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Savoir enseigner au XXIe
siècle ?
Quelques orientations dune école de
qualité
Philippe Perrenoud *
Faculté de psychologie et des sciences de
léducation
Université de Genève
1999
1. Les enjeux de socialisation : préparer à affronter les contradictions de la vie collective2. Les enjeux de formation : préparer à affronter la complexité du monde
Le XXIe siècle, nous y sommes presque. Ses premières années ressembleront à ce que nous connaissons aujourdhui. Par la suite qui peut le dire ?
Les prévisions des futurologues ont souvent été ridiculisées. Plusieurs facteurs ont été régulièrement sous-estimés :
Les efforts de prospective ont pêché par manque dimagination sociologique et technologique, mais surtout par une croyance naïve au progrès. En cette fin de siècle, les chercheurs ne saventurent donc plus aussi facilement à prédire lavenir, ils laissent cet exercice à hauts risques aux voyantes et autres mages.
Pourtant, pour dessiner le profil des enseignants de demain dans une école de qualité, il faut bien esquisser quelques idées sur lévolution des sociétés (cf. Castells, 1998, 1999) et leurs conséquences pour les systèmes éducatifs. Les enseignants ne sont pas des artisans à leur compte, ils servent des organisations et des politiques éducatives qui, elles, répondent aux évolutions et aux projets de la société. On ne peut donc penser le métier et les compétences des enseignants sans faire dhypothèses sur lévolution des systèmes sociaux.
Je men tiendrai ici à deux grands axes :
1. Les enjeux de socialisation, qui amènent lécole à accentuer le développement de lautonomie et de la citoyenneté par le curriculum implicite et des dispositifs de formation spécifiques aussi bien quà travers lensemble des disciplines.
2. Les enjeux de formation, qui linvitent à mettre laccent sur le développement de compétences, sans tourner le dos aux savoirs, mais en se préoccupant davantage de leur mobilisation et de leur transfert.
Ces deux perspectives ne sont pas antinomiques, au contraire. Lautonomie et la exigent des compétences et des savoirs. A linverse, construire des compétences et des savoirs suppose exige une forme de liberté de pensée aussi bien quune implication dans laction collective.
Pour chacun de ces grands enjeux, je tenterai de décrire sommairement :
1. Les enjeux de
socialisation : préparer à affronter
les contradictions de la vie collective
Lécole et les enseignants ne forment pas seulement des esprits, mais des identités, liées à des appartenances, à des cultures, à des croyances et des valeurs collectives. Une certaine rationalisation du monde a pu faire croire dans les années 1960-70 que lécole allait se limiter à instruire, laissant léducation aux familles ou à dautres instances. La montée de la violence urbaine, la dissolution du lien social, la multiplication de conflits dits " limités " entre nations ou de conflits ethniques mettent en évidence la fragilité des démocraties, les excès de lindividualisme, le manque de solidarité entre continents.
Ceux qui nacceptent pas cet état de la planète invitent lécole et les enseignants à affirmer ouvertement une adhésion à un projet de société et à des valeurs fortes, à se faire les garants dune société équitable et démocratique à la mesure du XXIe siècle.
1.1 Les enjeux de socialisation
Peut-être lavons-nous désormais appris : lhistoire ne fait que déplacer les contradictions inhérentes aux sociétés complexes. Jen énumérerai quelques-unes, qui nous traversent en permanence, sans prétendre faire le tour des problèmes contemporains. Nous vivons et nous allons vivre des contradictions majeures :
On ne peut espérer surmonter ces contradictions par la pensée positive et la croyance au progrès et à la raison. Sans les développer toutes, risquons quelques mots, cependant, pour éviter les plus grossiers malentendus.
Citoyenneté planétaire et identité locale
Nous appartenons à la planète, mais contrairement aux espoirs naïfs, les particularismes se renforcent, le racisme ne désarme pas, les guerres de religion renaissent. Les jeunes auront à développer une double citoyenneté : apprendre à se concevoir et à agir comme citoyens de la Terre, sans cesser dappartenir à des communautés plus restreintes, en restant conscients des interdépendances multiples entre le local et le global.
Mondialisation économique et fermeture politique
Léconomie se joue des frontières, une partie des décisions qui changent la vie des gens se prennent très loin deux, hors de tout contrôle politique. Ce qui nourrit la tentation de la fermeture, du retour à des frontières claires et à une forme dautosuffisance. Les mouvements de sécession ou dindépendance politique agitent tous les continents à lheure même où les barrières douanières seffondrent. Si léducation ne donne pas de clés pour comprendre et maîtriser collectivement la globalisation, elle laisse le champ libre au cynisme des puissants et à la peur des autres.
Libertés et inégalités
Les gens nont jamais eu autant de droits que dans les pays développés et les démocraties. Du coup, lindividualisme triomphe, les solidarités se défont et les mécanismes du marché creusent les inégalités et favorisent lémergence de sociétés duales, quelles soient globalement riches ou pauvres. Entre les sociétés les écarts saccroissent aussi, les rapports Nord-Sud sont toujours plus asymétriques.
Lexpérience des dernières décennies peut faire douter de lexistence de régulations spontanées. Les dominants contrôlent le jeu économique. La maîtrise des inégalités passe par des choix culturels, politiques et éthiques que lécole ne peut pas faire à la place des acteurs, mais quelle peut rendre possibles, dabord en faisant prendre conscience de la réalité, de lampleur et des mécanismes de perpétuation des inégalités, ensuite en amenant à réfléchir sur léquité et le bien public à léchelle des sociétés et de la planète
Technologie et humanisme
Les nouvelles technologies de linformation changent lentement, mais sûrement, nos façons de vivre, de travailler et de penser, au risque de nous transformer en assistés permanents, voire en auxiliaires dociles de systèmes informatiques conçus par quelques-uns. Les outils et les réseaux informatiques, le multimédia, la réalité virtuelle, comme lingénierie génétique dans un autre registre, suscitent déjà ou susciteront tôt ou tard des révoltes passéistes, au nom de lhumanisme, avec la tentation dun retour au bon sens et aux traditions.
Le rôle de léducation scolaire pourrait être déviter ces mouvements de balancier entre adoration et rejet, non seulement en initiant aux NTIC, mais en donnant les moyens danalyser les enjeux.
Rationalité et fanatisme
Le développement explosif de la science et des techniques a pu, jusquaux années 1960, faire croire à une forte rationalisation de la culture : objectifs, programmes, projets de développement, planification et évaluation semblaient devoir organiser la vie collective en tenant compte des besoins, des contraintes, des possibles. Or, ce monde " rationnel " :
Léducation scolaire na aucune vocation à nier les dimensions spirituelles et métaphysiques de lexistence. Ni même à ignorer le fait religieux dans un excès de rationalisme matérialiste et de laïcité militante. Peut-être la raison consiste-t-elle à reconnaître le besoin de transcendance des êtres humains en les gardant de se précipiter vers les croyances les plus obscurantistes ou fanatiques.
Individualisme et culture de masse
Jamais, dans lhistoire, on na accordé autant de prix à lindividu, à sa vie, à son intégrité physique et mentale, à sa santé, à son éducation, à son autonomie, à son " projet personnel ". Or, cette montée de lindividualisme coïncide avec une standardisation sans précédent des produits industriels, mais aussi des denrées " naturelles " proposée par le secteur agroalimentaire. Les médias et la publicité normalisent désormais les désirs, les goûts (alimentaires, vestimentaires, etc.) et les modes de vie à léchelle de la planète. Linstallation dun fast food et le développement de la publicité télévisée sont les premiers signes douverture dun pays à léconomie de marché. " Parce que je le vaux bien " se décline dans toutes les langues
Que peut lécole ? Au minimum, donner une connaissance des mécanismes de la propagande et de la publicité et développer un esprit critique face aux médias.
Démocratie et totalitarisme
La forme démocratique demeure extrêmement vulnérable, chaque pays reste menacé, sil en est jamais sorti, de retomber dans la barbarie, redonnant le pouvoir à la police politique et aux tortionnaires, faisant resurgir des camps, des pogroms, des ghettos, des violences contre les minorités ou les intellectuels, ou encore faisant régresser les droits de lhomme, le statut des immigrés ou légalité des sexes. Le fascisme et dautres formes de totalitarisme subsistent dans le monde, les mouvements néonazis prospèrent, nul pays nest à labri dun retour aux heures les plus sombres de lhistoire, comme viennent de le démontrer les événements en ex Yougoslavie.
Une culture historique de base éviterait dentendre les adolescents daujourdhui dire " Hitler, je ne connais pas " tout en achetant des croix gammées et des insignes SS
1.2 Une école qui développe lautonomie et la citoyenneté
Face à tout cela, que peuvent faire les systèmes éducatifs et les enseignants ? Les quelques suggestions avancées plus haut ne tiennent pas lieu de programme et chacune suppose une volonté politique dendiguer tel ou tel des maux qui nous menacent.
Or, le système éducatif nest pas hors de la société, il participe de ses contradictions et de ses soubresauts. On ne peut lui prêter des vertus sans commune mesure avec celle du système politique et économique dont il fait partie. Dans les régimes totalitaires, lécole a été linstrument de la propagande de lÉtat. On ne peut donc espérer quelle va démocratiser la société.
Dans une société pluraliste, le couplage entre le pouvoir et lécole est moins fort, le système éducatif nappartient pas aux partis au pouvoir, il est censé servir le bien public et la société civile dans toutes leurs composantes. On situe en général lécole du côté de lhumanisme et de la pensée positive et on lui donne volontiers la mission, sinon les moyens, de préparer un avenir meilleur. Encore faut-il quelle sempare de cette mission, la juge prioritaire et sache comment sen acquitter.
Si, comme lécrivent Meirieu et Guiraud (1997), il faut choisir entre lécole ou la guerre civile, il serait temps de faire ce choix clairement et den tirer les conséquences en termes de priorités. Il ne suffit pas de discourir sur la citoyenneté et le droit à la différence, il faut modifier le curriculum formel et les grilles horaires, donc aussi assumer des deuils, car développer la tolérance, lautonomie et la solidarité prend du temps, au détriment non du savoir, mais de lencyclopédisme. On ne peut continuer à se plaindre dune crise de léducation sans rien changer aux programmes et aux routines scolaires. De quel genre denseignant une école qui développe lautonomie et la citoyenneté a-t-elle besoin ? Je dirai quelle va privilégier une figure de lenseignant comme personne crédible, médiateur interculturel, animateur dune communauté éducative, garant de la Loi, organisateur dune petite démocratie, passeur culturel et intellectuel.
Lenseignant comme personne crédible
Les élèves nont pas besoin dun guide spirituel, ni dun catéchiste. Ils se construisent en rencontrant des personnes crédibles, qui ne se contentent pas de donner des leçons, mais se présentent comme des êtres humains complexes et comme des acteurs sociaux en lesquels sincarnent des intérêts, des passions, des doutes, des failles, des contradictions, des défauts et des vertus, des engagements, des acteurs qui se battent, comme tout le monde, avec le sens de la vie et les aléas de la condition humaine.
Quon se souvienne de ce dessin de Bill Waterson. Cela se passe durant les grandes vacances :
- - La mère de Calvin : " Jai rencontré ta maîtresse en faisant les courses. Elle te dit bonjour "
- - Calvin interloqué : " Tu as vu ma maîtresse ? ? Elle faisait des courses ? ? "
- - La mère de Calvin " Ça tétonne ? Il faut bien quelle mange ! "
- - Calvin, perturbé : " Ça alors Je croyais que les profs dormaient dans un cercueil tout lété ".
Beaucoup délèves ont une expérience comparable : pour eux, le professeur est quelquun qui entre dans une salle de cours, demande le silence, donne des explications, pose des questions, corrige des exercices et sen va, sans quà aucun moment la conversation ne sorte du sujet.
Lenseignant comme médiateur interculturel
A lécole se rencontrent des élèves très différents, qui viennent avec leurs valeurs et leurs préjugés. Ils véhiculent le racisme, le sexisme, le nationalisme, lintolérance religieuse ou politique qui ont cours parmi leurs camarades plus âgés ou les adultes. Lenseignant doit savoir instaurer le dialogue et le respect mutuel, non pas en faisant de beaux discours, mais en pratique, dans lespoir que cette coexistence pacifique et cette compréhension de lautre, si elles se manifestent tout au long du parcours scolaire, seront progressivement intériorisées et sinvestiront dans dautres lieux de vie.
Lenseignant comme animateur dune communauté éducative
Un groupe-classe, qui fonctionne une année scolaire ou davantage, est très davantage plus quune collection dindividus. Toutefois, seul lenseignant peut en faire une véritable communauté éducative, qui affronte les problèmes, y compris les problèmes dapprentissage, de façon solidaire. Cela peut commencer très simplement : il suffit par exemple que les enseignants autorisent et invitent les apprenants, lorsquils ont un doute ou rencontrent un obstacle, à interpeller le groupe. A linverse, chacun sera encouragé à aider les autres lorsquil est sollicité ou pense pouvoir être utile. Du chacun pour soi, on passe à la coopération, voire à la compétence collective. Une telle expérience, répétée tout au long de la scolarité, ne pourrait quinciter à rompre avec la compétition et la réticence à partager ses informations et ses idées.
Lenseignant comme garant de la Loi
Nul ne peut se construire sans repères. Souvent, lenseignant est le seul à pouvoir en offrir. Il peut et doit incarner la Loi, le principe de non violence, le respect des opinions, mêmes minoritaires, la non ingérence dans la sphère dautonomie de chacun, la fidélité aux décisions prises, la nécessité de définir des règles et des procédures concertées et transparentes.
Cest grâce à cette autorité que lécole peut fonctionner comme un espace protégé. Il importe aussi que les élèves fassent lexpérience dune communauté dans laquelle des règles claires et appliquées rendent la coexistence possible.
Lenseignant comme organisateur dune vie démocratique
Enseignants et élèves ne sont pas égaux dans lordre du savoir. Ce rapport asymétrique ne justifie ni domination, ni humiliation, ni mépris, ni exercice arbitraire dune autorité. Le rôle de lenseignant est de faire apprendre en négociant tout ce qui peut lêtre sans compromettre ses propres droits et sa mission. Lécole ne peut fonctionner comme une cité politique à part entière, car elle nédicte pas ses propres lois, ne dégage pas ses propres ressources et se voit assigner des finalités décidées en dehors delle. Elle peut néanmoins développer une " culture citoyenne " en gérant de façon transparente et démocratique sa marge dautonomie.
Lenseignant comme passeur culturel
Lidentité ne va pas sans inscription dans une histoire et une culture. Lécole nest pas un conservatoire, ni un lieu de pure transmission de la culture, elle doit organiser le dialogue entre lhéritage et les problèmes du temps présent. Aucun enseignant ne peut tout savoir, tout lire, sintéresser à tout. Plutôt quune érudition exhaustive, on peut en attendre une passion communicative pour certains aspects de lhistoire, des sciences, des arts et artisanats, des sports, des métiers, des manières de vivre qui constituent la culture de sa société. Passeur culturel (Zakhartchouk, 1998), il entretient un rapport spécifique à la culture, ni consommateur, ni véritablement créateur, mais médiateur, incitateur, amateur attentif et désireux de partager ses découvertes
Lenseignant comme intellectuel
Il ny a pas de citoyenneté sans pensée autonome et critique. Si lenseignant ne se vit pas lui-même comme un intellectuel, comment favoriserait-il un rapport autonome et critique au savoir, aux valeurs, aux normes, à la culture, à la réalité ?
Cela nexige pas un engagement politique précis, mais une implication dans le monde, qui peut se faire par exemple dans la vie associative, le mouvement humanitaire ou écologique, la vie de quartier ou la gestion des collectivités locales aussi bien que dans le secteur de léducation et de la culture. Ces diverses formes dengagement ne sont plus aujourdhui une caractéristique commune des enseignants. Ce ne sont plus des notables de village et leur engagement ne peut se payer dune reconnaissance symbolique par la communauté, mais plutôt dune satisfaction professionnelle et personnelle.
2. Les enjeux de
formation : préparer
à affronter la complexité du
monde
Des valeurs fortes ne suffisent pas dans un monde mouvant et complexe. Il faut comprendre pour agir. Linsistance que lon met à valoriser à nouveau la socialisation ne devrait pas faire régresser les enjeux de savoir. Il importe plutôt de les connecter davantage à des pratiques sociales et de se soucier de leur mobilisation dans mille situations de lexistence, des plus métaphysiques aux plus terre à terre, dans la vie au travail comme ailleurs.
2.1 Les enjeux de savoir
La plupart des compétences sont fondées sur des savoirs, des savoirs savants aussi bien que de savoirs experts, professionnels ou praticiens, ou encore des savoirs dexpérience, privés et faiblement codifiés. Mais les savoirs, à eux seuls, ne sont que des conditions nécessaires de la compétence. Il faut encore être capable de les mobiliser à bon escient et à temps pour résoudre des problèmes ou prendre des décisions pertinentes (Le Boterf, 1994). On élargit lancienne problématique du transfert de connaissances, en insistant sur leur intégration, leur orchestration et leur usage en situation complexe (Perrenoud, 1998 a).
Tous les systèmes éducatifs vont dans ce sens. Sans tourner le dos aux savoirs disciplinaires, ils les veulent plus opératoires dans la vie quotidienne (familiale, associative, etc.), dans la cité comme au travail. Contrairement à un préjugé répandu, une compétence peut sexercer dans lordre métaphysique aussi bien que pratique : un problème nest pas ipso facto terre-à-terre.
Les compétences sont des moyens de maîtriser, symboliquement et pratiquement, les situations de la vie. Elles nentrent donc nullement en conflit avec le développement de lautonomie et de la citoyenneté. Au contraire, elles en sont les fondements. A linverse, l'apprentissage de lautonomie et de la coopération autorise le sujet à se considérer comme un acteur, voire un auteur, et donc à sengager dans des projets qui appellent des compétences multiples et stimulent en contrepartie leur développement.
2.2 Un enseignant qui développe des compétences
Construire des compétences dès lécole change le métier délève et plus encore le métier denseignant, puisquelle incite à considérer les savoirs comme des ressources à mobiliser ; à travailler régulièrement par problèmes ; à créer ou utiliser dautres moyens denseignement ; à négocier et conduire des projets avec ses élèves ; à adopter une planification souple et indicative, improviser ; à mettre en place et expliciter un nouveau contrat didactique ; à pratiquer une évaluation formatrice, en situation de travail ; à aller vers un moindre cloisonnement disciplinaire (Perrenoud, 1998 a).
On peut aussi, à propos de lenseignant de lavenir, reprendre les dix familles de compétences déjà développées ailleurs : 1. organiser et animer des situations dapprentissage ; 2. gérer la progression des apprentissages ; 3. concevoir et faire évoluer des dispositifs de différenciation ; 4. impliquer les élèves dans leurs apprentissages et leur travail ; 5. travailler en équipe ; 6. participer à la gestion de lécole ; 7. informer et impliquer les parents ; 8. se servir des technologies nouvelles ; 9. affronter les devoirs et les dilemmes éthiques de la profession ; 10. gérer sa propre formation continue (Perrenoud, 1999 a).
Sans reprendre ici ces plus inventaires méthodiques, je men tiendrai ici à quelques aspects essentiels : une école qui prétend préparer les jeunes à affronter la complexité du monde grâce à leurs compétences sera portée à privilégie une figure de lenseignant comme organisateur dune pédagogie constructiviste, garant du sens des savoirs, créateur de situations dapprentissage, gestionnaire de lhétérogénéité et régulateur des processus et des parcours de formation.
Lenseignant comme organisateur dune pédagogie constructiviste
Cest lélève qui apprend, lenseignant ne peut que ly aider. Et il laidera dautant mieux quil considère lacquisition des savoirs non comme une mémorisation, mais comme une construction mentale complexe. Ces idées sont aussi anciennes que les pédagogies nouvelles, elles se traduisent aujourdhui en démarches constructivistes précises (Jonnaert et Vander Borght, 1999, Vellas, 1999).
Lenseignant comme garant du sens des savoirs
Jévoquerai ici cet autre dessin de Bill Waterson. Cela se passe en classe :
- - La maîtresse : " Si vous navez plus de questions, on continue. "
- - Calvin, qui lève la main : " Jai une question. "
- - La maîtresse " Oui, Calvin, jécoute. "
- - Calvin (très sérieux) : " A quoi sert lexistence humaine ? "
- - La maîtresse " Je voulais dire une question en rapport avec le sujet "
- - Calvin, étonné : " Oh ".
- Puis, dépité, il se dit à lui-même : " Franchement, jaurais voulu avoir la réponse avant de gaspiller plus dénergie sur ces foutaises. "
Aussi longtemps que les enseignants refuseront les questions en dehors du sujet, seuls les élèves qui ont les moyens de construire eux-mêmes du sens investiront dans les tâches scolaires (Perrenoud, 1994 a).
Lenseignant comme créateur de situations dapprentissage
Si enseigner, cest faire apprendre, lenseignant a pour tâche première dorganiser et danimer des situations et des activités favorables aux apprentissages, ni plus, ni moins. Il devient inventeur puis gestionnaire de dispositifs et de situations de formation. Il joue le rôle dun coach plus que dun transmetteur de savoirs. Il sait donc travailler par situations-problèmes, recherches, études de cas, projets, problèmes ouverts, ce qui exige une formation didactique assez pointue pour être capable de comprendre les raisonnements, les stratégies et les erreurs des élèves et dapporter les régulations nécessaires.
Lenseignant comme gestionnaire de lhétérogénéité
Les systèmes éducatifs ne promettent plus lhomogénéité des classes, même au niveau du lycée. Si lon renonce à exclure les élèves à la première difficulté ou à les reléguer dans des filières moins exigeantes, on sexpose évidemment à devoir travailler avec des classes composées délèves différents, par leur niveau, leur projet personnel, leur rapport au savoir, leur adhésion à lintention de les instruire.
Même si cest pour de bonnes raisons, liées à la démocratisation lente des études, le travail des professeurs est de plus en plus difficile, surtout pour ceux qui avaient rêvé de donner de brillants cours magistraux à des élèves attentifs, coopératifs et désireux dapprendre.
Cest pourquoi le traitement des différences en vue dune égalité des acquis devrait désormais être au cur du métier denseignant. La pédagogie différenciée devrait se confondre avec la pédagogie tout court, sans rien céder sur les objectifs essentiels de formation (Perrenoud, 1997).
Lenseignant comme régulateur des processus et des parcours de formation
Plutôt que dinvestir dans des " cathédrales didactiques ", lenseignant daujourdhui doit construire des stratégies initiales acceptables, mais surtout les ajuster en permanence pour tenir compte de la réalité, du niveau, des réactions des élèves, des conditions de travail, du temps qui reste. Doù limportance de maîtriser une palette de concepts et doutils dévaluation et de régulation.
Ce travail de régulation sopère au sein des activités, en cours dannée scolaire, mais il porte aussi sur la progression dans le cursus. Dans divers systèmes, on substitue des cycles pluriannuels aux degrés annuels, ce qui permet, à objectif égal, une plus grande diversification des rythmes, des parcours et des prises en charge. Il faut dans le même temps que les enseignants apprennent à piloter des parcours de formation pluriannuels !
3. La qualité du travail et de la formation des enseignants
Il ne suffit pas dénoncer de nouvelles attentes, toujours plus pointues. Il faut que les politiques et les structures de léducation en créent les conditions. Les compétences nouvelles attendues des enseignants exigent un fort ajustement des formations initiale et continue, mais plus globalement une évolution du métier denseignant dans le sens :
Cela suppose bien entendu des établissements plus autonomes, qui définissent leur propre projet, tout en rendant des comptes.
3.1 Indicateurs de qualité et analyse du travail
Il est facile de définir des critères de qualité. Limportant est de comprendre ce qui soppose à leur respect constant et intégral. Pour une part, cest trivial, lobstacle est financier. Privé de temps ou doutils, parce que cela coûte trop cher, on fait un travail plus médiocre.
Il serait regrettable de sen tenir là. Le défaut de qualité tient tout autant à lorganisation du travail et au rapport subjectif de chacun à sa tâche. Deux questions méritent dans tous les cas dêtre posées :
Travailler sur la qualité, certes, mais de façon aussi constructiviste, critique, peu normative que possible. La qualité ne se réduit pas à des normes relatives aux conditions et méthodes de travail, aux produits ou au services. Les technologies évoluent, le personnel se renouvelle, la conception même de la qualité et du compromis entre qualité et rentabilité se transforme.
Ce qui compte, à moyen terme, cest la capacité, dans chaque unité, chaque établissement, de créer ou dadopter des critères de qualité raisonnables, de les mettre à jour, mais surtout de sy référer " intelligemment " dans le travail, non sous langle exclusif du contrôle, mais sous celui de limplication et de lintérêt bien compris des acteurs.
Pour cela, les capacités danalyse et de régulation du travail sont déterminantes. Par quoi passent-elles ? Notamment par :
Si ces éléments font défaut, le souci affiché, voire obsessionnel de la qualité nempêchera ni le manque de lucidité, ni la sous-estimation des variables changeables (" On ne peut rien faire "), ni la surestimation des risques et la crainte, si on fait autrement, de perdre tout contrôle du processus et sa propre place.
Bref, la qualité, si on veut dépasser le slogan, voire la simple sensibilisation, exige un détour par lorganisation du travail et de la formation, le développement de compétences et une capacité accrue de réfléchir ensemble sur le travail.
3.2 Critères dune formation de qualité
Il ny a pas décole de qualité sans enseignants de qualité. Or, pour les former, il faut des formations professionnelle de qualité, tant initiales que continues. Donc des formateurs eux-mêmes qualifiés.
A quoi reconnaît-on une formation initiale de qualité ? Jai avancé ailleurs (Perrenoud, 1998 b) lidée que la qualité dune formation professionnelle se joue dabord dans sa conception. Cette dernière devrait tenir compte des exigences suivantes :
Pour la formation continue, les exigences sont un peu différentes. Je proposerais volontiers les critères de qualité suivants :
Si les critères de qualité dune technologie relèvent avant tout de lefficacité et de lefficience, il en va différemment dès quil sagit de formation. Les critères de qualité proposés, en formation initiale aussi bien que continue, ne sont pas dissociables dun modèle de formation valorisant une démarche clinique, lanalyse de pratiques, les dispositifs dalternance, la posture réflexive, la professionnalisation, la coopération.
3.3 La question du locus de la formation des enseignants
Où doit se faire la formation ainsi conçue ? La question est dactualité dans plusieurs pays, où sesquisse ou se déploie une mise en concurrence entre les universités et de hautes écoles pédagogiques. Presque partout, on saccorde à dire que le temps des écoles normales classiques est révolu, de même que lépoque où un enseignant secondaire bénéficiait dune rapide " formation " méthodologique en cours demploi, à lissue de sa formation disciplinaire.
Deux types dinstitutions peuvent prétendre prendre le relais, si ce nest déjà fait, comme dans de nombreux pays : soit des facultés universitaires, soit des instituts appartenant à lenseignement supérieur (ou tertiaire), mais indépendants des universités. La seule comparaison intéressante devrait se faire entre filières de niveau et de longueur globalement comparables, à un an près. Le débat est parfois faussé par le fait que, du moins dans un premier temps, la création dinstituts supérieurs soit le moyen de perpétuer les écoles normales sous une autre étiquette ou de former des professeurs du secondaire avec un bagage académique limité Cest évidemment la formule la moins chère, mais elle signifie alors le maintien de formations qui appartiennent à une époque révolue, car elles sinspirent de figures de lenseignant qui ne valorisent ni la professionnalisation, ni la pratique réflexive.
On peut comprendre les hésitations des systèmes éducatifs en un temps de crise financière et la nécessité de périodes de transition. Il reste que la comparaison cruciale doit se faire à niveau détude voisin, et porter non sur le niveau, mais sur la nature du cursus et la qualité de la formation intellectuelle et professionnelle.
Une position néo-libérale consisterait à dire : créons un marché et que le meilleur gagne. Ou faisons coexister des filières qui attireront des étudiants différents sous langle du rapport à la théorie et à la pratique. Le système éducatif, la profession, les établissements formuleraient des attentes et les étudiants feraient leur choix. Cette façon de penser, qui paraît de bon sens, sous-estime à mon sens linertie des institutions et les obstacles à une véritable concurrence. Seules les fortes concentrations urbaines peuvent réellement ouvrir plusieurs filières. Ailleurs, lhistoire et lhéritage institutionnel décident de la nature de lagence qui aura le monopole local de la formation des enseignants.
Le modèle concurrentiel surestime par ailleurs lefficacité des mécanismes de régulation. Dans des formations financées par le budget public, directement ou indirectement, les mécanismes du marché sont très atténués et les choix sont fortement politiques, liées à des équilibres entre tendances, au souci de ménager les minorités, de maintenir des emplois, déquilibrer les budgets ou de ne pas créer dinutiles conflits. La logique de lefficacité nest quune des logiques à luvre. Il faut donc raisonner sur le long terme et établir des bases de comparaison qui tiennent compte de lavenir probable.
Parlons dabord de la formation initiale. Un institut spécialisé, surtout si lon le crée de toutes pièces, peut rapidement cibler une formation professionnelle et a toute liberté de construire un cursus spécifique sans sembarrasser de traditions et de règles générales. Une université doit au contraire inscrire les formations professionnelles dans des standards académiques. Prenons deux exemples : la sélection à lentrée et le contrôle du travail. Un institut supérieur de formation fixe ses propres critères dadmission et les articule, sil le veut, à des prédicteurs de la réussite en formation, voire dans la pratique professionnelle. Une université est tenue de respecter des règles plus générales et de répondre à des exigences déquité formelle qui rendent, par exemple, un examen de connaissance plus légitime quune sélection sur dossier et entretien. Quant au contrôle du travail, à commencer par le contrôle des présences et de la participation, luniversité " marche sur des ufs ", alors que les écoles professionnelle fixent sans mal leurs propres règles du jeu.
En revanche, une université est le lieu même de la recherche, alors quun institut supérieur en fera moins et devra chercher de difficiles partenariats. Si bien que les acquis de la recherche transiteront moins sûrement et plus lentement vers les hautes écoles. Sauf, bien entendu, si lon donne à une école professionnelle le droit et les moyens de faire de la recherche fondamentale et dencadrer des thèses. On joue alors sur les mots : un tel institut ressemblerait à une faculté !
Autre critère non négligeable : luniversité est plus autonome, même si son autonomie est relative, financièrement et juridiquement, surtout dans le secteur public. Le Ministère a donc plus de mal à contrôler les orientations, les contenus et le niveau de la formation des enseignants. Loin dêtre un défaut, cette indépendance assure une formation plus critique et plus proche de la posture réflexive et de la professionnalisation.
Luniversité garantit aussi une plus forte continuité au cours des décennies. On peut faire disparaître un institut au gré dune crise budgétaire, dun conflit interne ou dun affrontement avec le ministère. Les facultés vivent des temps de vaches maigres, mais ne ferment pas. Cette perspective à long terme peut cependant favoriser une forme de conservatisme, alors quun institut périodiquement restructuré peut poser les problèmes plus globalement et de façon moins défensive quune institution dont toute réforme semble condamner les pratiques antérieures
Sagissant des formateurs, on peut supposer que luniversité attirera plus facilement des chercheurs de haut niveau, alors que linstitut pédagogique supérieur attirera des praticiens réflexifs capables de conduire une véritable formation professionnelle. Quant aux étudiants, ceux qui se dirigent vers des études universitaires ont en principe une inclination plus nette vers des disciplines intellectuelles exigeantes, mais une orientation professionnelle moins affirmée. Cest particulièrement clair pour les professeurs du secondaire, dont lidentité académique et disciplinaire permet de masquer très longtemps le destin le plus probable : devenir enseignant !
On le voit, pour la formation initiale, entre études dans un cadre universitaire et formation en haute école spécialisée, lhésitation est permise. Il ny a pas de réponse universelle. Tout dépend des institutions, de leur héritage et de leur capacité dimaginer et dinnover. Pour la formation continue, les dilemmes sont moins dramatiques, en partie parce que dautres agences de formation peuvent contribuer à diversifier les offres et les modalités.
En dépit de cette complexité, pour ma part, à moyen terme, du moins pour la formation initiale, je parierai sur des filières universitaires, insérées de plein droit dans le cadre de facultés ou dunités classiques denseignement et de recherche. Pour les deux raisons majeures et durables déjà évoquées : le lien naturel qui sétablit entre la formation et la recherche dans le cadre universitaire et une dépendance moins forte de la formation à légard de ladministration scolaire (Perrenoud, 1993).
Toutefois, jajouterai une condition : que linstitution universitaire ne renonce ni aux critères de rigueur scientifique, ni à ceux qui profilent une formation professionnelle de qualité. Ce qui signifie, très concrètement, que la forme universitaire denseignement doit bouger, pour faire émerger de véritables parcours de formation, construisant des compétences sans cesser de dispenser des savoirs théoriques et méthodologiques. Cette mutation va bien au-delà de la multiplication des stages. Elle passe par des dispositifs dalternance (Altet, 1994 ; Paquay et al., 1998 ; Perrenoud, 1994 b et c, 1996 b, 1998 c) et des rapports pédagogiques très différents de la juxtaposition de cours et de travaux pratiques quon connaît dans la plupart des facultés. La médecine, les écoles dingénieurs, les business schools ont trouvé leurs propres voies : la clinique et lanalyse de pratiques, le laboratoire, les études de cas, les démarches de projet et la simulation. La formation universitaire des enseignants doit inventer des formes équivalentes, mais originales, adaptées à un métier de lhumain et aux conditions de travail propres à lenseignement.
Pour cela, il importe que la formation des enseignants soit située au cur des sciences de léducation et de certaines filières disciplinaires. Aussi longtemps que la formation des professeurs restera conçue comme un simple " service à la communauté " ou comme une source de financement, elle apparaître un " mal nécessaire ", suspect de détourner de la recherche fondamentale. Du coup, elle deviendra le parent pauvre des universités (académiquement plus que financièrement) et elle héritera donc des formateurs les moins bien situés dans les hiérarchies universitaires, auxquels se joindront quelques militants
Ces transformations ne se feront que si la profession et les autorités scolaires formulent de fortes exigences et font en même temps confiance aux universités et à leur capacité dévolution et de conciliation féconde de leurs missions traditionnelles et de leurs tâches de formation professionnelle. Tout cela, faut-il le dire, exige des dispositifs durables et vivants de négociation, pour conclure des contrats de partenariat et faire fonctionner des mécanismes dévaluation périodique et de régulation.
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