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Les disciplines de référence
en formation des enseignants
Philippe Perrenoud
Faculté de psychologie et de sciences de
léducation
Université de Genève
1999
1. Intégrer assimilation des savoirs à enseigner et formation à lenseignement
2. Croiser approches didactiques et approches transversales
3. Identités, structures, programmes et démarches de formation : tout se tient !
Je développerai une double thèse :
1. Les savoirs à enseigner doivent, dès que possible, être approfondis dans le cadre dune approche didactique et en référence aux disciplines scolaires, qui ne sont pas la version simplifiée des disciplines universitaires du même nom. Il sagit donc dintégrer assimilation des savoirs à enseigner et formation à lenseignement
2. Les approches didactiques ne représentent quune partie des composantes de la formation professionnelle des enseignants. Elles doivent être complétées par des approches transversales, construites autour dobjets professionnels complexes éclairés par plusieurs sciences sociales et humaines.
Les arguments apportés à lappui de ces deux thèses némanent pas dun didacticien, mais dun sociologue du curriculum intéressé par la formation des enseignants et la question des savoirs et des didactiques. Les spécialistes des disciplines les trouveront sans doute provocatrices. Limportant est dengager le débat.
1. Intégrer
assimilation des savoirs à enseigner
et formation à lenseignement
La plupart des formations denseignants sont fondées sur lidée quil faut dabord maîtriser une ou plusieurs disciplines pour elles-mêmes avant dapprendre à les enseigner. Dans de nombreux systèmes, en particulier pour les professeurs du second degré, lorientation vers le métier denseignant se fait encore à lissue détudes disciplinaires complètes, conduites par conséquent sans aucune perspective didactique. La tendance se dessine dintégrer lorientation vers lenseignement, voire tout ou partie de la formation didactique, aux cursus disciplinaires, mais ce mouvement est récent, fragile et très inégalement répandu.
1.1 Le degré zéro de la formation didactique
La formation didactique qui suit les études disciplinaires est parfois plus que légère. Elle est réduite à sa plus simple expression dans lenseignement supérieur : les professeurs des universités et des hautes écoles nont eu, pendant longtemps, aucune formation didactique. La maîtrise de la discipline semblait suffire. Le modèle sous-jacent emprunte en quelque sorte ses bases à Boileau " Ce qui se conçoit bien sénonce clairement et les mots pour le dire arrivent aisément ". Implicitement, on sous-entend que les étudiants apprennent en écoutant, comprenant et mémorisant le discours magistral. Même si un séminaire ou des travaux de laboratoire initient à certaines pratiques, discursives ou expérimentales, il napparaît pas nécessaire, pour organiser cette " socialisation ", davoir plus que du bon sens.
Ce modèle vaut encore, dans de nombreux systèmes éducatifs, pour les filières nobles de lenseignement postobligatoire (lycées, gymnases) et même pour certaines filières techniques ou professionnelles : la maîtrise dune technologie ou dun métier dispense, comme celle dun savoir savant, de réfléchir sur les processus dapprentissage et la façon de les susciter.
Tout se passe alors comme sil suffisait, pour enseigner, dune maîtrise des contenus, alliée à une certaine intelligence et à une bonne capacité de communiquer. Pour les professeurs qui nont dautre formation que disciplinaire, la " didactique " nest pas un savoir savant, ni même une méthodologie partagée. Cest au mieux un savoir dexpérience, privé, faiblement valorisé, non évalué, non partagé, sans statut, construit " sur le tas ", par essais et erreurs et dans une absence criante de culture théorique en sciences humaines.
Cette absence de formation professionnelle est de moins en moins admis. On observe une réelle évolution des représentations. Dans lenseignement supérieur, certaines procédures de sélection des professeurs commencent à prendre en considération les " qualités pédagogiques " des candidats. Dautres universités offrent, voire imposent une formation didactique minimale aux nouveaux professeurs. Au niveau de lenseignement postobligatoire, les systèmes les plus avancés ne font plus grande différence avec lenseignement obligatoire et forment tous les enseignants secondaires de la même façon. Toutefois, ce nest pas encore le cas partout. Au primaire, la part de la formation professionnelle, au-delà de la maîtrise des savoirs à enseigner, est reconnue depuis un siècle.
1.2 Le bon sens codifié
Lorsquil existe une formation didactique digne de ce nom, au primaire, au secondaire inférieur et parfois au-delà, en quoi consiste-t-elle ?
Au secondaire, elle sadresse à des étudiants censés maîtriser les connaissances à transmettre, au niveau dun premier, voire dun deuxième cycle universitaire. Il leur reste quà apprendre comment les enseigner et les évaluer. La plupart des formations se réfèrent encore à une forme denseignement très conventionnelle, selon laquelle le professeur donne un cours, propose des exercices et administre régulièrement des épreuves ; dans certains domaines, il organise des expériences ou des travaux pratiques. Les apports didactiques se réfèrent au programme beaucoup plus quaux élèves. Ils donnent des indications quant au rythme de progression dans la matière, quant à la façon dintroduire et de parcourir les chapitres successifs (sensibilisation, introduction de notions nouvelles, consolidation, révisions) et de prévoir des exercices et des devoirs à domicile. Ils montrent comment rédiger une épreuve, fabriquer un barème, mettre des notes, rédiger des commentaires ou un carnet. Les formateurs denseignants sont souvent des professeurs expérimentés qui érigent leur propre expertise didactique en modèle. En marge de ces apports centrés sur les disciplines denseignement, le plan de formation prévoit généralement quelques éléments de psychologie de ladolescence et de pédagogie générale, avec une attention particulière aux problèmes de " discipline ", entendue ici au sens du maintien de lordre : comment obtenir le silence, mettre les élèves au travail, éviter la tricherie et sanctionner les déviances.
Au primaire, les enseignants sont polyvalents et leur niveau détudes générales est resté, pendant longtemps, plus proche du baccalauréat que dune formation universitaire complète. Leur formation dans les Écoles normales donnait donc dabord une large place à la maîtrise des savoirs à enseigner, surtout dans les domaines où la culture générale acquise au lycée nhonorait pas suffisamment les savoirs scolaires, notamment en grammaire, histoire, géographie, musique, arts plastiques, travaux manuels et éducation physique. Ensuite, au cours des dernières années du cursus, une formation pédagogique et didactique, complétée par des stages, traitait de la façon de faire la classe.
1.3 Une évolution progressive
Ces modèles ont évolué aux cours des dernières décennies, en raison de réformes de structures qui ont presque partout élevé le niveau formel des études et universitarisé davantage les formations à lenseignement, même au niveau primaire. Lévolution tient aussi aux transformations des représentations de lacte denseigner et dapprendre et à lémergence et au développement dune recherche scientifique en didactique, didactique générale dans certains pays, didactiques des disciplines dans dautres, notamment laire francophone. Rappelons quelques évolutions connues :
Si bien que le métier denseignant est devenu à la fois plus exigeant et plus difficile, en particulier au niveau de lécole moyenne (collège, Scuola Media, Gesamt Schule, comprehensive school). Les professeurs du secondaire se mettent donc en quête doutils et de méthodes, et se montrent, depuis une dizaine dannées, plus ouverts à des formations didactiques. Alors que, pendant longtemps, elles leur paraissaient superflues, voire humiliantes, elles deviennent des réponses à langoisse de ne pas savoir garder le contrôle de la classe et atteindre les objectifs.
Les formations didactiques sétoffent et se modernisent. Elles investissent la formation continue. Elles sinspirent davantage des travaux des chercheurs en éducation et en didactique des disciplines. Elles prennent en compte des modalités denseignement-apprentissage plus variées : démarches de projets, enquêtes et petites recherche, études de cas, jeux de rôles, simulations, mémoires, travail par problèmes et situations-problèmes.
1.4 Un invariant
Tout en soulignant et en saluant ces évolutions, qui se font sous lempire de la nécessité et sous la pression des formateurs, mais aussi dans la mouvance dune lente professionnalisation du métier denseignant, je marrêterai ici à un invariant : la formation didactique reste une couche qui se superpose à la formation disciplinaire, en particulier au second degré.
Cela tient en partie aux structures : dans de nombreux pays, la formation universitaire est assurée par des facultés qui feignent dignorer que la plupart de leurs étudiants sont destinés à lenseignement. On prétend former des chercheurs, en mathématiques, en sciences, en lettres, en histoire ou en géographie, alors que lavenir probable des étudiants est de devenir professeurs
Du coup, cest à lissue de leurs études universitaires dans une discipline quils " choisissent " de lenseigner, faute souvent dautres débouchés. Ils ne sont plus alors disponibles pour de longues années de formation professionnelle pure. Les apports pédagogiques et didactiques sont donc nettement plus légers que la formation disciplinaire sur laquelle ils se greffent. Ils sont parfois dispensés en cours demploi, visant à donner quelques outils en complément dune expérience denseignant débutant.
Dans certains pays, on assiste à une forme dintégration institutionnelle des formations, avec une bifurcation vers lenseignement avant la fin des études disciplinaires (par exemple au début du second cycle) et une introduction à la didactique des disciplines étudiées en parallèle à leur approfondissement théorique, du coup un peu moins affirmé. Au Québec, par exemple, cela prend la forme dun partenariat entre les facultés de sciences de léducation (ou déducation) et les facultés disciplinaires classiques (lettres, sciences, etc.). Dans dautres pays, ces dernières assument elles-mêmes une initiation didactique.
Au primaire, cela prend dautres formes, en raison dune formation pluridisciplinaire nécessairement moins pointue dans chacune des disciplines et dune prise en compte dobjectifs non disciplinaires : développement, socialisation, compétences transversales notamment.
Dans tous les cas, une constante se dessine : les savoirs à enseigner sont censés être acquis avant quon aborde la didactique disciplinaire correspondante. Sont censés, parce quen fait, les formateurs en didactique détectent assez souvent des lacunes. Ils observent par exemple :
Ces lacunes sexpliquent à la fois par les faiblesses et les zones dombre de la certification des savoirs disciplinaires et par le décalage entre les contenus disciplinaires enseignés au lycée/gymnase ou à luniversité et les programmes de lenseignement obligatoire. Ce décalage na rien détonnant : les lycées et les facultés ne prétendent pas approfondir les savoirs enseignés à lécole primaire ou au collège. Ils ouvrent au contraire de nouvelles perspectives, supposant les bases acquises. Nayant pas elles-mêmes à former des professeurs, ces institutions peuvent se permettre dignorer le fait quune partie importante de leurs étudiants auront plus tard à enseigner au niveau de la scolarité obligatoire.
Lorsque les formateurs en didactique détectent de grosses lacunes dans la maîtrise des savoirs disciplinaires, ils reprennent en général des plaintes rituelles (" Ils ne savent rien ! ") et font un rattrapage superficiel. Cest lun des problèmes de la division du travail dans le système éducatif : elle repose sur certaines fictions, le refus dadmettre quil est rare que les soient " exactement ce quelles devraient être ". Dans un système éducatif, les élèves, quel que soit le niveau détude considéré, savent rarement tout ce quils sont censés savoir. Les professeurs râlent et bricolent, mais le système ne change pas.
Pourquoi, en formation des enseignants, ne pas faire de nécessité vertu, en intégrant plus vite et plus fortement formation disciplinaire et formation à la didactique correspondante ? Je ne dis pas immédiatement et totalement : on peut difficilement débuter dans une langue étrangère tout en apprenant à lenseigner. Mais le problème se pose rarement en ces termes, puisque la plupart des professeurs ont abordé leur discipline dès lécole obligatoire, bien avant de commencer leurs études supérieures et de sorienter vers le métier denseignant.
Est-il nécessaire détudier la physique ou lhistoire quatre ans à luniversité avant de commencer à sintéresser à leur enseignement à de jeunes élèves ? A cette question, il est difficile de donner une réponse sereine, car les lobbies disciplinaires se mobilisent aussitôt pour dénoncer la baisse du niveau. Ils ont le soutien des étudiants, qui ne veulent pas avoir lair de " demi-physiciens " ou de " demi-historiens " et trouvent des profits de distinction à admettre le plus tard possible, et à regret, quils deviendront enseignants plutôt que chercheurs ou intellectuels érudits. Introduire la didactique avant la fin des études disciplinaires évoque le spectre dune formation au rabais ou dun cursus bâtard.
En dépit de ces résistances, lidée dune formation intégrée progresse dans la plupart des pays. Hélas, deux remarques tempèrent ce constat :
Les contrastes restent vifs entre les systèmes qui ne veulent pas entendre parler dune formation didactique des professeurs et ceux qui cherchent à lintégrer demblée à lorientation vers les études universitaires. Entre ces extrêmes, de nombreux systèmes den tiennent à une formation fractionnée (comme on le dit de la distillation) : dabord les disciplines, ensuite la formation pédagogique et didactique.
Il importe donc de réfléchir sur les enjeux de lintégration.
1.5 Les enjeux de lintégration
Y a-t-il des raisons majeures dintégrer plus vite et plus fortement formation disciplinaire et formation didactique ? Jen vois quatre :
1. Cest une façon dajuster plus étroitement les programmes disciplinaires aux savoirs à enseigner à lécole et au collège.
2. Cest la seule façon de travailler sérieusement la transposition didactique, ses dimensions épistémologiques et praxéologiques.
3. Cest une forte incitation à interroger le sens des savoirs, leur genèse, leur pertinence sociale et les représentations spontanées avec lesquelles ils entrent en conflit, donc de pousser les futurs enseignants à construire un rapport au savoir leur permettant daccueillir et de comprendre celui des étudiants.
4. Cest une préparation à une approche constructiviste du savoir et de ses modes dacquisition.
Reprenons-les une à une.
1.5.1 Des savoirs universitaires étayant les savoirs à enseigner
Il ny a pas de recouvrement automatique entre la mathématique enseignée en faculté et celle qui prévaut à lécole primaire, au collège ou même au lycée. Il en va de même dans toutes les disciplines.
Il est bien entendu souhaitable que les enseignants en sachent plus que leur élèves, quils aient une vision plus complète, approfondie, pointue, dialectique et critique des savoirs quils veulent faire construire aux élèves. Il nest pas sûr que les programmes universitaires actuels atteignent de tels objectifs au niveau du second cycle, dans une université de masse. On peut au contraire avancer lhypothèse que pour couvrir tout le champ de la discipline, on avance vite et de façon superficielle dans le texte du savoir.
Si la formation disciplinaire, une fois les fondements acquis, saxait en priorité sur les savoirs enseignés à lécole obligatoire, elle laisserait certes dans lombre des domaines non scolarisés à ce niveau, mais elle pourrait en revanche approfondir davantage les fondements théoriques de certains chapitres centraux dans le cursus primaire ou secondaire, par exemple, en mathématique, la numération et ses bases, les opérations arithmétiques, la géométrie, une partie de lalgèbre. En langue maternelle, on sarrêterait aux opérations langagières essentielles au détriment sans doute dune large érudition littéraire.
1.5.2 Une transposition didactique plus lucide et mieux maîtrisée
Les savoirs scolaires effectivement enseignés sont laboutissement dune chaîne de transposition didactique (Verret, 1975, Chevallard, 1985) dont les professeurs nont que vaguement conscience :
Une formation intégrée, à la fois didactique et disciplinaire, prendrait la transposition pour objet de formation et armerait les professeurs pour quils comprennent les logiques politiques aussi bien que psychopédagogiques et pratiques qui pèsent sur la sélection, la mise en forme, lenchaînement des savoirs scolaires et plus globalement sur les transformations que subissent contenus culturels et pratiques sociales pour devenir des objets denseignement et dapprentissage (Martinand, 1986 ; Joshua, 1996 ; Perrenoud, 1998 c).
Ils accéderaient de la sorte à ce que Develay (1992) a nommé la matrice disciplinaire, autrement dit les questions fondatrices et organisatrices du travail scientifique, celles dont découlent toutes les autres, celles qui donnent son sens et son moteur à la recherche, mais aussi celles qui donnent les clés daccès à une discipline.
1.5.3 Travailler le rapport au savoir
Un approfondissement théorique centré sur les savoirs scolaires permettrait délargir la formation à des thèmes essentiels dans la construction du rapport au savoir :
Pourquoi insister sur ces deux apports en quelque sorte " extérieurs " aux savoirs savants proprement dit ? Parce quils permettraient aux professeurs de les contextualiser, donc de les rendre accessibles aux élèves qui ne sont pas prêts à assimiler des savoirs dont ils ne comprennent ni lorigine, ni les usages sociaux.
Actuellement, la formation encyclopédique donnée dans les facultés fait de la réflexion épistémologique sur le savoir et le rapport au savoir le parent pauvre, alors que cest une ressource majeure pour enseigner.
1.5.4 Fonder une approche constructiviste des savoirs
Cette approche épistémologique, historique et critique des savoirs a un autre vertu ; elle permet de les considérer comme des construits sociaux, ce qui aiderait les professeurs à " comprendre pourquoi les élèves ne comprennent pas ", à quels obstacles cognitifs ils se heurtent, les mêmes que ceux quont rencontrés les chercheurs au fil des derniers siècles. Lhistoire des sciences est en effet lhistoire de ces obstacles, quil sagisse de la circulation sanguine ou des mutations génétiques en biologie, de latome, de la lumière ou de la gravité en physique, en encore des nombres négatifs ou de la notion de limite en mathématiques, pour ne prendre que quelques exemples. Dans le champ des sciences humaines, les théories sont dun moins haut niveau dabstraction et de formalisation, mais les obstacles à léducation scolaire sont tout aussi nombreux, en raison des enjeux idéologiques, des difficultés de la décentration, du poids des représentations naïves (par exemple de la monnaie, de la démocratie ou des différences ethniques).
Travailler sur les erreurs, les obstacles, les chemins de traverse, tout ce qui ralentit et bloque les apprentissages, demande une familiarité avec la genèse des savoirs savants et ses errements. La parfaite connaissance des savoirs validés et homologués ne suffit pas.
Ce constructuivisme sétend bien entendu aux processus dapprentissage eux-mêmes. Seule une forte intégration des savoirs et des didactiques correspondantes a une chance de convaincre les futurs professeurs quun savoir ne se transmet pas, mais se construit à partir de situations dapprentissage conçues à cette fin (Jonnaert et Vander Borght, 1999).
1.6 Appauvrissement, enfermement ou expertise ?
On dira sans doute que centrer de la sorte la formation disciplinaire sur les savoirs à enseigner à lécole, au collège ou au lycée peut affaiblir le niveau scientifique des professeurs. Je nen crois rien. Le niveau ne tient pas à la couverture encyclopédique dune discipline, mais à la maîtrise de sa complexité, de ses ambiguïtés, de ses racines, de ses usages. Il ne sagit pas de vulgariser la science pour que les enseignants en sachent à peine plus que les élèves. Il ne sagit pas dune formation au rabais, mais dune véritable formation professionnelle à un métier qui nest pas de produire des savoirs, mais de les enseigner.
Pour considérer que ce nest ni un appauvrissement, ni un enfermement, mais une expertise différente et tout aussi digne destime, il faut évidemment cesser de croire que luniversité ne forme que des chercheurs. Lorsquelle forme des médecins, des juristes, des ingénieurs, elle axe leur bagage théorique sur les domaines les plus pertinents en regard de leur pratique professionnelle future. Cet " appauvrissement " est compensé par le développement de compétences dingénierie, avec les savoirs méthodologiques, technologiques et sociaux quelles mobilisent.
Personne naurait lidée de former les médecins comme des biochimistes qui, après quatre ans détudes théoriques, auraient une initiation clinique courte et quelques stages et se trouveraient seuls face à des patients. Nul ne songerait à former des ingénieurs comme des chercheurs en physique, pour nintroduire lingénierie quen fin de parcours à travers quelques travaux pratiques. Comme le remarquait Mario Laforest, les médecins ne se considèrent pas comme des biochimistes qui soignent des gens, ni les ingénieurs comme des physiciens qui construisent des ponts. Les professeurs se présentent comme des historiens, des géographes, des biologistes ou des physiciens " qui enseignent " : leur essence est disciplinaire, la pratique enseignante nest quun accident de parcours.
Si lenseignement devenait une identité première, la formation à lenseignement pourrait opérer une sélection des savoirs et privilégier un rapport au savoir en se référant à une pratique qui mobilise ces savoirs à sa façon, dans une transposition, des interactions, un contrat didactiques spécifiques. En intégrant davantage formation disciplinaire et formation didactique, on cesserait de considérer la formation des professeurs comme un mal nécessaire, elle deviendrait un curriculum spécialisé pour construire une expertise spécifique.
Il faudra pour cela cesser de ne tenir aucun compte du fait que la plupart des étudiants, dans les disciplines les plus " académiques ", deviendront des professeurs. Et cesser aussi de penser que le savoir est plus pur et plus digne destime sil est connecté à une pratique de recherche quà dautres pratiques professionnelles sociales. Cesser aussi de se cacher derrière une objection qui nest décisive quen apparence : une formation intégrée serait " contraire à la mobilité professionnelle ". Sur le papier, cest vrai de toute spécialisation, mais en contrepartie, on gagne en expertise. De plus, cette mobilité est assez fictive : combien de professeurs ayant une formation disciplinaire " pure et complète " émigrent-ils vers la recherche après quelques années denseignement ? Je prendrais volontiers le pari que des professeurs sérieusement formés à enseigner durant leur formation disciplinaire seront plus créatifs et mobiles que les étudiants actuels qui arrêtent leurs études avant le 3e cycle et se préparent ensuite à lenseignement. Lapproche didactique interroge en effet " létat des savoirs " et pose des questions épistémologiques et théoriques fondamentales qui préparent à la recherche davantage que le bachotage des étudiants de second cycle.
2. Croiser
approches didactiques et
approches transversales
La seconde thèse principale défendue ici est quune formation exclusivement didactique ne saurait suffire à préparer des professionnels de lenseignement, même si elle faisait une place à la didactique générale.
Dans un premier temps, je mettrai en doute différentes formules : didactique générale, pédagogie, formation générale, culture de base en sciences humaines. Jexaminerai ensuite des approches dites transversales des processus denseignement et dapprentissage et du métier denseignant comme du métier délève.
2.1 La formation didactique ne saurait suffire
A partir de cette thèse, différentes perspectives sont en concurrence. Aucune ne me semble satisfaisante
2.1.1 La didactique générale comme vade-mecum
Dans laire francophone et latine, lémergence de didactiques des disciplines orientées vers la recherche a conduit à contester lexistence même dune didactique générale ; prendre au sérieux la part du savoir dans le " triangle didactique ", cest sobliger à considérer ses contenus spécifiques, discipline par discipline, et même domaine par domaine au sein de la même discipline ; on voit certes émerger maintenant dune part une anthropologie du didactique, dautre part une didactique comparée ; mais la première est une invention discutable, alors que la seconde ne prétend pas généraliser ; elle se borne, comme son nom lindique, à chercher des parentés aussi bien quà analyser des différences.
Dans dautres aires culturelles, notamment germanophones, scandinaves ou anglo-saxonnes, les didactiques des disciplines restent des " méthodologies " orientées vers laction et on accorde une certain prééminence à la didactique générale.
Je nentrerai pas ici dans ce débat. Notons simplement quune didactique générale ne peut être quune amalgame de savoirs empruntés à plusieurs sciences sociales et humaines. Ce peut être un effort de synthèse, pas un champ de recherche. On le verra mieux en inventoriant les approches transversales : elles sont plurielles, chacune a un objet spécifique et relativement pointu. Chacune se situe au carrefour de plusieurs sciences humaines, mais nulle ne prétend rendre compte à elle seule de toutes les dimensions des processus denseignement-apprentissage en un seul discours cohérent. On perçoit, par contraste, que la didactique générale a un objet trop large pour être en mesure de produire, sur toutes ses facettes des savoirs de première main.
2.1.2 La pédagogie comme supplément dâme
On tente aussi volontiers déquilibrer la didactique, située du côté des savoirs et des processus cognitifs, par une " pédagogie humaniste ", sensible à la relation, à laffectivité et aux valeurs.
Or, la pédagogie nest pas " soluble dans les sciences de léducation ", pour reprendre une formule de Meirieu (1995). Ce nest pas une science, mais un discours à la fois intégrateur et praxéologique, celui qui sous-tend la pratique. Certes, dans ses variantes littéraires, philosophiques, voire scientifiques, le discours pédagogique paraît laffaire de " penseurs " de léducation davantage que de praticiens. Mais ils ne font que mettre en forme, rendre cohérent et articuler aux sciences de lhomme et à la philosophie un discours engagé et sensible sur léducation, ses finalités, son éthique.
Pour qui adhère à cette conception de la pédagogie, une conclusion se dessine : elle a sa place dans une formation denseignants, on peut la considérer comme une discipline intellectuelle, mais elle nest pas dabord une sorte de synthèse vulgarisée des sciences de léducation à lintention des praticiens. Elle est une forme de pensée globale dirigée vers laction et intégrant des théories, lexpérience, les valeurs et la dimension intersubjective et éthique du rapport pédagogique.
La pédagogie ne soppose pas à la didactique. Elle équilibre les savoirs issus de la recherche, quils soient didactiques ou transversaux.
2.1.3 La " formation générale " comme alibi
Créer une " formation générale " est une autre façon de ne pas laisser toute la place aux didactiques des disciplines. Cest la voie française. La création des IUFM, qui aurait pu pousser à un fécond rapprochement entre didactiques des disciplines et sciences de léducation, a plutôt aggravé leur séparation. Dans les IUFM, la didactique des disciplines a moins dimportance que les disciplines elles-mêmes, mais elle se taille la part du lion dans la formation professionnelle proprement dite. Les sciences de léducation, telles quelles sont implantées dans les universités, interviennent peu dans la formation des enseignants, alors quà lintérieur des IUFM, elles se limitent souvent à des enseignements de psychopédagogie (domaine réservé des anciens professeurs de philosophie des Écoles normales). Globalement, les sciences sociales sont peu développées dans les IUFM, elles sont au mieux fondues dans des " formations communes " destinées aux futurs professeurs décole, de collège et de lycée. ces zones communes se sont réduites comme peau de chagrin au fil des années.
Il vaut mieux offrir une formation générale que de sen tenir aux formations disciplinaires et didactiques, mais ce nest quun mince contrepoids. Les (futurs) enseignants qui se posent des questions ou rencontrent des obstacles ne relevant pas dune didactique disciplinaire, à quels formateurs peuvent-ils sadresser ? Un " généraliste " peut être le bon interlocuteur si la question porte sur les finalités, les valeurs ou la façon de vivre avec des contradictions. Mais si elle porte sur des aspects spécifiques de la gestion de classe, des sanctions, de la pédagogie différenciée, des technologies de la formation, du travail en équipe ou de lévaluation, ce nest pas dune réponse de généraliste dont le praticien a besoin, cest dune réponse pointue, fondée sur la recherche aussi bien que des savoirs professionnels. Faut-il être sévère en début dannée scolaire ? Comment savoir quand il vaut mieux fermer les yeux sur une déviance plutôt que de sinterrompre, au risque de désorganiser le cours ? Comment entrer en relation avec des parents hostiles ? Comment sy prendre pour accueillir un élève ne parlant pas la langue scolaire ? Quelle tolérance avoir à légard de la tricherie ? du mensonge ? des arrivées tardives ? Comment mettre en place une évaluation formative sans être noyé par les instruments et le temps requis ? Comment calmer une violence émergente ou une grande agitation ? Que faire si la classe se divise en clans, chahute un remplaçant régulier ou se ligue contre un élève ? Comment dépasser un vif conflit au sein dune équipe pédagogique ? Quant faut-il garder un secret professionnel, quant faut-il le trahir pour des raisons supérieures ?
Ces questions nont pas de réponse à lintérieur des didactiques des disciplines. Mais elles ne sont pas " purement philosophiques ", même si elles renvoient souvent à un jugement de valeur ou à un dilemme éthique. Elles nappellent pas des commentaires généraux, mais des explications ou des conseils spécifiques, fondés sur des savoirs issus de la recherche ou de lexpertise professionnelle accumulée collectivement. Autrement dit, elles relèvent pour une part des sciences de léducation, ici dans leurs composantes les moins centrées sur des disciplines et leurs didactiques respectives. Une formation générale nest pas à la hauteur de la complexité et de la diversité des objets à traiter.
2.1.4 Une culture de base en sciences humaines ?
Les systèmes qui reconnaissent la légitimité de ces questions et dune formation à lenseignement qui les anticipe ou y répond peuvent considérer quon résout le problème en donnant aux futurs enseignants une culture de base en sciences humaines : psychologie de lenfant et de ladolescent, psychologie cognitive, mais aussi psychanalyse, sociologie, anthropologie de léducation.
Il y a cependant une distance considérable à franchir entre une initiation théorique et la compréhension de phénomènes dont la banalité na dégale que la complexité.
Souvent, les enseignements de psychologie ou de sociologie de léducation sont confiés à des spécialistes de ces disciplines qui nont pas lexpérience de lenseignement au niveau école, collège ou lycée et optent pour des contenus assez éloignés de la vie quotidienne en classe et des métiers denseignant et délève.
On peut sans doute imaginer des formateurs plus au fait des réalités pédagogiques, travaillant par études de cas ou analyse de pratiques (Paquay et al., 1996 ; Perrenoud, 1999). Même alors, on se heurtera aux limites des disciplines. Un élève qui refuse dapprendre à lire, est-ce un problème qui relève de la psychologie, de la psychanalyse, de la sociologie, de la didactique ?
Il paraît plus fécond de découper dans le réel scolaire des objets complexes, mais identifiables, quon peut travailler de façon à la fois théorique et pratique, à partir de plusieurs sciences humaines.
2.1.5 Ne pas sen tenir aux savoirs experts
On pourrait être tenté de définir de tels objets, puis de sen remettre, pour chacun, aux savoirs dexpérience des maîtres de stages et de quelques formateurs-experts issus du terrain, qui parleront à partir de leur expérience de gestion de classe, daménagement de lespace, de maintien de lordre, de conseils de classe ou de pédagogie différenciée.
Cette approche nest pas sans intérêt, mais si elle écartait les sciences humaines, elle priverait la formation des enseignants dune liaison féconde avec la recherche et la théorie. Les didactiques des disciplines, constituées au départ comme savoirs experts, dordre méthodologique, sont devenues des champs de recherche et de théorisation, à partir desquels on peut, mais ce nest pas automatique, revenir à une part dinstrumentation et de prescription. Les approches transversales suivent en partie le même chemin. Prélevant des objets complexes dans le monde social, qui sont en partie des objets dexpertise professionnelle, elles leur donnent un statut théorique pour mieux réinvestir les savoirs construits dans la formation des praticiens. Mieux vaudrait que ce soit en complémentarité plutôt quen concurrence et en déni mutuel avec les savoirs experts propres à la profession.
2.2 Des approches transversales pluridisciplinaires
Les didactiques des disciplines sont des carrefours où diverses sciences humaines et sociales - histoire, épistémologie, psychologie, psychologie sociale, sociologie - contribuent à rendre compte dun " objet complexe " : une discipline denseignement, son émergence, ses transformations, sa place dans le système, ses enjeux institutionnels ou théoriques et par dessus tout les fonctionnements didactiques qui lui sont spécifiques.
Par définition, les didactiques disciplinaires courent le risque dune certaine cécité à légard de tout no manland, de tout ce qui, dans lécole, ne relève daucune discipline. De plus, étant en partie prisonnières des découpages institutionnels, elles sont en mauvaise posture pour les expliquer et les problématiser. Seules lhistoire et la sociologie des disciplines scolaires peuvent rendre compte de lémergence et des fonctions de ces découpages.
Enfin, les disciplines ne sont pas des mondes entièrement isolés et hétérogènes. Cest la raison des approches transversales. Elles nétudient pas une autre réalité, elles adoptent un autre point de vue et procèdent à dautres découpages.
2.2.1 Mécanismes communs et aspects systémiques
On parle dapproches transversales parce que leurs objets " traversent " les disciplines scolaires, soit parce quil est présent dans toutes (par exemple lévaluation) soit parce quil surplombe, transcende, englobe les disciplines (par exemple la gestion de classe)
Il ny a aucune raison de penser discipline par discipline certains processus ou phénomènes qui se retrouvent dans toutes, comme lévaluation, la différenciation, les différences culturelles, le désir dapprendre, le rapport aux savoirs :
Lexistence dapproches transversales ne dispense pas de traiter brièvement de ces processus dans chaque didactique disciplinaire, pour aborder des aspects spécifiques à un champ de savoir.
Il y a des phénomènes qui nappartiennent à aucune discipline : les relations avec la famille, la gestion de classe, lintégration ou lexclusion denfants différents, larticulation de la classe à un projet détablissement, le métier délève, le métier denseignant, la coexistence de plusieurs cultures, les relations intersubjectives, les dynamiques de groupes, les discriminations, les phénomènes de pouvoir, de déviance, de discrimination, de ségrégation ou de communication dans la classe, etc.
Ces phénomènes affectent les disciplines, à des degrés divers et selon des modalités, distinctes ; les différences culturelles se manifestent autrement en langue et en éducation physique, mais on ne peut rendre ces phénomènes intelligibles à partir dune seule discipline scolaire.
2.2.2 Vers une complémentarité
Il y a place pour les deux approches en formation à lenseignement. On peut par exemple considérer que le rapport au savoir doit être étudié à la fois :
Les modes de découpage du réel sont différents : les didactiques des disciplines ne construisent pas leur objet de façon autonome, elles en reconnaissent lexistence dans le champ scolaire. Les disciplines scolaires sont très stables et paraissent grosso modo semblables dun pays à un autre. Elles correspondent en partie à la division des savoirs disciplinaires au sein de luniversité et dans la recherche, même si lécole pratique certains regroupements - sciences humaines, sciences de la terre, environnement - de disciplines qui nont pas cours au niveau universitaire, même si les contenus et les rapports au savoir diffèrent. Cette stabilité masque le fait que les didactiques sont " à la traîne " des émergences, des schismes, des fusions, des alliances qui sopèrent dans ce champ. À la limite, toute discipline nouvelle - comme linformatique - appelle lémergence de sa propre didactique.
Les approches transversales sont moins dépendantes de la construction sociale du réel au sein du système éducatif, même si plusieurs champs transversaux correspondent à des catégories reconnues et utilisées par les acteurs (évaluation, différenciation, gestion de classe, intégration, relations familles écoles) ou susceptibles de lêtre (métier délève, interculturel). Cette indépendance se paie dune plus grande dispersion des forces, dune plus grande instabilité des objets de recherche et des réseaux de communication, didentités moins fortes. Alors que les spécialistes des disciplines se construisent facilement une identité de didacticiens, quelle que soit leur formation dorigine, les chercheurs engagés dans les approches transversales se reconnaissent pour une part dabord comme sociologues, historiens, psychanalystes ou anthropologues, ou encore comme " chercheurs en éducation " à vocation " généraliste ". Alors que les didacticiens se spécialisent dans une discipline, et sont extrêmement prudents quant aux emprunts et aux passages dun champ disciplinaire à un autre, les chercheurs " transversaux " sintéressent souvent à plusieurs objets complexes, parallèlement ou successivement.
2.2.3 Des découpages transversaux variables
Les " objets transversaux ", plus instables et moins universels que les disciplines denseignement, suscitent facilement la controverse sur les découpages qui leur donnent naissance. On peut par exemple constituer lévaluation en objet autonome ou la lier plutôt à dautres phénomènes ; certains la marieront avec la sélection et à lorientation ; dautres avec le contrôle des conduites ; dautres encore avec la différenciation, le contrat pédagogique ou les dispositifs didactiques.
Cette diversité de découpages nest pas grave si les principaux mécanismes sont étudiés dune manière ou dune autre. Il nest pas nécessaire quon aboutisse à une liste unique et canonique dobjets transversaux reconnus partout. Le caractère local des découpages les rend plus fragiles, moins légitimes, moins évidents, mais aussi plus conformes à létat des forces, à la division du travail de recherche et aux réalités de chaque système éducatif et de ses réformes.
On peut donc tout à fait concevoir que chaque institut de formation des maîtres construise sa propre vision du transversal. Limportant est quil en ait une, quelle soit stabilisée pendant quelques années pour quon puisse la traduire en unités et dispositifs spécifiques de formation, aussi pointus et pertinents que les unités et dispositifs de didactiques de disciplines.
La liste qui suit nest ni exhaustive, ni la seule possible. Elle donne une idée des possibilités :
2.3 Un état des lieux fort déséquilibré
Les approches transversales sont encore à létat virtuel, sauf dans quelques systèmes de formation des enseignants. Au cur des plans de formation, on trouve la didactique générale ou les didactiques des disciplines. Autour, on trouve des espèces de satellites, dont le nom est lui-même plus que flou parce que " formation commune " ou " formation générale " ne signifie rien de bien précis et indique surtout quon sort des didactiques des disciplines.
Lenjeu actuel est donc de faire exister conceptuellement les dimensions transversales du métier et des processus denseignement et dapprentissage. Pour aller dans ce sens, il faut consentir un travail de conceptualisation et dexplicitation dobjets transversaux, mais il faut aussi mener un combat contre des empires didactiques et disciplinaires qui nentendent pas se laisser faire et tentent détouffer dans luf toute tentative de rééquilibrage. Il faut quil y ait un travail théorique et épistémologique solide pour que les approches transversales aient une chance de devenir aussi légitimes que les didactiques des disciplines.
Cest ainsi quune unité de formation sur le sens du travail scolaire et le rapport des élèves au savoir doit être au moins aussi solide, instrumentée, argumentée et pratique que nimporte quelle didactique disciplinaire. Il reste à faire ce travail sur lensemble des entrées transversales.
Lon aboutira alors à la coexistence - quon peut espérer pacifique et dialogique - dentrées didactiques et dentrées transversales, sans oublier que cest lintersection qui est intéressante, parce que la réalité nest saisissable que dans les intersections. Dans une situation de classe, il y a presque toujours du didactique et du transversal. Même dans une leçon centrée sur une notion, ou un concept, ou un algorithme il y a du transversal, il y a du relationnel, il y a du contrat, il y a du pouvoir. Et même dans le phénomène le plus relationnel, on reste à lécole, il y des savoirs et de lexcellence en jeu. Ce qui ne veut pas dire quà chaque intersection il faille prévoir un module de formation
Il ny a pas totale symétrie entre approches transversales et approches didactiques, ni dailleurs accord complet sur la nature épistémologique des sciences de léducation ou sur la conception des formations. Les divergences théoriques et épistémologiques entre didacticiens et transversaux sont-elles plus fortes quau sein de chacune de ces familles ? Ce nest pas sûr. Mais il y des logiques daction collective qui fédèrent des blocs hétérogènes.
2.4 Lexemple genevois
Le programme genevois de formation des professeurs décole propose un réel équilibre entre approches didactiques et approches transversales, dans une formation professionnelle dans le cadre des sciences de léducation (maîtrise, niveau bac + 4).
Sept unités de formation transversales ont été retenues. Elles sont regroupées en deux grand modules, occupant chacun un semestre :
Le module 1 Relations et situations éducatives complexes, diversité des acteurs. est formé de quatre unités de formation compactes se partageant un bloc de onze semaines :
Le module Processus et difficultés dapprentissage, régulation et différenciation est formé de trois unités de formation compactes se partageant un bloc de neuf semaines :
Certains phénomènes sont abordés à la fois en didactique des disciplines et de façon transversale. Toutes ces approches sont interdisciplinaires, quelles soient didactiques ou transversales. À Genève, les didactiques des disciplines sont intégrées aux sciences de léducation. Une partie des enseignants-chercheurs sont à la fois didacticiens et transversaux, par exemple dans le domaine de la lecture et de lentrée dans lécrit.
Chaque " objet " est confié à deux ou trois enseignants-chercheurs, qui construisent une unité de formation intégrant des temps de terrain. Ces unités sont en général intégrées à des modules, qui en regroupent de trois à six ou sept. Chaque module dispose de 9 à 14 semaines, dont un tiers au moins se passent sur le terrain. Les étudiants travaillent à plein temps dans les classes lorsquils sont sur le terrain et une quinzaine dheure sur les thèmes du module lorsquils sont en faculté Léquipe du module constitue son propre réseau de formateurs de terrain, dont il sollicite la coopération sur les thèmes et les objectifs spécifiques des unités de formation ainsi réunies (Perrenoud, 1996 b, 1998 a).
3.
Identités, structures, programmes
et démarches de formation : tout se
tient !
Le processus de professionnalisation du métier denseignant se jouera sur plus dun tableau. Celui des savoirs et du rapport au savoir des enseignants nest pas le moindre, peut-être est-ce même le plus décisif (Perrenoud, 1996 a).
Il ne manque pas aujourdhui de travaux empiriques sur les savoirs des enseignants. On se reporter pour une synthèse aux travaux québécois (Gauthier, Mellouki et Tardif, 1993 ; Gauthier, 1997). Ils confirment les observations des pratiques de classe. Tous ces travaux montrent que les savoirs disciplinaires ne sont quune composante des savoirs des enseignants, quune partie des ressources que mobilisent ses compétences professionnelles (Perrenoud, 1996 a).
Hélas, cette partie reste largement prise pour le tout ou du moins pour lemblème du métier, elle reste au cur de lidentité professionnelle des enseignants universitaires et secondaires.
Pour évoluer vers des formations intégrées et un équilibre entre approches didactiques et approches transversales dans la formation à lenseignement, il faut certainement sattaquer à lidentité et à la culture des enseignants. Mais cela naura guère deffets si on ne transforme pas en même temps les structures, les programmes et les démarches de formation.
Ces trois chantiers, ouverts partout, mais qui progressent à des rythmes très inégaux, ne peuvent qualimenter à leur tour une transformation graduelle de lidentité des enseignants.
Références
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