Source et copyright à la fin du texte
In Éducateur, n° 7,
28 mai 1999, pp. 28-33.
Plaidoyer pour des cycles
dapprentissage de plus de deux ans
Philippe Perrenoud
Faculté de psychologie et des sciences de
léducation
Université de Genève
1999
La tentation des cycles courtsLe risque de geler le curriculum
Le risque de ne pas mieux différencier
Le risque den rester aux combattants solitaires
Le risque de revenir à des routines
Un cycle dapprentissage est un espace-temps de formation de plus dun an. Dans un système où la scolarité est structurée de la sorte, chaque élève " appartient " à un cycle. Ainsi, un cycle dapprentissage de 4 ans sera en principe fréquenté par les enfants de 4 à 8 ans, un autre par des enfants de 9 à 12. Mais, de même que son appartenance à un degré annuel ne dit pas encore dans quel groupe-classe un élève se trouve, son appartenance à un cycle ne préjuge pas de lensemble dont il fera partie à léchelle dun établissement.
Ce dernier dépendra à la fois de la taille de létablissement et de choix relatifs à lorganisation pédagogique. A léchelle dun système éducatif, cela représente en général des milliers, voire des dizaines ou des centaines de milliers délèves. A léchelle dun établissement scolaire, le nombre délèves appartenant au même cycle oscillera dune vingtaine, dans les petites écoles rurales, à quelques centaines dans les très grandes écoles de ville.
Dans lenseignement primaire, une école moyenne compte de 25 à 50 élèves par classe dage. Dans un cycle de quatre ans, on comptera donc dans létablissement, entre 100 et 200 élèves. Il faut diviser ces chiffres par deux si les cycles nont que deux ans. Ces aspects numériques ont des incidences non négligeables sur lorganisation pédagogique : on ne peut travailler en cycle avec 20 élèves et un enseignant de même quavec 200 et 10 enseignants.
La carte scolaire étant ce quelle est, il convient :
On ne peut toutefois concevoir lorganisation du travail en cycles sur cette seule base. Le nombre délèves à encadrer ne dicte pas une réponse unique à la question de savoir comment sorganisera concrètement le travail à léchelle de létablissement. Ainsi, un établissement primaire qui compte 150 élèves de 4 à 8 ans peut ouvrir six classes multiâges de 25 élèves, chacune prise en charge par un titulaire, ou constituer une équipe de six enseignants collectivement responsables des 150 élèves. On peut aussi retenir des formules intermédiaires, par exemple deux équipes de trois enseignants, en charge de 75 élèves ou trois tandems encadrant chacun 50 élèves.
On ne saurait détacher cette question de loption retenue quand à la longueur des cycles dapprentissage. Certes, la prise en compte de la taille des écoles pourrait jouer un rôle : dans un système où les écoles sont dispersées, on peut, toutes choses égales, être conduit à instituer des cycles longs, pour des raisons proches de celles qui ont favorisé les classes à degrés multiples dans les campagnes. A linverse, des écoles urbaines comptant au moins 100 élèves par cohorte rendent possibles des cycles courts, ce qui ne signifie pas quils sont préférables. Mieux vaudrait cependant entrer dans le débat par une autre porte, en clarifiant la relation entre la longueur des cycles et ce quon en attend.
Une question se pose en amont : faut-il que la longueur des cycles soit réglementée à léchelle du système ? Pourquoi ne laisserait-on pas chaque établissement en décider, en fonction de son projet, de sa taille et des possibilités de collaboration entre les enseignants en place ? Cette formule séduisante, qui valorise lautonomie des établissements (Perrenoud, 1999 b), pourrait se révéler impraticable, en raison à la fois de linvestissement requis pour déterminer des objectifs de fin de cycle et de la difficulté de faire coexister, dans un même système, des écoles découpant le même cursus chacun à sa façon. Il apparaît raisonnable que le choix soit fait au niveau du système éducatif, pour décharger les écoles dun choix difficile, qui peut les diviser.
Quel que soit alors la longueur instituée des cycles, on peut souhaiter que le système autorise les établissements à regrouper des cycles successifs sil peut mettre en place une équipe assez cohérente pour gérer cet ensemble plus vase. À linverse, on peut espérer quon laissera aux enseignants aient assez dautonomie pour quils puissent fractionner un cycle long en deux étapes, à deux conditions : conserver une vue densemble et ne pas réintroduire les degrés annuels de façon subreptice.
Même si on garantit une telle flexibilité, le choix institutionnel simpose comme la référence officielle pour chaque établissement. Il a donc une valeur stratégique. Or, on peut craindre que nombre de systèmes éducatifs penchent trop rapidement vers des cycles de deux ans, par manque daudace, mais surtout dattentes claires.
La tentation des cycles courts
La tentation de privilégier des cycles courts a plusieurs raisons assez faciles à comprendre :
Je vais tenter de montrer que si le choix de cycles courts a lavantage de rester prudent et de provoquer moins de résistances, la médaille a un revers :
Reprenons ces divers arguments, qui évoquent autant de risques. Les systèmes éducatifs privilégient souvent les solutions les moins pointues, pour ne pas compromettre les réformes. On peut se demander si cest toujours un bon calcul : introduire des cycles nest pas une fin en soi, ni un progrès magique. Ce nest quun détour structurel pour mieux atteindre les objectifs de la scolarité. La question nest pas alors de savoir si les cycles courts sont plus simples ou sils font moins peur, mais sils représentent un réel pas en avant.
On peut sans doute considérer des cycles de deux ans comme un premier pas, en les inscrivant délibérément dans une stratégie à plus long terme. Encore faut-il, pour ne pas se contenter dun argument creux, même sil paraît de bon sens, se demander exactement ce que lon veut. Nul responsable ne prend le risque de proposer des changements audacieux sans avoir de bonnes raisons.
Le risque de geler le curriculum
Dans certains cantons suisses, les années scolaires allaient jadis de Pâques à Pâques. Lorsque tous se sont, par concordat, alignés sur une norme unique, de fin août à début juillet de lannée civile suivante, les administrations scolaires ont, pour assurer la transition, décrété, à titre exceptionnel, une " année longue ", de Pâques à juillet de lannée suivante, soit environ 15 mois. Le fonctionnement de lécole sen est-il trouvé changé ? Les enseignants se sont bornés à aménager la programmation, de sorte à " tenir " quelques mois supplémentaires. Bref, on a fait " plus du même " et on a eu raison, puisquil sagissait dune manuvre sans lendemain.
Il serait plus ennuyeux quun cycle dapprentissage de deux ans fonctionne comme une " année longue instituée ". Mises bout à bout, deux années scolaires représentent approximativement 18 mois de travail en classe, si lon déduit les vacances. Or, cette durée nexige pas nécessairement de forte rupture avec les modes habituels de planification et de progression dans le curriculum. Au prix dune courte période dadaptation, nimporte quel enseignant saura mettre bout à bout deux années scolaires, sans pour autant modifier radicalement sa conception de la planification, de la gestion de classe, de la gestion des progressions. Un tel système existe pratiquement déjà : dans les campagnes, les classes à deux degrés nont pas disparu. En ville, il nest pas rare quun enseignant garde ses élèves deux ans, en couvrant successivement deux programmes annuels. Hutmacher (1993) a montré qualors le taux de redoublement tend vers zéro, puisque lenseignant qui " suit " ses élèves na pas à craindre le jugement éventuel dun collègue sur leur " niveau désolant " au début de lannée suivante.
Si, de lintroduction de cycles dapprentissage, le système éducatif nattend rien dautre que la disparition du redoublement, fixer leur durée à deux ans leu paraîtra peut-être idéal, car ce changement atténue le retard scolaire sans exiger un " saut qualitatif " dans les pratiques. Il nappelle aucun paradigme nouveau dans la gestion du temps et des apprentissages, les enseignants transférant assez vite leurs savoir-faire à ce nouvel espace-temps, certes un peu plus vaste, mais qui ne diffère pas de lannée scolaire au point de mettre en crise leurs habitudes. On le voit dans les systèmes qui ont introduit ou introduisent de tels cycles courts : cela ne passe pas inaperçu, il y a un moment dinquiétude, on aménage un peu les pratiques, puis tout rentre dans lordre.
Cela dautant plus quon reste attaché à un enseignement orienté par des programmes plutôt que par des objectifs : il suffit de réunir deux programmes annuels pour nen faire quun, et le tour est joué. On peut assouplir certaines progressions, repousser telle acquisition à lannée suivante, hâter telle autre, en fonction des élèves quon a et des activités mises en place. Bref, faire ce que lon fait déjà en étant un peu moins gêné aux entournures. Un cycle de deux ans peut se gérer comme une année scolaire, à quelques ajustements près.
Sur deux ans, travailler par compétences et objectifs-noyaux nest pas indispensable. Linvitation à le faire pourrait même apparaître comme une contrainte arbitraire. En deux ans, on ne perçoit guère mieux la construction de compétences quen un an. De même, organiser la construction de savoirs autour dobjectifs-noyaux ne simpose pas et peut même compliquer les choses. Il paraît plus simple de feuilleter une à une les pages du " texte du savoir " (Chevallard, 1991).
Si lon veut, à loccasion de la mise en place de cycles, transformer la nature du curriculum, travailler par compétences (Perrenoud, 1997) et objectifs-noyaux (Direction de lenseignement primaire, 1998 ; GPR, 1999 a), une rupture plus nette simpose. Un cycle long, par exemple de quatre ans, accroît les chances de transformer les pratiques, de sorte que les enseignants travaillent véritablement en fonction des objectifs du cycle et dune gestion des progressions à flux tendu (Perrenoud, 1997), dans un constant compte à rebours et une perspective stratégique (Tardif, 1992), plutôt quen avançant pas à pas dans un programme, à flux poussés, au gré dune grille horaire hebdomadaire invariable. Lorsquon a trois ou quatre ans devant soi, il devient évident quil faut cesser dempiler des années et tenter de gérer la progression des apprentissages en référence aux objectifs de fin de cycle. Seul ce pilotage par lobjectif, par laval, autorise des parcours de formation réellement individualisés.
Ce défi, didactique et organisationnel, exige aussi un changement des formes dévaluation (GPR, 1999 c), ce qui peut certainement faire peur, ce qui suffit parfois à expliquer quon sen tienne à des cycles courts, dont la gestion peut largement se fonder sur les routines du métier acquises au gré des programmes actuels.
Instituer des cycles longs, notons-le, est compatible avec des balises plus rapprochées, pour piloter les progressions. Leur gestion peut se construire progressivement, en passant par des étapes de transition entre gestion de classe à un degré et gestion dun cycle long (GRP, 1999 b ; Perrenoud, 1999 d).
Le risque de ne pas mieux différencier
Lintroduction de cycles dapprentissage nest pas une fin en soi, cest un aménagement structurel censé faciliter la différenciation de lenseignement. Un cycle court présente à cet égard moins dintérêt. Dabord parce quil est plus simple, donc assez tentant, dans le cadre de cycles courts, de confier à chaque enseignant son groupe-classe. Certes, il importe que le groupe soit multiâge plutôt que monâge. Mais dans tous les cas, on retrouve les limites de laction dun enseignant " seul maître à bord " avec ses élèves. Outre lappui hors de classe par un enseignant de soutien, les dispositifs de différenciation puisent dans un éventail restreint, compatible avec la gestion du groupe par une seule personne : soutien intégré, travail en alternance avec des sous-groupes, méthode du " plan de travail hebdomadaire " avec différenciation des contrats, devoirs à la carte, essais denseignement mutuel, dispositifs autocorrectifs. Lintérêt des cycles est de créer un plus vaste espace-temps de formation en mobilisant plusieurs enseignants, pour créer dautres dispositifs de différenciation, plus puissants, groupes de niveaux, de besoins, de projets ou modules (GPR, 1999 b ; Perrenoud, 1997, 1999 d ; Wandfluh et Perrenoud, 1999).
De plus, dans un cycle court, les échéances restent assez rapprochées et limitent les possibilités dindividualisation des parcours de formation. Les responsables dun cycle court savent quen 18 mois de travail, ils doivent faire franchir à tous les élèves une étape significative dans le cursus. La tentation dune progression uniforme est donc presque aussi vive que dans un programme dun an.
Pour " laisser du temps au temps ", pour accepter des cheminements diversifiés, sans perdre lespoir datteindre les objectifs communs, pour individualiser véritablement les parcours, il faut avoir une marge suffisante, sans laquelle on sera immédiatement saisi par langoisse du " temps qui passe " et lobsession du " temps qui reste ".
Dautres arguments militent également pour des cycles plus longs :
Deux années, bien entendu, cest déjà mieux quune seule, mais cela reste un peu court pour déployer des stratégies de différenciation efficace.
Le risque den rester aux combattants solitaires
Des cycles longs sont plus propices à un travail en équipe. Dabord pour des raisons démographiques : dans les écoles qui comptent actuellement une classe par degré, un cycle de deux ans réunirait une cinquantaine délèves et ne mobiliserait que deux enseignants à temps plein. Ils pourraient travailler en tandem, mais cela ne créerait pas une véritable dynamique déquipe. Toutes choses égales dailleurs, le passage à des cycles de quatre ans double, dans chaque établissement, le nombre délèves appartenant au même cycle.
Toutefois, il ne suffit pas de réunit un grand nombre délèves pour surmonter la tentation de lindividualisme (Gather Thurler, 1994). Même sil y a, dans un établissement, cent ou deux cents élèves appartenant au même cycle, il est peu probable que les enseignants seront spontanément portés, à quatre ou à huit, à en prendre ensemble la responsabilité.
Si le système nassocie pas délibérément et fermement la gestion des cycles à une plus forte coopération professionnelle, on observera certes, comme aujourdhui, des décloisonnements plus ou moins audacieux. Certaines équipes se constitueront sur une base volontaire, en investissant hélas une partie de leur énergie pour " survivre " dans un environnement qui nest pas prévu à cet effet, en luttant chaque année, par exemple, contre des modalités de gestion du personnel qui ne connaissent que des individus et n'accordent aux équipes aucun privilège.
Si lon estime que le travail en équipe est nécessaire pour accroître lefficacité de lenseignement, les cycles longs apparaissent de surcroît une excellente occasion de transformer le métier dans ce sens.
Il reste à dire pourquoi lon peut souhaiter que les enseignants coopèrent davantage. On peut avancer pour plusieurs raisons. La coopération est :
Il convient ici dêtre réaliste : la longueur des cycles ne garantit pas ipso facto un travail déquipe ! La France en donne lexemple : les cycles de trois ans introduits par la loi dorientation de 1989 peuvent fonctionner avec trois enseignants individualistes, chacun gardant ses élèves durant un an, pour les passer à un collègue en fin dannée. Tous visent les mêmes objectifs de fin de cycle, parce quils sont inscrits dans les textes, mais cela nexige aucune concertation forte, puisque chacun soccupe de ses élèves. On reste dans le modèle dune " chaîne de montage ", chaque poste de travail prenant en charge une nouvelle étape du " traitement ". Cette façon de faire nest pas la seule possible, mais elle est compatible avec la lettre, sinon lesprit des textes français, qui nimposent pas le travail en équipe.
Un système qui envisage dintroduire des cycles dapprentissage devrait décider si laccroissement de la coopération professionnelle est pour lui un enjeu majeur. Dans laffirmative, des cycles longs paraissent plus favorables à la transformation des combattants solitaires en équipiers solidaires, collectivement responsables des élèves dun cycle.
Le risque de revenir à des routines
Gérer seul un cycle de deux ans est plus facile que de gérer en équipe un cycle de quatre ans, cest indéniable. La question est plutôt : est-il intéressant de revenir le plus vite possible à des routines, dautant plus vite quon séloignera peu de ce quon fait déjà et quon ne négociera quavec soi-même ?
Au fil des décennies et des expériences décevantes, les systèmes éducatifs ont appris que les réformes scolaires apportent rarement une solution définitive à des problèmes complexes, dont les données changent avec lévolution constante des murs, des élèves, des familles, des technologies, des savoirs. Philippe Meirieu a souvent invité à méditer sur ce constat : là où lécole accouche périodiquement de réformes, la médecine fait continûment des progrès Sil faut des réformes, cest parce que seul le pouvoir organisateur peut modifier les programmes et les structures. Mais on sait aujourdhui que seuls sont décisifs les changements du troisième type, qui concernent les représentations, les compétences et les pratiques (Perrenoud, 1990). Structures et programmes ne peuvent que favoriser la transformation des pratiques pédagogiques !
Si lon pousse cette logique à son terme, on saperçoit que les meilleures réformes de structures et de programmes sont celles qui ont des effets partiellement irréversibles de formation et de mobilisation des enseignants. La formation sentend ici au sens large : prise de conscience, construction de nouvelles représentations et compétences, évolution des modes de faire. Quant à la mobilisation, il importe, faut-il le dire, quelle repose sur le débat et la construction commune
À quoi bon introduire des cycles sils nont quun fugace effet de formation et de mobilisation, lié à linquiétude devant toute nouveauté bien plus quà une transformation durable des problèmes à résoudre ? On peut attendre des cycles longs quils obligent à repenser une partie des évidences constitutives du métier et induisent plus fortement une pratique réflexive (Schön, 1996), quon peut souhaiter aussi peu solitaire que possible.
Lart de la réforme qui ne change presque rien
Geler le curriculum, ne pas mieux différencier, en rester aux combattants solitaires ou en revenir à des routines sans dimension réflexive : les éléments que je présente comme des risques peuvent être perçus comme autant darguments en faveur de cycles courts. Tout dépend en définitive de ce que lon cherche et de la conception quon a des raisons et des enjeux du changement.
Dans certains systèmes, la création de cycles dapprentissage pluriannuels est terriblement banalisée. Tout se passe comme si on les introduisait parce que les autres systèmes éducatifs le font ou lenvisagent. Mieux vaut alors choisir des cycles courts et insister sur la continuité des pratiques. Le comble de la prudence (ou de la démagogie) serait de dire aux enseignants : " Vous travaillez à certains égards déjà en cycles, sans le savoir, en gardant vos élèves plus dun an, en gérant des classes à degrés multiples, en pratiquant certains décloisonnements ou une évaluation plus formative, en poursuivant des objectifs larges. Bref, rien de nouveau sous le soleil, il ny a pas de quoi sinquiéter ! "
Mais, si " on le fait déjà ", comment comprendre le sens dune réforme ? Dans une société où limmobilisme paraît archaïque, alors que le changement fait peur et suscite de multiples résistances, la tentation nest pas mince dinventer une magnifique synthèse : la réforme qui ne change presque rien.
Dans cette perspective, les cycles courts paraîtront vraisemblablement une heureuse synthèse. Ils modernisent sans bouleverser les habitudes, sans trop diviser le corps enseignant et les parents, sans donner davantage de pouvoir aux équipes et aux établissements, sans menacer lencadrement.
De la sorte, de nombreux acteurs gagnent sur les deux tableaux : lécole se modernise, mais les enseignants et les parents ne descendent pas dans la rue. Il faut être aussi fou quAlain Savary ou Claude Allègre pour jouer sa carrière sur le sort dune vraie réforme. Le coût de cette mascarade reste invisible : les générations suivantes hériteront dun système éducatif qui na véritablement affronté aucune de ses contradictions. Il sera bien difficile alors de savoir à qui la faute.
Les cycles longs seront, dans un premier temps, moins efficaces, précisément parce quils exigent de nouvelles compétences et de nouveaux fonctionnements collectifs. Leurs potentialités ne se manifesteront que progressivement, une fois divers problèmes nouveaux identifiés et résolus. Le chantier demeurera ouvert. Cest ce qui fait peur. Cest pourtant le seul intérêt des réformes : empoigner les vrais problèmes, affronter les dilemmes majeurs du métier (Woods et al., 1997), ce qui ne peut se faire que sur le long terme, par un patient travail professionnel, appuyé sur la recherche, la formation, la concertation, le pilotage négocié de linnovation (Gather Thurler, 1999 ; Perrenoud, 1999 c). Toutes choses que les réformes de structures ne peuvent quappeler de leurs vux, sans le décréter et que les politiques de léducation devraient soutenir avec persévérance, sans changer de cap au premier écueil
Bref, la longueur des cycles nest pas une question de pédagogie et dorganisation. Cest un bon indicateur de la volonté politique de changer lécole. Les cycles dapprentissage pluriannuels ne sont que des moyens de recadrer les problèmes et les solutions, aux fins dinventer une école plus efficace. Pour que ce détour structurel justifie le remue-ménage quil provoque, il nest pas suffisant quil soit acceptable. Il faut encore quil crée un déséquilibre optimal, quil mette les acteurs en mouvement et en recherche, quil sollicite le système dans sa " zone proximale de développement ". Dans le débat sur la longueur des cycles saffrontent des conceptions du changement. Léchec relatif des réformes scolaires durant ces dernières décennies devrait conduire à penser autrement celles qui viennent : une réforme nest quun temps fort dun processus continu, elle lève certains verrous structurels, le vrai travail se passe en amont et en aval de la décision, à travers la concertation, la formation, laccompagnement du processus durant des années.
Pour aller dans ce sens, il faut construire des stratégies de changement à long terme. On peut rêver quun jour un ministre de léducation quittera son poste sans se glorifier davoir " réformé le système éducatif " et se contentera de dire quil a soutenu, éventuellement " à travers une réforme ", une politique à plus long terme, dont il nest ni linstigateur, ni le propriétaire, juste lun des garants, durant quelques années
Références
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