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Paru in Pour (Revue de la Fédération syndicale unitaire, Paris), n° 65, mai 2000, p. 14.

 

 

 

 

Les pratiques pédagogiques
changent-elles et dans quel sens ?

 

Philippe Perrenoud

Faculté de psychologie et de sciences de l’éducation
Université de Genève
2000

Il est fort difficile de répondre à cette question en général, parce qu’à aucun moment, les pratiques pédagogiques ne sont unifiées. Coexistent dans le même système, dans la même discipline, parfois dans le même établissement, des pratiques extrêmement diverses, les unes en avance sur leur temps (sur la moyenne), les autres dignes du musée. On ne peut que comparer des fréquences, des distributions.

Par ailleurs, seule une recherche empirique longitudinale pourrait fonder des affirmations incontestables. Cela exigerait des dispositifs de recherche très lourds, permettant de suivre l’évolution sur des décennies. La mise en place d’observatoires des pratiques permettra peut-être, à l’avenir, d’objectiver des changements. Dans l’immédiat, on ne peut qu’avancer des hypothèses fondées sur des enquêtes éparses et des observations qualitatives.

1. Les pratiques pédagogiques sont fondées sur des objectifs de niveau taxonomique de plus en plus élevé (par exemple apprendre à apprendre, à raisonner, à communiquer).

2. Elles ont de plus en plus souvent la tâche de construire des compétences, de ne pas s’en tenir aux savoirs.

3. Elles recourent davantage aux méthodes actives et aux principes de l’école nouvelle, aux pédagogies fondées sur le projet, le contrat, la coopération.

4. Elles exigent une discipline moins stricte, laissent davantage de liberté aux élèves.

5. Elles manifestent un plus grand respect de l’élève, de sa logique, de ses rythmes, de ses besoins, de ses droits.

6. Elles s’attachent davantage au développement de la personne, moins à son adaptation à la société.

7. Elles se centrent davantage sur l’apprenant et l’enseignement conçu avant tout comme organisation de situations d’apprentissage.

8. Elles sont plus sensibles à la pluralité des cultures, moins ethnocentriques.

9. Elles prennent de moins en moins l’échec scolaire pour une fatalité et évoluent dans le sens de la différenciation de l’enseignement comme discrimination positive.

10. Elles tendent à faire éclater le groupe classe stable comme unique structure de travail, à composer des groupes de besoin, de projet, de niveau.

11. Elles sont de plus en plus concertées avec d’autres intervenants et une équipe pédagogique, inscrites dans une coopération.

12. Elles sont de plus en plus encadrées ou infléchies au niveau de l’établissement.

13. Elles vont vers une planification didactique plus souple et négociée.

14. Elles donnent davantage de place aux tâches ouvertes et aux situations-problèmes.

15. Elles vont dans le sens d’une évaluation moins normative, plus formative.

16. Elles s’articulent plus facilement avec les pratiques éducatives des parents, à la faveur d’un dialogue plus équilibré.

17. Elles deviennent plus dépendantes des technologies audiovisuelles et informatiques.

18. Elles font plus de place à la manipulation, à l’observation, à l’expérimentation.

19. Elles tendent à devenir réflexives, sujettes à une évaluation et à une mise en question périodique.

20. Elles tiennent plus largement compte de la recherche.

21. Elles changent plus vite, l’innovation se banalise.

22. Elles sont socialement moins valorisées, elles apparaissent à la portée des gens instruits, plus nombreux.

23. Elles sont en voie de professionnalisation, elles se fondent sur des compétences acquises en formation initiale et continue.

Ces tendances correspondent pour une part aux modèles idéaux des militants ou des chercheurs en éducation. Elles attesteraient, si elles étaient confirmés, un certain succès des idées réformatrices. Elles reflètent pour une autre part l’évolution des familles et des relations entre jeunes et adultes dans notre société.

Bien entendu, ce ne sont que des tendances. La professionnalisation du métier d’enseignant - au sens nord-américain - est loin d’être achevée et les systèmes scolaires sont encore peuplés " d’excellents enseignants d’il y a trente ans " (selon l’expression d’un responsable syndical) aussi bien que de praticiens réflexifs en manque d’outils et de maîtrises élémentaires.

 

Références

Perrenoud, Ph. (1996) Enseigner : agir dans l’urgence, décider dans l’incertitude. Savoirs et compétences dans un métier complexe, Paris, ESF (2e éd. 1999).

Perrenoud, Ph. (1999) Dix nouvelles compétences pour enseigner. Invitation au voyage, Paris, ESF.

Tardif, M. et Lessard, C. (1999) Le travail enseignant au quotidien. Expérience, interactions humaines et dilemmes professionnels, Québec, Presses de l'Université Laval et Bruxelles, De Boeck.

 

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