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9 février 2001, pp. 19-25. |
Les trois fonctions de
lévaluation
dans une scolarité organisée en
cycles
Faculté de psychologie et des sciences de
léducation
Université de Genève
2001
La régulation des apprentissages et des parcours
Lévaluation certificative : une obsession prématurée
Évaluer les possibilités dapprentissage dun élève, un enjeu dès lécole primaire
Et linformation des parents ?
Lintroduction des cycles dapprentissage pluriannuels a-t-elle des incidences sur lévaluation des élèves ? Elle le devrait. Un cycle dapprentissage pluriannuel digne de ce nom met nécessairement en crise certaines routines de lévaluation scolaire traditionnelle.
Devant cette crise, on peut prendre trois attitudes :
1. La première, la plus frileuse se contente dajustements limités, faute dambitions fortes pour les cycles, ou simplement pour ne pas effrayer les parents.
2. La seconde met lévaluation au service dapprentissages orientés par des objectifs pluriannuels et visant lindividualisation des parcours de formation (Perrenoud, 2000).
3. La troisième va encore plus loin et met à profit la création de cycles pour faire avancer sensiblement la conception de lévaluation des apprentissages et sortir de certaines impasses.
On devra nécessairement sengager dans cette troisième voie si lintroduction de cycles saccompagne dun réel changement curriculaire. Cest ainsi que si lon formule le programme en termes dobjectifs-noyaux et de satellites, si lon passe à une approche par compétences, si lon crée des domaines pluridisciplinaires ou si lon valorise des compétences transversales, il faudra impérativement créer des moyens dévaluation à la hauteur de ces nouveaux types dobjectifs dapprentissage.
Ajoutons que si les cycles sont conçus avant tout comme des moyens de faire mieux apprendre davantage délèves, cette ambition doit régir la réflexion sur lévaluation. Il ne suffit pas dadapter les routines existantes aux contraintes de fonctionnement dun cycle et de gestion de parcours pluriannuels. Lenjeu est doptimiser les apprentissages grâce à lévaluation formative, outil privilégié dune pédagogie différenciée et dune individualisation des parcours.
On en peut cependant ignorer les autres fonctions de lévaluation. Dans un texte fondateur, Jean Cardinet (1983) avait proposé de distinguer trois fonctions de base de lévaluation : la régulation, la certification et lorientation. Cardinet plaidait pour des instruments dévaluation propres à chaque fonction. Il montrait que les outils polyvalents sont nécessairement moins performants en regard de chacune des fonctions, de la même manière quun " logiciel à tout faire " est moins pointu dans chaque domaine quun logiciel spécialisé.
Les trois fonctions ne renvoient pas nécessairement à des données entièrement différentes. Elles sont simplement orientées vers trois types de décisions, qui se prennent sur des critères différents :
Que deviennent ces trois fonctions dans un cursus scolaire structuré en cycles dapprentissage pluriannuels ? Sont-elles toujours pertinentes ? Si oui, comment sont-elles infléchies ou intensifiées ?
Nous verrons :
On reviendra in fine sur ce quon appelle désormais " évaluation informative ", pour montrer que ce nest pas une quatrième fonction, mais seulement une façon de rendre accessible aux parents ou à ladministration scolaire une partie des informations dont les professionnels ont besoin pour réguler les apprentissages, certifier des acquis ou orienter les élèves.
La création dun cycle dapprentissage pluriannuel semble éloigner les échéances, ce qui pourrait bercer de lillusion quen " donnant du temps au temps ", les apprentissages se feront " naturellement ". Ce serait un grave malentendu sur la vocation des cycles : poursuivre des objectifs dapprentissage à long terme nautorise en aucune manière, bien au contraire, à renoncer à des observations formatives fréquentes et fines, aux fins doptimiser constamment les stratégies pédagogiques et les situations dapprentissage. Si lon espace inconsidérément de telles régulations, on se retrouvera à la fin dun cycle avec des écarts accrus entre élèves, et de moins en moins réversibles.
Jai déjà plaidé (Perrenoud, 1998 b) pour une forte articulation entre cycles pluriannuels et pédagogie différenciée. Lévaluation formative, comme outil de régulation des apprentissages et des enseignements, nest rien dautre quune composante dune pédagogie différenciée. Pour que chaque apprenant soit constamment ou du moins très souvent confronté aux situations didactiques les plus fécondes pour lui, définition très simple de la différenciation (Perrenoud, 1997), il importe que lenseignant sache ce que lélève a compris, acquis, sur quoi il bute, comment il apprend, ce qui laide ou le perturbe, lintéresse ou lennuie, etc. Cest la fonction de lévaluation formative : en savoir assez pour optimiser les situations dapprentissage proposées à chaque élève.
Lévaluation formative peut contribuer à surmonter les trois obstacles fondamentaux que rencontre la pédagogie différenciée dans un cycle (comme dans une classe) :
1. Un enseignant, même bien formé et expérimenté, ayant tout son temps, entièrement disponible pour un seul élève, ne parvient pas toujours à comprendre la nature des difficultés dapprentissage, à imaginer une stratégie adéquate et enfin à la mettre en uvre avec continuité, en lajustant jusquà ce quelle produise des résultats. Lévaluation formative participe alors à la construction dune représentation précise non seulement des acquis de lélève, mais de sa façon dapprendre, de son rapport au savoir, de son projet, de ses ressources. Cest à cette condition que lenseignant pourra donner une réponse satisfaisante à la question : que faire pour aider cet élève à apprendre ?
2. Dans une école, il est impossible, faute de temps, dénergie, de moyens, dactivités suffisamment riches et diverses, doffrir constamment à chacun une " éducation sur mesure ". Cest un problème de gestion de classe et de répartition des ressources rares. On peut optimiser le traitement des différences dans loptique dune pédagogie différenciée, surtout en travaillant en équipe et en cycle, mais on restera loin de lidéal, parce que le rapport entre le nombre denseignants et le nombre délèves restera toujours nettement moins favorable que dans dautres métiers, où la prise en charge est essentiellement individualisée. Lévaluation formative a donc aussi une dimension stratégique : identifier les urgences, les leviers, les problèmes quil faut traiter en priorité. On peut faire le parallèle avec certaines conditions précaires dexercice de la médecine : quand le praticien na pas les moyens dun diagnostic pointu pour chacun, faute de temps, comment choisir ? Faut-il privilégier la demande daide ? la souffrance apparente ? les attentes des parents ? Faut-il se concentrer sur les élèves dont lévolution paraît potentiellement " à hauts risques " ou sattacher à ceux qui ont besoin dun " coup de pouce " ? Un praticien a-t-il, se donne-t-il le droit de ne pas investir démesurément dans des causes désespérées ? Et celui de ne pas intervenir du tout lorsquun processus dautorégulation va probablement se mettre en place ? La rareté des ressources dévaluation formative crée des dilemmes éthiques et appelle des choix stratégiques. Autrement dit : une observation rapide mais pertinente doit commander la décision dapprofondir ou dinvestir ailleurs !
3. Même si les ressources de régulation étaient sans limites, il ne serait ni possible, ni souhaitable, doptimiser constamment les situations dapprentissage proposées à chaque élève, pour des raisons dordre relationnel et affectif autant que cognitif :
Différencier, cest travailler à des dispositif didactiques, à des contrats, à des interventions, à des garde-fous éthiques, mais aussi à des modes dobservation formative qui accroissent les chances de surmonter ces trois types dobstacles.
Lobservation formative intervient dans plusieurs registres de régulation :
Ce dernier aspect dépasse les limites du présent article, car on ne peut le traiter quà lintérieur dune organisation définie du curriculum et du travail durant le cycle, voir lensemble du cursus. Jy reviendrai dans un autre article.
Les trois premiers registres de régulation sont partiellement dissociables du mode prédominant dorganisation du travail dans un cycle. Ils nont pas nécessairement la même pertinence :
Chaque fois, lenjeu de la régulation est doptimiser non pas seulement le fonctionnement didactique, mais surtout le processus dapprentissage en cours, soit par une intervention directe, soit en aménageant les tâches et les conditions dapprentissage.
Lobservation formative passe donc inévitablement :
Bien entendu, il importe, dans toute la mesure du possible, dassocier lélève à ces observations, à la fois parce quil est un informateur privilégié, dont la coopération est indispensable, et parce quil est en fin de compte lacteur principal de la régulation. Si lon pousse ce raisonnement à son terme, on découvrira :
1. Que lévaluation formative est une expression entrée dans les murs, mais peu satisfaisante, pour désigner la prise dinformation qui sous-tend la régulation des processus dapprentissage ; il vaudrait mieux parler dune intervention régulatrice, fondée sur une observation continue et pointue de tous les éléments pertinents pour comprendre et infléchir les processus denseignement-apprentisssage.
2. Que les régulations décisives ne sopèrent en fin de compte que dans lesprit des apprenants, ce qui place toutes les interventions et tous les aménagements dans le registre de laction indirecte sur les processus dautorégulation qui se déroulent dans lesprit de lapprenant.
À noter que lautorégulation na quun rapport lointain avec certaines formes rudimentaires et maintenant banales dautoévaluation. Ce nest pas parce quon demande à lélève de " se mettre une note " ou de remplir son propre bulletin quon provoque des régulations cognitives fortes. Les travaux actuels vont plutôt dans le sens de la métacognition (Allal, 1993 a et b, 1998 ; Grangeat et Meirieu, 1997).
Le développement dans ce domaine passe par des clarifications conceptuelles et théoriques, de la recherche fondamentale, de la recherche-développement, de la recherche-formation, puis une formation, une instrumentation et un accompagnement des équipes et des enseignants. Il ne suffit certainement pas de diffuser des grilles critériées, même bien faites.
Le problème se pose indépendamment des cycles dapprentissage pluriannuels, et les chercheurs et certains praticiens nont pas attendu ces réformes pour travailler sur ces problèmes. Il apparaît toutefois que le fonctionnement en cycle exige des outils et des concepts pointus, pour au moins deux raisons :
Nous ne partons pas de zéro, mais nous sommes loin de disposer des concepts, des outils, des pratiques, des formations nécessaires. Deux illusions au moins devraient être dissipées :
1. La clarification des objectifs de fin de cycle et lénoncé de " balises intermédiaires " ne sont que des conditions nécessaires de la régulation ; il reste à instrumenter les enseignants pour construire des bilans et analyser des progressions en fonction de ces objectifs ; ni la destination finale, ni même la carte, ne disent à un navigateur comment faire le point ou réorienter la trajectoire du navire !
2. Le portfolio de travaux délèves, dans lequel on place aujourdhui de grands espoirs, relève de la mobilisation des apprenants, voire de linformation des parents, davantage que de la régulation des apprentissages. On peut se servir du portfolio comme une base parmi dautre dun dialogue métacognitif, ce nest certainement pas le principal outil dobservation formative.
Bien entendu, tout observation formative a besoin de la coopération maximale de lélève. Mais pour lobtenir, il faut justement que lenseignant en sache beaucoup plus que lapprenant et ne limite pas son analyse à ce dont lélève peut prendre conscience. Tout se passe comme sil importait de faire co-construire le diagnostic plutôt que de le formuler avant de la partager, dans la mesure du possible, avec lapprenant. Prenons un exemple : il est certainement utile de travailler sur les erreurs des élèves (Astolfi, 1997) en les aidant à identifier et nommer les mécanismes récurrents qui les mettent en échec devant une tâche. On peut douter que cela suffise à reconstituer, par exemple, la typologie des erreurs de soustraction construite par Vergnaud (1980) ou lanalyse des erreurs de ponctuation proposée par Fayol (1984).
Lobservation formative, la régulation des conditions dapprentissages et des tâches, la stimulation dautorégulations cognitives et métacognitives sont des pratiques expertes, qui exigent un niveau élevé de conceptualisation, y compris pour faire la différence entre ce que le professionnel sait et ce que lélève ou les parents peuvent saisir. Lobservation formative et la différenciation quelle sous-tend ne relèvent pas du sens commun mais dune formation et dune instrumentation théoriques et pratiques spécialisées, qui condamnent les enseignants à une certaine solitude individuelle et collective, celle des experts. On sen rendra mieux compte au gré de la professionnalisation du métier denseignant.
Une évaluation formative pointue na rien à voir avec la rédaction dun bulletin, elle passe dabord par un ensemble dopérations mentales qui construisent puis utilisent une représentation pointue des objectifs et des processus dapprentissage. Cette représentation sélabore à partir dindices observables et dun dialogue avec les apprenants, mais elle sen dégage, pour interpréter les données au moyen de cadres théoriques et de méthodes qui ne sont pas à la portée dun quidam.
Il est beaucoup plus urgent de créer les bases conceptuelles et méthodologiques de ces représentations que de développer de nouveaux outils. Le danger dune " sur instrumentation " a depuis longtemps été pointé. Allal (1983) a suggéré de chercher une voie médiane entre lintuition et linstrumentation. Mais la tentation demeure, notamment en formation continue, ne serait-ce que pour répondre à la demande des enseignants en exercice. Les instruments nont de vertu que sils accroissent les compétences dobservation et dinterprétation des enseignants !
La conception même des instruments est une source permanente de confusion : renoncer à produire à perte de vue des grilles et à des moulinettes dévaluation formative, fussent-elles assistées par ordinateur, néquivaut en aucun cas à renoncer à des outils conceptuels : une théorie des difficultés dapprentissage, des obstacles cognitifs et affectifs et des interventions et démarches didactiques disponibles. Plus que jamais, lévaluation formative, comme Bain (1988 a et b) le proposait, devrait être au cur des didactiques.
Certifier, cest garantir des acquis à lendroit dun tiers. Un certificat, cest un diplôme, une promesse de connaissances et de compétences. Sa fonction première est de permettre le développement et le fonctionnement dun marché du travail. Cest parce que lemployeur fait confiance au certificat quil peut engager des travailleurs quil na pas lui-même formés. Sans doute ne fait-il pas preuve dune confiance aveugle : il exige des titres, mais procède en outre à une sélection sur dautres critères, puis juge le nouvel employé au travail, au terme dune période dessai. Cependant, si nul travailleur nétait porteur dun certificat de formation ou si la fiabilité de ces diplômes était très médiocre, la mobilité des travailleurs serait faible, comme elle la été, jusquà une période récente, pour les enseignants. Dans cette perspective, certifier na de sens quau moment où un jeune sapprête à quitter lécole pour " entrer dans la vie ", se mettre en quête dun emploi ou dune place dapprentissage en entreprise.
Hélas, le fonctionnement interne du système éducatif est venu brouiller les cartes. Comme toujours, les choses se sont faites par le haut : les universités exigent des diplômes secondaires (baccalauréats ou maturités " académiques "), même si beaucoup ne sen contentent plus. Sur ce modèle, les Hautes Écoles Spécialisées demandent une maturité professionnelle ou académique. Lenseignement supérieur a développé un " marché intérieur ", au sein même du système éducatif, ce qui favorise certes la mobilité des étudiants, mais introduit une certification propre au monde de lenseignement. Les écoles post obligatoires renforcent le processus : les plus sélectives exigent une scolarité obligatoire réussie, voire excellente, et il est tentant dappeler certificative lévaluation qui, à lissue de lécole obligatoire, garantit des acquis, voire lexcellence.
Pourquoi ne pas faire de même à lissue de la scolarité primaire, quand bien même il nexiste quasiment plus de " certificat détudes primaires " ? Et pourquoi ne pas étendre lidée aux degrés et cycles détudes successifs à lintérieur dun cursus ? De proche en proche, de glissements sémantiques en flous artistiques, lévaluation certiticative en est venue à désigner tout bilan de connaissances et de compétences dressé à la fin dune étape de la scolarité. En ce sens, le bilan qui commande la progression dans le cursus ou le redoublement dune étape annuelle peut aussi être considéré comme certificatif. Et pourquoi ne pas reconnaître cette qualité à nimporte quelle épreuve de connaissances ?
La confusion est alors à son comble ! On ne fait pas ipso facto du certificatif parce quon cherche à cerner les acquis dun apprenant. Un bilan est un instrument formatif ou prédictif aussi bien que certificatif. Certes, dresser un bilan formatif chaque semaine naurait guère de sens, car les apprentissages ne progressent pas assez vite. Les bilans doivent donc être relativement espacés. Mais ils ne sont nullement liés à une décision de certification à légard de tiers ou dorientation vers un nouveau cursus. Ils servent à piloter les progressions. A lintérieur dun cycle dapprentissage pluriannuel, tout bilan intermédiaire relève du formatif.
Reste alors la question de fond : un bilan de fin de cycle est-il certificatif ? Répondre oui, ce serait enfermer chaque cycle dans ses propres objectifs et affaiblir la continuité de laction éducative. À lintérieur de la scolarité obligatoire, il ny a aucune raison dinstaurer une évaluation certificative à la fin de chaque cycle. Cela ne pourrait que renforcer lidée que les enseignants qui reçoivent des élèves sont en droit dexiger des élèves dont les acquis sont " certifiés ", garantie quon peut les considérer comme suffisamment homogènes du point de vue de leur " prérequis ". Bien entendu, les enseignants responsables dun cycle :
Il ny a dans tout cela rien de " certificatif ", simplement un passage de témoin, donc des informations. Le contrat des enseignants, dans nimporte quel cycle, est de prendre les élèves comme ils sont et de poursuivre la progression en direction des objectifs de la scolarité obligatoire, ni plus ni moins. On névitera pas les attentes inavouables, les déceptions, les jugement sévères du type " On se demande ce quils leur ont appris avant ". La règle reste de faire avec les élèves tels quils sont et de continuer le travail de formation.
En introduisant une évaluation certificative en fin de cycle, le système renforce lidée que les enseignants en charge du cycle dapprentissage suivant peuvent raisonner comme des employeurs, en droit dattendre quà un diplôme correspondent de " vrais acquis ". Lécole nest pas un marché, chaque cycle nest pas porteur dune logique autonome, il sert la progression vers des objectifs communs qui traversent toute la scolarité de base.
On ferait mieux de sen tenir à la position très sage de la Conférence intercantonale de linstruction publique de la Suisse Romande et du Tessin (CIIP), qui propose " de développer des formules dévaluation qui renforcent lefficacité des apprentissages individuels des élèves et de reporter les échéances dévaluation certificative, les rendez-vous de bilan au terme des cycles scolaires (fin de lécole primaire, fin de la scolarité obligatoire) ".
Jajouterai que certifier des acquis à la fin de lécole primaire na guère de sens aujourdhui, dans des systèmes où tous les élèves poursuivent leur scolarité. Lenjeu est de les orienter (fonction pronostique) plus que de les certifier. Si lon suit cette ligne, les bilans de fin de cycles dapprentissage doivent rester formatifs jusquà la fin de la scolarité obligatoire.
Lorsquil quitte lécole primaire, aujourdhui aucun élève ne quitte lécole. Lécole primaire est devenue lécole première dans les pays développés, tous les élèves entrent au secondaire, pour y achever leur scolarité obligatoire, avec des professeurs spécialisés, parfois dans des classes hétérogènes, souvent encore dans des filières hiérarchisées ou un système de cours à niveaux et options.
Si le secondaire maintient des classes hétérogènes, ne serait-ce que le temps dun cycle dobservation, le bilan de fin de primaire ne commande aucune décision dorientation-sélection. Si les élèves sont répartis en filières et niveaux, immédiatement, lévaluation de fin de primaire est mise au service dune décision lourde de conséquences.
Devient-elle pour autant certificative ? Non, car la question pertinente nest pas de garantir des acquis, mais destimer les chances de réussite dun élève dans tel ou tel cursus. Bien entendu, ce jugement se fonde aussi sur un bilan des acquis, mais ce nest pas le seul critère. Le même bilan na pas le même sens selon lâge de lélève, ses projets, sa volonté dessayer et daffronter un risque déchec, sa trajectoire récente, les appuis dont il dispose hors de lécole et divers paramètres psychosociologiques.
Comme Jean Cardinet le démontrait il y a près de vingt ans, certifier des acquis ne garantit pas une bonne orientation, car les acquis ne sont pas les seuls et parfois pas les meilleurs prédicteurs de la réussite ultérieure. Cest vrai en particulier lorsque lon passe à lécole secondaire (multiplication des disciplines et des professeurs, horaires et rythme de travail plus lourds, pédagogies plus frontales, évaluation normative omniprésente, devoirs à la maison importants, parents moins à laise face aux programmes) et lorsquon se trouve à des moments charnières du développement opératoire, comme cest le cas à la fin du primaire.
A-t-on recours à une évaluation pronostique avant la fin du primaire ? Certainement au moment de décider dun passage dans lenseignement spécialisé ou au contraire dune réintégration. Sans doute lorsquon prend la décision de faire sauter une classe à un élève précoce.
En fait, les décisions de redoublement ou de promotion en fin dannée relèvent aussi du pronostic, même si on na pas lhabitude de les concevoir de la sorte. Sil fallait, pour être promu, faire preuve dune maîtrise satisfaisante du programme dune année, les taux de redoublement seraient impressionnants, peut-être supérieurs à 25 %, comme dans certaines filières post obligatoires. La décision de redoublement est en fait une décision dorientation, fondée sur un pronostic : sil passe au degré suivant, a-t-il des chances de combler ses lacunes, de refaire son retard, ou au minimum de poursuivre sa progression ? Où sera-t-il au contraire à ce point démuni que cela na pas de sens ?
Durant la scolarité primaire, cest exactement en ces termes, donc sur la base dune évaluation pronostique, quil faut concevoir le passage dun cycle dapprentissage au suivant. Et il ny a pas lieu de raisonner tout à fait différemment au moment de lentrée au secondaire. Léventail des choix est simplement plus large, puisquon peut passer au cycle suivant en étant orienté vers des filières ou niveaux de difficulté inégale.
Poser le problème en ces termes nest pas le résoudre. La prise de risque demeure. Mais on sorganise pour réunir tous les éléments dappréciation, parmi lesquels le bilan des acquis, un critère parmi dautres.
Notons encore quà lintérieur dun cycle pluriannuel, lévaluation pronostique est courante, lorsquon travaille en groupes de niveaux ou de besoins, en modules ou simplement pour répartir des élèves judicieusement entre des activités inégalement exigeantes. À la limite, elle se confond avec lévaluation " proactive " (Allal, 1988), celle qui préside à une orientation de lélève vers une tâche à sa mesure et potentiellement féconde.
On aurait donc tort de réserver la réflexion sur lévaluation pronostique au seul passage du primaire au secondaire. Le pilotage des parcours en relève !
On sétonnera sans doute de ne pas voir retenue linformation des parents comme quatrième fonction de lévaluation. On parle aujourdhui volontiers dévaluation informative, au point de présenter linformation comme la troisième fonction de lévaluation, en oubliant la fonction pronostique.
Les parents sont intéressés au premier chef par la certification et lorientation de leurs enfants. La régulation en cours de parcours, qui porte en elle à la fois des éléments de bilan, de suivi et de pronostic, les concerne tout autant. Elle semble répondre à des questions omniprésentes : mon enfant a-t-il les moyens et la volonté dapprendre ? suit-il le programme " normalement " ? va-t-il réussir ? a-t-il des chances daccéder au degré ou cycle suivant ou aux filières secondaires les plus enviables ?
Faut-il pour autant parler dévaluation informative ? Lexpression nest pas très heureuse, car informer les parents ne devrait pas exiger une forme spécifique dévaluation. Il suffit de porter à la connaissance des parents, sous des formes et avec un degré de détail correspondant à leurs besoins, des données déjà disponibles et dont les enseignants ont de toute façon besoin pour faire leur travail. Cest ainsi quun médecin na aucune raison de développer un diagnostic à lusage exclusif des patients, il se borne à leur faire part de ce quil constate et pense. Lidée dévaluation informative suggère à tort quil serait opportun de procéder à une évaluation spécifique, qui ne serait faite que pour informer les parents
Pour lever toute confusion, mieux vaudrait mieux distinguer plusieurs phases :
1. les professionnels de lenseignement-apprentissage évaluent les élèves pour guider leurs apprentissage et les interventions pédagogiques de façon optimale (fonction de régulation) ;
2. ils associent les élèves à certaines des opérations de prise de données et dinterprétation et ils leur communiquent une partie des résultats, sous des formes diverses, souvent orales, appropriées à leur âge, à leur compréhension et aux stratégies de mobilisation adoptées (fonction dinformation-mobilisation) ;
3. les enseignants communiquent spontanément aux parents une partie des informations quils détiennent, sans cacher le reste, mais en ne le divulguant quà la demande (rôle dinformation) ; ils font de même vis-à-vis des autorités auxquelles ils rendent des comptes et des collègues qui " reprennent " leurs élèves en fin de cycle ou en cas de changement décole.
Sur le sens de cette dernière phase, les confusions conceptuelles sont nombreuses et persistantes. Elles conduisent les systèmes scolaires qui introduisent des cycles à investir une énergie démesurée dans linformation des parents, plutôt que de la considérer comme une forme de partage des données évaluatives qui sont de toute façon nécessaires au professionnel pour piloter les apprentissages et les parcours de formation.
Je tenterai dans un autre article de montrer que linformation des parents est légitime, mais que ce nest pas une fonction nouvelle de lévaluation. Si lécole ne parvient pas à renverser la logique actuelle, pour faire de linformation aux parents un dérivé des informations recueillies à des fins formatives, certificatives ou pronostiques, elle passera de plus en plus de temps à produire une information spécifique destinée aux parents, consommateurs de plus en plus exigeants, et de moins en moins à cerner ce qui permet de mieux faire apprendre.
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