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Létablissement, principal
garant
du renouveau pédagogique
Faculté de psychologie et des sciences de
léducation
Université de Genève
1999
Le rôle du système éducatif
Le texte qui suit est issu dune conférence donnée en 1992 en clôture dun colloque de l'Association francophone internationale des directeurs d'établissements scolaires (AFIDES) tenu à Coppet, près de Genève.
Pourquoi y revenir ? Parce que lenjeu reste dactualité. Le colloque avait pour thème " Le directeur, la directrice d'établissement scolaire et le renouveau pédagogique ". Le renouveau ? Le mot est familier, mais il sonnait étrangement dans le contexte de léducation, où lon parle plus volontiers de changement planifié, dinnovation, de rénovation ou de réforme. Le renouveau pouvait paraître un concept un peu mou. Lexpression na dailleurs pas été reprise durant les années suivantes. Pourtant, cest sans doute la plus adéquate pour désigner un processus continu et endogène de renouvellement des idées et des pratiques pédagogiques.
Philippe Meirieu dit volontiers que lorsque lécole fait des réformes, la médecine fait des progrès. Façon de souligner que lavenir nest pas de bouleverser le système éducatif tous les cinq ans, mais daffiner constamment les finalités, les moyens, les dispositifs denseignement, dapprentissage et dévaluation. Sans doute faut-il des réformes de structures et de programmes pour offrir aux enseignants un cadre de travail convenable. Mais à lintérieur du cadre, cest de " changements du 3e type " quil sagit. Jai baptisé de la sorte (Perrenoud, 1990) les changements qui touchent aux pratiques et donc aux valeurs, attitudes, représentations, savoirs et compétences qui les sous-tendent. Les réformes sont des temps forts qui peuvent favoriser les changements de représentations et encourager un investissement massif de formation, mais elle nont pas deffets si elles ne sinscrivent pas dans une tendance à long terme qui, elle, ne peut être directement contrôlée den haut.
La problématique du renouveau pédagogique rejoint en partie ce que les pays anglo-saxons nomment " staff development ", " professional development " et " organizational development ". Centrée sur létablissement, elle renvoie cependant aussi à la politique de léducation et de linnovation, puisque la question cruciale est de savoir comment stimuler le renouveau sans lui enlever son caractère endogène.
Les réflexions réunies ici ont été prolongées par des travaux plus récents quon trouvera dans les références.
Contrairement aux innovations et aux grandes réformes, le renouveau se présente comme un processus local, continu, diffus. Cest, dune certaine manière, le changement dans la continuité, la régulation ordinaire de laction pédagogique et du fonctionnement des établissements vers plus defficacité et de cohérence. En un sens, le renouveau est la routine dun système vivant, qui meurt sil ne reconstruit pas en permanence ses énergies et ses façons de faire. Le renouveau participe de la nature même des systèmes vivants, donc aussi des établissements scolaires. Mais voilà : ce renouveau spontané nest pas toujours à la hauteur des défis auxquels lécole est confrontée. Doù lidée, volontariste, de favoriser le renouveau, cest-à-dire, sans en changer fondamentalement la nature, de le rendre plus intensif, plus cumulatif, plus cohérent tant à lintérieur de létablissement quà léchelle du système éducatif. Alors que certains types de changements sapparentent aux interventions de la chirurgie ou de la médecine allopathique de choc, la stimulation du renouveau pédagogique est sans doute plus proche dune approche homéopathique : il sagit de renforcer les mécanismes spontanés de changement plus que de sy substituer.
Est-il possible de stimuler des dynamiques endogènes ? Est-ce le rôle du chef détablissement ? Certes, il fait partie du système local et, en ce sens, contribue à ses dynamiques. Mais y a-t-il quelque raison de penser quil peut renforcer des processus spontanés de renouveau sans les capter ni les dénaturer, les mettre en synergie sans les mettre en ordre ? Oui, sil accepte de fonctionner comme catalyseur du changement davantage que comme gestionnaire, dêtre présent sans être insistant, cohérent sans être dogmatique, incitateur sans être prêcheur, compréhensif sans être complaisant.
Deux groupes de conditions sont requises pour que le chef détablissement puisse stimuler le renouveau dans son école :
1. Le système éducatif doit conférer à létablissement lautonomie et le statut requis pour quil devienne une " organisation apprenante " et donner à sa direction les moyens et la légitimité correspondantes.
2. Lidentité et les compétences du chef détablissement doivent être à la hauteur de ce nouveau rôle, qui dépasse ladministration scolaire et va dans le sens du leadership coopératif.
Sur ces deux points, je tenterai de définir quelques pistes.
Pourquoi se soucier de lensemble du système si le renouveau est conçu comme un processus essentiellement local, à la dimension de létablissement ? Parce quil dépend dans une large mesure, parfois à linsu des intéressés, de conditions et dincitations définies à léchelle du système éducatif pris dans son ensemble.
On peut envisager le problème selon cinq perspectives complémentaires :
Dans ces cinq domaines, on dispose de leviers stratégiques qui, selon la façon dont on sen sert, peuvent rendre le renouveau à léchelle de létablissement extrêmement difficile, donc improbable, ou au contraire relativement évident, parce que le système lencourage sans lorganiser, lui offre des conditions favorables sans le téléguider.
Une politique du renouveau
Aujourdhui, les systèmes éducatifs prétendent maîtriser le changement, donc le penser et lorganiser de façon volontariste. Cette maîtrise est fortement dépendante des théories et des idéologies du changement qui occupent le devant de la scène en éducation. Divers modèles ont aujourdhui pignon sur rue. Il ne sexcluent pas nécessairement, mais les divers acteurs privilégient tel ou tel :
Aucune de ces trois entrées nest, en première instance, laffaire des établissements. Sans doute une innovation locale ou une recherche-développement ont-elles dordinaire pour cadre un ou plusieurs établissements ; sans doute, les réformes de structures et les rénovations de programmes touchent-elles en général une série détablissements comparables. Mais ces derniers noffrent alors quun cadre, un lieu dapplication de changements pensés ailleurs.
Le renouveau pédagogique pourrait sanalyser comme une quatrième voie vers le changement, qui donne à létablissement un statut dacteur collectif ayant sa propre politique de rénovation. En France, le développement du projet détablissement va dans ce sens et tente dorganiser le renouveau à léchelle locale, en encourageant chaque école à définir sa politique et ses priorités propres dans le cadre des finalités globales tracées par le système éducatif (Obin, 1992, 1993). La thématique du renouveau nentre pas en contradiction avec la notion de projet détablissement, elle est seulement un peu plus générale et accepte lidée que le renouveau peut prendre diverses formes, sans nécessairement regrouper tous les changements en un seul projet cohérent pour lensemble dun établissement. Favoriser le renouveau, en ce sens, ne se limite pas à développer un projet détablissement. Cest une stratégie plus large, dont le projet est une modalité possible.
Il serait exagéré de prétendre que les innovations pédagogiques dinspiration militante, les recherches-développements dinspiration scientifique et les réformes de structures ou de programmes dinspiration politico-administrative sont des genres de changement à la fois tout à fait cohérents et distincts. Néanmoins, ces trois types de changement sont relativement familiers aux acteurs du système éducatif, qui en ont souvent une expérience personnelle, choisie ou subie.
Le renouveau, comme changement décentralisé, stimulé et construit à léchelle de létablissement, a une image plus floue. Ce nest pas une forme sociale connue et reconnue. Nous navons encore ni langage, ni concepts communs pour nommer et penser ce type de changement. Le vocabulaire du projet détablissement est trop lié à un contexte national et à une conception précise du changement pour aider à penser globalement le renouveau. Il y a donc un important travail de construction conceptuelle à faire, dans tous les lieux qui sy prêtent (associations, ministères, universités, mouvements pédagogiques, et bien sûr établissements) pour donner un statut théorique plus clair au renouveau. Cest à cette condition, nécessaire mais pas suffisante, quil deviendra une forme légitime de changement, qui complète les autres plutôt que de sy opposer, et parfois les prépare ou les prolonge. Le système éducatif peut fortement contribuer à cette légitimation.
Le statut des établissements et leur structure politico-administrative
Il ny a pas de renouveau sans une marge dautonomie, sans un pouvoir à prendre et à partager à léchelle de létablissement. Certes, chaque professeur a une sphère dautonomie professionnelle à lintérieur de laquelle il peut, dans le respect des programmes et des grandes orientations didactiques, renouveler ses méthodes denseignement et dévaluation. Le renouveau pédagogique peut, en partie, se nourrir de cette autonomie, à supposer quune culture de coopération autorise et encourage chacun à sortir de sa bulle et à confronter ses pratiques à celles de ses collègues. On peut douter cependant que le renouveau à léchelle de létablissement aille très loin sil se fonde sur la simple juxtaposition des processus individuels de renouvellement des pratiques.
Pour quil y ait professionnalisation interactive et double spirale (Gather Thurler, 1993, 1996, 2000), il faut certes une culture de coopération, un fonctionnement facilitant la mise en commun des idées et la concertation des pratiques. Mais ces dynamiques seront dautant plus probables quon reconnaît à létablissement une certaine compétence (au double sens dune qualification et dun pouvoir) dans ladaptation des programmes nationaux, des structures, des cahiers des charges, de la division du travail. Sinon, on peut craindre que la réflexion commune débouche rapidement sur des impasses administratives et statutaires. Comment, par exemple, constituer des équipes pédagogiques cohérentes et durables si la gestion du personnel les ignore ? Si la recomposition des équipes dépend de mutations décidées sans se soucier de savoir qui peut et veut travailler avec qui ? Comment favoriser des décloisonnements interdisciplinaires et des évaluations communes si chacun doit rendre des comptes à des " autorités didactiques " propres à chaque discipline ?
Tant dans limaginaire que dans la réalisation, le renouveau sera dautant moins brimé que les établissements disposeront dune véritable autonomie. Certes, chaque établissement à de fait une politique (Perrenoud & Montandon, 1988). Mais elle est souvent clandestine, illégitime, en contravention avec les mythes administratifs. Mieux vaudrait que le système éducatif mette en forme cette autonomie et lui fasse correspondre une véritable responsabilité, dans le cadre de contrats explicites. Dans le secteur privé, certains établissements peuvent fonctionner comme des entreprises, nayant de compte à rendre quà leurs actionnaires et à leurs usagers. Dans lécole publique, il en va autrement. Lautonomie des établissements nest concevable quà lintérieur de lois et de cadres administratifs nationaux ou régionaux. Un établissement ne peut donc prétendre à lautonomie dune entreprise indépendante, régie seulement par le droit commun. Il fonctionne plutôt comme une filiale dune grande entreprise, qui doit des comptes à la maison mère et dont lautonomie nest pas un droit, mais une modalité de travail plus efficace (Derouet et Dutercq, 1997 ; Gather Thurler, 1998 a ; Perrenoud, 1999).
Pour aller dans ce sens, le système éducatif doit avancer dans deux directions complémentaires :
Sur ces deux points, le concept français de projet détablissement amène à des éléments de réponse. Il reste beaucoup de questions ouvertes, comme le montre Obin (1992). Ainsi, on ne sait pas jusquà quel point le projet détablissement peut être une véritable politique locale déducation ou sil est simplement une liste de priorités ou daccents mis dans la réalisation dobjectifs nationaux ou régionaux. Par ailleurs, la doctrine et les méthodes en matière dévaluation des politiques ou des projets détablissement sont encore dans une phase de tâtonnements et de recherche. Dans dautres pays, les choses sont moins avancées encore et il reste beaucoup à faire pour donner à lautonomie de létablissement un statut clair et acceptable dans le cadre de lécole publique.
En contrepartie, il reste à aménager lensemble des structures politico-administratives dont dépendent les établissements : dune bureaucratie classique, qui gère elle-même les budgets, lengagement et la formation des enseignants, la rénovation des programmes, des grilles horaires, des didactiques, il faut progressivement passer à une administration centrale capable de conclure des contrats avec des établissements partiellement autonomes et den vérifier le respect. Doù des changements importants :
On le voit, tant à léchelle des établissements que de ladministration centrale dont ils dépendent, de grands changements seront encore nécessaires pour favoriser vraiment un renouveau pédagogique décentralisé. Il y a cependant de fortes raisons de croire cette évolution possible : comme le note Lise Demailly (1992) les méthodes classiques de mobilisation et dencadrement des enseignants sont en crise, faute dun consensus social sur les finalités et les formes de léducation scolaire, et faute de mythes professionnels partagés. Les administrations centrales sont en train de fonder des espoirs sur lautonomie des établissements et les initiatives locales parce quelles nont pas dalternative !
Statut et identité des chefs détablissements
Aujourdhui, sil est acquis au principe du leadership coopératif, de lautorité négociée, un chef détablissement peut, jusquà un certain point, infléchir son rôle dans ce sens. Mais il agit à lintérieur dun cahier des charges qui ne met guère laccent sur sa responsabilité dans le renouveau pédagogique et la création dune culture détablissement. Il y a donc des limites à ce quon peut attendre dun chef détablissement " moyen " agissant dans le cadre de son statut et de son cahier des charges actuels. Certes, quelques pionniers peuvent saffranchir des textes officiels et prendre des risques. Certains y sont même encouragés par ladministration, soit parce quils savancent en éclaireurs et préparent des redéfinitions de la fonction, soit parce quils sont aux prises avec des conditions tellement déviantes et difficiles quon leur demande de réussir par nimporte quel moyen plutôt que de respecter les formes. Mais, statistiquement, on ne peut à terme faire comme si la réorientation du rôle du chef détablissement pouvait se faire à lintérieur des textes et des statuts existants.
Le cahier des charges et le statut ne suffisent pas, il reste à habiter le rôle et à le tirer concrètement du côté du leadership coopératif plutôt que de la gestion administrative. Cest une affaire didentité collective, dorganisation des formations, de culture professionnelle des chefs détablissements.
Tout professionnel doit une partie de son identité à leffort que consent sa corporation pour clarifier une éthique, un projet, une image du métier, des tâches principales, des compétences, des responsabilités. Même si le cahier des charges des chefs détablissement insistait sur leur responsabilité dans le renouveau pédagogique et la construction dune culture de coopération au sein de leur école, il leur resterait à investir dans les textes des représentations développées et partagées dans au moins trois réseaux :
1. Les associations et organisations professionnelles et syndicales de chefs détablissements ; ce sont des lieux essentiels pour discuter et redéfinir leur identité professionnelle, notamment sous langle du rapport au changement et des responsabilités dans lanimation pédagogique, la construction dun climat, dune culture, dun mode de concertation, etc.
2. Les conseils et conférences de chefs détablissements réunis à léchelle du système éducatif régional ou national ; alors quils pourraient être des lieux forts de réflexion sur le métier et de construction dune identité, ces conseils sont souvent stérilisés par lautoritarisme des uns et la docilité des autres, par le peu de courage des chefs détablissements à mettre sur la table leurs véritables problèmes et à décrire sans fard la situation de leur établissement ; ces lieux administratifs de concertation pourraient jouer un rôle déterminant dans la construction dune identité professionnelle si les acteurs refusaient plus souvent de se plier à des fonctionnements hérités dun autre âge.
3. Les liens à lintérieur des associations professionnelles ou des structures administratives ne remplaceront jamais les contacts informels ; lidentité professionnelle se développe aussi par des rencontres plus amicales, plus conviviales, à plus petite échelle, entre quelques chefs détablissements qui se voient régulièrement, se racontent leurs problèmes, leurs expériences, leurs itinéraires, soffrent un accompagnement mutuel, voire une supervision dans les moments difficiles. Il serait absurde de vouloir organiser den haut des rencontres informelles. On peut au moins multiplier les occasions et donner du temps pour que se nouent des liens personnels et des conversations autour du rôle professionnel au sein des associations et des conférences de cadres, aussi bien que des moments de formation continue.
Formation et culture commune des chefs détablissements
La façon dont les chefs détablissement conçoivent et habitent leur rôle dépend naturellement de leur formation, au sens dun capital didées, de valeurs, de connaissances (psychopédagogiques, psychosociologiques, administratives), de savoir-faire, dattitudes. Ce qui renvoie à lorganisation de la formation des cadres du système éducatif, tant initiale (au moment de la première prise de fonction) que continue. On peut déplorer que cette formation soit encore, ici et là, laissée au hasard. Certes, on accède en général à ces fonctions à partir dune expérience plus ou moins longue de la condition enseignante, donc de la vie dans un établissement scolaire. Cette familiarité ne prépare pas à elle seule à ce nouveau métier, et peut même fonctionner comme un obstacle. Dans le meilleur des cas, avant de devenir cadre, un enseignant a manifesté un certain intérêt pour lensemble de son établissement, a pris en charge certains dossiers, a fait preuve dune certaine aptitude à prendre des responsabilités. Comme lindique Garant (1992), cest loin dêtre le seul cas de figure : nombre denseignants se trouvent appelés à changer de métier sans vraiment mesurer le pas quils franchissent, sans sy être préparés, sans même le vouloir vraiment : loccasion, la pression, lengrenage, etc.
Ladministration scolaire feint encore, trop souvent, de croire quun nouveau chef détablissement dispose de toutes les armes nécessaires, sauf peut-être en matière de gestion budgétaire ou dorganisation du secrétariat. On sous-estime le fait que devenir chef détablissement oblige à changer complètement de regard sur lensemble de la maison et à changer aussi de logique daction ; il nest plus de mise, notamment dans le secondaire, de sexprimer comme un spécialiste dune discipline, ou comme le porte-parole dune seule fraction du corps enseignant. Il nest ni possible ni nécessaire de tout maîtriser, davoir des idées personnelles dans chaque domaine : il faut savoir faire confiance, déléguer, mobiliser des personnes-ressources, pacifier, consulter, faire travailler ensemble, arbitrer des conflits, etc. Toutes choses auxquelles le métier denseignant ne prépare pas et que les nouveaux chefs détablissements découvrent, parfois lentement et à leurs dépens !
Il serait tout aussi utile de mettre en place une formation continue dans les mêmes domaines, même si elle prend surtout la forme dun échange sur les pratiques et dune formation mutuelle. Sans marrêter aux contenus de cette formation, je souligne limportance de créer, à léchelle du système éducatif régional ou national, des lieux, des dispositifs et de pratiques de formation des chefs détablissements. Ce peut être laffaire de ladministration ou des universités, mais aussi des associations professionnelles de chefs détablissements ; même si elles nont pas les moyens et la vocation dassumer lensemble de la formation, elles ont au moins le pouvoir et la responsabilité den définir les orientations et den proposer la mise en place.
Autre point épineux, sur lequel une politique plus cohérente à léchelle du système éducatif favoriserait le renouveau à léchelle des établissements : le choix des nouveaux chefs détablissements. On peut imaginer quun chef détablissement recruté il y a vingt ou trente ans lait été sur des critères tout à fait étrangers aux notions de renouveau pédagogique, de leadership coopératif, danimation, de gestion de projet. Jusquau années 1970-80, sans doute pouvait-on, en toute bonne conscience, préférer les gestionnaires sérieux aux leaders coopératifs. Peut-être même pouvait-on considérer que les chefs détablissements nétaient pas là pour avoir des idées pédagogiques, des stratégies danimation ou des projets de changement. Il est beaucoup moins pardonnable de nommer aujourdhui des chefs détablissements sans se soucier de leurs intérêts, compétences, attitudes en matière de projet détablissement et de leadership coopératif. Or certains cadres fraîchement nommés sont à des années-lumière de cette conception du rôle, certains y sont même ouvertement opposés. Ce qui signifie quaujourdhui encore règne un assez faible consensus, dans ladministration et même la corporation, sur le profil dun nouveau chef détablissement.
Cest pourtant un aspect important dune politique densemble favorisant le renouveau local : le leadership coopératif passe par des attitudes et des savoir-faire quil est difficile de développer à partir de zéro : présence, écoute, charisme, décentration, confiance, capacité de rassurer, de donner envie. La formation ne peut que renforcer, développer des valeurs et des attitudes préexistantes, qui se manifestent par exemple dans un certain type de pédagogie, de rapport avec les élèves, de contrat didactique, dans un goût et une pratique de la coopération avec les collègues et les parents, une certaine ouverture sur le monde extérieur, dans une expérience militante. Comment peut-on espérer amener au leadership coopératif un enseignant qui rêve dêtre un gestionnaire efficace sans contact avec les élèves et les enseignants, un gourou pédagogique ou un chef autoritaire ? Ou encore : pourquoi nommer chef détablissement quelquun qui a visiblement beaucoup de mal à construire son identité et à communiquer ? La formation ne peut faire de miracles ! Tout sapprend, mais, selon le point de départ, le chemin ne peut être parcouru dans le temps disponible
Le rôle des associations professionnelles et des chefs détablissements en place pourrait, dans ce domaine, être très important. Les unes et les autres nont guère de pouvoir formel dans le traitement des dossiers de nomination, mais peuvent exercer une action indirecte, par exemple :
Au-delà de la formation, les associations peuvent travailler de façon plus intensive à la création et à la mise à jour dune culture commune des chefs détablissements novateurs. Cest une stratégie identitaire en même temps quune stratégie de formation. Elle ne passe ni par des déclarations fracassantes, ni par des apprentissages techniques, mais plutôt par un patient travail déchange autour du métier et des difficultés du changement. Dans ce domaine, les thèmes et lorganisation des congrès professionnels ont une grande importance. Les organisateurs des congrès ont souvent le souci légitime de ne pas " lasser " ; ils raisonnent un peu comme les médias : un dossier traité est un dossier " brûlé ", quon ne peut reprendre que quelques années plus tard. À cette logique médiatique du renouvellement permanent des sujets, jopposerai une logique professionnelle de la continuité et de lapprofondissement. Aucun colloque, aussi intensif soit-il, ne réunit toute la profession et ne fait avancer tout le monde dun même pas. Il faut sans cesse remettre louvrage sur le métier et donc considérer que les rencontres, quel quen soit le cadre et la nature, sont autant de moments dun processus plus global de professionnalisation du métier de chef détablissement, de création ou de consolidation dune culture professionnelle commune. Même si lon change le titre des colloques, les intervenants, la nature des ateliers, il importe que les thèmes fondamentaux soient régulièrement repris, actualisés, assimilés et travaillés par les uns et les autres. Et aussi que ces moments intenses de professionnalisation fassent lobjet dune préparation extrêmement sérieuse, et trouvent ensuite un reflet dans des publications. Il est judicieux également quon se donne, à lintérieur du temps des congrès, colloques et autres rencontres, du temps de conversation en petits groupes, formels et informels. Ces temps sont dune importance considérable dans un processus de professionnalisation, parce quon peut y discuter plus librement de sa pratique personnelle, mais aussi parce quils familiarisent avec des modèles de communication et de travail que les chefs détablissements pourront ensuite, dans une certaine mesure, importer et transposer dans les structures administratives où ils se retrouvent plus régulièrement, leur propre école et les conseils de cadres !
En résumé, on pourrait dire que la meilleure façon de se former et de participer au développement dune culture commune est de sengager dans une conversation ininterrompue sur les métiers et les fonctionnements, avec des collègues chefs détablissements, mais aussi avec dautres partenaires, à commencer par les enseignants.
La professionnalisation du métier denseignant
Le renouveau pédagogique à léchelle de létablissement est dépendant de lévolution globale du métier denseignant vers plus de professionnalisation. En effet, il est illusoire de croire quon peut faire durablement des avancées considérables à léchelle dun seul établissement :
Sur tous ces points, il est possible de reconstruire à léchelle dun seul établissement un contrat social différent, une culture de participation et de coopération. Mais quel travail de Titan ! À terme, si lon veut aller dans ce sens, il faut agir aussi sur les processus de professionnalisation et de rénovation du métier denseignant. Les chefs détablissements acquis au leadership coopératif auraient donc de bonnes raisons de sintéresser :
On peut en effet difficilement concevoir que lévolution des établissements vers plus dautonomie, dautorité négociée et de coopération professionnelle ne fasse pas lobjet dun minimum de consensus, au niveau du système éducatif, entre tous les partenaires concernés. Aussi longtemps quune fraction des enseignants verront le chef détablissement comme un transfuge, un " petit chef ", un pédagogue peut convaincant, un infirme relationnel, un gestionnaire obsessionnel, un enseignant raté, un solitaire content de lêtre, un kamikaze ou un ambitieux, il est peu probable que les rapports de travail évolueront dans le sens de la coopération et de lautorité négociée
Il est donc tout à fait indiqué dorganiser, par moments, des confrontations et des réflexions sur les rôles et fonctions de chacun, sur les rapports de travail. Si chacun réfléchit dans son coin, les divergences et les malentendus lemporteront. Et on tardera encore à comprendre que le clivage entre lautorité et la base nest pas le plus déterminant dans les établissements, quil en masque un autre, celui qui sépare ceux qui trouvent leur compte dans un modèle autoritaire, quel que soit leur statut, et ceux qui sont à la recherche dun fonctionnement plus professionnel et coopératif. Il y a entre certains enseignants et certains cadres davantage de points de convergence quà lintérieur des corporations respectives
Une dynamique de renouveau à léchelle de létablissement passe par lactivation de la double spirale qui relie changements individuels et changement collectif (Gather Thurler, 1996, 2000). De cette dynamique, le chef détablissement ne peut être que la catalyseur. Facile à dire. Mais quelles sont les représentations et les compétences requises ? Je distinguerai trois volets :
Représentations et modèles
Les représentations, ça na lair de rien Des idées, des images, des rêves, certes, il en faut, mais à quoi bon sy arrêter ? Nest-il pas plus important de décrire des méthodes, des savoir-faire concrets ? Par exemple de dire comment développer, conduire ou évaluer un projet détablissement ? Ou comment animer la concertation et mettre en place des instance de participation ? Ou encore comment favoriser des réseaux et des échanges ?
Pourtant, les méthodes ne servent à rien si lacteur nest pas capable den reconstruire constamment les fondements et de les adapter aux circonstances. Rien nest aussi pratique quune bonne théorie, disait Kurt Lewin. Aucun " truc " ne dispense dune bonne analyse des situations, des forces en présence, des enjeux, des degrés de liberté, des stratégies des uns et des autres. Chacun agit en fonction de sa propre construction de la réalité. Cette construction est sans cesse à reprendre, à actualiser en situation. Mais elle se fonde aussi sur des modèles théoriques plus ou moins savants du fonctionnement des organisations et des systèmes sociaux. En voici quelques éléments très simples à propos du renouveau.
Nul nest totalement maître du jeu
Aucun chef détablissement ne saurait créer de toutes pièces une coopération dont les enseignants ne veulent pas, encore moins limposer en décidant quils doivent coopérer. Il ne peut pas davantage coopérer à la place des acteurs, jouer tous les rôles, faire les questions et les réponses, animer les séances, rédiger les procès-verbaux, faire naître, conduire et évaluer les projets. Certes, sil ne manque pas dénergie, un chef détablissement peut entretenir un certain temps lillusion - y compris à ses propres yeux - quil est à la tête dune école dynamique. Le jour où la fatigue stimulera sa lucidité, il comprendra quil est le seul à y croire, que son activisme, ses circulaires, ses réunions, ses initiatives masquent un grand vide collectif, une profonde indifférence de la majorité silencieuse, voire un certain cynisme : puisque ça lui fait du bien et que ça ne nous engage à rien
En réalité, la directrice ou le directeur décole ne peuvent que renforcer ce qui est en germe, encore fragile, parce que confus, conflictuel, risqué. Ou soutenir ce qui est engagé, mais menace de senliser en raison de la lassitude, du découragement, de la division ou du renouvellement du corps enseignant, ou de turbulences externes (changements politiques, crise budgétaire, réforme administrative) qui interfèrent avec les dynamiques locales.
Le renouveau ne se décrète pas
Le renouveau évoque le printemps, une forme de re-naissance. À Genève, un fonctionnaire est chargé dobserver la floraison dun vénérable marronnier de la Vieille Ville : le jour où la première fleur apparaît est le début officiel du printemps ! Charmante tradition ? Qui illustre notre constante tentation, quexprime bien cette maxime de Cocteau : " Puisque ces mystères nous dépassent, feignons den être lorganisateur ". A-t-on, en éducation, assez dhumilité pour ne pas prétendre maîtriser le cycle des saisons ? On peut en douter !
Parfois, dire, cest faire. Dans le monde administratif, il suffit de déclarer quune séance est ouverte pour quelle le soit. Dans le monde scolaire, il suffit de déclarer un élève en échec pour quil soit traité comme tel. Le renouveau nest pas de cet ordre, il ne sannonce pas à grands renforts de tambours et trompettes. Est-ce à dire quil échappe, autant que le printemps, à la volonté humaine ? Certainement pas. Et le discours importe autant que les actes. Mais pas pour faire du renouveau un slogan, un mot dordre, lemblème dun établissement, voire un argument publicitaire dans le cadre de la concurrence sur le marché scolaire. La parole des uns et des autres na pas pour sens premier dannoncer le renouveau, de le promettre, de le planifier, de le glorifier. Elle passe plutôt par lidentification concrète des besoins, des projets, des problèmes des uns et des autres et de lensemble, par léchange sur les élèves, les pratiques pédagogiques, les conditions de travail, les finalités.
En somme, le renouveau est de lordre de la santé, de la vie, du bonheur : on peut les espérer, les favoriser, les observer et les nommer a posteriori et de façon synthétique, ce ne sont pas des projets quon peut gérer dans ce langage.
Une histoire sans fin
Quy a-t-il de plus rassurant quune année scolaire, une séance, une leçon ? Voire quune bonne réforme qui surgit, dont on parle et dont on soccupe intensivement quelques temps et qui passe à la trappe une fois entrée dans les murs ou oubliée ?
Le renouveau est une histoire sans fin. Il ne sinscrit pas dans le calendrier scolaire, néclôt pas à chaque rentrée pour sachever avec les grandes vacances. Il y a des temps forts et des temps faibles, des accélérations et des léthargies, on peut après coup identifier des phases et ponctuer le processus. Mais il ny a pas de début et de fin, sinon avec la création ou la dissolution dun établissement. Même alors, une partie des acteurs viennent dailleurs ou essaiment dans dautres écoles, emportant avec eux dautres dynamiques.
Ce qui veut dire que le renouveau est fortement lié à la diversité des cycles de vie des personnes (Huberman, 1989) et des institutions, quil est dépendant de leurs énergies et synergies, de la disparité et de la synchronisation des rythmes et des parcours professionnels. Et donc que la stimulation du renouveau implique de la patience, un rapport détendu au temps, une reconnaissance explicite du rôle de la fatigue, de la lassitude, de limpatience des uns de passer à lacte et de voir les choses avancer, de langoisse des autres de nen avoir jamais fini
Non seulement, le renouveau est à jamais en cours, mais il faut accepter que les étapes franchies ne soient pas définitivement acquises. Tout ce qui ne progresse pas régresse, les systèmes vivants ne favorisent guère labsolue stabilité, on peut à bon droit associer au renouveau limage du rocher de Sisyphe ou du tonneau des Danaïdes Ou plus prosaïquement limage du métabolisme : notre organisme conserve sa structure et son identité par delà le renouvellement incessant de ses composants. Rien nest donc mis en place une fois pour toute, et la simple reproduction des structures comporte un risque de régression, en même temps quune chance de progression.
Du courage
" Pour commencer, il faut commencer. Et pour commencer, il faut du courage. " Michel Develay et Philippe Meirieu aiment citer cette phrase de Jankélévitch. Elle amène à se demander : doù vient le courage ? Est-ce une qualité " naturelle " de la personne ? Nullement. Le courage nest pas donné une fois pour toute, à la manière dObélix tombé tout petit dans le chaudron. Cest une force fluctuante, que nous reconstruisons au gré de lexpérience et des réactions dautrui. Le courage, ce sont dans une large mesure les autres qui nous le donnent. Dans notre enfance et notre adolescence dabord. Mais tout au long de la vie, et aussi dans le travail. En nous permettant dexister, dêtre soi-même, dêtre reconnu dans son identité, sa différence, sa complexité, ses doutes et ses ambivalences, bref comme une personne. En nous faisant confiance, crédit, en nous faisant savoir quils nous tiennent pour capables. " Tous capables ! ", clame le Groupe français déducation nouvelle à propos des élèves. Et les enseignants ? Notre culture ne nous prédispose guère à donner spontanément un feed-back positif. Nous nous jouons volontiers la comédie des grandes personnes qui nont pas besoin des autres pour savoir ce quelles font et si cest bien. En réalité, chacun est pétri de doutes et aimerait bien quon lui dise plus souvent : " Continue ! "
Il ne sagit pas dembellir la réalité. Mais de savoir que chacun a des possibilités dévolution pour peu quon le mette en mouvement. En réfléchissant sur la recherche-action et les aléas dun projet de lutte contre léchec scolaire, nous avions fini par comprendre que les acteurs, chercheurs compris, étaient dans un premier temps en quête de reconnaissance plus que de connaissances (Haramein & Perrenoud, 1981). Ils voulaient - sans le savoir - quon leur fasse confiance, quon leur donne acte du fait quils avaient des idées, des compétences, de lexpérience, de lénergie. On sait limportance des prophéties créatrices (self fulfilling prophecy, selon lexpression de Merton, 1965), phénomène plus connu en pédagogie comme " leffet Pygmalion " (Rosenthal & Jacobson, 1971). Favoriser le renouveau, cest donner du courage, ouvrir des possibles, renforcer des envies et des compétences naissantes.
Le renouveau nest visible quà terme
À long terme, nous sommes tous morts. Notre impatience est donc compréhensible de voir les résultats de notre action et peut-être den bénéficier. Il faut beaucoup de patience et de foi pour travailler à des changements de longue haleine sans perdre son dynamisme.
Lécole est confrontée à ce dilemme lorsquelle valorise des apprentissages fondamentaux, qui sétendent sur des années : donner la maîtrise du raisonnement, de largumentation, de la rédaction de textes, stimuler limagination, la créativité, la pensée critique, la coopération, cest laffaire de la scolarité de base toute entière, on ne peut enfermer ces objectifs dans une programme annuel. Pourtant, si chacun ny travaille pas dans ce cadre, comment espérer des résultats à long terme ? Ces objectifs de haut niveau taxonomique exigent assez dhumilité pour se percevoir comme simple maillon dune chaîne, dans le cadre dune division du travail pédagogique.
En général, lécole gère assez mal la longue durée. Doù la prédominance des acquis notionnels et techniques quon peut envisager de faire acquérir en un an, donc évaluer à court terme. Y a-t-il des raisons de penser quon saura mieux laisser du temps au temps en matière de renouveau des pratiques pédagogiques ? Accepter de faire son deuil des changements spectaculaires pour privilégier les évolutions lentes, mais sûres ? Le problème dune politique des petits pas, cest que le doute vous saisit tôt ou tard : est-ce quon avance tout de même ? À force de respecter les rythmes et dêtre patient, ne risque-t-on pas, finalement, de conforter chacun dans ses habitudes ?
Il ny a pas de parade définitive. On peut cependant, au-delà dune théorisation du problème, telle que je viens de lesquisser, se donner trois garde-fous :
Renouveau et désordre
Écoutons Balandier :
Ou encore : " Les civilisations et les cultures naissent du désordre et se développent comme ordre, elles sont vivantes par lun et lautre, elles les portent tous deux en elles " (ibid, p. 277). Le renouveau est presque toujours désordonné, diversifié, fragmenté, asynchrone. Il est peu probable que lensemble des acteurs de létablissement puissent se mettre daccord et avancer au même rythme. Cest un ensemble de processus, de dynamiques interdépendantes, mais partiellement autonomes. Ainsi, vouloir que le renouveau se fasse en parallèle dans toutes les disciplines et dans toutes les filières dun établissement secondaire nest pas une stratégie féconde. Elle risque de refroidir ceux qui sont prêts à sengager, sans mobiliser vraiment ceux qui sont dans une phase dautosatisfaction ou de paralysie.
Favoriser le renouveau, cest donc accepter la diversité des rythmes et des façon de faire. Cela ne conduit pas nécessairement à la " balkanisation " (Gather Thurler, 1994 b) : sans mettre tout le monde en mouvement en même temps, on peut informer, consulter, associer dans la mesure du possible ceux qui ne sont pas au coeur du changement. Un établissement peut apprendre à vivre en respectant divers degrés dimplication dans un changement particulier, sans quun " in-group " monopolise linnovation sous le regard méfiant ou ironique dun " out-group ". Notamment dans le secondaire, un chef détablissement fera reconnaître, face à tout problème, lexistence de plusieurs cercles, du noyau de ceux qui portent linnovation nuit et jour à ceux, à lautre extrême, qui sont à peine au courant.
En un mot : la " gestion " du renouveau est aux antipodes dune gestion bureaucratique. Si lon tient à sinspirer du langage et des modèles de la gestion dentreprise, il faut prendre ses modèles dans les secteurs où la mouvance des marchés, des habitudes de consommation, des besoins, des technologies, des contraintes fiscales, douanières, légales oblige les entreprises à mener des stratégies multiples, à sadapter à divers terrains.
Renouveau et conflit
Certes, le renouveau est en principe au service de lécole et de son progrès. cette abstraction nengendre pas magiquement un consensus sur la nécessité de tel ou tel changement, et moins encore sur le rythme, la méthode, les ressources, les exigences.
Tout projet de changement révèle le flou des objectifs, les contradictions sur les valeurs, le poids des traditions, des institutions, du droit, la réalité des rapports de force, des stratégies des acteurs, des contraintes budgétaires. Toute routine est dépendante dun état du monde, mais elle en autorise la méconnaissance. Le changement met au contraire en lumière larbitraire des construits sociaux et la diversité des façons de voir, de faire, de dire.
Le renouveau est incompatible avec la guerre civile. Mais il lest tout autant avec le mythe de la " grande famille ", des gens de bonne volonté qui tirent à la même corde. Aucun changement important ne sopère dans le déni de la complexité, donc du conflit et des contradictions (Perrenoud, 1993 b). Une culture commune, dans une société pluraliste, nest pas une culture du consensus tous azimuts. Cest au contraire une culture qui donne un statut, une légitimité et des formes recevables aux conflits dintérêts et didées, qui met en perspective et donne du sens aux contradictions que nul ne peut nier durablement, ni dépasser à lui seul.
Attitudes et postures
Les théories ne servent à rien si elles ne sont pas intériorisées et mises en uvre en situation. Ce qui suppose quon ait la force et la sécurité personnelles nécessaires pour les faire siennes et sen servir. À quoi bon donner un statut théorique aux contradictions, aux conflits, à la complexité, si lon est viscéralement attaché à lordre pratique et moral ? À quoi bon plaider pour les processus à long terme si lon ne supporte pas dattendre ? Pour prolonger cette analyse, voici quelques attitudes et postures du chef détablissement qui me semblent lui donner des moyens de favoriser le renouveau dans son école.
Garder une forte identité personnelle
Favoriser le renouveau, cest travailler dans lombre, surmonter lingratitude, linjustice, lopacité, les déceptions, les échecs sans perdre confiance en soi. Lorsquun chef détablissement est dans une grande dépendance narcissique à légard dautrui, il " navigue à vue " pour être aimé, approuvé et admiré sans solution de continuité. Une forte identité personnelle permet de garder son cap, de dissocier estime professionnelle et dévotion personnelle, daccepter de ne pas être aimé à chaque instant. Le chef détablissement qui pratique un leadership coopératif na pas besoin dêtre une star et de sattribuer tous les mérites de linnovation, de se faire valoir, de faire parler de lui ; de tels comportements animent la rubrique du quotidien local, mais alimentent au sein du corps enseignant un sentiment de dérision et de détournement dun travail collectif. Nombre dinnovations intéressantes ont été compromises pas la hâte du chef détablissement à " se faire mousser ", par ses promesses irréalistes sur la place publique (qui le condamnent ensuite à faire pression sur son corps enseignant pour ne pas perdre la face), par lenflure des propos, qui démobilisent les enseignants dès lors quils ne reconnaissent plus " leur " projet.
Favoriser le changement, cest laisser aux autres un espace, de la liberté, du pouvoir et des satisfactions. Si le chef détablissement monopolise tous les profits sociaux du changement par besoin narcissique, comment pourrait-on sattendre à un engagement durable de tous ?
Se protéger des conduites obsessionnelles
Il faut des projets, des objectifs, des règles, des contrats, des décisions claires, des garanties. Ce sont autant de supports du fonctionnement collectif et du changement. Et il est normal que le chef détablissement joue un rôle actif dans la formulation et ladoption de ces textes. De là à se les approprier, à les " fignoler " seul dans son coin, à les défendre comme le gardien du temple, il y a un pas, parfois vite franchi, que ce soit par goût du pouvoir ou par volonté de bien faire.
Il ne faut jamais jouer le projet contre les acteurs (Haramein & Perrenoud, 1981), les enfermer dans des textes au mépris de lévolution des esprits et des circonstances. La fidélité aux décisions prises, la continuité et la cohérence ne sont pas des valeurs en soi et surtout, le rôle du chef détablissement nest pas dêtre un Surmoi, une conscience, un père sévère ou une mère vertueuse. Il ny a pas de changement, comme il ny a pas de recherche, sans une part dopportunisme, de pragmatisme, de réinvention des méthodes et même des objectifs, de révision des calendriers. Seuls les chemins connus peuvent être parcourus de façon parfaitement prévisible !
Le rapport au temps est fondamental : les processus psychosociologiques peuvent être un peu accélérés ; au-delà, on les casse. Il faut du temps pour réfléchir, essayer, parler, changer, sapproprier des idées, apprendre. Toujours plus de temps quon ne croit. Il est indispensable de fixer des échéances et dessayer de les tenir. La question est de savoir comment réagir lorsque la réalité ne suit pas le plan. Si le chef détablissement sidentifie au plan, sil se sens personnellement blessé parce que la calendrier nest pas respecté, il ne peut que faire le forcing, culpabiliser tout le monde ou essayer seul de sauver la situation. Autant de façon de ralentir le renouveau.
Concilier présence et détachement
Le chef détablissement qui doit son détachement à son absence ou à son isolement ne favorise pas le renouveau. Il faut passer du temps avec les maîtres, les élèves, les parents, les autres collaborateurs de létablissement, du temps à écouter, comprendre, parler, faire des liens. Donc simpliquer dans la vie quotidienne, les crises, les moments de déprime ou denthousiasme, les deuils et les fêtes.
Cette implication a des effets pervers, elle prend beaucoup de temps et dénergie, pousse à rester le nez collé sur lévénement, à gérer le quotidien. La présence nest pas nécessairement laliénation, la fusion dans la vie collective et lévénement du jour. Mais il faut des contrepoids, des disciplines et un certain détachement, qui permet de sintéresser à ce qui se passe sans perdre sa ligne.
Il semble par exemple utile de se ménager régulièrement du temps de travail hors de létablissement, pour lire, réfléchir, essayer de comprendre ce qui se passe et anticiper, seul ou avec quelques collègues. Et, de façon plus espacée, du temps pour faire le point, définir des objectifs et des priorités. Cest le bon sens même, me direz-vous ? Certes, mais combien de cadres qui, le sachant, se laissent néanmoins manger par les urgences du quotidien et les séances administratives ? Prendre du recul, cest affronter une angoisse, sinterroger sur son identité, ses stratégies, ses valeurs. On peut préférer la fuite dans lactivisme
Limiter ses fantasmes de toute-puissance et de maîtrise
Il importe de savoir " démocratiser la déconfiture " (Gather Thurler, 1993 b). Ne pas constamment " prendre sur soi ", ne pas croire quil faut, en même temps que le problème, apporter la solution. Accepter aussi de faire partie du problème, de chercher avec les autres, de réfléchir à haute voix, de dire ses doutes, ses ambivalences, ses hésitations, ses peurs, de reconnaître ses erreurs.
Ce bon sens va hélas à lencontre des fantasmes de maîtrise qui sont le fond commun des enseignants. Comment, après avoir, durant des années, maintenu une façade sereine et assurée devant ses élèves, pratiquer du jour au lendemain la transparence avec les adultes ? On ne touche pas ici à un simple savoir-être personnel, mais à une attitude inégalement encouragée par les diverses cultures professionnelles. La culture enseignante ne donne guère le " droit à lerreur ", chacun met donc pas mal dénergie à feindre de maîtriser la situation, tout aveu de faiblesse pouvant se retourner contre lui. On ne vois pas comment un nouveau chef détablissement pourrais se défaire de cet habitus du seul fait quil change de statut.
À quoi sajoutent les fantasmes de maîtrise et de toute-puissance du chef, fantasmes alimentés par les intéressés, mais aussi par la culture des organisations et des salariés en général. Chacun sait que nul chef nest infaillible, mais tous craignent, sils avouent leurs doutes, de perdre la face et daffaiblir leur autorité. Ils nont pas entièrement tort : une fraction du corps enseignant sera tentée de se servir de toute " faille " dévoilée par la hiérarchie. Sur ces thèmes, il importerait quune formation personnelle permette aux chefs détablissements de reconnaître leurs fantasmes de maîtrise et de toute-puissance, den analyser les sources plus ou moins lointaines, de prendre du recul, dapprécier les risques réels et les bénéfices possibles dune plus grande transparence, dune reconnaissance plus systématique et plus tranquille de la perplexité et des limites des chacun devant la complexité des problèmes. Dire " Je ne sais pas. Je nai pas de solution. Cherchons-la ", pourquoi est-ce si difficile ?
Accepter de ne plus être un enseignant
Comment un chef détablissement en difficulté tente-t-il de convaincre ? De montrer quil comprend, quil se sens proche ? De se poser en interlocuteur valable et compétent ? Souvent, il en appelle à sa propre expérience denseignant : je suis " comme vous ", de votre monde, nous faisons partie de la grande famille des enseignants, cest presque " par accident " que jexerce une autorité Cette autorité " honteuse ", qui conduit à gommer les différences de statut et de rôle, signifie que lidentité personnelle sancre encore dans une identité professionnelle ancienne, que lintéressé na pas conscience dexercer un nouveau métier, ou plus gravement encore, quil doute de la légitimité de sa position ou de la spécificité de ses compétences. Cette incertitude se renforce lorsque le chef détablissement conserve des enseignements, soit par obligation statutaire, soit pour se retremper dans la pratique.
Dans un métier en voie de professionnalisation, comme lenseignement (Altet, 1994 ; Paquay et al., 1996 ; Bourdoncle, 1991, 1993 ; Carbonneau, 1993 ; Lessard, Perron et Bélanger, 1993 ; Lessard,1998 ; Perrenoud, 1993 b, 1996 c), il importe bien entendu que les formateurs et les responsables aient une réelle familiarité avec les pratiques des enseignants : elle leur donne des clés pour comprendre leurs difficultés et leurs propos. Mais cette familiarité doit senraciner dans dautres sources que le souvenir ou la poursuite dune pratique personnelle.
Pour faire le deuil de son identité denseignant et des compétences qui y sont attachées, il faut que le chef détablissement puisse construire une autre identité professionnelle, aussi forte et satisfaisante, qui réponde clairement à la question ; si je ne suis plus enseignant, que suis-je aujourdhui ? Les fausses pistes ne manquent pas. On peut-être tenté, par exemple, de se retrouver enseignant dans un rapport pédagogique, entre adultes cette fois, en se sentant mentor et formateur de ses maîtres. Par rapport aux enseignants débutants ou aux professionnels en crise, le chef détablissement peut sûrement avoir un rôle formateur, surtout lorsquil sagit de soutenir un développement personnel davantage que dapporter des connaissances. Mais ce ne saurait être lidentité principale. Que le chef détablissement se soucie de la formation continue de ses collaborateurs, loriente en fonction dun projet et lui donne une forte légitimité, fort bien. Il nest pas pour autant formateur en chef.
La spécificité du métier de chef détablissement, cest de travailler sur le métier des enseignants et le métier des élèves, sur leurs conditions dexercice, les crises, les difficultés, les enjeux, les ressources en termes de formation, de clarté des objectifs et des règles du jeu, de climat, denvironnement, despaces, de structuration du temps, de moyens matériels, de culture commune, de lieux et de méthodes de résolution de problèmes, de lieux et de temps déchanges. Métier de relation et dorganisation, certes. Mais on aurait tort doublier quil a une substance : le travail des maîtres et des élèves, leurs relations. Il ne suffit pas daider les uns et les autres à vivre en bonne intelligence. Tous ont des tâches à accomplir et le rôle du directeur va au-delà du bon fonctionnement : il est garant aussi de lefficacité et du renouveau de laction pédagogique. Cest une compétence professionnelle dune autre nature. Encore faut-il la revendiquer et donc être le premier à y croire
Etre curieux des gens
Comment exercer une profession où la relation est si importante si les gens vous font peur, vous ennuient, vous embarrassent ? Il est un peu léger de croire que lexpérience ou la formation auront raison de nimporte qui. On peut sétonner que des personnes qui ne sont pas curieuses des gens ou les craignent se fourvoient ou soient encouragés dans une carrière de chef détablissement
Mais de toute façon, nul nest sur ce terrain tout à fait dénué de peurs et de blocages. Une formation professionnelle devrait évidemment prendre au sérieux ce registre. Pas en donnant des conseils, mais en aidant chacun à identifier ses fonctionnements relationnels.
Aimer le risque et le jeu
Le renouveau est une chose sérieuse. Mais si on se prend trop au sérieux, si lon veut maîtriser complètement les processus de communication, de concertation, de transformation, on est condamné à brève échéance au burn-out et à la dépression. Le changement est toujours lent et incertain, parce quil dépend des stratégies, des intérêts, des représentations de multiples autres acteurs. On peut vivre cette réalité très douloureusement comme une série dobstacles séparant dune Terre Promise. On peut aussi prendre goût au jeu lui-même, et considérer que le renouveau est un mode de vie, un défi, une façon de rester éveillé, une occasion de former des projets et de travailler avec des gens. Les objectifs pédagogiques - intégration des nouvelles technologies, différenciation de lenseignement, pédagogies actives par exemple - nen deviennent pas pour autant de purs prétextes. Mais on trouve son compte dans le présent, et pas seulement parce quil prépare une avenir radieux Question éminemment philosophique, que chacun tranchera pour soi-même. Le rôle de la formation nest pas dapporter, sur ce point comme sur les autres, une réponse dogmatique. Cest plutôt de donner aux (futurs) chefs détablissements loccasion de clarifier leur rapport à laction, à lutopie, à la réalité.
Savoirs daction et savoirs stratégiques
Un chef détablissement qui veut favoriser le renouveau doit maîtriser les savoir-faire qui permettent, individuellement et collectivement, un travail sur le travail, selon lexpression dHutmacher (1990), ou plus globalement un travail sur les pratiques, les fonctionnements en classe et dans létablissement, les représentations qui sous-tendent les unes et les autres. Cela ne veut pas dire que le chef détablissement fait seul ce travail. Il na de sens, au contraire, que partagé. Mais il faut lui donner un statut, une mémoire, forger ou sapproprier des concepts, un langage, des méthodes de travail, dobservation, de discussion, dexpérimentation. Ici encore, tout ne repose pas sur le chef détablissement. Il est nécessaire que le souci de la méthode, de laccumulation, de lanimation soit commun a une fraction au moins des acteurs, et les fonctions dautorité ne prédisposent pas au monopole. Il reste que sil veut favoriser le renouveau, le chef détablissement doit, parmi dautres, maîtriser les savoir-faire et les savoirs stratégiques requis.
De quelle nature sont-ils ? Je distinguerai les savoirs et savoir-faire psychopédagogiques des savoirs et savoir-faire psychosociologiques.
Savoirs et savoir-faire psychopédagogiques
Mieux vaudrait que le chef détablissement ait une assez bonne formation psychopédagogique et didactique. Avec deux précisions essentielles :
Pour être plus clair, prenons un exemple dans un tout autre domaine : un psychosociologue qui intervient dans un service hospitalier, un centre informatique ou un opéra, par exemple pour contribuer à une transformation structurelle (réorganisation, modernisation, mutation technologique, décentralisation, etc.) ne devient pas médecin, analyste-programmeur ou chorégraphe. Il doit cependant en apprendre assez sur les techniques et les univers de ces professionnels pour comprendre ce quils disent, poser les bonnes questions et participer au travail sur le travail et lorganisation.
Le chef détablissement bénéficiera en général dune familiarité acquise par sa pratique denseignant, mais elle est à double tranchant ; car ce nest plus en tant que praticien de la pédagogie, de spécialiste dune discipline ou de lévaluation des élèves quil intervient. La confusion est encore possible, en raison à la fois dune identité encore incertaine dune partie des chefs détablissement et dune professionnalisation inachevée du métier denseignant. Il deviendra de plus en plus clair, au fil des années, que le directeur nest pas un super-enseignant, ni un formateur, ni un inspecteur. Il travaille au second degré, ne donne pas des réponses aux professionnels, mais les pousse à les chercher ensemble, ce qui est tout à fait différent.
Savoirs et savoir-faire psychosociologiques
La façon de traiter des savoirs et savoir-faire psychopédagogique lindique : le rôle principal du chef détablissement est de favoriser un travail sur le travail. Il peut difficilement le faire en ignorant tout de la substance et des contraintes de la pratique pédagogique. Mais sa compétence principale est ailleurs. Elle porte sur les processus de communication et de changement dans lorganisation. Ce qui exige des compétences psychosociologiques. Derouet (1985) parle denseignants sociologues de leur propre établissement, cest aussi la vocation des chefs détablissements. Lorsque Montignies (1992) propose, pour former le directeur décole, de questionner ses pratiques au travers de la psychologie sociale, il donne un autre éclairage disciplinaire. Sociologie ou psychologie sociale ? Les deux : favoriser le renouveau, cest disposer de savoirs et de savoir-faire dordre psychosociologique.
Cela ninvite pas les chefs détablissements à se lancer dans de longues études en sciences humaines. Cependant, une culture minimale en psychosociologie du travail et des organisations est un atout majeur : le chef détablissement intervient sur un système daction complexe, dont il doit maîtriser en partie, au moins intuitivement, les principes de fonctionnement et de transformation. Tout acteur est, à sa façon, psychosociologue de sa propre organisation, sans quoi il ny survivrait pas : pour protéger son territoire et ses intérêts, infléchir les décisions en sa faveur, garantir son autonomie, accéder aux ressources et aux informations, progresser dans sa carrière, comprendre les implicites et les rapports de force, il est nécessaire de comprendre les règles du jeu institutionnel et relationnel et donc de savoir questionner, explorer, interpréter, négocier, planifier, chercher des accords.
Un acteur en position dautorité devra a fortiori disposer de savoir-faire et de savoirs stratégiques du même ordre, à une échelle un peu plus vaste et un degré de complexité plus élevé. On commence à identifier les savoirs dactions et les savoirs dinnovation des chefs détablissement (Pelletier, 1994, 1995 c, 1996 a ; Gather Thurler, 1993 b, 1998 b). Pour favoriser le renouveau, repérer et faire sauter les verrous, affaiblir les résistances, encourager les dynamiques émergentes, il faut faire un pas de plus : au-delà des jeux qui se jouent dans toutes les organisations, autour du pouvoir, des espaces, du contrôle du temps et des ressources, de lorganigramme, etc., il sagit dintervenir dans le travail des professionnels. Un bon tacticien de ladministration peut obtenir un budget important pour la micro-informatique ou léquipement des laboratoires de sciences. Pour infléchir les pratiques enseignantes, par exemple dans le sens de la pédagogie du projet ou de lévaluation formative, les habituelles tactiques du pouvoir sont largement insuffisantes. Elles ne permettent pas dentrer dans la sphère de compétence personnelle et professionnelle des enseignants, dans leur conception de la transposition et du contrat didactiques, de lapprentissage, de la culture, du travail scolaire, de lexcellence, de la motivation, de la coopération, de lordre, etc.
Mon propos nest pas de détailler les modalités dune formation psychosociologique des chefs détablissements. Disons tout de même quelle devrait :
Une telle formation devrait par exemple rendre les chefs détablissements désireux et capables de mettre en uvre les principes de base de la mobilisation des énergies, parmi lesquels :
La réflexion sur la formation rencontre la réflexion sur les réseaux favorisant la professionnalisation des chefs détablissements. Une partie de cette formation peut en effet se faire dans ces réseaux, une autre en formation continue, une troisième dans létablissement lui-même. Dans les trois cas, lappel à des ressources externes est souvent profitable. Non pas tellement pour entendre un spécialiste tenir un discours savant sur les organisations et les pratiques. Plutôt pour autoriser et encourager les acteurs à se dire ce quils savent déjà, à mettre en forme leurs expériences, leurs intuitions, à multiplier les regards sur leurs situations respectives, sur ce qui les rapproche ou les sépare.
On la dit, " pour commencer, il faut commencer ", sans attendre le miracle qui transformerait dun coup la situation. Mais ensuite, il faut durer. On peut imaginer un chef détablissement fortement encouragé par ladministration centrale à favoriser le renouveau, doté dune autonomie suffisante et qui disposerait par ailleurs de tous les savoirs et savoir-faire requis. Cela ne le rendrait pas tout puissant : pour transformer les pratiques pédagogiques et le fonctionnement de létablissement, il a besoin des autres !
Étudiant lévolution des collèges en France, Demailly (1991, 1992) identifie trois " agencements symboliques de mobilisation professionnelle " (A.S.M.P.), autrement dit trois systèmes de représentations offrant à la fois des possibilités de résolution :
Le premier agencement est construit autour du modernisme relationnel, au cours des années 1970. Il fait place à un agencement construit autour du modernisme technologique, notamment informatique. Plus récemment, émerge un modernisme organisationnel inspiré du courant de réflexion sur lentreprise et ladministration : décentralisation, gestion participative, relations humaines, initiatives, professionnalisation, cercles de qualité, etc. La réflexion sur le renouveau comme la foi dans les projets détablissement relève de ce troisième registre.
Y a-t-il des raisons de penser que ce nouvel agencement a davantage davenir ? Lise Demailly ne lexclut pas, pour deux raisons :
Mais elle repère aussi des éléments de fragilité et de contradiction interne sont dores et déjà visibles :
Cette analyse mériterait sans doute dêtre affinée selon les contextes nationaux. Elle pose le problème des modes intellectuelles au sein du système éducatif. Il est évident quaucun paradigme de changement, aussi fondé soit-il, ne peut produire de miracle à brève échéance. Si lattention portée aux projets, aux dynamiques, aux cultures détablissements se dilue avant que les premières tentatives aient porté leurs fruits, il y a fort à parier quon abandonnera bientôt le langage de la psychosociologie des organisations pour un autre, et pourquoi pas, à la faveur dun éternel retour, pour un avatar du modernisme relationnel ou technologique : les possibilités de recréer un consensus et des mythes professionnels mobilisateurs ne sont pas illimitées Il importe donc de savoir si le monde de léducation veut poursuivre sa fuite en avant ou se donner une fois les moyens de vérifier des hypothèses de travail prometteuses !
Peut-être faut-il, pour durer, apprendre à dissocier les dispositifs, éphémères et qui connaissent une certaine usure, des processus quils sont censés favoriser. Le renouveau pédagogique nest pas un dispositif, mais un processus qui se mesure à ses effets sur les représentations et les pratiques. Peu importe quil passe par un projet global ou de multiples dynamiques, par un plan de formation, une animation pédagogique forte, un partenariat local ou des activités communes orientées vers les élèves. Limportant est quil y ait professionnalisation, pratique réflexive et traitement des problèmes.
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