lenjeu majeur. Lessentiel se jouera sur les compétences et les forces investies pour les faire fonctionner de façon optimale.
2. Un cycle dapprentissage ne peut fonctionner que sur la base dobjectifs de fin de cycle, qui constituent le contrat pour les enseignants, les élèves et les parents
On ne peut rendre lenseignement plus efficace que si lon sait exactement quels apprentissages on vise. Longtemps, les programmes ont dit ce quil fallait enseigner, en laissant entendre, implicitement, que les élèves devaient savoir ce que le maître avait enseigné. Pour sortir de cet implicite, qui couvre une grande variété dinterprétations, les nouveaux plans détudes décrivent les maîtrises à construire. La tâche nest pas simple, notamment dans un programme en " spirale " : le temps est révolu des notions quon abordait à tel âge pour ne plus y revenir, considérant quelles étaient acquises. Aujourdhui, la plupart des objectifs valent pour tout le cursus, même sil sagit de connaissances. Quant aux compétences, sur lesquelles on met toujours plus laccent, comment les " saucissonner " ou les dissocier les unes des autres ? Que dire dune école où lon apprendrait à écouter de 6 à 8 ans et à sexprimer de 8 à 10 ans ?
Il est de plus en plus difficile et arbitraire de définir des étapes annuelles. Cest ainsi que les nouveaux programmes romands de mathématique sordonnent à un seul objectif : savoir résoudre des problèmes. On imagine bien limpossibilité de distinguer huit paliers annuels dans la construction dune telle compétence. On peut au mieux sérier les notions mobilisables. De même, apprendre à communiquer, raisonner, observer, coopérer ne peut se découper en tranches annuelles.
Les cycles de longue durée simplifient en partie le problème, car ils autorisent à découper le cursus en quelques grands paliers. Ils poussent en contrepartie à faire une référence plus constante aux objectifs de fin de cycle ou à certains balises intermédiaires, car ce sont les seules boussoles dont on dispose pour piloter des progressions individualisées.
Idéalement, léquipe responsable dun cycle pluriannuel devrait avoir les objectifs finaux en tête et proposer constamment des situations dapprentissage propres à faire progresser chaque élève vers les maîtrises visées. Dans les cycles longs (trois ou quatre ans), il paraît cependant utile de disposer de repères intermédiaires, à condition quils ninduisent pas des obligations de résultats et ne fondent aucune décision institutionnelle en cours de cycle ! Le contrat des enseignants consiste à amener le maximum denfant à la maîtrise des objectifs de fin de cycle. À eux de planifier les progressions de sorte à tenir compte du temps quil faut pour enseigner et faire apprendre. Le système peut proposer des outils, mais devrait ne pas se mêler des bilans intermédiaires, de la même façon quil nintervient plus actuellement en cours dannée scolaire, sauf en cas de dysfonctionnement notoire.
Offrir des points de repère reste une opération délicate. Si les didacticiens des mathématiques faisaient dun problème lemblème de ce que doit savoir résoudre un enfant de 8 ans, ils pourraient craindre que, par souci de bien faire, une partie des enseignants, encouragés par les parents, instaurent une forme de drill en entraînant les élèves à résoudre des variantes de ce problème type. Un tel bachotage irait à lencontre de la construction dune compétence, qui suppose une adaptation à des situations variées, dont la configuration ne dicte pas immédiatement les opérations à effectuer.
Il appartient au système éducatif de donner des points de repère moins enfermant, par exemple en associant aux objectifs-noyaux (Direction de lenseignement primaire, 1998) un corpus substantiel de problèmes, de tâches ou de situations du niveau visé, moyen terme entre des repères si abstraits quils ne servent à rien (comme " savoir comprendre un texte narratif simple ") et des repères si précis quils enferment le travail dans une tâche modèle.
3. Il importe de développer dans les cycles pluriannuels plusieurs dispositifs ambitieux de pédagogie différenciée et dobservation formative
Supprimer le redoublement évite des effets détiquetage, la perte dune année sans grande compensation, la coupure avec les camarades. Toutefois, faire progresser les élèves en grande difficulté sans prendre dautres mesures ne crée pas de miracle, sauf lorsque se lève un blocage temporaire, lié par exemple à une relation malheureuse ou à une phase difficile de la vie. Dans tous les autres cas, les écarts saggraveront si lon ne fait rien. Travailler en cycles na pas deffet propre, cela rend seulement possible une action éducative cohérente sur la longue durée.
On ne saurait donc séparer les cycles de deux notions voisines, mais distinctes : la pédagogie différenciée et lindividualisation des parcours de formation. La seconde est en quelque sorte une conséquence logique de la première.
Différencier, cest proposer à chaque élève, aussi souvent que possible, une situation dapprentissage et des tâches optimales pour lui, en le mobilisant dans sa zone de proche développement (Perrenoud, 1996). Facile à dire ! Cela demande des outils dobservation formative pour intervenir dans les situations dapprentissage aussi bien que pour faire à bon escient passer un élève dune situation à une autre, plus adéquate, plus porteuse de sens et de régulation, plus féconde pour lui. Encore faut-il concevoir, animer et encadrer ces situations, ce qui demande des compétences didactiques assez pointues. Or, aujourdhui, même lorsquun enseignant a du temps pour prendre en charge tranquillement un seul élève &endash; comme cest en partie le cas au soutien pédagogique &endash; de telles compétences ne sont pas toujours au rendez-vous.
Travailler en équipe met des forces et des compétences en synergie, sans quil faille, ici encore, en attendre des prodiges. En tant que tel, le travail en équipe naccroît pas les forces dencadrement des élèves. Il permet de les répartir différemment, au gré dune division et dune organisation plus souple du travail. Dans une équipe, plusieurs personnes peuvent travailler ensemble avec un groupe plus important, en fonctionnant comme personnes-ressources jouant des rôles différenciés. Ou alors, lune peut travailler pour une matinée avec peu délèves, dans un groupe de besoin, alors quune autre animera une démarche datelier ou de projet exigeant une présence moins forte ou dun autre type.
Différencier, cest alors jongler avec les groupes de divers types : de besoin, de niveau, de projet, les uns multiâge, les autres monoâge, les uns aussi homogènes que possible, les autres volontairement hétérogènes (Meirieu, 1989). Cest recourir aussi aux moyens qui favorisent lautonomie des élèves, du Lexidata aux nouvelles technologies.
Lidée dindividualisation des parcours de formation suscite souvent des malentendus. Ce nest quune résultante de la différenciation : une situation optimale pour un élève ne lest pas pour tous. Si chacun suit son propre cheminement, allant dune situation optimale pour lui à une autre, son parcours sera individualisé de facto. Cela ne veut pas dire que lenseignement est individualisé : la plupart du temps, le travail se fera en groupe, mais chaque élève passera de groupe en groupe et de situation dapprentissage en situation dapprentissage selon une trajectoire qui lui est propre.
Cette individualisation des parcours de formation vide de sens la comparaison permanente entre élèves. On ne peut évaluer chacun quen référence à son point de départ, au chemin parcouru et à la distance qui le sépare des objectifs. Du coup, mettre une note na plus aucun intérêt ! Seuls sont utiles des bilans formatifs, qui aident à réorienter les activités et les progressions de chacun.
Dans lespace et le temps dune classe, on peut faire des pas dans ce sens, au prix dune ingéniosité et dune énergie considérables. Un cycle dapprentissage permettra daller plus loin, de ne pas se heurter immédiatement aux murs.
4. La durée de passage dans un cycle doit être standard, pour forcer à différencier sur dautres dimensions que le temps et à ne pas favoriser un redoublement déguisé
Lorsquon pense cycle dapprentissage pluriannuels, la première idée qui vient à lesprit est de " garder " un an de plus les élèves " qui ont de la peine ". Cette louable intention pourrait conduire de la peste au choléra. Les enfants qui redoublent ou connaissent de grandes difficultés dans le système actuel arriveront en fin de cycle sans atteindre les objectifs, si aucune mesure de différenciation nest prise en amont. On serait donc alors tenté de ne pas les faire passer au cycle suivant, réintroduisant un redoublement déguisé (Allal, 1995).
Si lon saccordait ce droit à la fin de chaque cycle, le retard scolaire augmenterait spectaculairement. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, un élève lent serait constamment en retard et donc " gardé " un an de plus en fin de cycle. Il aurait toutes les chances de parcourir deux cycles de quatre ans en dix ans ou quatre cycles de deux ans en douze ans Toute organisation en cycles ne peut que limiter cette possibilité, au moins autant quon la fait pour les redoublements multiples. On décrétera par exemple quun élève ne peut " bénéficier " plus dune fois dans sa carrière dun passage allongé dans un cycle. Que faire alors à la fin des autres ?
En dépit de lintuition commune, lallongement du séjour dans un cycle nest pas un bon moyen de lutter contre les inégalités. Ce devrait rester une solution exceptionnelle, justifiée par exemple en cas dabsence prolongée ou de troubles du développement. Le canton de Vaud, qui a introduit des cycles dapprentissage dans le cadre dEVM, entend par exemple limiter à 1 % la proportion des élèves restant un an de plus dans un cycle de deux ans. De façon symétrique, un cycle dapprentissage na pas pour but de permettre aux élèves rapides de gagner plusieurs années en mettant les bouchées doubles. Sans renoncer à des dérogations justifiées par des circonstances particulières, il est plus cohérent de ne pas compter sur le temps de scolarisation comme ressource de différenciation. (Groupe de pilotage de la rénovation, 1998).
Les cycles offrent, paradoxalement, une occasion de rompre une bonne fois avec lidée que, pour différencier, il suffit de " laisser du temps au temps ". Le chat de Philippe Gelück résume bien le problème : " Si je roule à mon rythme, je ne roule pas ! "
Différencier, ce nest pas " respecter " le rythme de chacun, cest lui proposer constamment des situations à sa mesure, pour quil avance aussi vite que possible, entre attentisme et acharnement pédagogique. Meirieu le dit à sa façon :
Il y aurait un danger à vivre la différenciation comme une manière de casser, de briser toute dynamique collective, ou dindividualiser comme une manière de " respecter " les différences et dy enfermer les personnes. Moi je ne " respecte pas " les différences, je le dis avec beaucoup de simplicité, les différences jen tiens compte ce qui est tout à fait autre chose. Cest-à-dire que, si quelqu'un ne sait pas accéder à la pensée abstraite par exemple, je ne vais pas camper sur une position qui consiste à dire " Je respecte sa différence, il ne sait pas accéder à la pensée abstraite, donc je ne lui fournis que du concret ". Je tiens compte des différences, cest-à-dire que je prends en compte le niveau où il est, mais je vais laider à progresser (Meirieu, 1995).
Il est probable que tous les élèves ne parviendront pas à maîtriser les objectifs dun cycle au bout du temps standard. Mieux vaut alors les faire passer au cycle suivant, en continuant à travailler intensivement avec eux, plutôt que de rêver de réintroduire une différenciation des temps de scolarisation. Cet interdit naura pas deffet magique, mais il obligera à remettre les dispositifs de différenciation sur le métier jusquà ce quon trouve le moyen de faire apprendre chacun au même rythme, du moins dans les domaines de compétences et de connaissances les plus cruciaux.
5. Un espace-temps de formation de plusieurs années ne peut atteindre ses buts que si les démarches et situations dapprentissage sont repensées dans ce cadre
Un cycle permet de concevoir et de piloter les progressions sur plusieurs années. Il ne va pas de soi, en revanche, quil faille ipso facto enseigner et faire apprendre autrement. Le fonctionnement en cycles ne limpose pas en tant que tel. Complexes, sa mise en place et sa gestion peuvent absorber lénergie des enseignants et les détourner un certain temps dune réflexion didactique pointue.
Seule la volonté de lutter contre léchec et de différencier peut y ramener. Si lon refuse fermement dallonger le temps de scolarisation des élèves les moins favorisés, la seule alternative est de rendre la pédagogie plus efficace pour eux, donc de repenser, doptimiser, de densifier, de mieux réguler les situations et les démarches dapprentissage quon leur propose.
Lévolution est amorcée, sous limpulsion de la recherche en didactiques des disciplines et des travaux sur lapprentissage, la métacognition, lerreur, le rapport au savoir. On dispose de pistes, autour des activités de recherche, des problèmes ouverts, du travail par situations-problèmes, des démarches de projet, de lapprentissage coopératif. Les enseignants les mieux formés dans ce sens continuent à donner des leçons et des exercices lorsque cest efficace, tout en ajoutant de nouvelles cordes à leur arc.
Sommes-nous à la veille dun grand bond en avant ? Il vaut mieux penser que lamélioration des méthodes denseignement-apprentissage se fera au gré dun progrès continu plutôt que par une soudaine découverte. Les cycles ne donnent pas la réponse, ils rendent seulement la question plus aiguë et incitent à y travailler de façon plus intensive et concertée. Il reste à soutenir cette évolution par des actions de formation et des projets détablissement cohérents, qui maintiennent un équilibre entre les compétences de gestion des situations et séquences didactiques et les compétences plus transversales de gestion des dispositifs et des cycles
6. A lintérieur dun cycle, les enseignants sorganisent librement et diversement. Le système leur propose des outils à titre indicatif : balises intermédiaires, modèles dorganisation du travail et de groupement des élèves, outils de différenciation et dévaluation
Les systèmes éducatifs ont mis près dun siècle à faire confiance aux enseignants en ce qui concerne la conduite de la classe, la planification didactique, les modes de groupement des élèves et les démarches de travail. Cette confiance nest pas totale, puisque certaines administrations scolaires normalisent encore les moyens denseignement et exercent une forte pression en faveur de méthodes dites officielles. Les enseignants jouissent cependant dune liberté croissante et assument les responsabilités correspondantes dans le cadre dune année scolaire. Ils ont appris lusage de cette liberté, elle ne leur fait plus peur. Ils ne voudraient en aucun cas revenir à lépoque où on leur prescrivait un programme mensuel, ni même au plan détudes trimestriel. Ils sorganisent, ils puisent dans leur expérience, leur formation ou les moyens denseignement les outils dune planification annuelle raisonnable. On peut leur demander des comptes sur leur façon de gérer le temps qui passe, mais on ne peut plus les contrôler sur les formes verbales ou les opérations quils seraient censés avoir travaillées avec leurs élèves au mois de novembre
Les cycles représentent une extension de lespace-temps dont un enseignant est responsable ou dont il partage la responsabilité avec une équipe. Pour en tirer tous les bénéfices potentiels, il faut larguer des amarres et trouver de nouvelles marques. Par horreur du vide et sous lempire de langoisse de linconnu, cette évolution pourrait encourager une régression à un contrôle plus autoritaire, qui aurait des effets désastreux. Il importe au contraire de transposer et détendre à léchelle dun cycle lautonomie accordée aux enseignants dans lespace de la classe, à la fois :
De même quun enseignant seul dans sa classe peut innover chaque année, pour mieux atteindre les objectifs, les enseignants responsables dun cycle doivent pouvoir faire évoluer son organisation sur la base dune analyse de lécart entre les espoirs et les résultats. Le système éducatif doit absolument prendre le risque de ne pas imposer des modèles de fonctionnement qui ne laisseraient aucune autonomie aux établissements et aux enseignants. Cela ne lempêche pas, bien au contraire, de faire des propositions. Les enseignants ne tiennent pas à réinventer la roue, ils veulent pouvoir choisir. Les autorités scolaires et les experts sont invités à rompre avec le fantasme dune normalisation des pratiques, pour mettre à disposition des idées et des outils.
En contrepartie, il est logique que se mettent en place de nouvelles façons de rendre compte de son action professionnelle, tant individuellement quen équipe. Les praticiens et les établissements devraient, sans se mettre sur la défensive, pouvoir expliciter et justifier leurs choix et les relier aux objectifs de la formation.
7. Il est souhaitable quun cycle dapprentissage soit confié à une équipe pédagogique stable, qui en soit collectivement responsable durant plusieurs années
En France, il subsiste assez souvent une division verticale du travail : à lintérieur du même cycle, en fin dannée, les élèves changent de classe et sont pris en charge par un autre enseignant. On ne sécarte alors pas beaucoup de la structuration en degrés (petites et grandes sections de maternelle, cours préparatoire, cours élémentaire 1 et 2, cours moyen 1 et 2), auxquels les enseignants français font toujours référence près de dix ans après lintroduction des cycles dapprentissage dans les textes officiels
Dans un tel cas, il paraît normal que chacun des intervenants successifs sattende, comme dhabitude, à accueillir des élèves " préparés à suivre son enseignement ". Il nest pas interdit de rêver dun système où les élèves seraient pris en charge par un autre enseignant ou une autre équipe sans quaucune condition préalable ne soit posée : on saisirait les élèves là où ils sont et on poursuivrait le travail en direction des objectifs de fin de cycle et de fin de cursus. Mais alors, pourquoi changer denseignant chaque année ? La seule justification de cette habitude tient à une stricte division verticale du travail.
Même si linstitution renonçait à fixer des exigences de fin dannée, du type des actuelles " conditions de promotion ", certains enseignants les réintroduiraient subrepticement. Il paraît donc souhaitable quun cycle confie à la même personne ou à la même équipe la responsabilité de lensemble du trajet, sous peine de réinventer les degrés. Leur lente érosion (Rouiller, 1998) ne peut être que ralentie par le maintien dune succession de prises en charge autonomes.
Il reste alors deux formules au moins : confier les élèves à un seul enseignant durant toute leur traversée du cycle ou constituer une équipe, au minimum un duo. Dans le canton de Vaud (cycles de deux ans mis en place dans le cadre dEVM), lenseignant peut continuer à travailler seul, il garde simplement ses élèves durant toute la durée du cycle. Ce modèle permet déjà des progressions plus souples et diversifiées. Il peut fonctionner soit sur le mode du charter (chaque enseignant reçoit un groupe-classe dun certain âge en début de cycle et laccompagne tout du long), soit sur le mode du " renouvellement par tranches ", plusieurs classes dâge coexistant dans sa classe (ce qui la rapprocherait des classes à degrés multiples de ce point de vue).
Pourquoi ne pas sen tenir là ? Parce que, réduit à ses propres moyens, un enseignant nutilise quune partie des atouts quapportent les cycles. Il reste confiné dans les quatre murs de sa classe et gère en parallèle toutes les activités. Une prise en charge collective des élèves dun cycle autorise des dispositifs plus riches et diversifiés. Par exemple une équipe de quatre enseignantes ou enseignants prenant en charge environ 80-90 élèves représentant quatre classes dage peut bâtir, pour une partie du programme, une architecture modulaire ou un fonctionnement par groupes de projets ou de besoin, ce qui est presque impossible seul dans une classe.
Il est sûr que tous les enseignants ne sont pas prêts et formés à travailler en équipe de cette manière. Le leur imposer serait pire que tout. Il faut donc, du moins durant une assez longue période de transition, renoncer à normaliser les cycles sous langle du travail déquipe. On peut aller vers une forte co-responsabilité collective des élèves sans couper chacun dun groupe-classe quil maîtrise, ni multiplier les groupes et les trajets entre groupes. Même dans un système modulaire ou de gestion intégrée (Perrenoud, 1997), une partie du temps continuerait à se passer dans un groupe-classe stable tout au long de lannée.
8. Les enseignants doivent recevoir une formation, un soutien institutionnel et un accompagnement adéquats pour construire de nouvelles compétences
On ne peut entièrement former les enseignants à fonctionner en cycles " sur le papier ", pas plus quon napprend à nager dans un livre. Certes, il serait imprudent de se lancer à laveuglette :
Une partie des problèmes surgiront au gré de lexpérience et appelleront alors la construction des compétences correspondantes. Il importe donc :
Ces trois formes dappui sont complémentaires et relèvent de groupes distincts : des formateurs, des représentants de lautorité scolaire (inspecteurs ou chefs détablissement) et des intervenants-conseils sans statut hiérarchique.
9. La quête dun fonctionnement efficace en cycles est une longue marche, à considérer comme un processus négocié dinnovation, qui sétale sur plusieurs années
Les cycles dapprentissage ne sont pas des réalités attestées. Il existe et il a existé des écoles sans degrés (Allal, 1995), très difficiles à comparer entre elles et avec les degrés. Les cycles dapprentissage ont été introduits en France par la loi dorientation de 1989, mais ils commencent à peine à être mis en uvre, en raison des alternances politiques et de la résistance des acteurs. La Belgique sy lance en même temps que la Suisse romande.
Il nest donc pas possible, aujourdhui, de livrer " clés en main " un modèle de cycles qui aurait fait ses preuves. A moins dattendre une quinzaine dannées, en observant ce qui se passe chez nos proches voisins, il ny a pas déchappatoire : il ne reste quà innover, quà inventer, de façon contrôlée, en identifiant les obstacles, en sécartant progressivement des routines familières, pour ne faire courir aucun risque aux élèves.
Lintroduction de cycles dapprentissage nest pas une mesure isolée, elle sinscrit dans une approche globale, un processus de " mutation " du système éducatif. Ce processus devrait sétendre bien au-delà de la phase initiale, durer de cinq à dix ans, si lon veut apprendre de lexpérience.
Les thèses qui viennent dêtre rapidement énoncées et justifiées mériteraient une argumentation plus serrée. Il a paru nécessaire de les présenter ensemble, car un cycle dapprentissage est un système, donc chaque composante renvoie aux autres.
Au-delà des malentendus, qui peuvent être levés, il reste sans doute une question de fond : faut-il assigner aux cycles dapprentissage daussi fortes ambitions ? Ne peut-on se contenter dinstaurer des cycles de deux ans qui ressembleraient à des degrés un peu " dilatés ", un peu comme on abat une cloison entre deux pièces adjacentes sans reconstruire toute la maison ?
Des cycles moins ambitieux effrayeront moins les parents et les enseignants. Lécole pourrait " se moderniser " sans bouleversement. Toutefois, ce nest pas une fin en soi. Il importe surtout de la rendre plus efficace pour les élèves qui, aujourdhui, nen sortent pas avec toutes les connaissances et compétences nécessaires. Les enfants et les adolescents qui apprennent et réussissent dans presque nimporte quel système pédagogique ne justifient pas un tel remue-ménage. Les réformes doivent simplement ne pas leur nuire. Ce sont les autres élèves, les 20 % en grande difficulté, mais aussi les " 40 % du milieu de la classe " (Lévine, 1996), qui justifient le changement. Si les cycles ne sattaquent pas à léchec scolaire, on peut se demander si le jeu en vaut la chandelle.
Depuis près dun siècle, de grands pédagogues proposent une " école sur mesure " (Claparède, 1973). Pourquoi sont-ils si peu entendus ? Pourquoi lorganisation de la scolarité est-elle si difficile à transformer ? Sans doute parce que dautres enjeux prennent parfois le pas sur la poursuite des objectifs de formation. Les responsables administratifs veulent pouvoir demander et rendre des comptes et craignent la complexité, la diversité et le changement, souvent perçus comme facteurs de désordre Les enseignants ont, comme tout le monde, besoin dune certains stabilité et ne sont pas prêts à abandonner des coutumes et des dispositifs pédagogiques qui, à leur avis, ont fait leurs preuves. Les élèves et les parents naiment guère le changement. Lorganisation actuelle de la scolarité est familière à tous, chacun connaît ses défauts, alors que construire des cycles paraît une aventure. Tous les acteurs de lécole ne sont pas prêts à remettre leur système de travail sur le métier. Doù la tentation des petits pas et lapparition de cycles qui ressemblent " comme deux gouttes deau " à des degrés élargis.
Est-ce la seule façon de sy prendre ? Dans les entreprises, la restructuration est permanente, en fonction de lévolution des technologies, des savoirs, des produits, des marchés, des alliances, des occasions. On peut regretter que cette flexibilité soit justifiée par la recherche du profit et laisse tant de travailleurs sur le carreau. Cela justifie-t-il que lécole, service public, ait tant de mal à mettre en question sa propre organisation, de façon tranquille et négociée, dès lors quelle empêche une partie des élèves datteindre les objectifs ?
Références
Allal, L. (1995) Un détour peut-il être un raccourci ? Quelques conclusions-clés des recherches américaines sur les écoles " sans degrés ", Genève, Faculté de psychologie et des sciences de léducation.
Claparède, E. (1973) Léducation fonctionnelle, Neuchâtel, Delachaux et Niestlé.
Direction de lenseignement primaire (1998) Les objectifs-noyaux : des repères pour mieux maîtriser la progression des élèves, des objectifs de fin de 6 P, Genève, Département de linstruction publique.
Groupe de pilotage de la rénovation (1998) Vers des cycles dapprentissage dans lenseignement primaire genevois, Genève, Département de linstruction publique.
Lévine, J. (1996) La problématique des 40 % du milieu de la classe, in Bentolila, A. (dir.) Lécole : diversités et cohérence, Paris, Nathan, pp. 51-69.
Meirieu, Ph. (1989) Itinéraires des pédagogies de groupe. Apprendre en groupe ? I, Lyon, Chronique sociale, 3e éd.
Meirieu, Ph. (1989) Outils pour apprendre en groupe. Apprendre en groupe ? II, Lyon, Chronique sociale, 3e éd.
Meirieu, Ph. (1990) Lécole, mode demploi. Des " méthodes active " à la pédagogie différenciée, Paris, Ed. ESF, 5e éd.
Meirieu, Ph. (1995) Différencier, cest possible et ça peut rapporter gros, in Vers le changement espoirs et craintes. Actes du premier Forum sur la rénovation de lenseignement primaire, Genève, Département de linstruction publique, pp. 11-41.
Perrenoud, Ph. (1996) La pédagogie à lécole des différences. Fragments dune sociologie de léchec, Paris, ESF, 2e éd.
Perrenoud, Ph. (1997) Pédagogie différenciée : des intentions à laction, Paris, ESF.
Perrenoud, Ph. (1998) Les cycles dapprentissage : une auberge espagnole ?, Educateur, n° 13, 27 novembre, pp. 25-28.
Rouiller, J. (1998) De la lente érosion des degrés à lémergence des cycles dapprentissage, Educateur, n° 11, octobre, p. 24-26.
http://www.unige.ch/fapse/SSE/teachers/perrenoud/php_main/php_1998/1998_46.html
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