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De la gestion de classe à
lorganisation
du travail dans un cycle dapprentissage
Philippe Perrenoud
Faculté de psychologie et des sciences de
léducation
Université de Genève
1999
Gestion de classe ou organisation du travail ?Un cycle dapprentissage pluriannuel
La gestion dun cycle dapprentissage pluriannuel
Des coutumes de gestion de classe aux compétences dorganisation du travail
Paradoxalement, alors que la " gestion de classe " se profile de plus en plus comme un thème de colloques, de recherches et de publications, la définition même de la classe devient moins limpide.
Bien entendu, dans la plupart des systèmes éducatifs, lunité de base de lorganisation pédagogique est encore le groupe-classe, un groupe de quelques dizaines délèves censés rester ensemble durant au moins une année scolaire. Dans ce groupe sont enseignées toutes les disciplines et pratiquées toutes les modalités détude. Chaque groupe-classe est confié à un enseignant généraliste au primaire, à plusieurs professeurs spécialisés au secondaire, dont lun est souvent " maître de classe " ou " professeur principal ". En fin dannée scolaire, du moins à lintérieur du même cycle détudes, la composition du groupe-classe est souvent maintenue pour lessentiel, dautres enseignants prenant les élèves en charge.
Cette forme dorganisation du travail semble indissociable de la forme scolaire. Pourtant, elle na pas eu demblée le monopole quon lui connaît. Cest au XIXe siècle, au gré de la scolarisation de masse et de lavènement dun ordre scolaire bureaucratique que le groupe-classe est devenu le fondement du système, dont ne séloignaient que quelques écoles alternatives. Or, depuis quelques décennies, cette forme dorganisation semble à nouveau sassouplir et se diversifier. Dans certaines écoles secondaires, par le jeu des options et des niveaux, les élèves se sont habitués à faire partie de plusieurs groupes parallèles, même si lun dentre eux fonctionne comme port dattache. Au primaire, les écoles à aire ouverte et les " décloisonnements " ont fait apparaître de nouveaux groupements. Certains courants de pédagogie différenciée proposent également de diversifier les modes de groupement des élèves, de constituer des groupes de projets, de besoins, de niveaux, de soutien, par définition moins stables et polyvalents quun groupe-classe (Meirieu, 1989 a et b, Perrenoud, 1995, 1997).
On assiste à lémergence de nouveaux espaces-temps de formation. Cest ce que lécole élémentaire et primaire de Saint-Fons, en France, a compris il y fort longtemps, en assimilant demblée les cycles dapprentissage à des espaces nouveaux gérés par des enseignantes et des enseignants travaillant en équipe (Maison des Trois Espaces, 1993). Les écoles " à aire ouverte " (open plan schools) qui se sont développées davantage dans le monde anglo-saxon interrogent elles aussi les espaces de travail traditionnels.
Entre la classe fermée, stable, progressant dans son programme annuel et le cycle dapprentissage pluriannuel cogéré par une équipe, on observe aujourdhui maintes formes intermédiaires, notamment dans lenseignement primaire, dans les écoles alternatives, les écoles actives, les pédagogies coopératives et institutionnelles, qui ont depuis longtemps, dabord à la marge du système, bouleversé les temps et les espaces de la formation. Plus récemment et de façon plus banale, les enseignants ont développé diverses formules quà Genève, par exemple, on tend à regrouper sous létiquette assez vague de " décloisonnements " : la classe reste lunité de base, mais, par moments, ses frontières deviennent perméables, les titulaires de plusieurs classes voisines composent dautres groupes (de besoins, de projets, de niveaux), parfois homogènes (en termes dâges ou de niveaux), parfois non.
Ces " décloisonnements " obligent à considérer un niveau de gestion " interclasses ", qui nest pas celui de létablissement, encore moins de lorganisation scolaire dans son ensemble, puisque des classes et leurs titulaires fonctionnent en réseau et mettent en commun une partie du temps de travail. Ces décloisonnements ne sont pas nécessairement liés à un projet détablissement, ni même à la constitution dune équipe pédagogique stable. Ils sétablissent dans la sphère dautonomie professionnelle des enseignants, et ne sont ni vraiment clandestins, ni vraiment officiels. Cest un niveau émergent de gestion du travail et du curriculum, que ladministration scolaire tolère ou encourage, selon les systèmes.
Elle sengage plus ouvertement lorsquelle décide de restructurer tout ou partie du cursus en créant des cycles dapprentissage pluriannuels. Cette tendance saffirme dans de nombreux systèmes éducatifs, tant au primaire quau secondaire. Elle met en question le groupe-classe comme pivot du travail scolaire, à moins que travailler en cycles ne se résume à confier une classe au même enseignant durant plus dune année scolaire ou à déléguer un suivi pluriannuel minimal aux enseignants qui se succèdent dannée en année " au chevet " des élèves. Lune des incertitudes tient à la tension des systèmes éducatifs entre le souci de modernité, qui incite à créer des cycles, et la volonté de ne rien changer dessentiel dans lorganisation scolaire.
En dépit de cette confusion et sans être véritablement " remplacé ", le groupe-classe ne paraît plus constituer, aujourdhui, le cadre unique du travail scolaire, même sil demeure une " valeur sûre " dans lesprit de nombreux acteurs, une structure de base, un groupe de référence, une " tour de contrôle " des autres activités ou un " port dattache ", à partir duquel les élèves naviguent dans dautres groupes. Il sensuit que les tâches de gestion du travail scolaire débordent désormais la vision classique de la structuration de règles, dactivités et de situations dapprentissage au sein dun groupe-classe. Non pas seulement, ce qui nest pas nouveau, parce que létablissement et le système sont aussi des niveaux de gestion, mais parce que les interactions didactiques entre enseignants et élèves ne se déroulent plus constamment dans le cadre dun groupe-classe.
Une autre évolution se produit, qui dissocie les réseaux déchanges et de coopération de la co-présence dans les mêmes murs. À la faveur de nouvelles technologies, le regroupement physique des élèves dans un bâtiment scolaire fera progressivement place à des communautés éducatives virtuelles (Laferrière, 2000) en même temps que se généralisera le télétravail dans le monde des adultes. La clôture de ces réseaux et lappartenance à un seul apparaîtront dautant plus arbitraires quelles ne sont pas renforcées par des contraintes matérielles.
Il importe donc, dans le registre de la gestion du travail scolaire, de ne pas limiter la conceptualisation et la recherche à lenceinte de la classe. Faut-il alors continuer à parler de " gestion de classe " ? Cest tentant, du simple fait que nous manquons encore de mots partagés pour désigner des espaces-temps de formation plus divers et parfois plus éphémères. Sachant quil sera de plus en plus fallacieux de se représenter une école comme une juxtaposition de groupes-classes, mieux vaudrait pourtant sappliquer à conceptualiser des pratiques de gestion et dorganisation du travail qui :
1. ne soient pas solidaires despaces-temps de formation définis de façon stéréotypée ou trop étroite ;2. portent sur la structuration mobile de ces espaces-temps autant que sur les activités qui se déroulent dans chacun.
Le changement ne se limite pas, en effet, à substituer au groupe-classe des espaces-temps de formation plus vastes et complexes. Il consiste aussi, et cest plus fondamental, même si cest moins apparent, à étendre les compétences des enseignants à un niveau dorganisation du travail qui appartenait jusqualors, pour lessentiel, à ladministration scolaire ou aux directions détablissements. On assiste à lémergence dune nouvelle répartition du pouvoir organisateur dans lécole.
En Belgique, la notion de " pouvoir organisateur " a un sens juridique très précis : elle désigne lassociation, lÉglise ou ladministration publique (communale, régionale ou nationale) qui ouvre une école et en est légalement responsable. La dénomination belge souligne que ce pouvoir nest pas seulement instituant, quil est organisateur. Sauf dans le cas dune école entièrement instituée, organisée et gérée par des enseignants, le pouvoir organisateur ne leur appartient pas.
Certes, on tend de nos jours, du moins dans les discours, à favoriser une forte implication des enseignants dans la gestion globale dun établissement, donc à partager avec eux une partie du pouvoir organisateur global. Ce nest pas de ce partage quil sagit ici, mais de la dévolution aux seules professionnels de décisions de gestion curriculaire prises jusqualors au niveau de létablissement ou dune organisation encore plus distante des interactions didactiques. Alors que les enseignants navaient dautonomie gestionnaire que dans lenceinte de leur propre classe, le système éducatif leur confie progressivement le soin dorganiser le travail à une échelle plus vaste, les autorise et les oblige à la fois à décider collectivement dune organisation du travail qui dépasse leur propre classe, notamment dans le domaine du groupement des élèves et de la structuration pluriannuelle du curriculum. Du même coup, ils sont invités ou incités à mettre en commun leurs sphères respectives dautonomie professionnelle. À la limite, ils nont plus leur propre classe, ils deviennent co-responsables dun plus grand ensemble délèves.
Cette gestion collective sinscrit parfois dans le cadre dune équipe pédagogique clairement constituée. À défaut, elle passe par des modalités coopératives plus informelles et sporadiques. Dans tous les cas, il y a élargissement de la sphère des décisions de gestion déléguées aux enseignants. Certains le vivent comme une conquête, dautre comme un cadeau empoisonné. Lautonomie au travail ne résulte en effet pas toujours dune lutte. elle peut être imposée par lorganisation (Chatzis, Mounier, Veltz et Zarifian, 1999 ; Tardif et Lessard, 1999 ; Perrenoud, 1999 c, 2000). Cette évolution, qui prépare la création de cycles dapprentissage et lémergence dune responsabilité collective (Perrenoud, 1999 b), ne va pas sans déchirements ni conflits. Lenjeu est pour les uns de se dessaisir dune partie du pouvoir organisateur, pour les autres - les enseignants - den assumer collectivement une plus grande part.
Il serait opportun que les sciences de léducation nomment et étudient lévolution de lorganisation du travail scolaire sans senfermer dans le concept de gestion de classe. Non quil soit inutile danalyser les pratiques de gestion de classe. Elles font partie dun champ plus général, au titre de cas à la fois particulier et pour linstant statistiquement majoritaire, car le mouvement vers de nouveaux espaces-temps de formation, notamment les cycles dapprentissage pluriannuels, reste lent et incertain. Les systèmes éducatifs qui ont récemment instauré des cycles dapprentissage, par exemple la France, la Belgique, le Québec, ne font quamorcer une rupture avec les programmes annuels et les groupes-classes traditionnels. Il reste donc nécessaire de décrire et dexpliquer des pratiques de gestion de classe encore très courantes et sans doute dy former les nouveaux enseignants, puisque aujourdhui encore, un débutant risque fort de se retrouver " seul à la tête dune classe ".
Il y a une seconde raison de conceptualiser la gestion dun groupe-classe et les compétences quelle met en jeu : cest en effet à partir de leur maîtrise de la classe que les enseignants en place développeront la maîtrise despaces-temps plus vastes, un peu comme un marin sachant conduire une barque transposerait peu à peu ses savoir-faire et ses savoirs à un plus grand navire, puis à une flotte. Penser la gestion dun espace-temps de formation plus vaste et complexe hausse le niveau dabstraction et oblige à rompre avec lillusion de la familiarité. Cette complexité organisationnelle fait peu à nombre denseignants. Cest pourquoi ils tentent dabord de laffronter par une extension des savoir-faire gestionnaires quils ont construits ou se sont appropriés à léchelle du groupe-classe. Ce nest que dans un second temps quune approche plus abstraite permettra de conceptualiser lorganisation du travail comme registre autonome de compétence professionnelle.
À linverse, lidentification des problèmes que pose lorganisation du travail dans un cycle dapprentissage pluriannuel ou un espace-temps de formation non conventionnel peut éclairer la gestion de classe " traditionnelle ", la constituer comme un cas particulier dune pratique plus large et pousser à expliciter ce qui est largement de lordre de la coutume, des habitudes, des conduites faiblement formalisées. Le changement déchelle met en lumière et parfois en crise des représentations tacites du travail des enseignants ; il oblige à conceptualiser de façon renouvelée tant les problèmes que les solutions.
Ce changement aide aussi à dissocier la gestion dun espace-temps de formation de la gestion dactivités précises, alors que dans la classe, comme le relève Maulini (1999), gestion du système daction et gestion des tâches sont souvent confondues, au point quon peut identifier le métier denseignant à lart denchaîner, sans heurts ni retards, de façon équilibrée, des activités qui, elles, au cur du savoir, mobiliseraient lessentiel des compétences professionnelles. La prise en compte despaces-temps de formation plus vastes oblige à prendre en compte lorganisation du travail comme niveau daction distinct de la régulation permanente du travail.
Il est toujours difficile danalyser des pratiques émergentes. Même si les mouvements pédagogiques ont rêvé depuis longtemps dune école sans classes et sans degrés et lont parfois expérimentée à échelle restreinte, on peut considérer que, dans lécole publique, les cycles pluriannuels sont encore in statu nascendi, en quête dune conception stable et dun fonctionnement durable. Il est donc un peu tôt pour étudier à large échelle des façons variées dhabiter cette structure, puisquelle est en construction. Il sensuit que linventaire des problèmes que pose la gestion dun cycle est en partie prospectif. Pour dire les choses autrement : clarifier les opérations de gestion dun cycle dapprentissage pluriannuel et les compétences quelles mettent en jeu, à ce stade de la recherche et de linnovation, est une façon de mieux conceptualiser ce que pourrait être un cycle dapprentissage.
Précisons toutefois que cet effort de conceptualisation nest ni solitaire, ni spéculatif. Son propos sancre dans lobservation de divers projets pédagogique innovants que jai eu loccasion daccompagner et dinterroger depuis longtemps. Plus récemment, mon analyse sest développée dans le cadre de la phase exploratoire dune réforme de lenseignement primaire à Genève, qui soriente vers des cycles pluriannuels de quatre ans dont la gestion serait confiée à des équipes denseignants (Groupe de pilotage, 1999 ; Gather Thurler, 2000). Jai, dans ce contexte, esquissé (Perrenoud, 1997) un modèle dorganisation modulaire du curriculum, qui a été mis en uvre, à titre expérimental, dans plusieurs écoles primaires genevoises. Ce modèle sinspire dune approche sociologique de lorganisation et du travail scolaires. Il sappuie aussi assez largement sur mes travaux antérieurs, quils portent sur lobservation du métier délève et du travail scolaire, sur la pédagogie différenciée conçue comme création et régulation de situations sapprentissage optimisées ou encore sur lévolution du métier denseignant, sa professionnalisation, son inscription dans des structures plus coopératives. Par cet itinéraire, mon travail rejoint la problématique de la gestion de classe, sans appartenir véritablement à cette tradition. Doù sans doute des références insolites dans ce champ.
Cet article sarticulera dès lors en trois parties, suivies dune conclusion.
1. Dans un premier temps, on tentera de conceptualiser la gestion de classe en sinspirant de lergonomie et de la psychosociologie des organisations et du travail (Alter, 1990 ; Amblard, 1990 ; Amadieu, 1993 ; Chatzis et al., 1999 ; Clot, 1995, Durand, 1996 ; de Terrsac, 1992 ; Tardif et Lessard, 1999), donc en se détachant des perspectives didactiques, pédagogiques ou psychodynamiques qui dominent en sciences de léducation, aussi bien que des perspectives fonctionnelles, prescriptives ou pragmatiques familières aux enseignants et à leurs formateurs.
2. Dans un second temps, on définira plus précisément un cycle dapprentissage pluriannuel conçu comme un espace-temps de formation regroupant un nombre relativement important délèves, collectivement confiés à une équipe pédagogique durant plusieurs années.
3. Dans un troisième temps, on sefforcera didentifier les problèmes nouveaux de gestion et dorganisation du travail que rencontre une telle équipe lorsquelle tente de faire fonctionner un cycle pluriannuel. Ces problèmes naissent de lattribution à léquipe pédagogique de compétences organisationnelles (au double sens de pouvoir et dexpertise) jusqualors confisquées par ladministration scolaire.
La conclusion esquissera un premier inventaire des compétences individuelles et collectives requises des enseignants en matière de gestion de nouveaux espaces-temps de formation.
Lorsquon dit " gestion de classe ", tout le monde voit " à peu près " ce dont on parle. Mais si lon demande une définition précise, on se rend compte que lexpression permet de désigner commodément tout ce qui ne relève pas dune discipline et de la didactique correspondante. Elle fonctionne comme un " fourre-tout ", un " reste ", un ensemble faiblement analysé.
Est-il utile de construire plus rigoureusement le concept ? Ou est-il plus sage de lui conserver un usage intuitif et métaphorique ? La question se pose à lheure où lon parle toujours plus de groupes multiâges, de décloisonnements, de cycles dapprentissage, autant de façons de recomposer des espaces-temps de formation différents de la classe traditionnelle. Si le groupe-classe est mis en cause comme mode unique, voire principal, de groupement des élèves, pourquoi sacharner à clarifier le concept de " gestion de classe " ? En cessant de considérer la classe comme unique espace gestionnaire, on ne renonce pas à sintéresser à la gestion du travail scolaire.
Il est en effet indispensable de penser lorganisation qui surplombe et rend possible les interactions didactiques. Si la classe fait place à dautres types de groupements, le travail gestionnaire ne disparaît pas. Il se complexifie, au contraire, ce qui justifie plus que jamais une analyse ergonomique et sociologique des dimensions gestionnaires du travail enseignant, de leur rationalité et de leurs conditions.
Lapproche de la classe comme espace-temps spécifique à gérer a permis de penser un niveau de fonctionnement organisationnel, et donc un registre dexpertise professionnelle, qui, en tant que tels, ne relèvent pas entièrement de ce quon nomme didactique, ni même pédagogie. Cest pourquoi, la notion de gestion garde du sens, même si la classe nest plus le groupement de base, à condition de létendre à des espaces-temps de formation multiformes et à leurs interdépendances.
Plutôt que de gestion, peut-être vaudrait-il mieux parler de management. Le mot est désormais français et lon peut le prononcer à la française. Son acception est plus large : le Robert assimile gérer à administrer, alors quil définit le management comme lensemble des techniques dorganisation et de gestion dune affaire ou dune entreprise. Le concept dorganisation ajoute une dimension importante et met laccent sur la mise en place dun cadre de travail qui structure les activités et les interactions. Je proposerai cependant dinclure cette dimension dorganisation dans le concept de gestion dun espace-temps de formation, ce qui est plus conforme au sens habituel donné à la gestion de classe dans le champ scolaire, plus large que la simple administration des personnes, des ressources et des tâches. Je ne ferai donc pas ici de différence entre gestion et management.
La gestion dun espace-temps de formation porte - pour le dire encore assez abstraitement - sur lensemble des paramètres et des interdépendances avec lesquels on joue pour rendre possible le travail scolaire quotidien et favoriser sa centration sur les contenus et les apprentissages. Peut-être pourrait-on - métaphoriquement - assimiler la gestion du travail scolaire à la mise en scène dune pièce de théâtre, avec cette différence que toutes les répliques ne sont pas écrites, même si les rôles sont distribués. Comme la commedia dellarte, laction pédagogique oscille entre respect dune mise en scène et improvisation.
Lorganisation du travail entre didactique et administration
Un enfant ou un adolescent vont en principe à lécole pour se développer, sinstruire, se construire. Or. on sait aujourdhui que rien de tout cela narrive si lélève nest pas placé régulièrement dans des situations propices, quon nomme volontiers " situations dapprentissage ". De telles situations supposent en général quune tâche soit définie et assignée à une ou plusieurs " apprenants ", ou mieux encore négociée avec eux, voire choisie ou conçue par eux. Une tâche nest formatrice que si elle provoque des activités et des opérations mentales qui, à leur tour, engendrent des apprentissages nouveaux ou du moins consolident des acquis.
Lun des enjeux de la didactique est de concevoir de telles tâches et les situations denseignement-apprentissage qui les abritent et leur donnent sens. Sajoute une contrainte supplémentaire de taille : les apprentissages suscités doivent correspondre à un programme et à des objectifs de formation. Connaissance des objectifs et des programmes aussi bien que des processus dapprentissage, des élèves et des dispositifs didactiques sont des ressources nécessaires pour créer et animer des situations fécondes. Pourtant, les connaissances et compétences proprement didactiques ne peuvent donner leur pleine mesure que si la gestion du temps et de lespace scolaires permet lenchaînement raisonné, lalternance ou la coexistence harmonieuses dactivités productrices dapprentissages.
Les situations denseignement-apprentissage relèvent en général dune discipline spécifique, langue maternelle, mathématique, etc. On parle toutefois de plus en plus de compétences transversales, dont la formation appellerait des situations inter- ou pluridisciplinaires. Que ce soit à lintérieur ou au carrefour des disciplines, " faire la classe " (Nault, 1998 ; Rey, 1998) consiste à concevoir et proposer des situations denseignement-apprentissage qui sarticulent, senchaînent les unes aux autres, dans le cadre de séquences didactiques brèves ou de dispositifs didactiques plus étendus dans le temps, par exemple une correspondance scolaire, lengagement régulier dans des jeux de stratégie, la préparation dun spectacle, une recherche ou toute autre " activité cadre ".
On peut, dun point de vue didactique, considérer la notion de gestion de la classe ou de tout autre espace-temps de formation comme un préalable fonctionnel, une condition nécessaire, une trame qui sous-tend et rend possibles les situations denseignement-apprentissage et permet quelles se succèdent avec une certaine continuité, sans pertes de temps, en ménageant des progressions raisonnables dans les apprentissages. Chacun sait quil faut mettre en place une programmation, une grille horaire, des méthodologies, des moyens denseignement pour que la rencontre didactique se produise. Pour la rendre possible, il faut bien quexiste un groupe stable, des lieux et des temps où maîtres et élèves se retrouvent pour travailler les savoirs sans avoir chaque fois à réinventer lécole, des règles et des contrats sans lesquels le marchandage ou le désordre seraient permanents.
On peut aussi, dun point de vue plus global, construire la notion de gestion de classe à partir de la nécessité, dans le système éducatif, dune délégation dune partie de ladministration des choses et des personnes. Pour scolariser des milliers délèves, il faut les répartir en degrés, filières, bâtiments et en fin de compte en classes ou autres groupements sacquittant de la même fonction. Un tel système organise les conditions de la rencontre entre des enseignants et des élèves autour dun programme et compte sur eux pour " faire le reste ". Dans le cadre tracé, à eux de jouer, sous la responsabilité de lenseignant et en respectant des règles du jeu qui simposent à toutes les classes comparables. La gestion de classe est alors, en quelque sorte, ce qui reste à gérer, au niveau de lenseignant, une fois que ladministration scolaire a délimité des espaces-temps de formation et leur a attribué des ressources matérielles et humaines, des objectifs, des normes et des garants de lordre prescrit, par exemple des moyens denseignement fortement recommandés ou un système de sanctions externes à la classe, qui soutiennent lautorité des enseignants.
On peut tenter darticuler ces deux points de vue en liant fortement la gestion dun espace-temps de formation à la notion dorganisation du travail.
Une entrée par lorganisation du travail
Dans les revues classiques de la littérature américaine, on parle souvent de " Classroom Organisation and Management " (Doyle, 1986, Evertson, 1989). Qui pourrait manquer de remarquer que la gestion de classe est un problème dorganisation ? Il demeure que le concept est pris très souvent dans le sens banal dun ensemble de règles qui " organisent " la vie en communauté. La notion dorganisation du travail est plus spécifique, puisquelle se réfère non seulement à la coexistence, mais à la coopération structurée dacteurs ou dagents dans une activité productive. Certes, la production issue du travail scolaire est dun genre particulier, et la productivité de ce travail est faible, même dans lécole la plus " efficace " du monde. La tension entre vivre et préparer à la vie traverse dailleurs les pratiques et les débats autour de lécole. Il reste quon ne peut comprendre la gestion de classe sans référence aux objectifs visés par le travail. Lenjeu nest pas seulement de maintenir lordre et la paix, donc dassurer une forme de régulation de la coexistence. Le rôle du maître est de " faire travailler les élèves pour les faire apprendre ". Il joue le rôle dun contremaître, chargé de mettre ses ouvriers à la tâche, puis invité à rendre compte des résultats. Il nen découle pas que le souci de la production dapprentissages soit la seule logique daction à luvre dans une classe
La notion dorganisation du travail, outre sa centration sur une tâche productive, présente lintérêt de permettre des comparaisons avec dautres métiers. Alors que les approches classiques de la gestion de classe insistent sur ce quelle a de spécifique, lanalyse en termes dorganisation du travail aborde un problème que doivent affronter tous les systèmes daction collective. Prenons deux exemples :
Ces conditions diffèrent bien sûr dun secteur à un autre, mais elles ont partout la même fonction : permettre aux gens qui doivent travailler ensemble ou en interdépendance de le faire dans des conditions optimales ou au moins acceptables.
Ces conditions sont pour une part économiques et matérielles, mais dautres, moins visibles, sont tout aussi importantes :
Plus concrètement, quy a-t-il à gérer dans un établissement scolaire ? Sans prétendre dresser un inventaire complet et définitif, on peut mentionner :
Tout cela ne relève pas entièrement de la sphère dautonomie et dauto-organisation des enseignants. Les structures scolaires et les statuts professionnels en jeu rendent certains fonctionnements incontournables et dautres presque impossibles. De plus, les systèmes éducatifs, les cultures administratives et professionnelles, linspection, voire les directions détablissements, prescrivent ou privilégient, de façon indicative ou impérative, ouverte ou déguisée, certains modes de gestion de classe.
Lorganisation du travail, toutefois, est loin dêtre entièrement contrainte ni même préfigurée, par les structures, les cultures et les prescriptions externes :
1. Les enseignants, seuls ou en équipe, ont une importante latitude dinterprétation des règles générales.2. Ils décident de tout ce que les règles institutionnelles ou les cultures professionnelles ne prescrivent ou ne prévoient pas, et qui doit être néanmoins déterminé pour quun fonctionnement didactique soit possible.
La part de ce qui est décidable par les enseignants, seuls ou en équipe, varie selon les systèmes, les ordres denseignement, les politiques détablissements. Aujourdhui, presque partout, les enseignants bénéficient de marges croissantes de liberté dans le champ des programmes, de lévaluation certificative, de lusage des moyens denseignement, du temps à accorder aux divers contenus, de la progression au cours de lannée scolaire, des démarches didactiques. Linstitution prescrit de plus en plus faiblement - même au primaire - les méthodes, lordre des activités, la grille horaire, laménagement de lespace, la nature des tâches et des groupements délèves, la présence et le type de différenciation ou dévaluation formative, le rapport entre enseignants et apprenants, le contrat pédagogique et didactique. La réforme portugaise en cours dans lenseignement fondamental appelle ouvertement à une " gestion flexible du curriculum ". Selon dautres modalités et dans un autre langage, le Québec, la France, la Pologne, le Portugal et dautres pays remettent aux établissements des pouvoirs curriculaires plus étendus. Lévolution de lévaluation vers des démarches plus formatives affaiblit la normalisation des examens et des procédures. Le travail et les responsabilités de gestion des enseignants vont donc en saccroissant, à la mesure de lautonomie concédée ou imposée aux professionnels ou aux établissements (Perrenoud, 1999 c).
Le passage de la classe traditionnelle et du programme annuel à des cycles dapprentissage pluriannuels renforce cette tendance, transfère une partie des décisions de gestion et dorganisation du travail à des équipes et induit donc des formes nouvelles de coopération professionnelle.
La diversification des modes de gestion
Dans une perspective déducation comparée, on pourrait dresser un tableau des multiples modes de gestion de classe et dorganisation du travail qui coexistent aujourdhui et des manières dont les systèmes éducatifs et les cultures professionnelles les inspirent ou les contrôlent. Je men tiendrai ici à trois axes de différenciation quon peut observer à lintérieur dun même système, à lépoque contemporaine : le partage du pouvoir avec les élèves, la conception dominante de la pédagogie et létendue des décloisonnements.
1. Les enseignants (individuellement ou en équipe pédagogique) peuvent disposer de leur part dautonomie sans consulter les élèves ou choisir au contraire de partager avec eux certaine décisions. Ce qui suggère un premier axe : à un pôle, les organisations du travail entièrement imposées aux élève, à lautre, les organisations entièrement négociées. La plupart des pratiques se situent entre ces extrêmes. Lorsquelles sont plus proches de limposition, lorganisation est rapidement mise en place et lon peut " passer au programme ", mais ce temps apparemment gagné risque dêtre reperdu parce quil faut exercer un contrôle social permanent, sans quoi les élèves échapperont au travail. À lautre extrême, la construction négociée du contrat et dinstitutions internes prend du temps, mais on peut en attendre, outre une éducation à la citoyenneté, une adhésion plus large aux règles et aux décisions, donc des responsabilités plus partagées. Arrêter une organisation du travail et fixer des contrats est au cur de la gestion du travail scolaire dans les pédagogies nouvelles. Il nest pas étonnant quelle soit laffaire centrale du conseil de classe dans les pédagogies coopératives ou institutionnelles, dès Freinet. Même si lon accentue aujourdhui la fonction de médiation, de résolution des conflits, de prévention de la violence, le conseil de classe est, au moins historiquement, dabord un lieu où sexplicite et se négocie lorganisation du travail à lécole.
2. Un second axe de différenciation touche à la conception de lenseignement et de lapprentissage : une alternance classique de cours et dexercices facilite lorganisation du travail, car lemploi du temps et la succession des activités sont plus prévisibles et plus simples ; ces vertus gestionnaires se paient dun moindre intérêt du travail du côté des élèves, voire des enseignants, et dun rapport assez bureaucratique de chacun à sa tâche. À linverse, les pédagogies du projet, les méthodes actives, les recherches ou le travail par situations-problèmes compliquent terriblement lorganisation du travail, perpétuellement recomposée et renégociée. En contrepartie, ces pédagogies espèrent donner plus de sens aux activités et impliquer les élèves autrement (Perrenoud, 1994).
En combinant ces deux dimensions, on obtient un tableau à double entrée, qui permet de combiner schématiquement ces deux axes :
Décisions, règles Pédagogies |
Faiblement négociées |
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Plutôt |
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Plutôt |
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3. Aujourdhui plus que jamais, il convient dajouter un troisième axe, selon que lespace-temps à gérer est la classe fermée, la réunion épisodique de plusieurs classes (décloisonnements, aire ouverte) ou un cycle dapprentissage pluriannuel collectivement géré par une équipe denseignants.
On limagine, ces trois axes ne sont pas indépendants. Les pédagogies traditionnelles et peu négociées sont en général à laise dans une classe fermée, alors que les pédagogies nouvelles et coopératives préfèrent les espaces-temps de formation plus ouverts et plus vastes, tels les cycles dapprentissage pluriannuels. Ce ne sont toutefois que des tendances. La prise en compte des cas atypiques peut éclairer et enrichir la conceptualisation de la gestion des espaces-temps de formation. Elle permet également de mieux penser les voies de transition dun modèle à un autre. La question cruciale nest pas en effet de classer, mais de comprendre comment des enseignants peuvent abandonner une organisation du travail pour en construire graduellement une autre.
Dans tous les systèmes éducatifs, le cursus scolaire se présente comme une succession de plusieurs " cycles détudes " de deux à quatre ans chacun. Un cycle détudes se caractérise par une certaine unité de conception des programmes et par une certaine homogénéité des charges, de la formation et du statut des enseignants. Mais il reste, en général, fractionné en étapes annuelles, chacune comportant son propre programme. la fin dune année scolaire, les élèves qui ont atteint un certain seuil de maîtrise progressent dans le cursus et " passent " au niveau (ou degré), où ils sont pris en charge par dautres professeurs. Les autres redoublent ou sont " orientés " vers des filières moins exigeantes.
Du cycle détudes au cycle dapprentissage
On peut parler de cycle dapprentissage plutôt que de cycle détudes, simplement pour mettre laccent sur les processus dapprentissage. En soi, ce changement dappellation ne crée aucun problème nouveau en termes dorganisation du travail.
On peut aussi, et cest loption que je prendrai ici, considérer quun cycle dapprentissage est une forme daffaiblissement, voire de total effacement des étapes annuelles au sein dun cycle détudes. Cet effacement peut prendre des formes douces, notamment lorsquon interdit le redoublement au cours du cycle détudes ou quon le cantonne à la dernière année. Le cycle central du collège, en France, comme les cycles introduits dans lenseignement secondaire en Belgique francophone sont de cette nature. Du simple fait quil abaisse les taux de redoublement, le changement nest pas négligeable. Il accroît lhétérogénéité des élèves passant aux degrés suivants, au grand dam des professeurs et des parents qui craignent une " baisse du niveau ". Cela peut avoir certaines incidences sur la gestion de classe, dans des sens contradictoires : au début dune année scolaire, le professeur accueille un groupe plus hétérogène, mais en contrepartie, il na pas à repérer demblée les élèves " condamnés à redoubler " et peut prendre un pari positif sur la continuité des apprentissages, ce qui le dispense par exemple de faire le forcing et dencourager le bachotage.
Cependant, chacun reste alors enfermé dans son année et sa classe, voire dans sa discipline. Lespace-temps de formation na pas changé, quand bien même ses relations aux espaces-temps précédents et suivants modifient un peu son public et ses exigences. Pour aller vers un " véritable " cycle dapprentissage, il faut faire un pas de plus : renoncer aux programmes annuels, pour définir des " objectifs de fin de cycle " valables pour plusieurs années.
La version la plus prudente consiste à définir des cycles de deux ans et à demander aux enseignants daccompagner un groupe délèves durant cette période, comme ils accompagnent actuellement une classe durant un an. Aux classiques étapes annuelles, on substitue en quelque sorte des étapes de deux ans. Cela change sans doute les conditions de la gestion de classe : planifier sur deux ans permet davantage de flexibilité, mais oblige à " tenir la distance ", du point de vue du contrat avec un groupe, de la discipline, de lusure des tactiques des uns et des autres. On se trouve toutefois dans un cas de figure assez familier : à lépoque rurale de la scolarisation, il nétait pas rare quun enseignant soit en charge dune classe dite " à plusieurs cours " ou " à degrés multiples ", parce que les effectifs ne permettaient pas de composer des classes dun seul niveau dâge. Cette organisation a perduré dans les zones à faible densité de peuplement. On maintient alors des programmes annuels et une possibilité de redoublement, mais elle est en général nettement moins utilisée, car un enseignant expérimenté planifie les apprentissages sur deux ans (ou davantage).
Une autre façon prudente dorganiser des cycles est de maintenir le principe dun passage des élèves dun enseignant à un autre en fin dannée scolaire, mais sans redoublement et en invitant les enseignants à travailler en équipe, de sorte à accroître la continuité des prises en charge. Cest le modèle de lenseignement primaire français depuis la loi de 1989, avec des mises en uvre très diverses, allant du respect presque intégral des niveaux annuels (sans redoublement officiel) à un véritable travail déquipe poursuivant des objectifs de fin de cycle.
Pour aller plus loin, il faut accepter de se détacher encore plus fortement des étapes annuelles. Certes, lannée scolaire continuera à rythmer le temps scolaire. Il est donc assez normal quun enseignant se fixe des objectifs de fin dannée et fasse un bilan juste avant les " grandes vacances " ou au début de lannée scolaire suivante. Toutefois, on doit concevoir des cycles pluriannuels auxquels linstitution nassignerait que des objectifs de fin de cycle, leur structuration en étapes intermédiaires (trimestrielles, semestrielles, annuelles ou autres) étant laissée à lentière initiative des enseignants.
Actuellement, les systèmes scolaires balisent et normalisent très inégalement la structuration interne dune année scolaire. Les uns ont conservé des trimestres ou semestres officiels, avec des programmes, mais surtout des évaluations rythmées en conséquence ; dautres définissent un programme annuel et laissent aux enseignants la responsabilité de la progression, donc de lordre des contenus aussi bien que du temps accordé à chaque chapitre dans le " texte du savoir ". Dans lenseignement secondaire, la " ronde " des disciplines impose une grille horaire qui régit les emplois des professeurs aussi bien que les activités des élèves. À lécole primaire, une telle grille est plus indicative et désigne de grands équilibres, plutôt quune répartition à honorer chaque semaine. Lenseignement primaire genevois illustre le sens dune évolution assez générale : il y a trente ans, les enseignants devaient respecter strictement la grille horaire, non seulement en accordant à chaque discipline son dû exact, mais en prévoyant le moment de la semaine où lon ferait de la grammaire, de la géographie ou du calcul mental. De plus, le plan détudes imposait une progression mois par mois, si bien quon savait quel verbe devait être travaillé dans la seconde moitié de novembre et quelles figures géométriques devait être étudiées en avril. Aujourdhui, le contrat est annuel, la répartition du temps est une moyenne et, au fil des mois, les enseignants construisent et remanient à leur guise leur planification.
Cette évolution, qui a partie liée avec lélévation du niveau de compétences et la professionnalisation du corps enseignant, est une condition nécessaire pour envisager des cycles dapprentissage pluriannuels : à quoi bon travailler sur des temps plus longs si les enseignants sont enserrés dans un corset qui les empêche de prendre des décisions en fonction de leur classe ? Les systèmes éducatifs, les parents, les enseignants, les didacticiens restent cependant très ambivalents face à de plus vastes espaces-temps de formation. Pour les administrations et les parents, cest un pari risqué sur les capacités de planification et de régulation des enseignants. Pour ces derniers, cest une responsabilité et une angoisse. Pour les didacticiens, cest le risque que les impératifs organisationnels prennent le pas sur la structuration des situations dapprentissage.
Pourquoi alors aller dans ce sens ? Parce quon pense accroître de la sorte lefficacité et léquité du système éducatif. Lorsquon introduit les cycles dapprentissage, de façon timide ou audacieuse, cest en général pour lutter contre le redoublement, espacer les échéances évaluatives, accroître la continuité de la prise en charge éducative, mieux tenir compte des rythmes et individualiser les parcours de formation. Dans le meilleur des cas, les cycles sinscrivent dans la recherche dun enseignement stratégique (Tardif, 1992, 1998, 1999) et dune pédagogie différenciée (Meirieu, 1989, 1990 ; Perraudeau, 1997 ; Perrenoud, 1995, 1997).
Jai soutenu que lidée de cycle était encore une " auberge espagnole " (Perrenoud, 1998 a). Lon ne peut donc poser les problèmes de gestion de cycle de façon univoque, tant est grande la diversité des conceptions. À un extrême, on séloigne à peine des fonctionnements annuels et aucun problème de gestion nouveau nest véritablement posé. À lautre, tout est inédit et lon manque de bases conceptuelles, et plus encore de recul, pour identifier des modes émergents de gestion et les expertises correspondantes.
Une conception plus précise dun cycle dapprentissage
Pour approfondir lanalyse, il faut donc savancer, plaider pour une conception plus définie des cycles. Jai tenté ailleurs cet exercice (Perrenoud, 1997, 1998 b). Je ne reprends ici que les principaux éléments, sous forme de neuf thèses :
1. Un cycle dapprentissage nest quun moyen de faire mieux apprendre et de lutter contre léchec scolaire et les inégalités.2. Un cycle dapprentissage ne peut fonctionner que sur la base dobjectifs de fin de cycle, qui constituent le contrat pour les enseignants, les élèves et les parents.
3. Il importe de développer dans les cycles pluriannuels plusieurs dispositifs ambitieux de pédagogie différenciée et dobservation formative.
4. La durée de passage dans un cycle doit être standard, pour forcer à différencier sur dautres dimensions que le temps et à ne pas favoriser un redoublement déguisé.
5. Un espace-temps de formation de plusieurs années ne peut atteindre ses buts que si les démarches et situations dapprentissage sont repensées dans ce cadre.
6. À lintérieur dun cycle, les enseignants sorganisent librement et diversement. Le système leur propose des outils à titre indicatif : balises intermédiaires, modèles dorganisation du travail et de groupement des élèves, outils de différenciation et dévaluation.
7. Il est souhaitable quun cycle dapprentissage soit confié à une équipe pédagogique stable, qui en soit collectivement responsable durant plusieurs années.
8. Les enseignants doivent recevoir une formation, un soutien institutionnel et un accompagnement adéquats pour construire de nouvelles compétences.
9. La quête dun fonctionnement efficace en cycles est une longue marche, à considérer comme un processus négocié dinnovation, qui sétale sur plusieurs années.
Prenons un exemple. À Genève, la scolarité enfantine et primaire est de huit ans, organisée en huit degrés annuels, dont deux préobligatoires. Le redoublement existe toujours, il est de lordre de 2 à 4 %, selon les degrés. Lécole primaire est suivie dun cycle dorientation (enseignement secondaire) de trois ans, avec lequel sachève la scolarité obligatoire. Les enseignants primaires sont généralistes ou polyvalents, ils maîtrisent et enseignent toutes les disciplines. Certains sont titulaires de classes, dautres interviennent en appui (généralistes non titulaires, GNT). Dans certaines disciplines (musique, arts plastiques et éducation physique) lenseignement est renforcé par des spécialistes (MS).
Cest dans ce contexte que le Groupe de pilotage de la rénovation (1998, 1999), à lissue dune phase d'exploration de quatre ans impliquant 30 écoles, a proposé de diviser les huit années denseignement primaire en deux cycles de quatre ans chacun, En voici la conception en dix thèses :
1. Le cycle pluriannuel est défini par une série dobjectifs dapprentissage que tous les élèves doivent atteindre en fin de cycle. Ces objectifs, qui seront définis en temps utile par linstitution, sinscrivent explicitement dans la continuité des objectifs de formation (instruction et éducation) de lécole primaire et de la scolarité obligatoire.2. Les programmes annuels, aussi longtemps quils subsistent, nont quun statut indicatif. On cesse de sy référer au fur et à mesure quon devient capable de gérer les progressions en fonction des objectifs de fin de cycle et de fin de cursus.
3. Il ny a plus de référence aux degrés dans les inscriptions, dans le carnet, dans la formation des classes ou des groupes, dans les fichiers et statistiques scolaires, dans lattribution des enseignants. Un élève appartient officiellement à un cycle, auquel il est intégré en fonction de son âge, même sil vient dun autre système scolaire. La référence aux degrés devrait peu à peu disparaître des méthodologies et moyens denseignement officiels mis à la disposition des écoles. Elle perd également son sens en ce qui concerne les épreuves communes ou autres évaluations standardisées.
4. La notion de redoublement ne veut plus rien dire, puisquil ny a plus de degrés et quon ne peut évidemment redoubler lensemble dun cycle, ni même la dernière année dun cycle.
5. La durée normale de traversée du cycle par un élève est égale à la durée officielle du cycle : on passe par exemple trois ans dans un cycle de trois ans, ni deux, ni quatre ! Des règles strictes garantissent que les parcours réels des élèves ne sécartent de cette norme que de façon exceptionnelle, avec des mesures personnalisées, négociées de cas en cas.
6. Durant tout le cycle sont mis en place des dispositifs efficaces de pédagogie différenciée, qui visent à permettre à tous les élèves datteindre les objectifs dans le même temps.
7. En fin de cycle, pour les élèves encore loin des maîtrises visées, on prévoit des mesures intensives, prolongées, au début du cycle suivant, par des modules de mise à niveau et de consolidation différenciée. On peut envisager des structures ad hoc de transition entre cycles successifs.
8. Lévaluation se fait sans notes. Elle est critériée et formative. Elle permet de situer régulièrement chaque élève par rapport aux objectifs visés en fin de cycle et en fin de cursus primaire. Des outils dobservation et dévaluation sont mis à disposition par linstitution. Les parents sont régulièrement informés de la progression de leur enfant, sur la base dun " cahier dévaluation " fondé sur diverses sources (autoévaluation, observation, épreuves, entretiens, etc.). Ce cahier est conçu par chaque école sur la base de quelques principes généraux.
9. Des structures cohérentes avec les cycles sont développées pour tenir compte des enfants immigrés (préalablement scolarisés ou non), aussi bien que des enfants en intégration ou fréquentant actuellement la division spécialisée ou des structures daccueil.
10. Une nouvelle articulation est mise en place avec le cycle dorientation à la fin du dernier cycle primaire, en fonction de lévolution des programmes et des structures du cycle et au gré dune concertation. Les objectifs du cursus primaire et du cycle final du primaire sont reconnus et validés comme les bases de la scolarité secondaire et leur maîtrise joue un rôle explicite dans lorientation en septième.
En mars 2000, au moment où cet article est achevé, une réforme de lenseignement primaire a été annoncée, avec une entrée en vigueur progressive dès 2001. La durée des cycles - 4 ans - a été arrêtée, mais leurs modalités de gestion restent assez vagues. Il est possible que le système suive les recommandations du groupe de pilotage et aille vers un effacement délibéré des degrés annuels et une responsabilité collective. Il est possible aussi que les textes qui seront finalement publiés autorisent des pratiques très diverses, les unes très proches des fonctionnements conventionnels, dautres beaucoup plus audacieuses. Lintéressant, pour lheure, nest pas de prédire la forme exacte que prendront les cycles pluriannuels, à Genève ou ailleurs, mais de réfléchir aux problèmes de gestion et dorganisation du travail tels quils seront redéfinis ou créés par une telle évolution. À cette fin, il est plus fécond de réfléchir sur des cycles effaçant résolument les degrés annuels et appelant les enseignants à une véritable gestion coopérative.
Lorsquon sait gérer un petit espace (ou un petit budget) et quon " hérite " dun plus grand, on peut tenter de le fractionner en plusieurs sous-ensembles de moindre taille, pour se retrouver dans un cas de figure familier. Si le désir des enseignants est de retrouver, dans un cycle dapprentissage, lexacte autonomie dont ils bénéficiaient dans leur classe, sans construire de compétences nouvelles, ils nauront de cesse de réinventer les niveaux annuels et les groupes fermés. Même alors surgit un besoin de coordination, donc un niveau inédit de gestion, requis pour que sinstaure une certaine harmonisation des pratiques. Cette dernière peut cependant se réduire à peu de choses si on revient au " chacun pour soi ". Les cycles sont en principe gérés par des équipes denseignants, mais rien nempêche ces derniers, sils nadhèrent pas à ce modèle, de se répartir les niveaux et les élèves de sorte à navoir plus guère besoin de travailler ensemble.
Pour identifier les nouveaux problèmes de gestion que poseront les cycles dapprentissage pluriannuels, il est évidemment plus intéressant dimaginer une véritable équipe pédagogique plutôt quun simulacre ; et plus fécond de penser à des enseignants qui, loin de chercher à " faire du vieux avec du neuf ", tenteraient de tirer tous les bénéfices possibles dune telle structure. De tels professionnels auront besoin de courage et dimagination, car ils devront prendre des risques, sortir des sentiers battus. Pour éviter quils ne saventurent en terre inconnue, il importerait que la recherche, les mouvements pédagogiques, les formateurs ou les autorités leur proposent des modèles acceptables dorganisation du travail à partir des expériences connues (Gather Thurler et al., 1999) aussi bien que dune conceptualisation plus pointue.
Le groupe de pilotage de la rénovation genevoise (1999) a imaginé dans ce sens quelques propositions quant à la gestion coopérative dun cycle dapprentissage pluriannuel :
a. Les élèves dun cycle, dans une école, sont confiés à une équipe pédagogique solidairement responsable de leur coexistence harmonieuse, de leur travail et de leur progression vers les objectifs tout au long du cycle, ainsi que de leur évaluation et de linformation régulière des parents. Au sein du cursus, les équipes veillent à la cohérence entre les cycles.b. Les enseignants collectivement responsables du cycle regroupent les élèves de la façon qui leur paraît optimale dans la perspective dune pédagogie différenciée. Ils jouent donc, en plus de lappartenance de chaque élève à un groupe-classe, sur des groupes de travail diversifiés, monoâges ou multiâges, homogènes ou hétérogènes, définis comme des groupes de besoin, de projet, de niveau, de soutien, etc. Les enseignants se répartissent les tâches en conséquence, de préférence de façon flexible et mobile.
c. Léquipe rend compte de lusage de son autonomie dorganisation, elle est donc capable dexpliquer et de justifier son système de travail et ses modes de différenciation auprès des instances mises en place à cet effet.
d. Dans un groupe scolaire (bâtiment ou ensemble plus large), léquipe compte, en gros, le nombre de postes qui auraient été attribués à lencadrement des mêmes élèves dans une organisation en degrés avec titulaires, MS et GNT. Autrement dit, le passage à un cycle nimplique ni accroissement, ni diminution des forces de travail. À moyen terme, on peut définir les forces par un rapport entre nombre délèves et nombre de postes denseignants, standard ou modulé selon les caractéristiques du public scolaire.
e. À lintérieur de cette enveloppe, la division du travail dépend de léquipe, il ny a plus de différences entre généralistes titulaires et non titulaires. Lapport des MS doit encore être clarifié.
f. Léquipe dispose des espaces et des moyens matériels qui seraient dévolus à lencadrement des mêmes élèves dans une organisation en degrés. Les locaux sont regroupés. Léquipe les utilise à sa guise, en fonction des dispositifs pédagogiques mis en place.
g. À la fin de chaque année, léquipe se sépare des élèves arrivant en fin de cycle. À la rentrée suivante, elle accueille de nouveaux élèves.
h. Léquipe informe les parents des élèves, selon des modalités variées, et les associe autant que possible aux discussions qui dessinent le fonctionnement interne du cycle dapprentissage.
i. Dans la règle, léquipe pédagogique désigne un de ses membres pour assurer les tâches de coordination et pour la représenter au niveau de lécole et de lextérieur.
j. Dans les grandes écoles, on peut constituer plusieurs équipes pédagogiques distinctes, chacune prenant en charge une partie des élèves, mais toujours sur lensemble du cycle.
Pour sauvegarder lautonomie des équipes, cette structuration laisse volontairement en suspens nombre daspects importants de lorganisation du travail. En voici quelques-unes.
Le groupe-classe, du port dattache à la tour de contrôle
Une équipe pédagogique en charge dun cycle de quatre ans, accueillant par exemple une centaine délèves, aura au départ du mal à imaginer que chacun deux puisse se sentir membre dun ensemble aussi vaste. Cela paraîtra " impensable " pour de jeunes enfants. Même pour des adultes - sauf en général à luniversité - lintégration à un groupe de taille raisonnable, au moins pour une partie de la semaine, sera considérée comme une source didentité et de sécurité. On sorientera donc rapidement vers lappartenance de chacun à un " groupe de base ". Il restera à définir la place et les fonctions dun tel groupe. On saccordera sans doute assez vite pour lui assigner une mission " psychoaffective " : se vivre comme membre dune communauté, se sentir quelque part " chez soi ", un peu comme les adultes réintègrent la cellule familiale pour compenser le caractère souvent anonyme, décousu ou tendu de la vie au travail. Cette fonction répond aux besoins immédiats des personnes, à la limite indépendamment de tout enjeu de formation. On peut, faisant de nécessité vertu, la doubler dune mission de socialisation : cest à la faveur dune appartenance durable à un groupe de base quon développerait la responsabilité, la solidarité, le respect mutuel, le débat démocratique.
Si lon sen tenait là, on pourrait considérer que le groupe de base fait figure doasis, de " lieu où renaître ", dendroit protégé des urgences de la " production ", en loccurrence les apprentissages disciplinaires ou la construction de compétences transversales. Assez spontanément, les équipes chargeront en outre ce groupe dune fonction de pilotage des parcours de formation. En effet, la personne responsable de ce groupe &endash; quon la nomme maître de classe, professeur principal, tuteur, mentor ou enseignant de référence - sera rapidement celle qui connaît le mieux " ses " élèves et peut donc avoir une vue densemble de leurs besoins, de leurs trajectoires dans le cycle et donc des orientations à leur proposer pour la suite de leur parcours de formation. Si bien quon gérera, dans un groupe de base, non seulement des identités et des sentiments dappartenance, ce qui est essentiel dans les organisations, mais des itinéraires de formation et les décisions qui les infléchissent. Cette fonction de " tour de contrôle " sajoute assez naturellement à celle de " port dattache ".
Le désaccord surgira, en général, sur la question de savoir si le groupe de base est aussi le cadre des apprentissages disciplinaires. Aucunement, diront les plus radicaux, alors que pour dautres, il doit demeurer le cadre privilégié de la plupart des activités scolaires, que ce soit sous le contrôle dun seul enseignant polyvalent au primaire ou dune succession de professeurs spécialisés au secondaire.
Sil devient le cadre unique du travail scolaire, un cycle dapprentissage ne se distinguera des degrés annuels que par labsence de redoublement, des échéances plus éloignées et la continuité des progressions vers des objectifs de fin de cycle. Cette continuité serait alors assurée par le fait que le même enseignant ou la même équipe accompagnent les élèves durant toute la traversée du cycle dapprentissage, selon deux modalités possibles :
On peut douter de lintérêt du premier modèle, qui est très proche de la gestion de classe conventionnelle, à cette différence que lenseignant titulaire " garde " ses élèves durant plusieurs années. Ce modèle devient plus intéressant, toutefois, si un ensemble denseignants accompagne une cohorte durant plus dun ans.
Toutefois, les cycles dapprentissage, tels quils sont conçus ici, visent non seulement la continuité des progressions sur plusieurs années, mais le développement de parcours de formation plus individualisés. Si chaque enseignant reste " enfermé ", avec ses élèves, dans son groupe-classe, on se retrouvera dans les mêmes impasses quaujourdhui du point de vue des pédagogies différenciées : même avec des effectifs réduits &endash; or, ils tendent plutôt à salourdir au gré des crises budgétaires &endash; un enseignant isolé ne peut faire coexister plusieurs dispositifs de pédagogie différenciée quau prix dune ingéniosité didactique et dune énergie hors du commun. Cest encore plus difficile dans lenseignement secondaire, du fait que plusieurs spécialistes des diverses disciplines se succèdent dans la même classe, chacun étant " seul maître à bord " durant quelques heures par semaine Pour faire passer son programme, chacun reste tenté par un enseignement frontal, entrecoupé dexercices et dépreuves notées.
La réflexion sur la gestion de cycles pourrait utilement sinspirer de lingénierie des pédagogies de groupes développée par Meirieu (1989 a et b), qui tente de faire correspondre des modes de groupement différents à des démarches ou des objectifs spécifiques. Dans cette perspective, lapprentissage dans un groupe de base stable (un " groupe-classe " redéfini, éventuellement multiâge) se serait alors quune modalité de travail parmi dautres, dont la place dépendrait doptions de gestion de cycle à prendre par léquipe, en fonction de lensemble des paramètres.
Des objectifs aux groupements
Comment procéder pour organiser la répartition optimale dune centaine denfants entre divers modes de travail et divers types de groupes ? Dans une pédagogie de limprovisation et de leffervescence, on pourrait imaginer des établissements où, chaque matin, lensemble des enseignants et des élèves du même cycle se réunissent pour décider en commun des tâches de la journée, puis se répartissent en conséquence entre différents lieux de travail. Cette planification souple pourrait se faire à des intervalles moins rapprochés, par exemple au début de chaque semaine ou de chaque quinzaine, voire de chaque mois.
Ce mode de gestion de cycle nest en soi nullement absurde. Il présenterait lintérêt dune grande flexibilité, mais cest aussi sa limite : il faut du temps, de lénergie, de linventivité et de la méthode pour remanier fréquemment lorganisation du travail. Cela suppose en outre que les acteurs partagent une culture de coopération. Ces derniers devraient faire preuve de beaucoup de lucidité et de discipline, et manifester des capacités métacognitives et expressives qui ne peuvent se développer que graduellement et quil semble plus réaliste dattendre dadolescents ou de jeunes adultes, à condition quils naient pas perdu tout goût de sinstruire
Rien noblige en fin de compte à gérer sur le même mode lensemble du temps de travail. Une équipe peut fonctionner un jour par semaine ou une semaine sur quatre dans une forme dimprovisation négociée, les autres temps de travail faisant lobjet dune programmation à moyen ou long terme. Cette dernière nest pas nécessairement établie pour lensemble dune année scolaire, et peut laisser une marge à limprovisation et à la flexibilité. Il importe dans tout modèle de réserver dans la planification des temps (heures, jours ou semaines) non attribués à des activités ou des contenus prédéfinis, de sorte à pouvoir tenir compte des besoins et des projets qui émergent en cours dannée.
Quels problèmes de gestion une organisation aussi complexe rencontre-t-elle ? Elle exige dabord des concepts partagés et le langage correspondant. Une organisation improvisée au jour le jour dispense en apparence de concepts. Il suffit dattribuer des personnes, désignées par leur nom, à des tâches, désignées par leur contenu : les 11 élèves suivants retravailleront la multiplication avec Yves, les 32 élèves suivants travailleront avec Jeanne et Olivier sur lexploration du quartier, etc. En fait. même alors, le système de travail restera inefficace si cette répartition ne repose pas sur des logiques de formation. Il y alors fort à parier que les intérêts et les envies des uns et des autres prendront le pas sur leurs besoins. Contrairement à ce quon imagine parfois, lorganisation du travail ne se confond par avec la planification, elle recouvre aussi la mise en place de dispositifs qui permettent de prendre des décisions sur le vif.
Si lon planifie lorganisation sur plusieurs mois, dans son détail ou ses grandes lignes, le niveau dabstraction sélève. Pour désigner le contenu des activités, on recourt à des dénominations de disciplines ou de fractions de disciplines : géométrie, poésie, atelier sur les contes, travail sur textile, lecture de cartes, grammaire allemande, etc. Alors quon peut, dans limprovisation, gérer à la fois les tâches et la composition des groupes, la planification les dissocie : elle fixe les types de contenus avant darrêter la répartition des élèves, pour ne pas figer les groupes et conserver la possibilité de les moduler " en temps réel ", selon la progression effective des apprenants et leurs projets et besoins du moment.
Dans une classe conventionnelle, la planification peut se limiter à prévoir une activité pour chaque composante de la grille horaire. Dans une pédagogie différenciée, cela se complique du fait de la diversification des tâches. Dans un cycle dapprentissage confié à une équipe enseignante, on gère en outre divers groupes et divers espaces de travail, et donc une division du travail entre les enseignants. Lune des difficultés de cette gestion est quelle exige des concepts et des mots nouveaux, que les équipes pédagogiques inventent au gré des besoins, mais qui ne font pas, à ce jour, lobjet de définitions stables et partagées. Si bien quun remplaçant ou un nouvel enseignant arrivant dans une telle équipe peuvent avoir limpression quon y parle chinois !
Raisonner domaine par domaine
La gestion planifiée dun cycle dapprentissage doit tenir compte de la spécificité des divers contenus et objectifs. Il apparaît donc pertinent de distinguer un certain nombre de " domaines ", appelant chacun une organisation du travail et des modes de groupements spécifiques. Ces domaines peuvent correspondre aux disciplines scolaires traditionnelles. Cela paraît presque incontournable dans lenseignement secondaire, puisque les emplois des professeurs sont codifiés en heures denseignement dans leur propre discipline. Même alors, pourrait sautoriser quelque distance par rapport à cette conception classique :
Rien ninterdit par ailleurs de rompre avec le principe dune grille horaire stable durant toute lannée, attribuant à chaque discipline, chaque semaine, exactement les mêmes heures. Pourquoi ne pas envisager des équilibres semestriels ou annuels ? Il nest donc nullement impossible de concevoir des cycles dapprentissage pluriannuels dans lenseignement secondaire, à condition de bouleverser quelques habitudes. La garantie de lemploi, les intérêts acquis, les bastions disciplinaires, linégalité des dotations entre disciplines rendent toutefois ces bouleversements improbables. Il est donc vraisemblable quune organisation en cycles raisonnera, au secondaire, discipline par discipline, avec les rigidités qui sensuivent.
Le jeu est plus ouvert dans lenseignement primaire, du fait que des enseignants polyvalents prennent en charge plusieurs disciplines, parfois toutes. Une équipe pédagogique responsable dun cycle dapprentissage pluriannuel peut alors saffranchir des grilles horaires et des découpages conventionnels, pour inventer dautres modes de gestion du temps et de division du travail.
On pourrait suggérer à une équipe en quête dun modèle de gestion de sapproprier dabord les objectifs dapprentissage essentiels, les objectifs de fin de cycle, puis de se demander pour chacun sil est préférable de le travailler dans le groupe de base, multiâge ou monoâge, ou dans des groupements dun autre type, modules ou groupes de niveaux, de besoins, de projets, les uns plus homogènes, les autres plus hétérogènes.
On constituerait alors des " familles dobjectifs ", correspondant soit à lentier dune discipline (par exemple une langue seconde), soit un ensemble de disciplines connexes (par exemple géographie-histoire ou divers enseignements de technologie), soit à une partie de discipline (par exemple la géométrie comme partie des mathématiques), soit encore au " mariage " dobjectifs appartenant à deux disciplines, par exemple observation scientifique (aspect de la physique) et rédaction des protocoles et des rapports correspondants (aspect du français). On laissera ici de côté les questions didactiques et épistémologiques que posent ces découpages, en supposant - non sans optimisme ! - que les systèmes éducatifs seront capables doffrir une formation, des appuis et les textes de référence suffisants.
Il restera alors à penser lorganisation du travail proprement dite. Pour chaque domaine ainsi retenu (trois, cinq ou huit pour lensemble du curriculum), les équipes pourraient, dans un premier temps, se demander selon quels types de groupements il est préférable de travailler. Rien nassure quen musique, en mathématique, en arts plastiques ou en langue seconde, lorganisation optimale du travail soit la même. Il est probable toutefois que loptimisation séparée de chaque domaine rendrait leur coexistence impossible à gérer, chacun ayant des exigences irréalistes en heures, en flexibilité en alternance de divers groupements.
On pourrait proposer aux équipes, à ce stade, des régulations du même type que celles qui permettent de construire un budget dans une organisation : dans un premier temps, chaque département raisonne selon sa logique propre, évalue largement ses besoins et fait des propositions. Si la somme est irréaliste - cest en général le cas -une instance de coordination renvoie alors chacun à sa copie, en fixant des contraintes. Un tel processus aiderait à construire un compromis entre les logiques dorganisation du travail propres à chaque domaine. Ce mode de construction dune organisation du travail apparaît plus long, mais plus prometteur quune logique unique, simple, mais médiocrement adaptée aux divers contenus et objectifs et probablement inspirée par les disciplines les plus sélectives.
Un tel processus pourrait, au fil de lexpérience et des négociations, conduire à remanier le découpage en domaines et à définir des types de groupements convenant à plusieurs domaines ou sous-domaines. Si bien que le modèle de gestion du cycle pourrait globalement se présenter, in fine, sous la forme dun tableau à double entrée.
Groupes Domaines |
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Mon propos nest pas ici de justifier les lignes, les colonnes ou le placement des astérisques. Ce tableau na dautre but que dillustrer une façon - sans doute encore fort simpliste - de maîtriser la gestion dun cycle dapprentissage pluriannuel.
Le système éducatif pourrait être tenté, devant cette relative complexité, de prescrire un modèle unique de gestion de cycle, ce qui représenterait en apparence un gain de temps et dénergie. En fait, ce serait une perte en termes de professionnalisation du métier denseignant, dautonomie de gestion des équipes, dadéquation aux besoins et compétences des acteurs en présence et dinventivité gestionnaire et curriculaire. Mieux vaudrait que le système éducatif propose des modèles dorganisation du travail aux équipes en charge de cycles pluriannuels, les laissant sen inspirer pour composer leur propre système de gestion, compte tenu des conditions locales, du nombre et du niveau des élèves, de leur absentéisme prévisible, des attentes des parents, des problèmes de maintien de lordre, des espaces effectifs de travail et de déplacement, mais aussi des compétences et des préférences didactiques et pédagogiques des enseignants.
Une évolution dans ce sens contribuerait à développer de nouveaux savoirs sur le rapport entre types dobjectifs (disciplinaires ou transversaux) et types de groupements, notamment quant aux vertus de tel ou tel type dhomogénéité. Les systèmes scolaires ont aujourdhui des doctrines simplistes : pour la plupart, jusquà 12 ans, tout paraît " enseignable " en groupes fortement hétérogènes, à partir de 12 ans la norme sinverse et de nombreux professeurs du secondaire ne conçoivent pas denseigner leur discipline dans des groupes quune sélection préalable naurait pas fortement homogénéisés. Une réflexion didactique sur les contenus et les démarches permettrait sans doute de développer des rationalités plus subtiles. Il est probable que les démarches de projet, les activités de recherche ou le travail par situations-problèmes nexigent pas le même type et le même degré dhomogénéité quun cours magistral ou des travaux pratiques.
On pourrait aussi construire progressivement des éléments de réponse à la question de la taille optimale des groupes. Pour débattre, observer, expérimenter, rédiger, écouter une histoire, monter un spectacle, conduire une enquête, il faut parfois être moins nombreux que dans une classe conventionnelle, alors quon peut facilement, pour dautres activités, regrouper davantage délèves, sans revenir pour autant à un enseignement frontal. Une école à aire ouverte permet par exemple à deux enseignants de fonctionner comme personnes ressources pour soixante-dix élèves travaillant individuellement ou par petits groupes, alors que deux autres adultes travaillent de façon intensive avec des groupes de quinze.
Gérer les progressions sur quatre an
Une fois stabilisé &endash; pour un temps - un modèle de gestion de cycles par domaines et modalités de travail, léquipe pourrait affronter un autre problème : comment répartir les élèves entre ces diverses modalités. Lattribution à un groupe de base na de sens que pour une certaine durée, disons une année scolaire. Dans les autres cas de figure, une telle stabilité ne simpose pas. Cest évident pour les groupes constitués autour dun projet, puisque leur durée de vie dépend de lavancement du projet. Les groupes de besoins disparaissent lorsque les besoins sont satisfaits et que dautres besoins appellent la constitution de nouveaux groupes.
Les groupes de niveaux peuvent être plus stables, mais avec le risque connu du streaming : reconstituer des filières parallèles et étanches qui cristallisent une hiérarchie et finissent par viser des objectifs différents, alors que dans le cadre dune pédagogie différenciée, les groupes de niveaux doivent viser les mêmes maîtrises, avec des démarches et des taux dencadrement adaptés aux difficultés dapprentissage de chacun. Quant aux modules, on le verra plus bas, ils nont aucune raison de " courir " durant toute lannée. Les plus courts peuvent durer quelques heures, les plus longs quelques dizaines dheures.
Une équipe en charge dun cycle dapprentissage pluriannuel, qui travaillerait avec ces divers dispositifs, devrait donc résoudre des problèmes de gestion qui sont, dans les établissements fonctionnant par degrés annuels, réglés pour un an, de façon centralisée, par les instances qui composent les classes et confectionnent les horaires. À quoi bon confier de telles tâches à une équipe pédagogique responsable dun cycle si cest pour quelle instaure une organisation du temps, de lespace et des tâches aussi rigide que dans un collège traditionnel ? La décentralisation des décisions de gestion vise aussi une plus grande flexibilité.
Une équipe de cycle sera confrontée à un double défi : procéder à une répartition viable (donc relativement stable) des élèves tout en cherchant à optimiser la progression de chacun. Si différencier, cest mettre aussi souvent que possible chaque élève dans une situation dapprentissage pertinente et féconde pour lui (Perrenoud, 1995, 1997), lenjeu gestionnaire est immense : il ne sagit pas seulement de " faire tourner la machine " en se débrouillant pour que chaque élève soit au travail dans un groupe, sous la responsabilité dun enseignant. Le défi est que cette rencontre entre un apprenant, un enseignant et un savoir ou une tâche, autrement dit lincarnation concrète du triangle didactique, soit à chaque instant optimale. Bien entendu, cest un idéal qui relève du " meilleur des mondes " et dont la réalisation permanente et intégrale confinerait au cauchemar. Disons quil reste en général une marge suffisante pour sauvegarder la liberté des uns et des autres et quune bonne gestion de cycle vise un idéal, mais se satisfait dune adéquation " raisonnablement optimisée " des situations dapprentissage.
Les décisions dont dépend cette " optimisation raisonnable " seront pour une part prises à lintérieur des groupes constitués, eux-mêmes plus ou moins durables. Cest ce quon peut appeler la différenciation interne. La différenciation externe se jouera dans lattribution des élèves à des groupes et dans la décision de changer un élève de groupe au moment opportun. Ce problème se pose déjà dans le cadre de la gestion dune classe, lorsque lenseignant travaille par ateliers ou sous-groupes. Sa compétence est alors de répartir au mieux ses élèves entre ces divers foyers dactivité, en trouvant une ligne médiane entre un brassage perpétuel et une stabilité aussi peu convaincante. À léchelle dun cycle pluriannuel, le problème gestionnaire est de même nature, mais la décision porte sur un plus grand nombre délèves. Elle doit être prise par une équipe et ne peut donc être improvisée, ni modifiée aussi souplement que par un seul décideur.
Gérer de tels problèmes en équipe, pour un grand espace-temps de formation, exige des outils de pilotage, parmi lesquels, évidemment, lévaluation constante des acquis et des progressions (outils dévaluation formative, portfolio) et une mémoire efficace et partagée des décisions prises et des activités suivies par chacun, grâce à des outils informatiques appropriés, mais aussi à des concepts et un langage adéquats, empruntés ou forgés par léquipe. Une gestion de classe dont tous les éléments sont " dans la tête " dune seule personne nest plus adaptée à la complexité dun cycle dapprentissage pluriannuel confié à une équipe. Les savoirs de gestion doivent être peu à peu formalisés et soutenus par des procédures et des instruments partagés. Les savoirs gestionnaires que déploient les enseignants familiers des méthodes actives sont en partie intuitifs et résistent à lexplicitation. Lenjeu des cycles est de les partager et de les enrichir, plutôt que de paralyser chacun en lui imposant une doxa organisationnelle !
Réorganiser le curriculum : entre fluidité et flux tendu
Lorganisation du travail semble jongler dabord avec des temps, des espaces, des groupes, des activités, des modalités de contrôle. Si lon ne perd pas de vue que lenjeu reste lapprentissage, lorganisation du travail a une face cachée : la restructuration du curriculum.
Il ne sagit pas seulement dattribuer des domaines ou des disciplines à des modes de travail ou de groupement. On peut questionner lorganisation même des savoirs ou plus exactement la pratique qui consiste à traduire les découpages épistémologiques en critères de division des temps et des espaces scolaires.
Les évolutions de lorganisation du travail ne sont pas étrangères à lévolution des modèles de lapprentissage et du savoir. Plus on va vers le constructivisme, la pédagogie de projets, lapprentissage par recherches, problèmes et situations-problèmes, lapproche par compétences, plus on conjugue plusieurs disciplines pour affronter des situations complexes. Ce mouvement favorise la fluidité de lorganisation du travail et la porosité des frontières entre domaines. A la limite, dans une école alternative de taille réduite, lorganisation du travail peut consister à être constamment en projet, en apportant des éléments de structuration à loccasion dune tâche de production. On planifie dès lors davantage les moments de décision et de régulation que des temps de travail consacrés à des contenus spécifiques. En somme, les démarches les plus constructivistes pourraient conduire à une organisation du travail très flexible, constamment négociée et remaniée.
Dans lenseignement public, cette flexibilité se heurte aux statuts et contraintes bureaucratiques. Mais ce nest pas la meilleure raison dy résister. Jen vois deux autres :
Il importe donc de ne pas senfermer dans une seule logique et de faire coexister dans la même année, en alternance, voire chaque semaine, des modes différents de structuration des savoirs et du travail. A un extrême, on revient à la classe fermée. A lautre extrême, on invente des formes inédites dans lenseignement scolaire. Lorsquon séloigne un peu des classes traditionnelles, on va dabord vers des décloisonnements, des aires ouvertes, du multiâge, donc des espaces-temps de formation aux missions parfois imprécises et à la gestion flexible. Paradoxalement, lorsquon séloigne davantage des classes traditionnelles, on définit des espaces-temps de travail qui sont au contraire centrés sur des objectifs spécifiques et permettent un investissement didactique intensif en un temps limité, favorable à une pédagogie différenciée.
Jai tenté détendre à lenseignement primaire des modèles modulaires inspirés de léducation des adultes, en les opposant à une gestion ouverte dun cycle dapprentissage (Perrenoud, 1997). Certaines écoles se sont engagées dans des expériences de structuration modulaire du curriculum à lécole primaire (Wandfluh et Perrenoud, 1999 ; Vellas, 2000). Il est trop tôt pour en tirer des conclusions, sinon pour dire quà lheure actuelle, et sans doute à plus long terme, l enfermement dans un modèle unique de gestion ne se justifie pas. Il importe de développer des compétences de conception et de régulation de lorganisation du travail davantage que de substituer une organisation rigide et standard à une autre.
Division et coordination du travail
Toute organisation plurielle et complexe poste la question de son pilotage. Il sera collectif si lon renoncer à créer une fonction hiérarchique " de proximité ". Dans de nombreux métiers, on confie la coordination à un chef déquipe, par exemple dans un atelier, un magasin, un chantier. Ce choix nest pas absurde en lui-même, mais le niveau de formation des enseignants et la nature de leur travail devraient plutôt favoriser lémergence dune fonction de coordinateur de cycle sans statut hiérarchique, que chaque membre de léquipe occuperait à tour de rôle, par exemple pour deux ans. Un coordinateur de cycle ne prendrait pas de décisions importantes, son rôle serait de structurer la concertation et le travail de décision de léquipe. Lémergence dun tel rôle consoliderait la dimension coopérative du métier denseignant (Gather Thurler, 1994, 1996), aiderait à sortir de lindividualisme.
Il resterait à trouver un compromis acceptable entre lautonomie de chacun et la cohérence de lensemble. Les choix gestionnaires ne peuvent, dans aucun système, être faits à un seul niveau. Dans les systèmes éducatifs conventionnels, ils sont opérés en partie au niveau central, par ladministration scolaire, qui prescrit les programmes, les horaires, les espaces, lameublement et léquipement des classes, parfois les moyens denseignement et les démarches didactiques, souvent les procédures dévaluation et le calendrier. Cela laisse un espace dautonomie de gestion aux établissements, aux équipes et aux enseignants pris individuellement.
Dans le contexte actuel, qui valorise lautonomie des établissements, si lon fonctionne par cycles pluriannuels confiés à des équipes, on aboutit en effet à distinguer, dans le cadre de la politique et des directives dun système éducatif, trois niveaux de décision : le système, létablissement, léquipe de cycle et les enseignants en charge dun groupe.
Le Groupe de pilotage de la rénovation genevoise a proposé (1998, 1999) que ladministration fixe un plan-cadre assez global, contraignant pour toutes les écoles, et laisse une large autonomie aux établissement, aux équipes gérant un cycle et aux enseignants. Le tableau suivant suggère une répartition des décisions entre ces trois niveaux.
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(N.B. chaque niveau inclut les critères du niveau précédent) |
1. Établissement (bâtiment ou groupe scolaire) |
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2. Cycle dapprentissagede quatre ans |
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Chacun item et son placement dans le tableau prêteraient à discussion. Peu importe ici leur détail : ce tableau suffit à suggérer à la fois quune équipe de cycle est un niveau dautonomie et ne décide pas de tout, parce quelle doit :
On voit que le fonctionnement en cycle exigerait, parmi dautres conditions, un équilibre optimal entre des décisions collectives, sans lesquelles le cycle perd de sa cohérence et donc de son intérêt, et les décisions individuelles tenant compte de la réalité des acteurs en présence, du contrat et du rapport qui les lient.
Les quelques éléments qui précèdent ne font pas le tour du problème, mais ils suffisent pour poser la question des compétences et de lexpertise des enseignants dans le domaine de la gestion despaces-temps de formation et de lorganisation du travail.
En formation, la gestion de classe a été souvent travaillée " par dessus le marché ". La notion flotte dans une sorte de no mans land, elle appartient à tout le monde et donc tout le monde peut parler sans la définir rigoureusement. Elle relève de la tradition et du bon sens davantage que dune analyse pointue des processus et des décisions à maîtriser. Lorsquon laborde, cest souvent, comme le relèvent Gauthier et al. (1997) et Gauthier et Martineau (1999), dans une approche prescriptive, pour donner des conseils relatifs à la gestion de classe. On se trouve donc du côté de ce quon appelle encore, malheureusement, la " formation pratique ". La gestion de classe sapprend donc dans la classe, sinon sur le tas, du moins dans les stages et à la faveur dun compagnonnage initiatique à ces aspects peu formalisés du métier.
Une analyse en termes de sociologie du travail devrait permettre de se dégager du prescriptif pour identifier un niveau spécifique du système daction professionnelle. Du même coup, il importerait, on vient de le voir, quon se détache de la classe pour envisager des espaces-temps plus vastes et diversifiés et le jeu sur leur organisation à léchelle pluriannuelle.
Que faut-il savoir et savoir faire pour gérer une classe ou de plus vastes espaces-temps de formation ? Sil fallait esquisser une première liste, je dirais que les ressources mises en uvre sont variées :
À cela sajoute la capacité de coopérer avec dautres enseignants, dès lors quon partage avec eux, plus ou moins formellement, la responsabilité dun espace-temps de formation ou simplement quon organise des échanges ou des décloisonnements ponctuels.
À supposer quon se mette daccord sur tous ces points, la question suivante pourrait être : tout cela sapprend-il ?
On peut répondre à cette question de façon pragmatique, en multipliant les occasions de se confronter à des organisations du travail différentes.
On peut aussi faire émerger un savoir professionnel, un savoir expert, à la jonction des savoirs dexpérience et de la recherche. La conceptualisation ne fonde pas ipso facto la maîtrise pratique de la gestion. Mais aussi longtemps que lexpression " gestion de classe " ne désigne rien dexplicite et de partagé, il est difficile de savoir en quoi consiste lexpertise correspondante et comment elle sapprend.
Une formation plus rigoureuse passera par la conceptualisation de la gestion de classe et, plus globalement, de lorganisation du travail, par la prise de conscience de lextension de la sphère daction des enseignants dans ce domaine et par lidentification pointue des opérations en jeu. Non pas nécessairement pour amener les étudiants à théoriser lorganisation de façon sophistiquée, mais au minimum pour construire des bases conceptuelles permettant daller au-delà de la coutume. Une formation qui assure un surcroît de maîtrise dans une classe conventionnelle devient une question de survie dans la mise en place de plus vastes espaces-temps de formation.
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