Source et copyright à la fin du texte

 

Texte remanié d’une conférence au colloque " Les idées pédagogiques : patrimoine éducatif ", Université de Rouen, 24-26 septembre 1998.

 

 

 

 

A qui appartient-il, aujourd’hui,
de penser les pratiques pédagogiques ?

Savoirs savants et savoirs praticiens :
complémentarité ou déni mutuel ?

Philippe Perrenoud

Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation
Université de Genève
1999

Sommaire

I. Le régime de la séparation qu’autorise une illusoire division du travail

II. Le régime de la communauté  qu’impose la formation de professionnels

III. Les théories de la pratique et de la complexité au cœur des sciences de l’éducation

Références


Si, selon la formule d’Hameline (1998, p. 233) le discours pédagogique se propose de " conférer un dire à un faire, et un dire qui assure la promotion (ou la prohibition) de ce faire ", on pourrait imaginer qu’il appartient à un nombre restreint de " penseurs " capables de proposer des clés d’intelligibilité ou des bases d’orientation des pratiques. A cette vision d’une pédagogie d’emblée inspirée, profonde et pointue, le sociologue ne peut que résister. Les idées pédagogiques se définissent par leur contenu : elles sont le fait de tous ceux qui s’efforcent de penser les pratiques pédagogiques, qu’ils s’y adonnent ou se préoccupent de former, de soutenir ou d’évaluer ceux qui sont engagés dans une action éducative.

Les " idées pédagogiques ", conçues comme un patrimoine culturel, sont des représentations sociales, disponibles sur le marché du " prêt-à-penser ". Leurs sources sont souvent méconnues et peu s’en préoccupent. Chacun y puise à sa guise pour guider sa pratique et lui donner un sens aussi bien que pour louer ou vitupérer les pratiques des autres.

Ce fond commun évolue en fonction d’apports dont les uns sont anonymes, relevant de l’esprit du temps, de la sensibilité d’une époque, alors que d’autres peuvent être rattachés à des penseurs ou à des doctrines que les historiens des idées tenteront d’identifier. Qu’on se souvienne cependant que les " penseurs " ne sont pas toujours des créateurs en rupture, qu’ils se bornent souvent à mettre en forme le sens commun ou à jouer les " éclaireurs ", discernant et disant avec un peu d’avance ce que " tout le monde " pensera un peu plus tard.

Une sociologie des idées pédagogiques, des images et des propos relatifs à l’éducation (Hameline, 1986) commencerait donc à se demander non pas tellement qui pense l’éducation, mais qui se soucie de légiférer sur cette pensée et de délimiter le cercle des " penseurs légitimes ", ceux qui ne se réclament pas seulement du sens commun et d’une l’expérience personnelle, mais ont " quelque chose à dire ", quelque chose de neuf, de fort, de fondé.

Rien ne délimite a priori le cercle de ceux qui peuvent légitimement parler de l’action éducative. La plupart des gens &endash; à commencer par les parents - qui empruntent ou forment des idées pédagogiques ne s’inquiètent guère de savoir s’ils sont dûment habilités à penser les pratiques éducatives. Ils le font, sans demander la permission, comme quiconque s’autorise à juger un tableau ou à porter un jugement moral, sans s’inquiéter de déterminer qui détient les clés de l’esthétique ou de l’éthique.

La question de la légitimité ne préoccupe en réalité qu’un cercle restreint de " producteurs ", qui veulent et estiment leurs idées pédagogiques plus générales, profondes, originales et fondées que celles qui s’enracinent dans le sens commun. Proférer publiquement des idées pédagogiques, comme toute pratique sociale discursive, donne lieu à des hiérarchies d’excellence et ceux qui les fabriquent, soucieux de distinction (Bourdieu, 1979), se placent évidemment au-dessus des penseurs ordinaires, les uns parce qu’ils se voient comme des théoriciens pointus, les autres parce qu’ils pensent détenir des " vérités ", d’autres encore parce qu’ils partent du haut d’une expérience sans pareille. Certains imaginent, plus modestement, apporter simplement quelque éclairage digne d’intérêt au débat général. Tous tiennent une part de leur identité des idées pédagogiques qu’ils défendent et tous souhaitent être entendus. Ce cercle de penseurs professionnels est une réalité sociologique. Qu’elle ne fassent pas oublier que la pensée pédagogique est une dimension de la condition humaine.

La différence tient surtout à la vocation d’être entendu, d’exercer une influence. A Rouen, à l’angle de la Rue Jeanne d’Arc et du Boulevard Jean Lecanuet, il existe une boutique au nom évocateur " Les idées halogènes ". On y vend des lampes dites " à halogène ", celles dont " l'atmosphère gazeuse contient un halogène qui permet un éclairage progressif ". Fuyons la chimie et filons la métaphore. Pour le Robert, un halo est, au sens figuré, un " éclat qui semble émaner de quelqu’un " et, en optique, une " irradiation lumineuse autour de l'image photographique d'un point ". Les idées pédagogiques se voudraient halogènes, créatrices d’un éclat susceptibles d’éclairer le monde des pratiques, sources d’une irradiation bénéfique, parce que porteuse de connaissances ou de valeurs fortes.

Dans n’importe quel champ de pratique, ceux dont émanent les idées halogènes sont en concurrence pour éclairer les praticiens. Ils déploient donc en permanence des stratégies pour donner un statut respectable à leur discours. Nul ne peut entièrement ignorer ses rivaux, notamment ceux qui tiennent des propos contraires en se réclamant d’une autre légitimité.

Peut-être fût-il un temps où les philosophes et les moralistes ont détenu le monopole des idées halogènes sur l’éducation. Ils ont dû, peu à peu, coexister avec des éducateurs ou des pédagogues qui, sans tourner le dos à la philosophie, avaient " les pieds dans la glèbe ". Ce qui leur permettaient de généraliser à partir du récit d’une pratique éducative singulière, qui les confrontait à de vrais enfants, dans de vraies situations. Korczak ou Pestalozzi ne parlaient pas " dans l’abstrait ". D’abord figure d’aventurier solitaire, le pédagogue est aussi devenu inspirateur et porte-parole des mouvements pédagogiques qui se réclament de l’école active, nouvelle ou moderne.

L’élargissement du cercle des auteurs s’est poursuivi. Avec le développement des écoles normales, d’une part, des sciences humaines de l’autre, ont ensuite pris leur place :

Ces deux sous-ensembles ne sont pas entièrement disjoints puisque, dès le début du 20e siècle, des chercheurs comme Claparède (médecin et psychologue) se piquent de former des enseignants. Aujourd’hui, avec l’universitarisation des formations à l’enseignement, le double statut (formateur et chercheur) devient banal.

Avons-nous fait le tour des producteurs d’idées halogènes ? Nullement. Il faudrait encore évoquer :

Le cercle continue à s’élargir : la " professionnalisation " du métier d’enseignant et le paradigme du " praticien réflexif " plaident pour une démocratisation du statut de producteur d’idées pédagogiques halogènes. Aujourd’hui, il n’est plus nécessaire d’être un éducateur mythique ou un innovateur d’exception (Ferrière, Freinet, Neil, Decroly, Montessori and co) pour formuler des idées pédagogiques, voire les mettre par écrit. L’explosion de la communication par Internet, des messageries électroniques, des forums et des sites Web permet désormais à quiconque de livrer ses idées au reste de la planète et parfois de rencontrer quelque âme sœur…

A la question de savoir qui pense les pratiques pédagogiques aujourd’hui et comment ces pensées s’articulent, se combattent ou s’ignorent mutuellement, la réponse, si elle est descriptive, ne peut être qu’historique et psychosociologique, à travers l’analyse de la constitution d’un champ de pratiques discursives de moins en moins fermé où se côtoient et parfois s’affrontent des propos très hérétogènes, mais qui ont pour vocation de " conférer un dire à un faire, et un dire qui assure la promotion (ou la prohibition) de ce faire ".

Pour établir la sociographie, la genèse et les enjeux propres à ce champ intellectuel, mieux vaudrait n’avoir aucun parti pris sur le fond, donc n’être pas soi-même producteur d’idées pédagogiques. Ce n’est pas mon cas. Certes, comme sociologue, à l’instar de maints historiens des idées, je pourrais, sous couvert de rendre compte du champ et de son évolution, tenter d’y mettre de l’ordre, de hiérarchiser les courants de pensée, de mettre certains en évidence, de rejeter d’autres dans l’ombre, de dire lesquels sont nostalgiques du passé ou lesquels préparent l’avenir.

Il me semble plus clair d’annoncer la couleur. On ne peut être chercheur engagé dans l’innovation et la critique des politiques de l’éducation, ni formateur d’enseignants, en prétendant se situer " au-dessus de la mêlée ". C’est vrai aussi de ceux qui se réclament de la science positive et vomissent la pédagogie ou le militantisme. Seuls les scientistes les plus naïfs parviennent à ignorer que la valorisation de la Science et de la Recherche (ne pas oublier les majuscules !) s’inscrivent dans une lutte sociale pour légitimer certaines formes de pensée et de savoir et en exclure d’autres.

Participer à la " lutte des classements " (Bourdieu, 1979) n’interdit pas d’analyser cette lutte et de tenter un effort de décentration. Souvenons-nous toutefois que la prétention de surplomber le champ est une stratégie privilégiée des intellectuels. Toute analyse du statut de la philosophie, de la pédagogie, des sciences de l’éducation cache une profession de foi, parfois un plaidoyer pro domo, au minimum un parti pris.

J’ai donc choisi de traiter d’une question plus ouvertement polémique : à qui appartient-il, aujourd’hui, de penser les pratiques pédagogiques ? A cette question, je proposerai une réponse possible, la mienne. Je ne prétends pas mettre tout le monde d’accord, simplement nourrir le débat, à partir d’une position qui, sans être entièrement originale, reste inconfortable : sociologue, universitaire, chercheur, je ne pourrais adhérer à une vision qui ferait des sciences humaines et sociales un discours parmi d’autres ; mais, sociologue, universitaire, chercheur, je ne saurais davantage conférer à ces sciences le monopole de la pensée articulée et empiriquement fondée sur l’éducation.

Selon les pays et les traditions, sciences de l’éducation et pédagogie vivent aujourd’hui selon deux régimes : celui de la séparation et celui de la communauté. Le premier est rassurant, mais illusoire. Le second est à hauts risques, surtout lorsqu’il s’agit non seulement de discourir sur l’éducation, mais de former des professionnels.

Après avoir distingué et analysé brièvement ces deux régimes, je soutiendrai une double thèse :

1. Il est parfaitement légitime et extrêmement nécessaire que les sciences de l’éducation ne se confondent pas (ou plus) avec la pédagogie, ni avec le discours pragmatique, philosophique, méthodologique ou militant sur l’éducation ou l’enseignement.

2. Cette indépendance n’exclut nullement, au contraire, que les chercheurs travaillent en contact étroit avec des praticiens et reconnaissent la pertinence et la fécondité proprement théoriques d’une partie de leurs savoirs ou de leurs analyses.

La distinction des genres n’appelle pas, à mes yeux, la séparation des acteurs. Sans doute cette dernière peut-elle paraître plus sûre, à la manière d’un cordon sanitaire qui protège une ville de la contagion. Cet isolement se paie très cher, en particulier en limitant fortement l’accès à ce qui constitue l’objet essentiel des sciences de l’éducation : la complexité des systèmes éducatifs et des pratiques. Je vais tenter d’étayer ces positions, en sachant d’avance qu’elles ne feront pas l’unanimité, mais que leur explicitation pourra au moins faciliter le débat, le faire passer de sourdes oppositions et de pesants non dits à un vrai repérage des enjeux épistémologiques et pratiques.

Je tenterai de montrer que la spécificité des sciences de l’éducation est de s’organiser autour de pratiques et de systèmes complexes, qui appellent des éclairages pluri, voire inter ou transdisciplinaires. C’est le fondement même de la réunion des diverses sciences humaines et sociales dans une unité académique de sciences de l’éducation. En ce sens, se référer aux pratiques et aux organisations éducatives, à la formation des praticiens et des décideurs, n’est ni une façon de perdre son âme, ni une " régression " à une recherche appliquée. C’est au contraire la seule façon de construire une identité interdisciplinaire : l’unité du champ éducatif tient ensemble les sciences de l’éducation. 

 

I. Le régime de la séparation
qu’autorise une illusoire division du travail

Issues de la " pédagogie ", les sciences de l’éducation ont eu et ont encore volontiers partie liée avec le " progrès de l’école " et la volonté de prescrire de " bonnes pratiques ". Même lorsque les chercheurs n’entendent pas faire de recommandations, leurs lecteurs ont moins de scrupules et tirent de leurs travaux des idées sur ce qu’il conviendrait de faire pour mieux faire. Démarche d’autant plus légitime qu’une partie de la " recherche en éducation " est une recherche appliquée, au sens large, dont le financement n’est assuré que parce qu’elle prête son concours à des " causes éducatives " plus ou moins avouées.

Devant cette confusion, on peut essayer de revenir aux distinctions classiques :

Peu importerait alors que la recherche appliquée se compromette dans des débats de société, les politiques de l’éducation, les réformes scolaires, l’innovation, la formation des maîtres ou la création de méthodes ou de moyens d’enseignement ou d’évaluation. Appliquée ou impliquée, cette recherche ne serait pas la science, mais seulement un de ses usages pragmatiques. L’honneur serait sauf !

On va voir que cela n’est pas aussi simple.

 

Pédagogie et sciences de l’éducation :
rivales ou complémentaires ?

Historiquement, les sciences de l’éducation se sont constituées par la volonté de fonder l’action éducative non seulement en raison, mais sur la recherche scientifique, voire sur une expérimentation inspirée des sciences naturelles. D’où l’idée d’une pédagogie scientifique ou expérimentale appelée, peu à peu. à se substituer à la pédagogie du sens commun ou à la pédagogie " philosophique ", plus noble, mais guère mieux fondée empiriquement.

Ce scientisme naïf a fait long feu. On sait aujourd’hui qu’il est vain d’espérer orienter l’action pédagogique ou les politiques de l’éducation exclusivement en fonction des savoirs accumulés par les sciences humaines. Pour au moins trois raisons complémentaires :

1. La première est la moins définitive, mais sa validité vaut sans doute pour quelques décennies encore : en l’état, les savoirs savants sur l’éducation ne couvrent pas, et de loin, tous les processus que l’action ou les politiques éducatives tentent de neutraliser ou de gouverner.

2. La complexité et l’urgence des situations éducatives empêcheront durablement de mobiliser en temps utile toutes les informations, tous les raisonnements, tous les savoirs savants pertinents. L’éducateur, même instruit, agira par moments de façon intuitive, les uns diront " avec ses tripes ", d’autres dans une improvisation réglée par son habitus davantage que par ses théories.

3. Enfin et surtout, l’action est guidée par des finalités et des valeurs collectives et individuelles, par un sens qu’aucune démarche scientifique ne peut prétendre dicter ou justifier. Cela ne veut pas dire que les choix philosophiques, éthiques, politiques en matière d’éducation ne s’inspirent pas de l’état des savoirs, mais qu’ils n’y sont jamais réductibles.

Il n’est donc pas surprenant que se reconstitue aujourd’hui un discours pédagogique " autonome " qui

Quel est le rapport, aujourd’hui, entre ce discours renaissant, informé des sciences de l’éducation, et ces dernières ? Entre la recherche empirique " pure et dure " et la pédagogie, il ne devrait pas y avoir concurrence ou conflit sur le plan des orientations idéologiques, puisque la science positive se défend d’en avoir, sinon, bien entendu, l’affirmation de la possibilité même et de la valeur d’une connaissance objective fondée sur la démarche expérimentale.

On pourrait se dire qu’une division pacifique du travail s’est établie : aux uns la sphère des faits et des explications, aux autres celles des valeurs et des finalités. Or, cette séparation est en partie illusoire. Je vais tenter de montrer :

A qui appartiennent les orientations idéologiques ?

Soëtard avance l’idée que toute connaissance objective n’est produite, socialement, que dans l’espoir de parvenir à améliorer la condition humaine :

Il y a, au fond de la question de l'éducation, un problème de rapport à l'action. Le reproche qui peut être fait aux protagonistes des " sciences de l'éducation ", c'est moins de fabriquer des savoirs au même titre que leurs collègues des " sciences humaines " que de prétendre, ou de laisser entendre, que ces savoirs sont " praxéologiques ", qu'ils sont des " savoirs d'action " et qu'ils se distingueraient en cela des savoirs élaborés par les psychologues et les sociologues. Ils voient alors immédiatement se dresser contre eux ceux qui refusent de mêler le savoir et l'usage qui peut en être fait, et préfèrent la présupposition d'une nature humaine une et universelle, " abstraite ", mais qui à l'avantage de garantir l'élaboration de lois générales, tandis que leur mise en œuvre est laissée au praticien, plutôt que de se risquer dans une démarche où le savoir se perd dans le devenir humain, et dans un devenir d'autant plus mouvant que le sujet peut à tout moment l'orienter et l'interpréter dans le sens qui lui convient. Ces scientifiques " durs " n'ont assurément pas tort sur le principe méthodologique qu'ils défendent, et ils verront une confirmation de la justesse de leur position dans la minceur des résultats scientifiques obtenus par les " sciences de l'éducation " lorsqu'elles se trouvent effectivement engagées dans l'action. Tant il est vrai que ce n'est pas un savoir qui modifie une pratique, mais bien l'aptitude de l'acteur à lui donner sens dans une action qui soumet l'ordre des causes à la visée d'une fin qui " écarte tous les faits ". Il demeure cependant que les lois dégagées par les " sciences humaines " ne le sont, en dernière analyse, qu'en vue d'une action de l'homme sur l'homme : I'être humain ne s'observe et ne s'analyse que pour mieux s'humaniser. L'action éducative ne cesse ainsi de constituer le sens ultime de ces savoirs : les sciences humaines qui s'occupent d'éducation ont donc toute raison d'analyser de plus près leur rapport à l'action (Soëtard, 1998, p. 43).

Tous les chercheurs fondamentalistes n’adhèrent pas à cette vision de la science, sinon sur le plan tactique. Ils savent certes que, pour conserver leurs crédits de recherche ou en obtenir de nouveaux, ils doivent justifier leur recherche, sinon par son utilité immédiate, du moins par l’enrichissement du patrimoine culturel de l’humanité et de la compréhension du monde qu’elle permet, voire, à terme, par l’accroissement des pouvoirs de l’espèce humaine sur la nature ou son propre devenir.

Pour une partie des scientifiques, cette justification n’est cependant qu’un discours, ils ne se sentent nullement responsables des retombées de la science, ni redevables à la société. D’autres y sont sensibles, mais construisent leur vision de l’utilité sociale de sorte qu’elle conforte précisément leurs orientations de recherche. D’autres encore estiment que la recherche, qui mobilise des fonds publics, doit rendre des comptes et ne bénéficie pas d’un droit acquis à utiliser des ressources collectives pour construire n’importe quels savoirs, fût-ce à l’insu ou contre l’avis de leurs concitoyens.

Cette diversité pourrait paraître étrange. Elle tient notamment à l’existence d’une machinerie institutionnelle d’attribution des crédits aux universités et à la recherche qui évite à la plupart des chercheurs d’être personnellement confrontés à leur concitoyens. Ce sont essentiellement aux États, aux autorités universitaires et à quelques figures connues de la science qu’il revient de justifier globalement les moyens et le coût social de la recherche. Lorsque les directeurs de recherche et les patrons de laboratoires se battent pour obtenir une part des ressources ainsi obtenues, la logique de l’utilité sociale cède déjà fortement le terrain à celle de l’argumentation au nom de la continuité des politiques scientifiques, de l’équité du partage des ressources (menacée par la tendance à la reproduction des positions dominantes) et de la reconnaissance des compétences (selon des critères qui sont eux-mêmes des enjeux de la " lutte des classements "). Au bout de la chaîne, une partie des scientifiques peuvent conserver un emploi et engager des ressources sans se demander une seule fois au nom de quoi et dans l’intérêt de qui.

On ne peut donc affirmer que tous les producteurs de savoirs scientifiques se sentent responsables " d’améliorer la condition humaine ". Certains s’en défendent par pur cynisme, d’autres par un étrange idéalisme qui place le savoir au dessus de l’humanité…

Quels que soient les rapports subjectifs des chercheurs à la science, à l’action et à leur interdépendances, aucun historien, aucun sociologue ne peut ignorer que la connaissance théorique n’est jamais aussi neutre que les savants voudraient le croire ou le faire croire. Elle fonde, par d’étranges détours, tous les progrès technologiques, mais elle contient aussi en germes la bombe atomique, l’usage pervers du génie génétique, les armes bactériologiques ou les génocides " rationnels ", fondés sur la recherche d’une race pure, Ces errements fondés sur la science ont, on peut l’espérer, définitivement déniaisé les physiciens, les chimistes et les biologistes. La seule excuse des sciences sociales et humaines, c’est, pour l’instant, leur efficacité limitée… Elle n’autorise pas à méconnaître que produire des savoirs peut modifier le cours de l’histoire humaine.

La " recherche pure " ne peut plus aujourd’hui, l’air angélique, se distancer des " usages sociaux de la science ". Non seulement parce que c’est une fuite devant les responsabilités, mais aussi parce que ce sont en grande partie les mêmes réseaux scientifiques qui fabriquent des théories et qui les appliquent. Il n’y a pas d’un côté de " bons " chercheurs aux intentions pures, de l’autres des savants fous ou des chercheurs aliénés. La science a, dans tous les pays, partie liée avec l’industrie, l’État, l’armée. Ce sont les services rendus aux pouvoirs qui financent la recherche fondamentale ! Je suis moins optimiste que Soëtard, mais la conclusion est la même : qu’elle le veuille ou non, la science est dans la société. Que les sciences de l’éducation se distancent avec emphase de leurs origines praxéologiques spécifiques ne les rend pas plus neutres que les autres.

A qui appartient le discours " fondé " sur le réel ?

Les sciences de l’éducation " pures et dures " sont portées à croire qu’elles détiennent une forme de monopole de la connaissance de la réalité des processus éducatifs. Ce qui incite au déni de la pédagogie lorsqu’elle s’aventure, si peu que ce soit, à dire comment les choses se passent. Or, le discours pédagogique ne se contente pas d’affirmer des finalités et des valeurs. Il dit souvent comment les mettre en œuvre. Ce faisant, il prend parti quant aux mécanismes psychopédagogiques, didactiques, sociologiques en cause et à la façon de les neutraliser ou de les orienter.

Certes, lorsqu’un " pédagogue " ou tout autre " penseur de l’éducation " avance des explications ou des constats clairement démentis par la recherche, le rôle des chercheurs est de le dire. Lorsqu’il prétend rendre compte du réel sur le mode de la description et de l’explication " objectives ", le discours pédagogique ne peut aujourd’hui ignorer les acquis de la recherche et s’autoriser à dire " n’importe quoi ", pas plus que la philosophie ne peut discourir sur l’esprit, la vie, l’univers ou la société au mépris de ce que disent la physique, la biologie, les sciences humaines et sociales.

Dans les faits, les savoirs acquis par la démarche scientifique ne font pas encore l’objet d’une immense reconnaissance, au double sens de prise en compte et de respect. Pour plusieurs raisons :

Il est donc courant que le sens commun, les idéologies ambiantes, la pédagogie et les sciences de l’éducation soient en désaccord à propos de la réalité de la réalité (Watzlavick, 1968).

La recherche doit à l’évidence, sous peine de se déconsidérer, combattre les " vérités " démenties par l’observation empirique ou mettre en doute des affirmations que rien ne vient étayer. La question est de savoir si le souci de donner des fondements " scientifiques " au discours sur l’éducation doit donner lieu à des " opérations de police ", autrement dit à la dénonciation de tout propos que la recherche invalide et à la " mise en examen " de toute affirmation suspecte de n’être pas dûment fondée sur des résultats de recherche empirique.

Les sciences de l’éducation sont loin d’avoir fait le tour des phénomènes qui relèvent, potentiellement, de leur programme de recherche. Il subsiste de vastes zones d’ombre ou de clair-obscur. Et là où le projecteur s’est porté, la controverse fait souvent rage entre chercheurs, si bien qu’en attendant l’issue de la dispute, les spectateurs réservent leur opinion. A quoi il faut ajouter des consensus dans l’erreur dont aucune science n’est protégée.

Il s’ensuit que les praticiens de l’éducation ne sauraient agir seulement à la lumière des savoir savants établis par la recherche. Même s’ils ont une formation de haut niveau en sciences de l’éducation et une confiance sans faille dans ses acquis, ils doivent s’avancer en terrain découvert chaque fois que l’action exige de trancher en pratique une question qui, en théorie, reste ouverte ou n’est même pas encore clairement posée. Les êtres humains ont allumé des feux bien avant de saisir les principes scientifiques de la combustion. Ils auraient crevé de froid et de faim s’ils avaient attendu, pour agir, de disposer d’une théorie issue de la recherche. Des milliers d’années plus tard, malgré leur développement exponentiel, les savoirs scientifiques restent en retard sur les nécessités de l’action :

Ces deux mécanismes sont distincts. Le premier se réfère à l’état historique de l’accumulation collective des savoirs, le second à leur degré de diffusion et d’appropriation par les praticiens. De même que nul n’est censé ignorer la loi, on pourrait affirmer que " nul n’est censé ignorer la science " et condamner du coup tous les praticiens qui agissent " sans savoir " et " sans savoirs ". Même en adoptant une position aussi normative et aussi irréaliste en regard des conditions de la pratique et des dispositifs de formation et de vulgarisation, les chercheurs ne sauraient reprocher aux praticiens de développer une connaissance intuitive et des " savoirs d’expérience ", des " savoirs d’action ", des " savoirs praticiens " chaque fois que la recherche n’a rien à dire, ou rien de solide.

Bien entendu, la frontière est mouvante et son tracé exact sujet à controverses. Comment calmer une classe agitée ? Certains chercheurs prétendront qu’il n’existe aucune réponse issue des savoirs scientifiques établis et se refuseront même à en développer. D’autres diront que la psychologie sociale, la sociologie des groupes restreints, les recherches sur le leadership et le contrôle social, sans dicter une recette, donnent des pistes et proscrivent au minimum certaines attitudes qui aggravent le problème.

L’état des savoirs scientifiques n’est pas organisé de sorte qu’un praticien puisse savoir simplement et rapidement s’il existe une réponse fondée sur la recherche à une question pratique, par exemple sur l’utilité d’un redoublement ou l’opportunité de renégocier le contrat pédagogique. C’est pourquoi les deux mécanismes évoqués plus haut ne sont pas aussi étanches qu’on pourrait le croire : si l’état d’accumulation collective des savoirs contient potentiellement une réponse, mais qu’il faut, pour l’extraire, un temps et un travail sans commune mesure avec les contraintes et les disponibilités de la pratique, les praticiens feront avec " les moyens du bord ", avec ce qu’ils savent ou croient savoir, mêlant savoirs privés et savoirs communs, savoirs intuitifs et savoirs savants. Les chercheurs auraient mauvaise grâce à le leur reprocher, eux qui consacrent encore si peu de temps à la mise à disposition sous forme accessible des savoirs issus de leurs travaux…

Bref, aujourd’hui, on ne peut dessiner une ligne de partage simple : aux chercheurs d’établir les savoirs sur les processus d’apprentissage et d’éducation, aux acteurs d’affirmer des valeurs et des finalités qui ne relèvent pas de la science. C’est pourtant le modus vivendi qui s’esquisse entre sciences de l’éducation et pédagogie.

Pédagogie et sciences de l’éducation :
vers une coexistence pacifique ?

Dès qu’elles sortent des laboratoires et des universités, les sciences de l’éducation sont confrontées au sens commun et aux idéologies. Le combat se noue, notamment, autour des programmes, des méthodes d’enseignement, des réformes et des politiques de l’éducation. Il arrive que les chercheurs soient écoutés. Assez souvent, leur " science " ne fait pas le poids face aux idées reçues et aux thèses défendues par d’autres acteurs.

Dans l’enceinte académique, le combat est plus feutré et tourne au débat sur les rapports entre sciences de l’éducation et pédagogie. Là, à l’initiative des tenants de la pédagogie, on va vers une coexistence pacifique fondée sur un partage du territoire : les " pédagogues " revendiquent le discours sur le sens, les valeurs, les finalités, les ambiguïtés et les contradictions éthiques et philosophiques de l’acte d’enseigner, les " chercheurs purs ", trop heureux de se débarrasser de ces thèmes qui sentent le souffre, les concèdent aux pédagogues et tolèrent à ce prix le maintien dans l’université ou les instituts de recherche d’une " parole pédagogique ", à condition qu’elle ne prenne pas trop de place, ne coûte pas trop cher et ne prétendent pas " faire de la recherche ".

Que pédagogie et sciences de l’éducation se distinguent plus clairement, pourquoi pas ? Ce n’est pas une raison, au contraire, pour qu’elles se dénigrent mutuellement. Chacune apprend ou feint d’apprendre à reconnaître ses propres limites, comme l’ont fait au cours des siècles la théologie et les sciences naturelles. Aujourd’hui, les chercheurs, aussi rationalistes soient-ils, ne se prononcent plus au nom de leur science sur le sens de la vie, l’existence de Dieu ou la vie après la mort. Et les théologiens ne nient pas les lois biologiques et physiques.

Au-delà de cet appel à la reconnaissance mutuelle et à la coexistence pacifique, deux questions se posent :

1. La pédagogie peut-elle véritablement ne rien dire sur le réel ?

2. Les sciences de l’éducation peuvent-elles véritablement ne rien dire sur le sens et les finalités de l’action éducative ?

Ceux qui tentent de cerner le statut et le rôle de la pédagogie aujourd’hui (Meirieu, Hameline, Soëtard, Houssaye, par exemple) affirment que la pédagogie n’est pas d’abord un discours universitaire : c’est un discours pragmatique, engagé, situé, émanant de praticiens de l’action éducative… ou des intellectuels qui les accompagnent. " Conférer un dire à un faire " (Hameline, 1998), se situer " entre le dire et le faire " (Meirieu, 1995 a) oblige à prendre en compte l’état des savoirs. Soëtard (1997) situe la pédagogie " entre pensée de la fin et science des moyens " et Meirieu (1995 b) " entre savoirs et savoir-faire ".

Le dire pédagogique s’enracine dans un faire qui confronte à des doutes, à des impasses ou du moins à des questions, identitaires, éthiques, philosophiques, celles par exemple du droit d’éduquer et d’enseigner, celle des garde-fous qu’il faut donner à " Frankenstein pédagogue " (Meirieu, 1996), celle des limites du " C’est pour ton bien ! " qu’Alice Miller (1984) a retrouvé au fondement des pédagogies les plus noires.

La pédagogie est-elle soluble dans les sciences de l’éducation ? ". A cette question, Meirieu (1985 c) répond donc clairement par la négative. Non seulement parce que la pédagogie se mêle de finalités dont la science prétend n’avoir rien à dire, mais parce que les sciences " n’ont pas le monopole de l’intelligibilité du monde " :

La pédagogie, discours littéraire ou mieux rhétorique des vérités éducatives moyennes nous apporte des outils pour une compréhension active de la chose éducative ; elle nous renvoie nos contradictions à l’égard de nos enfants et de nos élèves, et, d’abord, cette contradiction sans cesse réinstaurée entre nos théories et nos pratiques ; elle nous permet de vivre de manière moins solitaire, et avec plus de lucidité, ce métier impossible dont parlait Freud pour désigner l’éducation (Meirieu, 1995 c, p. 31).

Cette référence à l’aspect littéraire de la pédagogie s’accentuera dans Des enfants et des hommes. Littérature et pédagogie :

Ainsi, si l'on étudie de près ceux qui, bien avant l'apparition des " sciences de l'éducation " ou, aujourd'hui, en marge de celles-ci, se prétendent " pédagogues ", on est frappé de lire, sous leur plume, d'étranges ouvrages où s'entremêlent témoignages, fictions, références philosophiques, digressions apologétiques, affirmations sentencieuses, métaphores multiples et recommandations de toutes sortes. Nous nous trouvons là en face d'un ensemble d'œuvres aux contours souvent mal définis, dont il conviendrait, sans doute, d'étudier plus précisément " les règles du genre ". On découvrirait alors qu'en dépit du caractère apparemment hétéroclite de ces textes, ils constituent un véritable ensemble original et représentent, sans nul doute, une authentique " tradition culturelle ". I1 s'agit bien, en réalité, d'un patrimoine particulièrement précieux pour la formation des éducateurs. Un patrimoine étrangement négligé, parfois même scandaleusement oublié par les gardiens de la bonne conscience collective qui nous exhortent, par ailleurs, à sauvegarder coûte que coûte la mémoire des hommes (Meirieu, 1999, p. 119).

On peut, pour éviter les conflits de territoires, insister sur le fait que la littérature pédagogique donne du sens, du courage, de la force, qu’elle aide à vivre le rapport pédagogique, à se situer, à construire une sagesse.

Or, la sagesse, disait Descartes, est une " parfaite connaissance de toutes les choses que l'homme peut savoir ". Sagesse et science ont partie liée. Le politiquement correct consisterait à dire que, dès que la pédagogie amène à affirmer quoi que ce soit sur le réel, elle passe le relais à la science positive et ouvre les guillemets. En réalité le genre littéraire ne se prête pas à cette dissociation limpide entre les faits et les valeurs. La connaissance pédagogique procède de l’intelligence de situations singulières, de récits qui ne prétendent pas à l’universalité, qui ne prennent même pas toujours la peine d’expliciter les valeurs et les savoirs en jeu. Mais nul ne peut empêcher le lecteur de penser, de transposer, de généraliser. Travailler avec des histoires, comme le font les pédagogues, mais aussi des psychanalystes comme Cifali (1994, 1995, 1996) ou Imbert (1992, 1994), c’est faire penser au-delà de l’histoire contée, c’est construire du savoir à travers le récit et l’analyse du récit.

Un discours sur la complexité, telle qu’elle est éprouvée par le praticien dans l’action, ne peut se cantonner aux aspects éthiques et axiologiques. Ils sont inséparables d’une construction de la réalité, d’une compréhension du monde, d’une forme de connaissance. Dire qu’un enfant a besoin de confiance pour grandir, c’est affirmer, dans la même phrase, à la fois un savoir et une éthique de l’éducation. Aucun discours pédagogique ne peut jouer son rôle sans s’avancer dans le registre des savoirs, parfois au-delà ou en marge de ce que les sciences de l’éducation permettent d’affirmer.

A l’inverse, il est difficile de croire qu’un chercheur puisse enseigner les sciences de l’éducation sans faire, par moments, parfois contre son gré ou à son insu, de la pédagogie, à la fois en prenant parti (au moins dans l’implicite) et en s’aventurant au-delà des savoirs établis.

Faut-il dénier aux intellectuels - à supposer que certains enseignants-chercheurs en sciences de l’éducation revendiquent ce statut - le droit de participer au discours sur les finalités et le sens de l’éducation ? Faut-il les en exclure du seul fait qu’ils décrivent et expliquent de façon précise et fondée certains mécanismes à l’œuvre dans la réalité telle qu’elle est ? N’est-ce pas justement cette analyse fine et empiriquement fondée qui permet de mettre en évidence des dilemmes éthiques ou des partis pris philosophiques " en actes " ? Si " les vraies finalités sont celles qui se lisent dans nos plus petits gestes quotidiens ", comme l’affirme Meirieu (entrevue accordée à Luce Brossard, Vie Pédagogique, novembre-décembre 1993, p. 4), qui est mieux placé que l’anthropologue ou le didacticien de terrain pour les observer, les formaliser, y faire réfléchir ? Et comment les psychanalystes ou les sociologues qui font profession d’étudier les ambivalences des acteurs et les ambiguïtés des situations pourraient-ils n’avoir rien à dire aux praticiens qui, au-delà des faits, voudraient savoir " ce qu’il faut en penser " ? La demande sociale est forte : lorsque la majorité des étudiants sont des professionnels de l’éducation, ils n’attendent pas seulement des connaissances ; ils ont soif de valeurs, de convictions mobilisatrices ou rassurantes. Faut-il résister farouchement à cette demande ou y répondre prudemment ? Plaider pour la démocratisation des études, contre l’échec scolaire ou la violence, pour le dialogue famille-école ou la différenciation de l’enseignement, est-ce légitime dans un enseignement de sciences de l’éducation ?

A chacun de trouver son chemin, à condition que ses choix se présentent comme tels : personnels, éthiques, philosophiques ou politiques. Lorsqu’ils s’aventurent sur le terrain des valeurs, des finalités, de la sagesse ou des règles pour l’action, que les chercheurs ne le fassent pas au nom de leur science, mais de leurs convictions. Que leurs orientations idéologiques soient compatibles avec l’état des savoirs ne signifie pas qu’elles en découlent. Cette distinction, qui devrait aller de soi, est encore ténue, parce que les sciences de l’éducation s’enracinent historiquement dans la pédagogie, mais aussi parce que les professionnels ont parfois besoin de croire et rejettent les mises en garde contre l’arbitraire de toute pensée normative.

La confusion s’accroît inévitablement lorsque les chercheurs accompagnent des projets d’innovation ou conduisent des recherches-actions ou autres recherches impliquées ou appliquées. Car alors, il est bien question d’articuler fortement savoirs savants et convictions pédagogiques. Je dis simplement qu’on les articulera d’autant mieux qu’on les distinguera et que chacun saura et dira dans quel registre il s’exprime.

Je ne crois pas que la coexistence pacifique entre science et pédagogie, chacune restant chez soi, soit autre chose qu’une visée générale. Dans la réalité de l’enseignement, de la formation continue, des interventions sur le terrain. chacun franchit souvent la ligne de démarcation. Certes, on peut imaginer le chercheur dans son laboratoire, à l’abri du monde et le pédagogie rédigeant, seul à son bureau, un essai philosophique sur les finalités de l’éducation. Dans la vraie vie, les distinctions sont moins nettes !

Sans doute peuvent-elles convaincre lorsqu’elles s’appliquent aux formations les plus " académiques " en sciences de l’éducation, celles qui se gardent de former des praticiens et se limitent à socialiser des chercheurs aux règles de la méthode. Cela n’arrive, en réalité, qu’au 3e cycle. Les premiers et seconds cycles universitaires en sciences de l’éducation ne forment pas des chercheurs et ils accueillent de nombreux praticiens de l’éducation et de la formation, parfois la moitié de leur public. Et que dire de la formation professionnelle des enseignants, des éducateurs, des conseillers d’éducation et d’orientation, des cadres scolaires à l’université ? Au moment où les sciences de l’éducation jouent un rôle croissant dans la formation des personnels, il est pertinent de se demander si l’opposition entre science et pratiques n’est pas un peu schématique. 

 

II. Le régime de la communauté 
qu’impose la formation de professionnels

Lorsque l’université forme des enseignants ou d’autres professionnels de l’éducation, la question des rapports entre sciences de l’éducation et pédagogie ne peut se résoudre en une coexistence pacifique fondée sur une séparation aussi fictive que commode. Comment se débarrasser alors des effets pervers de " tout concubinage avec la pédagogie " (Bayer et Ducrey, 1998, p. 271) ?

Peut-être pouvait-on croire, du temps de Claparède, au début du siècle, aux vertus de la formation scientifique comme clé de l’action rationnelle. Pour les raisons déjà évoquées, on ne peut aujourd’hui professer une telle foi dans les vertus de la raison et de la connaissance. On sait désormais que l’action a d’autres fondements :

Les savoirs formels qui proviennent des sciences de l’éducation et des institutions de formation des maîtres ne peuvent pas fournir aux enseignants des réponses claires et nettes sur le comment faire. En d’autres termes, les enseignants doivent agir en prenant des décisions et en développant des stratégies d’action sur le vif, sans pouvoir s’appuyer sur un savoir-faire technoscientifique qui leur permettra de contrôler la situation. De plus, ils ne peuvent pas non plus s’appuyer sur un savoir théorique (les sciences de l’éducation) pour suppléer aux carences du savoir technique. On peut dire que la tâche des enseignants consiste à atteindre des buts éducatifs sans posséder un savoir technique des moyens : ils savent vers quoi s’orienter globalement (les fins éducatives, les objectifs du programme à enseigner), mais ils ne possèdent pas un savoir technique efficace relatif aux moyens d’atteindre ces fins. Ils doivent donc improviser et se fier à d’autres choses qu’à la technicité. C’est ici qu’entrent en scène ce que nous appellerons des substituts pragmatiques aux déficiences épistémologiques et techniques du savoir-enseigner. Ces substituts sont la violence, l’autorité, la persuasion. Ils permettent à l’enseignant d’imposer son programme d’actions au détriment des actions déclenchées par les élèves qui iraient à contresens de ce programme. Bref, ils permettent un contrôle non épistémologique et non technique de I’objet du travail enseignant : des êtres humains (Tardif, M., 1993, p. 81).

Qu’importe, pourrait-on dire ? À l’université de dispenser des savoirs, aux praticiens d’acquérir " sur le tas ", les autres composantes de leur formation et ces " substituts " dont parle Tardif.

Du coup, les sciences de l’éducation conserveraient leur innocence… À elles les savoirs nobles, fondés sur la recherche. Et au milieu scolaire le soin d’assurer la socialisation professionnelle, la transmission des valeurs, des savoirs d’expérience, des ficelles du métier. Il suffirait alors aux enseignants-chercheurs de donner aux futurs enseignants une formation scientifique de qualité, à charge pour eux d’en tirer toutes les implications pratiques. Rien n’interdirait aux praticiens, une fois en stages ou sortis de l’université, d’articuler leurs savoirs scientifiques à leurs croyances personnelles, aux idéologies qui ont cours dans le monde professionnel, aux nécessités de l’action, aux discours des grands et moins grands pédagogues. Ce serait leur affaire !

Une telle séparation serait à la fois irresponsable et stérilisante. Si l’université se mêle de former des enseignants, elle ne peut se borner à les nantir de savoirs savants. Il importe que le programme de formation développe toutes les compétences requises et travaille explicitement l’articulation des savoirs savants et des savoirs issus de l’expérience, de la culture professionnelle ou de l’institution, aussi bien que la dimension de l’éthique, des finalités, des valeurs, du développement des personnes.

Priorité aux savoirs : entre pureté et inertie

Si les programmes universitaires de formation à l’enseignement mettent fortement l’accent sur les savoirs, c’est à l’évidence parce que cela préserve la " pureté académique ". On introduit certes des stages, voire une " formation pratique ", il faut bien faire la part du feu. Mais la plupart des autres enseignants intervenant dans le programme peuvent se limiter à transmettre des savoirs " au-dessus de tout soupçon "

Peut-être n’est-ce pas la seule raison. Transmettre des savoirs est ce que l’université fait le plus spontanément, alors que tout dispositif complexe de formation met en crise la posture et les savoir-faire de l’enseignant-chercheur.

On pourrait croire ces problèmes résolus dans la formation des médecins ou des ingénieurs, au sein de facultés qui assument leur vocation de formation professionnelle. Or, que constate-t-on, par exemple, en formation d’ingénieurs :

(Synthétis. Ingraffae et al., 1991, cité par Tardif, 1996)

Tardif étend le constat à la médecine et montre que les logiques curriculaires à l’œuvre empêchent de mettre le développement des compétences au centre du dispositif de formation. On se trouve pourtant dans des institutions ouvertement orientées vers des formations professionnelles de haut niveau. Sans doute est-ce le signe de la difficulté de l’université à s’éloigner de ce qu’elle maîtrise le mieux : la production et la transmission de savoirs disciplinaires.

Pour développer des compétences professionnelles, dit Jacques Tardif (1996), mieux vaudrait au contraire :

a. Définir très clairement les compétences attendues.

b. Accepter que le développement des compétences prenne le pas sur les logiques des disciplines.

c. Faire des liens intensifs et explicites entre les disciplines.

d. Déterminer les modalités pédagogiques qui garantissent le développement des compétences.

e. Sélectionner des modalités d’évaluation permettant de certifier le degré d’expertise professionnelle.

Ces options commandent des parcours et des unités de formation privilégiant l’intégration des acquis et leur mobilisation en situation complexe, ce qui n’a de sens que si l’on rompt définitivement avec l’image du métier d’enseignant aussi bien comme application de modèles que comme mise en œuvre déductive de savoirs savants. Au cœur de la compétence professionnelle des enseignants, il y a la capacité d’identifier et de résoudre des problèmes, de concevoir et de mettre en œuvre des stratégies et des dispositifs à la mesure de la complexité et de la diversité des apprenants, des savoirs et des situations éducatives.

Construire des compétences ne consiste ni à tourner le dos aux savoirs à enseigner, ni à mésestimer les savoirs didactiques (centrés sur les disciplines d’enseignement), transversaux (centrés sur les processus traversant les disciplines : évaluation, échec, gestion de classe, relations intersubjectives, dynamiques de groupes, relations avec les familles, etc.) ou technologiques. Construire des compétences consiste :

Former à une pratique réflexive par une démarche clinique

Ces orientations conduisent à privilégier une sorte de " métacompétence ", la capacité de réfléchir sur sa pratique et de la reconstruire chaque fois qu’il le faut. Cette réflexion a évidemment une dimension métacognitive, puisque réfléchir sur sa pratique, c’est aussi et peut-être d’abord réfléchir sur sa façon de penser, de décider, d’apprendre, d’identifier et de résoudre des problèmes, de clarifier des finalités, de faire face à des dilemmes, de concilier des exigences contradictoires. La pratique pédagogique est très largement une pratique intellectuelle, les gestes importent, mais sont inintelligibles sans référence au sens que l’acteur leur donne, au raisonnement qui les sous-tend.

Cette pratique réflexive selon l’expression de Donald Schön (1983, 1994) présente d’évidentes parentés avec la démarche scientifique. J’en ai noté quelques unes (Perrenoud, 1994) :

Ces points communs ne doivent pas cacher de nombreuses différences :

Il est donc légitime de préparer à une pratique réfléchie en familiarisant avec la démarche scientifique, mais parfaitement vain d’espérer que la connaissance des canons de la méthode suffira. La pratique réfléchie s’inspire certes d’un paradigme proche des sciences : anticiper, observer, vérifier, corriger en fonction de l’expérience. Mais elle ne peut dériver de savoirs procéduraux seulement, et encore moins d’une formation à la méthodologie de recherche. Réfléchir dans et sur l’action s’apprend par la pratique de l’analyse, au gré d’une démarche clinique, dans des dispositifs d’alternance et d’articulation théorie-pratique (Altet, 1994, 1996, 1998 ; Cifali, 1996 ; Paquay et al., 1996 ; Perrenoud, 1996 b, 1998, 1999 ; Tardif, Lessard et Gauthier, 1998).

Ce qui exige des situations de formation spécifiques, autour de situations-problèmes, de cas, de dilemmes, d’incertitudes. Pour créer de telles situations de formation, on ne peut que s’éloigner des formes universitaires classiques de transmission et d’évaluation des connaissances et inventer de véritables dispositifs de formation, les équivalents en sciences de l’éducation du laboratoire des ingénieurs, de la clinique des médecins ou de la simulation et des études de cas qu’on pratique dans les business schools.

Ne pas couper la formation de la recherche

À la question des rapports entre recherche en éducation et formation professionnelle à l’enseignement, on peut répondre d’abord en invoquant le lien indispensable entre construction et diffusion des savoirs en sciences de l’éducation. Dans d’autres domaines, là où les savoirs savants sont consolidés, stables, complets, leur transmission peut être largement pratiquée en dehors de leur lieu de production. La formation de techniciens supérieurs n’exige pas que leurs formateurs soient des chercheurs ou qu’eux-mêmes soient formés à la recherche.

Il en va différemment du métier d’enseignant. Les savoirs se figent ou se dégradent très vite lorsqu’on s’éloigne du lieu de leur production. Pour une raison simple : les apports des sciences humaines et sociales coïncident dans une large mesure avec les questions qu’elles posent plutôt qu’avec les réponses incertaines qu’elles tentent de leur donner (Bourdieu, 1967). Des paradigmes autorisant des ruptures - par exemple " échec scolaire = échec de l’école " ont plus d’effet que les théories validées et stabilisées. Il y a certes des savoirs qu’il ne serait pas inutile de transmettre, mais ils sont difficiles à dégager des démarches qui permettent de les construire et de prendre conscience aussi bien de leur fécondité que de leur fragilité. On pourrait en parler en termes de transposition didactique : les acquis des sciences humaines et sociales ne se prêtent pas encore à une " scolarisation simple ", à la manière du principe d’Archimède ou de la loi d’Ohm. Si on les isole de leur contexte de production et de débat, ils deviennent soit des évidences de sens commun, dont on se demande s’il fallait vraiment mobiliser autant d’efforts pour les redécouvrir, soit des recettes ou du " prêt-à-penser " qui fait écran à la complexité plutôt que d’aider à la saisir.

On peut en prendre deux exemples :

a. Le constructivisme psychologique et sociologique consiste à rattacher les idées et les savoirs de chacun aux caractéristiques de son fonctionnement mental spécifique aussi bien qu’à sa position et à sa trajectoire sociales. À ce niveau d’abstraction, chacun peut avoir l’impression d’être constructiviste dès lors qu’il reconnaît la part du sujet et de son histoire. N’est-ce pas l’évidence même ? Tout le monde ne le sait-il pas ? Or, rien n’est plus difficile que d’être constructiviste avec cohérence. Notre pensée spontanée nous porte constamment à identifier les mots et les choses et à croire, jusqu’à preuve irréfutable du contraire, que notre définition de la réalité coïncide avec celle des autres.

b. Chacun, pensant avoir compris et faisant siens les principaux acquis de la psychanalyse, s’autorise des interprétations sauvages, simplistes, réductrices, qui enferment l’autre dans son identité et son inconscient - pulsions, actes manqués, complexes, etc. - plutôt que de l’aider à avancer vers davantage de lucidité.

On sait les ravages qu’opère la vulgarisation de la linguistique : des régularités observées deviennent des normes, des niveaux de langue repérés confortent les stratégies de distinction, des outils conceptuels provisoires - comme la typologie des textes - deviennent des classements substantiels. La didactique subit les mêmes transformations : les notions de contrat ou de dévolution deviennent, hors de leur contexte d’émergence, à la fois des idéaux et des mots chargés d’une force explicative qu’aucun concept ne peut avoir isolément. La fortune de la " gestion mentale " montre ce qu’il advient lorsqu’on détache quelques idées, mêmes fécondes et intéressantes, du terrain qui leur a donné vie.

Sans doute arrivera-t-il un temps où les sciences humaines et sociales en général, et les sciences de l’éducation en particulier, seront assez développées pour qu’un détachement s’opère, pour que l’on puisse s’approprier leurs acquis en travaillant avec des formateurs coupés du monde de la recherche. Au cours des prochaines décennies, on peut douter d’une réelle intégration des sciences humaines et sociales à la construction des compétences professionnelles si la formation est détachée de la recherche. Cela ne veut pas dire qu’il faut tout miser sur une formation à la recherche ou par la recherche. Elle se justifie parce qu’une formation professionnelle à l’université doit permettre d’autres carrières que l’enseignement, ouvrir sur le troisième cycle, le doctorat, la participation à la recherche. Et aussi parce que la formation par la recherche a, en formation professionnelle, trois vertus que j’ai détaillées ailleurs (Perrenoud, 1994) : 1. elle propose une démarche active d’appropriation des concepts et des savoirs constitués, en les mettant en jeu dans des opérations complexes ; 2. elle familiarise avec les modes de production des savoirs et facilite donc une distance critique ; 3. elle offre un paradigme à la pratique réfléchie.

Insistons sur ce dernier aspect : la proximité avec la recherche (plutôt qu’avec ses résultats seulement), familiarise avec un mode de pensée hypothétique, constructiviste, dialogique, critique, relativiste. Sans garantir encore la mobilisation des savoirs en situation éducative complexe, cela favorise au moins leur utilisation comme grilles de lecture et sources d’hypothèses, donc développe à la fois la posture et les outils d’une pratique réfléchie.

Le paradoxe est qu’une véritable initiation à la recherche désenchante le monde de la théorie et de la méthodologie. Derrière les projets de recherche, il y a des passions, des contraintes, des politiques, des enjeux institutionnels, des carrières. Les objets de science sont construits, comme le reste, de façon souvent opportuniste, compte tenu des financements possibles et de l’esprit du temps. Les laboratoires et les équipes de recherche sont traversées de conflits et de concurrences, l’accès aux données se négocie, les uns protègent leurs sources, d’autres leurs accès aux revues… Si la formation à la recherche passait par une initiation réaliste à la " vie de laboratoire " (Latour et Woolgar,1988), les étudiants comprendraient que les chercheurs sont, dans leurs champs, des praticiens comme les autres (Latour, 1996) et qu’il leur manque peut-être, pour guider leurs choix, l’équivalent d’une pédagogie. Car, contrairement à ce qu’on imagine, l’état présent des savoirs ne dicte que très partiellement le travail des chercheurs, les canons de la méthode n’ont pas réponse à tout et l’éthique de la recherche n’est pas d’une grande aide dans les situations quotidiennes !

Alors qu’une initiation superficielle à la recherche accrédite le mythe de la science, une vraie formation rend moins naïf et affaiblit plus qu’elle ne conforte la distinction entre une science objective et les passions pédagogiques. A entendre les souhaits des chercheurs qui souhaiteraient que les enseignants deviennent avant tout de parfaits consommateurs de leurs propres travaux, on peut douter de leur détermination à les initier à davantage qu’au mythe de la science !

Assumer la dimension axiologique de la formation

Une formation professionnelle ne peut ignorer qu’un enseignant doit prendre continuellement des décisions qui ont une portée idéologique et éthique. Jusqu’à quel point faire confiance ? respecter la vie privée ? reconnaître le droit à la différence ? accepter le mensonge ou la résistance ? Comment être juste face à tant de demandes, de besoins, d’urgences ? Chaque indiscipline, chaque tricherie, chaque bagarre appelle une intervention : de quel droit incarner la norme et comment savoir si le remède n’est pas pire que le mal ?

Les sciences humaines ont ruiné l’ethnocentrisme, l’adultocentrisme, la bonne conscience de ceux qui savent. Nul n’est plus aujourd’hui sûr de son bon droit, la bonne conscience des éducateurs est à jamais perdue.

Le rôle de la formation de praticiens réflexifs n’est pas de proposer un catéchisme, mais de donner à chacun les moyens de poser et d’affronter les dilemmes que la vie professionnelle engendre à foison. Pour cela, séminaires d’éthique, d’analyse de pratiques, de développement personnels, études de cas et journaux de formation sont des outils précieux. N’est-on pas alors très proches de la pédagogie, de la réflexion édifiante à partir du récit de pratiques ou de situations singulières ?

Qu’on confie ces tâches à des formateurs de terrain, à des enseignants sensibles à la philosophie ou à l’éthique ou aux chercheurs que l’analyse du travail ou l’anthropologie des métiers de l’humain rapproche de l’analyse des pratiques, voilà qui semble raisonnable. Il faut en outre, pour mener de telles formations, une forme d’engagement et d’intérêt que la simple transmission de savoirs n’exige pas. Que les enseignants en charge de ces composantes de la formation soient de préférence volontaires ne dispense pas pour autant les institutions universitaires d’assumer de telles unités de formation dans leur curriculum et leur gestion des ressources humaines.

Ici encore, former à la complexité oblige le formateur à vivre dangereusement, à s’écarter des savoirs homologués, à avancer des hypothèses, parfois à prendre parti ou à faire état de ses propres doutes et autres états d’âme.

 

III. Les théories de la pratique et de la complexité
au cœur des sciences de l’éducation

Pourquoi implanter la formation des enseignants dans une université ? Ne serait-elle pas mieux à sa place dans une Haute école pédagogique, clairement orientée vers le développement de compétences professionnelles ? La Belgique et la plupart des cantons suisses vont dans ce sens. Les États-Unis et le Canada ont au contraire universitarisé la formation des enseignants depuis les années 1960, alors que l’Amérique latine et plusieurs pays d’Europe font coexister les deux types de filières, hautes écoles spécialisées et facultés. La France a suivi une autre voie encore, en créant des instituts universitaires de formation des maîtres (IUFM) en dehors des universités… On le voit, la vocation de l’université n’admet aucune définition universelle !

On pourrait débattre longuement des missions de l’université et de leur évolution depuis le Moyen Âge (Lessard, 1998). Pourquoi cette institution aurait-elle aujourd’hui, en sciences humaines et sociales, vocation à se tenir à distance de la formation professionnelle alors qu’elle forme ouvertement des médecins et des ingénieurs capable d’exercer d’emblée des métiers très qualifiés ? Mais pourquoi gagnerait-elle à élargir le champ des professions auxquelles elle prépare ouvertement, sinon pour accroître sa clientèle et ses " parts de marché " ?

L’enjeu majeur reste de ne pas compromettre le développement et la transmission des savoirs fondamentaux. Dans cette fonction, l’université est irremplaçable. Il est raisonnable, autrement dit :

Certes, il est louable de rapprocher la recherche et la formation, honorable de contribuer à une formation orientée vers la pratique réflexive et la professionnalisation du métier d’enseignant, habile d’acquérir de la sorte des ressources pour financer la recherche fondamentale et gratifiant d’être socialement utile, en dépit de l’incertaine reconnaissance que la collectivité témoigne à l’université. Mais ce ne sont que bénéfices secondaires : le profit principal doit être théorique.

Je vais tenter de montrer que l’émergence de formations universitaires et professionnelles dans les métiers de l’humain, et en particulier dans le champ de l’éducation - éducation spécialisée, formation d’adulte ou enseignement -, bien loin d’éloigner l’université de la recherche fondamentale, se justifie parce qu’elle y ramène avec force, en raison même de la référence constante à la complexité des organisations et des pratiques éducatives.

Un carrefour interdisciplinaire

" Le pluriel des sciences de l’éducation " : je me rallie à cette formule d’Hameline (1998). Les sciences de l’éducation sont, à mes yeux, définitivement plurielles. Elles ne constituent pas une science de plus, ni même une discipline. Hofstetter et Schneuwly (1998), tout en plaidant pour la " disciplinarisation " des sciences de l’éducation, parlent prudemment d’un " champ disciplinaire ". Je préfère - ce qui n’exclut nullement la création et l’institutionnalisation de communautés épistémiques - parler d’un champ ou d’un carrefour interdisciplinaire, qui réunit dans un projet commun des enseignants-chercheurs issus soit de ce carrefour lui-même (autoreproduction), soit des diverses sciences humaines et sociales qui permettent de penser l’éducation : psychologie, psychanalyse, psychologie sociale, anthropologie, démographie, histoire, science politique, sociologie, économie.

Pour Charlot :

On peut donner des sciences de l’éducation une définition simple : elles sont constituées par un ensemble de disciplines qui, en interaction permanente, produisent des savoirs sur les situations, les pratiques et les systèmes d’éducation et de formation. Mais une telle définition contourne la question essentielle : celle des frontières et de l’unité d’une discipline qui s’est construite dans un champ large de pratiques et de savoirs, avec lequel elle ne se confond pas (Charlot, 1995, p. 14).

Chacune des disciplines constitutives des sciences de l’éducation existe pour elle-même dans le cadre d’un département ou d’une faculté dont l’éducation n’est qu’un champ d’intérêt parmi d’autres. On peut faire de l’histoire de l’éducation en faculté des lettres, de la sociologie de l’éducation en faculté des sciences économiques et sociales, de la psychologie de l’éducation en faculté de psychologie, etc. Les sciences de l’éducation, comme lieu institutionnel dans l’université, ne me paraissent pas devoir monopoliser ces approches. Pourquoi alors réunir ces sciences sociales et humaines dans une seule unité d’enseignement et de recherche ?

Charlot affirme que le milieu de la recherche en éducation :

…tout en ayant renoncé à l’utopie d’une science de l’éducation intégrant et absorbant les sous-disciplines, est de plus en plus sensible à l’intelligibilité que produisent des approches différentes d’un même objet. Les uns continuent à se définir en priorité par leur discipline d’appartenance mais sont très attentifs à ce qui se produit dans les autres disciplines traitant de l’éducation. D’autres, dont je suis, définiraient volontiers les sciences de l’éducation par la circulation entre différents ordres de recherches et de pratiques (Charlot, 1995, p. 14).

Je partage ce point de vue. L’existence d’unités réunissant toutes les sciences sociales et humaines pour contribuer à rendre l’éducation intelligible se justifie pour deux raisons complémentaires :

1. Ce regroupement est une condition nécessaire, ou du moins facilitante, d’un véritable travail pluri-, inter-, voire transdisciplinaire, d’une appréhension des phénomènes éducatifs dans leur globalité, leur caractère systémique, multidimensionnel, Ardoino (1980) dirait multiréférentiel.

2. Il rend possible la formation de praticiens de divers niveaux, une recherche appliquée et impliquée, et des interventions à la hauteur de la complexité à laquelle sont confrontés les systèmes éducatifs et leurs professionnels.

Ces deux raisons ne se neutralisent pas, au contraire. Mais elles n’équilibrent pas toujours les forces centrifuges qui porteraient chaque spécialiste à faire, dans le cadre des sciences de l’éducation, ce qu’il pourrait faire dans une faculté ou un département disciplinaires. D’où l’importance d’une double structuration des sciences de l’éducation.

Une double structuration

Il s’agit à la fois :

Ces découpages internes aux sciences de l’éducation admettent plusieurs logiques :

1. Certains champs se constituent autour des disciplines scolaires ; ce sont ce qu’on appelle aujourd’hui les didactiques des disciplines, champs de recherche fondamentale d’abord, même s’ils sont appelés, plus que d’autres, en raison de l’organisation du curriculum scolaire, à contribuer à la formation des enseignants, à la conception des programmes et des méthodes.

2. Certains se centrent sur des " terrains ", autrement dit des champs de la pratique éducative relativement homogènes : l’éducation spécialisée, l’éducation des adultes, l’éducation préscolaire, l’enseignement primaire ou secondaire, la formation professionnelle.

3. Certains, qui relèvent des approches transversales, se construisent autour de problématiques à la fois scientifiques et praxéologiques (échec scolaire, évaluation, accueil des enfants migrants, relations entre les familles et l’école, traitement des différences, gestion de classe, technologies éducatives, etc.) ou de processus plus abstraits, dont l’identification ne fait pas partie du sens commun, ou pas au même degré (métacognition et régulation des processus d’apprentissage, relations intersubjectives, interactions didactiques, dynamique du groupe-classe, métier d’élève, rapport au savoir, etc.),

Ces découpages varient dans le temps et d’une institution ou d’un pays à l’autre, ce sont des construits théoriques qui reflètent des rapports sociaux. Les chercheurs tombent rarement d’accord, tant sur les découpages pertinents du réel que sur la définition même des sciences de l’éducation. Je ne prétends donc nullement exprimer une vision consensuelle.

Il est fécond que ces divergences existent et que les visions et les épistémologies se confrontent, d’autant plus fécond que cela n’empêche pas de se parler et de travailler ensemble. Une unité interdisciplinaire se trouve devant un défi singulier : sauf à reconstituer en son sein les découpages et les cloisonnements disciplinaires établis, il lui faut bien trouver d’autres objets et délimiter d’autres champs, proprement pluri-, inter- ou transdisciplinaires. Elle prend, de ce fait, des risques plus visibles, qui ont des conséquences très concrètes : c’est ainsi, par exemple, que l’organisation des études et de la recherche ne peut être totalement cohérente et consensuelle en sciences de l’éducation. Il faut, plus sans doute que dans une unité monodisciplinaire, vivre avec des compromis, des décalages, une part de flottement. Cela d’autant plus que chaque chercheur, chaque enseignant, loin de s’enfermer dans un seul champ ou d’approfondir un seul thème de recherche, peut se sentir concerné par plusieurs d’entre eux simultanément.

Cette conception des sciences de l’éducation souligne le dénominateur commun de tous ces découpages : tous se réfèrent à des pratiques ou à des champs de pratiques éducatives (organisations, disciplines scolaires, systèmes d’acteurs). Or, on ne peut rendre compte des pratiques humaines, quelles qu’elles soient, sans s’intéresser aux valeurs, aux attitudes, aux finalités des acteurs, mais aussi à leurs représentations, à leurs façons de comprendre et de maîtriser la réalité, à leurs savoirs.

Il reste à déterminer si cela conduit à reconnaître à ces savoirs une quelconque validité, pertinence, fécondité, efficacité. Ou s’il faut les traiter comme l’ethnologue traite la magie noire : des savoirs et des croyances dont il faut bien reconnaître l’existence et l’influence sur l’action, mais dont la validité " scientifique " est d’emblée déniée.

Savoirs des acteurs, savoirs des chercheurs

Avec Cifali (1994), Imbert (1992) et quelques autres, je rappellerai que l’éducation est une praxis, autrement dit une pratique qui ne peut arriver à ses fins qu’en mobilisant, en l’autre, ce qu’il a de plus intime : son identité, sa volonté, son projet, son autonomie. Nul ne peut apprendre à la place d’autrui.

Les métiers de l’humain, et notamment de l’éducation, mobilisent des anthropologies, des psychologies, des sociologies que les sociologues disent volontiers " subjectives ", " spontanées " ou " naïves " (Bourdieu et al., 1968). Ce qui ne signifie pas qu’elles sont sans efficacité : comment les acteurs pourraient-ils influencer ou éduquer autrui sans avoir une théorie relativement valide de l’apprentissage, de l’action, des déterminants individuels et culturels des conduites ?

D’ailleurs : " A mesure que la science sociale progresse, et que progresse sa divulgation, les sociologues doivent s’attendre à rencontrer de plus en plus souvent, réalisée dans leur objet, la science sociale du passé " (Bourdieu, 1982, p. 12). Ce passé peut être très proche, s’agissant par exemple des thèses fracassantes de la reproduction : tous les débats francophones sur la démocratisation de l’enseignement qui se sont développée depuis le début des années 1970 ont pris position pour ou contre le fatalisme de la reproduction des classes sociales par le système d’enseignement. Les sciences sociales, lorsqu’elles étudient les représentations, les idéologies, les savoirs pédagogiques, rencontrent aussi, bien entendu, le discours plus ancien des psychopédagogues et plus récemment des didacticiens et d’autres spécialistes des processus de formation, d’enseignement, d’apprentissage, d’évaluation.

Est-ce un problème ? Pas nécessairement. Lorsque sociologues ou psychologues s’intéressent aux marins, aux chasseurs ou aux chercheurs d’or, ils n’ont aucun mal à accepter que ces acteurs agissent selon leurs propres théories de la mer, du gibier ou des indices révélateurs d’un gisement intéressant, quelle que soit la valeur de ces savoirs au regard des sciences naturelles contemporaines. Jusque là, toutefois, les chercheurs ont affaire à des objets de connaissances qui ne relèvent pas des sciences sociales et humaines. Que la physique du marin ne soit pas celle du physicien, que la biologie du chasseur ne soit pas celle du biologiste, que la géologie du prospecteur ne soit pas celle du géologue, voilà qui ne pose pas de problème aux psychologues ou aux sociologues qui étudient ces métiers. Ils se plaisent même à souligner la subtilité, l’efficacité des savoirs d’expérience et parfois la supériorité pratique de la métis sur la science…

Que se passe-t-il lorsque les connaissances des praticiens portent elles-mêmes sur les phénomènes que les sciences humaines et sociales prétendent décrire et expliquer mille fois mieux que le sens commun ? On entre alors dans une zone de conflit entre représentations communes et savoirs savants. Certes, la division du travail entre chercheurs permet jusqu’à un certain point de contourner le problème : c’est ainsi que les chercheurs qui étudient les processus de décision dans la classe, ou l’expertise et les savoirs des praticiens, ne sont pas nécessairement en concurrence avec eux quant aux théories de l’apprentissage en jeu et n’ont pas à se demander si les savoirs des praticiens sont fondés en regard de la recherche scientifique sur les processus d’apprentissage. Un sociologue ou un historien peuvent parfaitement prendre pour objet de recherche les théories de l’apprentissage de divers acteurs - enseignants, parents, formateurs, inspecteurs, spécialistes - sans que leurs propres théories de l’apprentissage entrent en concurrence avec celles des acteurs. Sous cet angle, sociologues et historiens ne sont guère plus savants que les praticiens qu’ils observent et ils ne sont donc pas tentés de rectifier leurs connaissances erronées… A l’inverse, certains chercheurs qui travaillent sur des processus cognitifs complexes peuvent ignorer complètement les représentations concurrentes des praticiens, sauf peut-être au moment de diffuser leurs résultats de recherche…

Lorsqu’on travaille en sciences de l’éducation, et surtout lorsqu’on forme des professionnels, il devient difficile d’éluder la question des rapports entre savoirs des acteurs et savoirs des chercheurs. Les conflits de représentations et de légitimités sont au cœur du processus de formation. Et contrairement à ce qu’on imagine, même dans l’enceinte universitaire, la science est loin de balayer les représentations concurrentes.

Faire de nécessité vertu

La didactique des sciences (Giordan et De Vecchi, 1987 ; Astolfi. et Develay, 1996) nous enseigne qu’aucun apprentissage ne se construit sur une table rase, qu’il y a toujours du savoir déjà là, parfois implicite, non organisé, mais qui résiste sourdement à son remplacement pur et simple par des savoirs homologués.

Aucune formation universitaire ne devrait l’ignorer. Mais dans le cadre d’un cursus " purement académique ", c’est l’évaluation qui résout le conflit : si l’étudiant ne manifeste pas une maîtrise au moins formelle des savoirs savants, il ne passe pas les examens. On ne lui demande pas d’incorporer ses savoirs à sa représentation quotidienne du monde, encore moins de s’en servir dans sa pratique. C’est pourquoi on peut régulièrement observer, comme le font les didacticiens des sciences, que des adultes dotés d’une forte culture scientifique ne l’appliquent pas de façon très méthodique à la vie quotidienne, qu’ils sont en quelque sorte " épistémologiquement schizophrènes " : dans leur laboratoire ou leur enseignement, ils respectent les savoirs savants ; dans leur vie quotidienne, ils reviennent dans une large mesure aux théories communes et intuitives de la chaleur, du mouvement, de la gravité, de la contagion, de la respiration, etc.

Lorsqu’on met l’accent sur la formation de compétences, on ne peut aussi tranquillement se résigner à cette schizophrénie épistémologique. Parce que, dans l’action, ce n’est pas la version académique des savoirs qu’un praticien mobilise, celle qui permet de passer l’examen. C’est la version incorporée, celle qui préexistait souvent à la formation scientifique, celle que l’enseignement n’a pas su transformer, faute d’abord de la reconnaître et d’entrer en dialogue avec elle. Chacun a, bien avant de commencer sa formation à l’enseignement, une " théorie " de l’hérédité des conduites, de l’inconscient, de l’apprentissage, de la mémoire, de la volonté, du conflit, de l’échec, de la déviance, de la violence, de la justice, du pouvoir, de la connaissance. Si ces " théories " ne sont jamais explicitées et ouvertement confrontées aux savoirs savants qui portent sur les mêmes processus, elles se conserveront " dans un coin ", se feront oublier le temps des études et resurgiront dans l’action.

Il importe donc de travailler sur les représentations. Reste à savoir si on se place dans la posture du redresseur d’erreurs ou s’il est possible d’adopter une position plus nuancée. Il me semble utile de distinguer :

En formation professionnelle aux métiers de l’humain dans un cadre universitaire, ces deux catégories de savoirs d’expérience offrent une stimulation irremplaçable au développement des savoirs savants.

La première appelle une réponse didactique, mais elle oblige à revisiter constamment les paradigmes et les acquis des sciences humaines. Lorsque les acteurs ont un espace pour développer leur théorie de l’intelligence ou de l’apprentissage, de l’angoisse ou du pouvoir, on se rend compte qu’il ne suffit pas de dire avec assurance " Je vous arrête, ce n’est pas du tout ça, vous vous trompez, je vais vous expliquer ". Des erreurs grossières, des raisonnements approximatifs, des méconnaissances, il y en a, mais souvent, les choses sont plus subtiles. Lorsque Jean Piaget demandait à de jeunes enfants " D’où vient le vent ? ", il entendait souvent une " explication " donnée sur le ton de l’évidence : " Ce sont les feuilles qui font bouger l’air et engendrent le vent ". Peut-être les adultes se sont-ils dégagés de cette représentation. Savent-ils pour autant d’où vient le vent ? Et peuvent-ils facilement l’expliquer à un enfant qui croit fermement que ce sont les feuilles qui produisent le vent, en se fiant à des apparences difficiles à écarter d’un geste ?

Les formateurs en sciences humaines sont souvent en aussi mauvaise posture : pour défaire et reconstruire des savoirs, ils doivent comprendre les raisons épistémologiques, sociologiques, psychanalytiques de la rigidité des savoirs en place, comprendre d’où ils tiennent leur force et leur évidence. Lorsque les didacticiens du français montrent que les erreurs de ponctuation naissent d’une théorie du point, de la virgule et de l’espace aussi cohérente que la leur, mais différente, ils comprennent qu’il ne suffit pas de " corriger les erreurs " pour faire progresser, mais qu’elles sont le produit d’un système de connaissances qui a sa logique propre et qu’on ne peut déstabiliser facilement. Lorsqu’on analyse de près certaines erreurs en mathématique, on progresse sûrement dans la connaissance du sujet apprenant ; mais peut-être progresse-t-on aussi dans sa connaissance des mathématiques. En sciences humaines, les deux se confondent et les formateurs ont tout à gagner à comprendre d’où viennent les représentations et à quoi elles tiennent.

Quant à la seconde catégorie, elle engage un dialogue passionnant entre savoirs savants et savoirs d’expérience. Aucun acteur social ne pourrait survivre s’il n’était pas, à sa manière, un psychologue, un anthropologue, un psychanalyste, un sociologue acceptables. Les acteurs placés dans des situations très complexes et qui s’en tirent bien sont souvent d’excellents connaisseurs des mécanismes de la vie psychique et sociale. Il y a chez les grands politiques plus de savoir sur les mécanismes du pouvoir que dans les bibliothèque de sociologie politique… Ceux qui développent aujourd’hui des systèmes d’intelligence artificielle se gardent bien de croire qu’ils peuvent les déduire des savoirs savants seulement. Ils passent des heures à interroger des experts, à leur faire expliciter leurs raisonnements, leurs " connaissances-en-actes ". Vergnaud (1995, 1996) rapporte le cas de ce porcher qui, dans un abattoir, joue un rôle déterminant parce qu’il sait repérer les animaux les plus sujets au stress, ce qui permet de les abattre avant qu’ils ne meurent d’une crise cardiaque, issue qui complique la tâche des bouchers et affaiblit la qualité de la viande. Cette histoire, triste pour les amis des bêtes, est édifiante pour qui s’intéresse aux compétences : ce porcher sans formation scientifique en sait plus que les biologistes, zoologistes et autres vétérinaires diplômés sur le stress des animaux et ses signes apparents, parce qu’il a construit un savoir d’expérience irremplaçable. Comprendre ce qu’il sait et comment il l’a appris pourrait enrichir la recherche d’hypothèses nouvelles, qu’elle aurait à valider par ses propres moyens, tant en zoologie qu’en psychologie cognitive. Les travaux de Vermersch (1994) et plus globalement les travaux sur la métacognition et la prise de conscience donnent aujourd’hui des outils d’explicitation intéressants.

Cela ne conduit nullement à renoncer à distinguer les savoirs selon leur source, leur méthode de validation, leur degré de généralité, leur cohérence interne, leur ouverture à la controverse et à la vérification intersubjective. Ne pas dénier a priori toute pertinence aux savoirs d’expérience n’est pas leur faire un sort complaisant. C’est essayer de les expliciter, de comprendre leurs fonctions dans l’action et les raisons de leur efficacité dans certaines classes de situations, de les soumettre à la critique, d’en tirer le meilleur parti non seulement pour la formation de compétences, mais pour la recherche.

La formation professionnelle universitaire n’est pas la seule voie, mais il est sûr qu’elle oblige à cette démarche ! C’est l’une des raisons de croire qu’elle ne s’éloigne absolument pas du projet de connaissance fondamentale des sciences humaines et sociales. Au contraire, elle le sert, sans doute autrement qu’à travers une recherche de laboratoire, selon d’autres méthodes, avec d’autres risques.

En insistant sur le travail d’équipe et plus généralement la coopération professionnelle, en valorisant la pratique réflexive et l’engagement des enseignants dans la rénovation de l’école, les sciences de l’éducation scient-elles la branche sur laquelle elles tentent de s’asseoir ? Autrement dit : la professionnalisation du métier d’enseignant est-elle une chance ou une menace pour les sciences de l’éducation et la recherche ? Reconnaître les savoirs professionnels et la capacité de réflexion des praticiens, est-ce se couper des savoirs savants ? Ou y a-t-il complémentarités, synergies, interfécondations possibles ? C’est cette seconde thèse que je défendrai, en attirant l’attention sur les risques :

1. Du côté des praticiens, la professionnalisation et la pratique réfléchie ne sauraient être un slogan ; si on les revendique, on s’oblige à davantage de méthode, de rigueur, de confrontation, de lecture. Les savoirs professionnels ne sauraient se nourrir de la seule expérience personnelle, des évidences du sens commun, ils demandent à la fois une validation intersubjective, un travail entre collègues et une articulation aux résultats de la recherche.

2. À l’inverse, entre déni de toute valeur aux savoirs des praticiens et mise en forme servile et pédante du sens commun, entre dérision et révérence, les chercheurs ont à trouver une ligne médiane.

Aux risques de la complexité

Pour conclure, je dirai qu’entre deux risques, mieux vaut choisir le moindre. Coupées des pratiques éducatives, les sciences de l’éducation courent à leur perte, non seulement par défaut de légitimité sociale, mais parce que leur objet se délite.

Elles peuvent tenter de vivre cette tension de façon schizophénique, leur main droite ignorant ce que fait leur main gauche, la recherche bénéficiant de la formation professionnelle sans s’y intéresser. Il suffit pour cela de séparer la recherche et les cursus universitaires de 3e, voire de 2e cycle, de la formation des enseignants.

Vivre les rapports entre sciences de l’éducation et pédagogies (non moins plurielles) comme un concubinage honteux ou un mariage blanc stérilise les unes et les autres. Mieux vaudrait faire de nécessité vertu !

Parlant des sciences de l’éducation, mais aussi des sciences politiques ou des sciences de gestion, Charlot se demande :

…si, loin de souffrir de faiblesse épistémologique congénitale, ces disciplines nouvelles ne sont pas à l’avant-garde d’une transformation du statut du savoir dans nos sociétés. Si nous devions expliciter cette transformation, nous dirions, dans l’état actuel de notre réflexion et en référence à nos propres recherches, que ces disciplines cherchent une synthèse ou, plus probablement, une articulation entre trois processus épistémiques ordinairement disjoints : celui qui produit des savoirs conceptuels par objectivation et dénomination, celui qui produit du sens par distanciation et régulation réflexive et celui qui est imbriqué dans l’action (Charlot et al., 1995, p. 36).

Il ne s’agit ni de stériliser la pédagogie en la transformant en discipline universitaire, ni de prétendre la remplacer. On peut imaginer des enseignements de pédagogie (ou d’histoire des idées pédagogiques) dans un cursus de sciences de l’éducation, mais ce n’est ni pas suffisant.

Quant à cette " articulation entre trois processus épistémiques ordinairement disjoints " dont parle Charlot, elle ne réduit pas la pratique, ses ambiguïtés et les résistances qu’elle rencontre. à un savoir sur les pratiques. La pédagogie, comme action et pensée de l’action, n’est définitivement pas soluble dans les sciences de l’éducation.

Sans réduire les pédagogies (savoirs pratiques et pratiques théoriques) et les sciences de l’éducation les unes aux autres, pourquoi ne pas les faire vivre ensemble autrement que dans le déni mutuel ou la séparation aseptique. Beillerot (1997) souligne que si la spécificité des deux démarches n’emprunte pas les mêmes voies, " il existe une liaison, un manège qui doit beaucoup à la stratégie et ou chacune se nourrit de l’autre pour renforcer sa légitimité ". Il ajoute :

Les sciences sociales et humaines aujourd’hui, en proposant des discours rationnels renouvelés sur les phénomènes sociaux, participent et contribuent aux changements sociaux mêmes. Dans l’évolution générale de la transformation des fonctions et des métiers, leur rôle devient majeur dès lors que l’on veut bien les mettre à leur vraie place. Ceci signifie qu’elles constituent la " culture " des nouveaux métiers. Si enseigner implique des savoirs pratiques tout à fait nécessaires, qui relèvent chacun pour ce qui le concerne de la sphère de l’action et donc des acteurs-agents, ces savoirs ne suffisent plus, en particulier parce qu’on ne peut plus ignorer, pour bien faire son métier, les contextes, l’histoire, les déterminants sociaux, dans lesquels se déploient les activités pédagogiques. Une culture qui s’apprend donc, pas de n’importe quelle manière et qui laisse les praticiens maîtres de leurs pratiques. Pourrait alors leur être offert un travail réflexif, travail de réflexion pour une pratique a chaque instant terminée et cependant toujours " interminée ". Il s’agit de résister à " plus scientifique que moi tu meurs ! " qui conduit toujours en fin de compte à dévaloriser les praticiens (Beillerot, 1997, p. 81).

Cet " étrange manège " n’est pas exempt d’ambiguïtés et d’illusions, tant du côté des praticiens que des enseignants-chercheurs en sciences de l’éducation. Houssaye, qui définit la pédagogie comme " la théorie pratique de l’action éducative " (1995, p. 28) ne pense pas qu’un savoir sur l’éducation ou même sur la pédagogie puisse déboucher sur un savoir pédagogique, entendu comme savoir praticien. Ce dernier se constitue par un travail incessant de " conjonction/disjonction entre la théorie et la pratique ". Cela n’invalide pas le sens d’une formation en sciences de l’éducation :

Certaines démarches cliniques permettent d’opérer cette conjonction/disjonction entre la théorie et la pratique car elles permettent d’analyser le va-et-vient au moment où il se produit. Certaines reprises réflexives des pratiques des formés (sous la forme de mémoires, par exemple) vont aussi favoriser une démarche proprement pédagogique, mais, cette fois, les lieux de la théorie et de la pratique vont rester dissociés pour la même personne. Certains contenus parmi les savoirs transmis vont aussi permettre aux formés de se distancier par rapport à leurs pratiques, de les analyser, de les questionner et, par là, dans un second temps et en dehors du lieu de formation, de favoriser l’émergence d’un autre savoir-faire qui pourra être expérimenté et réfléchi.

Par conséquent, vues du côté de la pédagogie, les sciences de l’éducation fonctionnent comme un lieu privilégié d’illusions. Sur ce plan-là, les uns (les étudiants) croient y trouver ce qu’ils n’y trouveront pas ; les autres croient y donner ce qu’ils ne peuvent donner. Mais ces illusions sont motrices car, au moins pour les professionnels de l’éducation, les savoirs sur l’éducation et sur la pédagogie qu’ils y rencontrent peuvent servir de moment dans la constitution d’un savoir proprement pédagogique en alimentant le processus de conjonction/disjonction entre la théorie et la pratique pour une personne donnée. Le risque étant que les enseignants comme les étudiants se satisfassent, en matière de pédagogie, des savoirs sur l’éducation et sur la pédagogie et fassent ainsi de la pédagogie avec ce qui n’en est pas (Houssaye, 1995p. 30).

De leur côté, les chercheurs succombent sans doute à l’illusion de croire qu’en travaillant avec des praticiens et en serrant de plus en plus près la complexité des situations éducatives, ils s’approchent d’une véritable compréhension de l’action, non seulement féconde théoriquement, mais pertinente pour le praticien lui-même.

Quant aux ambiguïtés, elles sont nombreuses. Ne mentionnons que la confusion toujours possible entre le savoir théorique et le commentaire savant, réflexif, " intelligent " de l’expérience praticienne rapportée et explicitée dans l’enceinte universitaire.

Peut-être faut-il s’habituer à vivre sans réponse satisfaisante, définitive et consensuelle à la question du rapport entre savoirs savants et savoirs praticiens, entre recherches et pratiques, entre pédagogies et sciences de l’éducation. Non pas pour renoncer à la poser et à en débattre, mais pour cesser d’espérer qu’une soudaine clarté vienne mettre de l’ordre dans le manège, dissipe les illusions, lève les ambiguïtés et introduise de la discipline dans un champ non seulement interdisciplinaire, mais radicalement hétérogène du point de vue des rapports à la théorie et à l’action…

 

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