Source et copyright à la fin du texte
 In Recherche & Formation, " Le praticien réflexif. La diffusion d'un modèle de formation ", 2001, n° 36, pp. 131-162. Repris dans Perrenoud, Ph. Développer la pratique réflexive dans le métier d'enseignant. Professionnalisation et raison pédagogique, Paris, ESF, 2001.

 

 

 

De la pratique réflexive
au travail sur l’habitus

 Philippe Perrenoud

 Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation
Université de Genève
2001

 

Sommaire

Sous la pratique… l’habitus

La prise de conscience et ses moteurs

De la prise de conscience au changement

Références


 

La pratique réflexive postule implicitement que l’action fait l’objet d’une représentation. L’acteur est supposé savoir ce qu’il fait, il peut donc s’interroger sur les mobiles, les modalités et les effets de son action.

Que devient la réflexion lorsque son son objet se dérobe, lorsque sa propre action échappe à l’acteur ? Non parce qu’il serait sous hypnose ou dans un état second. Non parce qu’il n’aurait aucune idée de ce qu’il fait. Mais parce qu’il ne sait pas exactement comment il le fait et n’a pas, au quotidien, de pressantes raisons d’en prendre conscience.

Par son histoire, le paradigme réflexif s’ancre à l’origine dans les métiers techniques ou scientifiques. Or, lorsqu’un ingénieur fait des calculs, lorsqu’un architecte trace des plans, lorsqu’un médecin planifie un traitement, le caractère éminemment rationnel des procédures masque le caractère partiellement inconscient de l’activité. La dimension réflexive n’y rend pas nécessairement sensible, puisqu’elle porte d’abord sur les écarts délibérés à la procédure, fondés sur l’expérience et une forme d’intuition (Petitmengin, 2001). En réalité si l’on tente d’analyser, par exemple avec l’approche de Vermersch, ce que l’on entend par " sixième sens ", know how, insignt, vista, Gestalt et autres façons de nommer une pensée qui ne suit pas les règles de l’art, on retrouve probablement le préréfléchi et l’inconscient pratique.

Il se peut que l’insistance sur la composante réflexive, associée à la lucidité et à la pensée consciente, ait empêché Schön et ses émules de reconnaître ouvertement que toute action complexe, même si elle est, en apparence, essentiellement logique ou technique, n’est possible qu’au prix de fonctionnements inconscients. Dans les métiers de l’humain, les professionnels se défendent moins contre cette idée, mais peut-être pour une mauvaise raison : la dimension intersubjective évoque les mécanismes de défense et de refoulement, donc l’inconscient freudien. Or, c’est d’inconscient pratique qu’il s’agit, celui que traquent depuis quelques années les travaux sur l’action préréfléchie basés sur l’entretien d’explicitation (Vermersch, 1994 ; Vermersch et Maurel, 1997) et les travaux d’ergonomie, de psychologie et de sociologie du travail visant une analyse fine de l’activité (Clot, 1995, 1999 ; Montmollin, 1996 ; Jobert, 1998, 2000 ; Terssac, 1992 ; 1996). On rejoint inévitablement la théorie piagétienne de l’inconscient pratique et des schèmes (Piaget, 1973, 1974 ; Vergnaud, 1990, 1994, 1995) et son pendant sociologique, la théorie de l’habitus, associée à l’œuvre de Bourdieu (1972, 1980), rediscutée récemment par Lahire (1998, 1999) et Kaufmann (2001), ou encore prolongée par des philosophes (Bouveresse, 1996 ; Taylor, 1996).

On entrevoit aussi une jonction avec les travaux sur le transfert et les compétences, qui mettent l’accent sur des processus de mobilisation de ressources cognitives qui demeurent largement inconscient, sinon dans leur existence, du moins dans leur fonctionnement. Cette " alchimie étrange ", dont parle (Le Boterf, 1994), n’est rien d’autre que le fonctionnement de l’habitus qui, confronté à une situation, prend en charge une série d’opérations mentales qui vont assurer l’identification des ressources pertinentes, leur transposition éventuelle, leur mobilisation orchestrée pour produire une action adéquate. L’alchimie est étrange parce que la " grammaire génératrice des pratiques " n’est pas une grammaire formalisée (Perrenoud, 2000 a).

La conjugaison de ces divers courants permettra de poser et peut-être de commencer à résoudre la question qui nous occupe ici : comment articuler le paradigme réflexif et la reconnaissance d’un inconscient pratique ? Le problème se pose d’un point de vue théorique (Perrenoud, 1976, 1987, 1994 a, 1996 a, 1999) aussi bien que dans le cadre de la formation des enseignants (Faingold, 1993, 1996 ; Perrenoud, 1994 a, 1996 b).

Peut-on réfléchir sur son habitus ? Au prix de quel travail de prise de conscience ? Et où cette réflexion mène-t-elle ? Donne-t-elle prise sur ses schèmes ou se borne-t-elle à nourrir des étonnements, des hontes, des malaises ? 

L’illusion de l’improvisation et de la lucidité

Toute réflexion sur sa propre action ou celle d’autrui contient en germe une réflexion sur l’habitus qui la sous-tend, sans que le concept et encore moins le mot ne soient en général utilisés. Chacun sait qu’il met en jeu des dispositions stables qu’il nommera son caractère, ses valeurs, ses attitudes, sa personnalité, son identité. De là à accepter que ce qui sous-tend son action lui échappe en partie, il y a un pas que nul ne franchit volontiers.

Notre culture individualiste favorise ce que Bourdieu a nommé " l’illusion de l’improvisation ". Chacun imagine qu’il " invente " ses actes, sans percevoir la trame assez constante de ses décisions conscientes et plus encore de ses réactions dans l’urgence ou la routine. Il est difficile de mesurer le caractère répétitif de ses propres actions et réactions, et plus difficile encore de percevoir les effets négatifs d’une façon réitérée d’ignorer, d’effrayer ou de ridiculiser tel élève, de formuler des consignes, d’empêcher les apprenants de réfléchir par eux-mêmes en devançant leurs questions, etc.

Chacun résiste à l’idée qu’il est mû par son habitus sans en avoir conscience et plus encore sans parvenir à identifier les schèmes en jeu. Notre désir de maîtrise nous pousse à surestimer la part du conscient et du rationnel dans nos mobiles et nos actes. Nous pouvons certes admettre qu’il est parfois plus efficace ou expéditif d’agir sans trop réfléchir, de laisser jouer des " automatismes ". Mais nous aimerions croire que c’est un renoncement délibéré, que nous pourrions reprendre le contrôle à condition de le vouloir.

Or, il n’en est rien. La prise de conscience se heurte assez vite à l’opacité de l’action elle-même et plus encore des schèmes qui la sous-tendent. Elle exige un travail de l’esprit, elle ne devient possible qu’à condition de prendre du temps, d’adopter une méthode et des médiations appropriées (vidéo, écriture ou entretien d’explicitation, par exemple). Cette tentative peut échouer, car elle se heurte parfois à de puissants mécanismes de dénégation et de défense.

Il n’est jamais simple de mettre en question, dans la réflexion sur l’action, la part de soi même que l’on connaît et que l’on assume. Il est encore plus difficile et inconfortable d’étendre la réflexion à la partie préréfléchie ou inconsciente de notre action. Nul n’ignore que ce qu’il fait est, en dernière instance, l’expression de ce qu’il est. Nul n’est entièrement aveugle à l’intérêt qu’il aurait à avoir accès à la grammaire génératrice de ses pratiques les moins réfléchies. Toutefois, même le praticien le plus lucide préfère interroger ses savoirs, son idéologie, ses intentions plutôt que ses schèmes inconscients.

Notre vie est faite de répétitions partielles. Les situations ne varient pas au point de nous obliger, chaque jour, à inventer de nouvelles réponses. L’action est souvent une reprise, avec des variations mineures, d’une conduite déjà adoptée dans une situation similaire. La répétition, même si elle est moins exaltante que l’invention permanente de la vie, est au cœur du travail et de toute pratique, même si les micro variations appellent de micro ajustements des schèmes. Si une posture et une pratique réflexives ont pour sens de réguler l’action, il n’y a donc aucune raison qu’elles s’arrêtent au seuil de la partie la moins consciente de l’habitus. Reste à savoir si une prise de conscience doublée d’une réflexion peut donner prise sur cette partie de soi-même.

Apprendre de l’expérience

L’être humain est capable à la fois d’improviser devant des situations inédites et d’apprendre de l’expérience pour agir plus efficacement lorsque des situations analogues se présenteront. Cet apprentissage résulte, sous sa forme la plus banale, d’une forme d’entraînement : la réaction sera d’autant plus rapide, plus assurée, plus efficace que l’acteur évite mieux les erreurs et hésitations des premières fois. Cet entraînement peut être involontaire, se limiter à un ajustement progressif, par essais et erreurs ; il peut, à l’autre extrême, passer par un travail réflexif délibéré et intensif, consenti pour que, la prochaine fois, le praticien soit mieux " préparé ", parce qu’il se sera, dans l’intervalle, exercé par anticipation, à la manière dont un pilote de rallye ou un skieur parcourent mentalement la route ou la piste avant le départ. " Travailler le geste " revient alors à affiner, différencier ou mieux coordonner les schèmes perceptifs et moteurs dont le geste est la mise en œuvre.

Lorsqu’on s’intéresse à une pratique où " dire, c’est faire ", où la portée des gestes est avant tout symbolique, il paraît vain d’accroître à l’infini la perfection des gestes, au sens strict du mot. Leur efficacité dépend du sens qu’autrui leur donne. Certes, la netteté, l’assurance, la précision, l’élégance des gestes de l’enseignant ne sont, pas plus que sa voix, sa posture ou ses vêtements, étrangers à sa présence en classe, et à la façon dont se noue la relation pédagogique. Mais les " gesticulations " du pédagogue n’épuisent pas sa pratique.

Peut-on étendre le raisonnement à des actions qu’on ne saurait réduire à des mouvements biens maîtrisés et coordonnés ? Si la notion de geste professionnel, centrale dans certaines approches de la formation des enseignants, n’est pas une métaphore irrecevable, c’est justement du fait de l’unité de ce qui sous-tend l’action humaine : des schèmes qui ne changent pas radicalement de nature, de mode de genèse et de mode de conservation selon qu’il s’agit d’une action visible ou d’une conduite plus complexe, symbolique et en partie inaccessible à l’observation directe.

Par ailleurs, plus on s’éloigne de situations stéréotypées, plus la répétition obsessionnelle du geste, qu’il soit physique ou symbolique, devient dérisoire. La pratique pédagogique est une intervention singulière, dans une situation complexe qui ne se reproduit jamais de façon strictement identique. Sans doute retrouve-t-on des points communs, mais jamais assez pour qu’il soit pertinent de perfectionner des automatismes, sauf à propos de petites choses, par exemple l’utilisation du tableau noir ou du rétroprojecteur. Dans le domaine de l’action symbolique, l’enseignant doit s’adapter à des situations partiellement inédites, même s’il y a toujours des analogies et donc une possibilité de réinvestir ou de transposer des éléments de réponse déjà construits.

Le paradoxe est sans doute que, pour ajuster l’action à ce que la situation a de singulier, il importe de prendre conscience de ce qu’elle a de banal. C’est en effet cette familiarité qui mobilise des schèmes construits et dissuade l’acteur de se poser des questions et de délibérer.

On pourrait dire que la pratique réflexive, non contente de se heurter à l’opacité de notre habitus, est appauvrie par la rapidité et l’efficacité avec lesquelles nous gérons les situations quotidiennes.

Apprendre de l’expérience consiste certes à se servir de moments d’exception pour comprendre qui l’on est et ce que l’on vaut. Mais c’est tout autant se décentrer par rapport aux schèmes, au prêt-à-penser, au prêt-à-réagir qui nous dispense en temps ordinaire de trop se poser de questions avant d’agir.

Cette économie d’énergie et de doute est appréciable, mais elle peut figer le praticien dans une expérience qui ne lui apprend rien, faute d’être élaborée, interrogée, mise en mots. Il n’y a pas de pratique réflexive complète sans dialogue avec son inconscient pratique, donc sans prise de conscience !

Passer d’une réflexion sur l’action à un travail sur la partie la moins consciente de son propre habitus ne va nullement de soi. Un praticien réflexif peut s’enfermer dans une vision très rationaliste de l’action. Ou, s’il a une culture psychanalytique, s’en tenir à un inconscient freudien et considérer qu’il n’est à l’œuvre que dans des situations à fortes composantes relationnelles et émotionnelles. Même s’il accepte d’être fait de mille routines qui, sans être refoulées, fonctionnent en partie à son insu, il ne lui est pas facile d’en prendre conscience.

Il n’est donc pas sans intérêt d’explorer les rapports entre la réflexion sur l’action et le travail sur l’habitus.


Sous la pratique… l’habitus

 La réflexion dans l’action (Schön, 1994, 1996) peut contribuer à infléchir le processus en cours. La réflexion sur l’action se déroule plutôt dans l’après-coup, immédiat ou plus tardif. Elle revient par la pensée sur une action accomplie. Que peut-elle en faire ?

L’action est par essence fugitive, elle naît, se développe, s’éteint, comme on dit d’une action en justice. Il n’en reste que des traces, les unes dans la mémoire de l’acteur, les autres dans son environnement, y compris l’esprit de ses partenaires ou adversaires du moment. Peu importe que tout se joue en une fraction de seconde ou en plusieurs semaines : une fois achevée, l’action appartient au passé, on ne peut que la reconstituer, à la lumière des témoignages qu’apportent les personnes, les écrits et les traces matérielles, à la manière dont un juge d’instruction se transporte sur les lieux du crime, dont un historien ou un journaliste reconstruisent des conduites à partir de témoignages et d’indices.

Il y toujours décalage entre l’action et sa représentation a posteriori, partiale et fragmentaire, produit d’une reconstruction qui, elle, n’est jamais définitive. Une nouvelle expérience, un nouvel essai, un nouveau savoir, un nouveau contexte peuvent éclairer rétroactivement une action passée, changer son sens, la placer dans une autre perspective. Sa représentation peut s’enrichir en fonction d’un travail délibéré d’investigation, d’analyse, de reconstruction, ou de façon plus inconsciente, au gré de processus de rationalisation et de schématisation caractéristiques de notre mémoire. La représentation de l’action s’appauvrit au gré de l’oubli ou du refoulement, qui effacent ou estompent les traces et les souvenirs. De plus, une action située se fond souvent dans une famille d’actions semblables et perd ses caractéristiques singulières.

Si la mémoire de l’action peut évoluer, sa " réalité objective " est au contraire à jamais figée. C’est pourquoi nul ne peut, au sens strict, retravailler une action, à la manière dont un sculpteur, un peintre, un musicien ou un auteur " reprennent " une œuvre en gestation, jusqu’à ce qu’ils en soient las ou satisfaits. Ce qu’on fera demain est une action nouvelle.

 

Ce qui sous-tend l’action

 Travailler sur sa pratique, c’est donc en réalité travailler sur une famille d’actions comparables et sur ce qui les sous-tend et en assure une certaine invariance, c’est, comme le danseur, l’athlète, le comédien ou l’amant, se préparer à faire mieux ou autrement " la prochaine fois ". C’est à la fois se souvenir et tenter d’anticiper, c’est réfléchir à l’action à venir en fonction de l’action achevée.

Un artisan, un artiste, un sportif disent qu’ils travaillent chacun de leurs gestes, aussi bien que leur coordination. Ce travail sur la perfection du geste, mille fois recommencé, pourrait donner à croire qu’on " sculpte " directement l’action. En réalité, on travaille :

Parmi ces dispositions relativement stables, on s’en tiendra ici à la dernière catégorie, en utilisant la notion d’habitus pour désigner l’ensemble des schèmes dont dispose un individu à un moment déterminé de sa vie.

Bourdieu (1972, 1980), après Aristote et Saint Thomas (Héran, 1987 ; Rist, 1984), définit l’habitus comme la " grammaire génératrice " des pratiques d’un acteur, autrement dit comme un " système de dispositions durables et transposables qui, intégrant toutes les expériences passées, fonctionne à chaque moment comme une matrice de perceptions, d’appréciations et d’actions, et rend possible l’accomplissement de tâches infiniment différenciées, grâce aux transferts analogiques de schèmes permettant de résoudre les problèmes de même forme " (Bourdieu, 1972 pp. 178-179).

Vergnaud (1990, p. 136) appelle schème " l’organisation invariante de la conduite pour une classe de situations donnée ". Ce qui est très proche de la classique définition piagétienne : " Nous appellerons schèmes d’action ce qui, dans une action, est ainsi transposable, généralisable ou différenciable d’une situation à la suivante, autrement dit ce qu’il y a de commun aux diverses répétitions ou applications de la même action " (Piaget, 1973, pp. 23-24).

La notion d’habitus souligne l’intégration des schèmes en un système, en une " grammaire génératrice " de nos pensées et de nos actes. L’habitus étant un ensemble de dispositions intériorisées, on ne saisit que ses manifestations, à travers des actes et des façons d’être au monde. L’existence des schèmes ne peut être qu’induite par un observateur, à partir de la relative stabilité des conduites d’un sujet dans des situations analogues. Ainsi, en constatant à maintes reprises qu’un enseignant hésite à sanctionner les élèves déviants et diffère toute répression aussi longtemps que possible, l’observateur en conclut qu’il existe une structure stable (schème ou configuration de schèmes et d’attitudes), qui autorise à prévoir assez correctement la conduite du sujet dans une situation de même type.

Soulignons qu’un schème lui-même n’est pas une connaissance, au sens d’une représentation du réel. Vergnaud le considère comme une " connaissance-en-acte ", affirmant ainsi, paradoxalement, que ce n’est pas une connaissance, au sens ordinaire du mot. C’est la structure cachée de l’action, son invariant, dont le mode de conservation est assez mystérieux, une forme de mémoire différente de la mémoire d’évocation, une " mémoire du corps ", en fait un ensemble de traces dans le système nerveux central et le cerveau, qui fonctionne sans que le sujet ait à " s’en souvenir ". Ce qui explique que nombre de nos schèmes de pensée et d’action échappent à notre conscience.

 

L’inconscient pratique

 L’habitus relève pour une part d’un inconscient que Piaget (1964) a qualifié de pratique. Selon Vermersch :

Un des points importants à souligner est que cette approche, en termes de prise de conscience, définit un inconscient particulier qui n’a pas besoin, pour être conçu, de l’hypothèse du refoulement propre à la démarche freudienne. Cet inconscient ou, de manière plus descriptive, ce non-conscient se définit par le fait qu’il correspond à des connaissances préréfléchies, c’est-à-dire des connaissances que le sujet possède déjà sous une forme non conceptualisée, non symbolisée, donc antérieure à la transformation qui caractérise la prise de conscience.

En ce sens, la théorie de la prise de conscience de Piaget est en même temps une théorie du non-conscient cognitif normal.

Ce qui est fondamental c’est que l’on a ainsi défini une catégorie de non-conscient qui est conscientisable. C’est-à-dire dont on sait pouvoir, moyennant une conduite particulière qui constitue un véritable travail cognitif (mais pas une cure), amener à la conscience (Vermersch, 1994, pp. 76-77).

 Y a-t-il deux inconscients ? L’un serait accessible à la prise de conscience au prix d’un travail patient, mais qui ne menace pas le sujet. L’autre, celui qui occupe la psychanalyse, serait d’accès beaucoup plus difficile, parce que le sujet, qui pourtant souffre et choisit volontairement la cure, mobilise en même temps toute son énergie pour ne pas savoir.

Il nous semble plus fécond de soutenir que l’habitus est unique, mais que la prise de conscience de tel ou tel schème ou ensemble de schèmes suppose un travail de l’esprit qui diffère selon la nature de l’action, d’une part, les enjeux de la prise de conscience, d’autre part. On peut imaginer :

Entre ces extrêmes, on situera l’ensemble des schèmes dont la prise de conscience, sans ébranler les fondements de l’identité et de la personnalité, pourrait faire vaciller un instant l’image de soi, blesser l’amour-propre ou altérer le confort moral du sujet. Lorsqu’il prend conscience d’un schème d’action qui lui permet d’exclure ou d’humilier régulièrement autrui sans en assumer la responsabilité, l’acteur concerné ne se sent pas très fier de soi. Même un schème apparemment innocent, qui sous-tend par exemple une erreur répétitive d’estimation ou d’anticipation, peut susciter un moment d’embarras lorsqu’il devient conscient.

Peut-être faudrait-il distinguer la résistance à la prise de conscience d’un simple schème de pensée ou d’action, de la résistance à la prise de conscience du système de pensée ou d’action dont ce schème est solidaire, et surtout de l’économie psychique et des mobiles dont il témoigne, et des expériences inacceptables ou douloureuses auxquelles renvoie sa genèse, que ce soit dans la petite enfance (approches psychanalytiques classiques) ou dans les conditions de vie actuelles (approches systémiques de l’école de Palo Alto par exemple). Prendre en compte le système dont participe un schème serait sans doute pertinent même dans des domaines où les enjeux " psychodynamiques " sont moins vifs. Il est sûr par exemple que certains schèmes producteurs d’erreurs font système et défient donc une intervention didactique ponctuelle. C’est leur cohérence qui assure leur stabilité et l’envie de la préserver qui fonde la résistance à la prise de conscience.

Autre complexité : la même action relève le plus souvent à la fois de la conscience et de l’inconscient, qu’il soit purement cognitif ou non :

Il n’y a donc pas un champ où la pratique réflexive renverrait purement et simplement à des informations, des représentations, des savoirs et des techniques explicites, et un autre où prévaudrait le non conscient. Le mélange est permanent. Les opérations mentales portent sur des états de conscience, mais elles les produisent et les font évoluer, dans une large mesure, par la mise en jeu de schèmes inconscients. Aucune action matérielle ne se déroule sans faire appel à des régulations fines qui relèvent de l’inconscient pratique.

C’est dire qu’une pratique réflexive qui s’étendrait à l’habitus affronte une complexité effrayante.

 


La prise de conscience et ses moteurs

Le sujet n’accède pas directement aux schèmes eux-mêmes, il s’en construit une représentation, qui passe par un travail de prise de conscience.

La question fondamentale est de savoir si la prise de conscience reste un épiphénomène ou si, à certaines conditions, elle permet au sujet d’avoir prise sur son propre habitus. On pourrait appeler schéma la résultante du travail de prise de conscience d’un schème (Perrenoud, 1976). Bien entendu, le concept de schéma n’admet aucune définition stable. Certains auteurs parlent indifféremment de schème et de schéma. D’autres parlent d’un schéma d’action comme d’un plan, d’un scénario, d’un script inconscient (Raynal et Rieunier, 1997). Détourner, pour désigner des processus qui peuvent rester inconscients, des vocables de la vie quotidienne (plan, scénario, schéma ou script) qui évoquent une planification consciente de l’action, me paraît une source majeure de confusion (les notions d’habitus ou de schème évitent ce travers). Il me semble plus clair de conserver à ces concepts leur sens commun, lié à l’intentionnalité de l’action. Dans cet esprit, je définirai un schéma comme une représentation simplifiée du réel, ici d’une action ou d’une suite d’actions. Lorsqu’un schéma d’action s’élabore par prise de conscience de la structure invariante d’une action, donc du schème qui la sous-tend, il ne supprime pas ipso facto le schème, qui peut continuer à fonctionner à l’état pratique, et il ne s’y substitue pas nécessairement dans le contrôle de l’action.

Or, une élaboration réflexive et métacognitive n’a de sens que si elle donne à l’acteur une certaine maîtrise de son inconscient pratique. À quoi bon savoir comment on fonctionne si l’on ne parvient pas à changer ? L’espoir d’avoir prise sur son inconscient pratique est le principal moteur de la prise de conscience. Si cet espoir est déçu, l’acteur n’a aucune raison de persister.

C’est pourquoi il importe d’identifier les conditions de la prise de conscience et ses chances de donner une certaine maîtrise du changement. Il apparaît que la prise de conscience est inégalement probable selon  :

Les procédures incorporées résistent moins que les schèmes construits au gré de l’expérience. 

Les procédures incorporées

Certains schèmes se développent au gré de la mise en pratique régulière d’une procédure ou plus généralement de l’adoption d’une " habitude sociale " (Kaufmann, 2001). Une procédure ou une coutume peuvent guider une action précise et adéquate, mais elle ne deviendra efficace, rapide et sûre qu’à l’issue d’un entraînement qui, en quelque sorte, transforme la connaissance procédurale en schème. L’incorporation et la routinisation d’une procédure dispensent progressivement d’y faire référence. La règle ne revient en mémoire que pour faire face à un incident critique, qui met le schème en échec, à une divergence de vues ou à un simple étonnement, par exemple lorsqu’un tiers s’exclame " Ah, tu t’y prends de cette façon. Pas moi ! " De la même manière, lorsqu’un schème est né de la routinisation progressive d’une procédure, le travail réflexif peut en déclencher son rappel.

Ce rappel semble faciliter la prise de conscience, mais il peut aussi empêcher une perception lucide du schème. En effet, même s’il est à l’origine issu d’une procédure, un schème " vit sa vie ", au gré de l’expérience. Il se différencie, s’enrichit, se complexifie ou au contraire s’étiole, se dégrade, s’abâtardit en fonction des exigences de l’action. Il s’éloigne de la procédure initiale, sans que cet éloignement soit conscient. Le schème actuel n’est donc pas véritablement saisi par la reconstitution de la procédure initiale.

 

Les schèmes construits au gré de l’expérience

D’autres schèmes se construisent au gré de l’expérience, sans jamais avoir été la traduction d’une procédure explicite. Alors, à proprement parler, le sujet ne sait pas comment il fait.

Il peut vivre avec ce " mystère " parce que, dans une large mesure, ces schèmes se greffent sur une action consciente et rationnelle dont ils assurent la réussite à l’insu de l’acteur :

Dire qu’un opérateur de conduite de centrale nucléaire ou qu’un informaticien met en œuvre des actions " non conscientes, non conceptualisées " paraît relever de l’absurde. Mais cette objection confondrait les savoirs théoriques fondant l’action, les savoirs procéduraux systématisés et formalisés qui, eux, sont nécessairement conceptualisés (ou en tous les cas l’ont été au moment de leur acquisition), avec ce que Malglaive (1990) appelle les savoirs d’usage qui se sont construits à partir de l’action, dans l’action et qui ne sont pas ou peu formalisés.

Autrement dit, dans toute action, même la plus abstraite, la plus déjà conceptualisée du fait des connaissances et des objectifs dont elle suppose la maîtrise, il y a une part de connaissances, de pensée privée, qui n’est pas formalisée et conscientisée (Vermersch, 1994, pp. 72-75).

 Le degré d’expertise dépend de cette part peu formalisée, qui est variable d’un acteur à l’autre, alors que tout le monde a accès aux mêmes procédures. Il ne suffit donc pas de réaffirmer ou de réexpliquer les règles, puisque le problème se situe en deçà ou au-delà des règles. Ce qui rejoint la conception de la compétence développée en ergonomie, comme maîtrise de l’écart entre le travail prescrit et ce qu’il faut réellement faire pour assurer la performance (Jobert, 1998, 2000).

Nous avons distingué ailleurs (Perrenoud, 1996 b) diverses modalités selon lesquelles des schèmes largement ou totalement inconscients se mêlent à l’action rationnelle et/ou y suppléent :

Il serait donc fallacieux de se représenter l’acteur ordinaire comme la coexistence du Dr Jekyll et de Mr Hide. L’inconscient pratique n’est pas une face cachée de notre existence, il se niche dans une large mesure dans les replis de nos actions conscientes. Sauf dans un état second, nous savons toujours " à peu près " ce que nous faisons et pourquoi. Comme Dieu, à ce qu’on dit, l’inconscient pratique est dans les détails. Lorsqu’une enseignante exige que chaque élève lui dise au revoir en lui serrant la main et en la regardant droit dans les yeux, elle sait qu’elle le fait et pense savoir pourquoi. Ce qu’elle ignore, c’est comment elle transforme insidieusement ce rituel en inquisition ou en domination et quelle satisfaction elle y trouve pour s’imposer et imposer chaque jour ce que beaucoup tiendraient pour un pensum.

 

L’échec comme moteur de la prise de conscience

 Ne pas savoir comment il fait exactement ne dérange pas le praticien aussi longtemps qu’il atteint son but :

En psychologie de la cognition c’est probablement Piaget, à la suite de Claparède, qui a étudié, de la manière la plus systématique, le décalage qui pouvait exister entre la réussite pratique et la compréhension de ce qui faisait la réussite de cette action, plus tardive génétiquement. Ce décalage montre bien qu’il y a possibilité de réussite sans la conceptualisation (Vermersch, 1994, p. 76).

 Vermersch nous rappelle encore, s’appuyant sur Piaget, que :

La prise de conscience ne se déclenche guère que sous la pression des échecs et obstacles rencontrés par le sujet quand il cherche à atteindre des buts qui le motivent. La cause de la conduite de prise de conscience est essentiellement extrinsèque au sujet, si dans sa confrontation à l’environnement il ne rencontrait pas d’obstacles qu’il puisse dépasser, la machine cognitive serait en panne (ibid., pp. 84-85) !

 De l’échec total de l’action à sa réussite approximative, la prise de conscience est suscitée par un désir de plus grande maîtrise. Le sauteur à la perche proche du record du monde, lorsqu’il cherche désespérément à gagner un centimètre, n’est guère différent de celui qui tente de réussir une performance élémentaire. Tous deux ont les mêmes raisons de prendre conscience de leur façon de sauter : mieux faire !

Le travail sur l’habitus est donc, presque toujours, un travail suscité par l’écart entre ce que l’acteur fait et ce qu’il voudrait faire, qu’il se sente en échec absolu ou simplement en retrait par rapport à ses ambitions.

Lorsque l’objectif est évident, valorisé, impossible à abandonner, et lorsque l’échec est patent et n’est pas imputable à la fatalité ou à autrui, le processus de prise de conscience se met en marche. Il n’est hélas pas toujours facile de mesurer la performance dans un " métier impossible ", et encore moins de trouver la juste distance entre autosatisfaction béate et autodénigrement destructeur. De plus, un enseignant enchaîne un nombre impressionnant de petites décisions. Plutôt qu’au sauteur à la perche obsédé par une performance unique, il doit faire face à une multitudes de petits et de grands défis, sans savoir toujours ce que produit son action, soit parce qu’elle n’a d’effets qu’à moyen terme, soit parce que l’évaluation est empêchée par le flux des événements.

L’enseignant n’est donc pas dans la situation de l’athlète qui paie le prix de la prise de conscience parce que sa progression et ses médailles en dépendent. Dans un métier de l’humain, chacun s’occupe de plusieurs usagers et poursuit plusieurs objectifs, sans avoir des critères sûrs pour savoir s’ils sont atteints. Lorsqu’ils ne le sont pas, le praticien peut s’abriter derrière mille excuses : le manque de temps, de moyens, de soutien de la hiérarchie, de coopération des collègues ou des usagers. Aussi sérieux soit-il, un enseignant peut vivre dans un certain flou et n’a pas toujours l’énergie et la force voulue pour " se regarder marcher " (Fernagu Oudet, 1999).

 Les résistances à la prise de conscience

 Seuls les philosophes valorisent inconditionnellement la lucidité. Les êtres humains ordinaires marient la volonté de savoir et celle de ne pas savoir.

La prise de conscience présente des risques. Le plus simple touche à une forme de désorganisation de l’action. Ce qui était simple en " pilotage automatique " peut devenir plus difficile lorsqu’il faut le faire en toute conscience. Un collègue intéressé par l’explicitation raconte par exemple qu’il a été un jour, dans un restaurant, fasciné par une serveuse capable de se souvenir sans prendre de notes d’une multitude de commandes et d’apporter à chaque convive exactement ce qu’il avait choisi. " Comment faites-vous ? ", lui a-t-il demandé. " Mais… je ne sais pas ", a-t-elle répondu. Quelques minutes plus tard, prenant les commandes d’une autre table, elle avait perdu sa maestria… L’histoire ne dit pas si elle la retrouva le lendemain ou si elle fut définitivement troublée par une question en apparence innocente. On peut en conclure qu’il n’est pas nécessaire de toucher à l’enfance et à Freud pour déstabiliser un praticien, voire le mettre en crise.

Le risque inhérent à la prise de conscience d’un schème isolé ou d’un pan de l’habitus n’est pas lié seulement au travail d’explicitation, à la charge cognitive qui l’accompagne et à la perte d’une forme d’innocence cognitive. Le risque touche aussi à l’impact des découvertes sur soi que peut susciter tout exercice de lucidité. Il est normal de vivre une ambivalences. Le " Connais-toi toi-même " n’est pas l’aspiration de chacun.

Rien n’assure donc que l’écart entre la réussite visée et l’action effective soit un moteur suffisant de la prise de conscience. C’est vrai notamment dans un métier, qui n’est pas, comme le sport ou certains arts, axé uniquement sur le dépassement de soi et la performance. Dans un métier, il faut durer, pouvoir, bon an mal an, continuer à travailler et à se regarder dans la glace.

Le coût de la prise de conscience s’accroît dans les métiers de l’humain, puisque ce n’est pas seulement de maladresse, de rapidité, de vista ou de coordination des mouvements qu’il s’agit, mais de pouvoir, de cruauté, de tolérance, de patience, de souci de soi et de l’autre, de rapport au savoir et de bien d’autres choses dont la prise de conscience ne laissera personne indemne, même si cela ne relève pas de la psychanalyse. Cette dernière thérapie n’est d’ailleurs choisie en général que pour répondre à une souffrance. Le seul désir d’être plus performant ne suffit pas.

C’est pourquoi il importe qu’une posture réflexive prenne le relais lorsque la résistance du réel ne suffit pas à provoquer la prise de conscience et à équilibrer le coût et les risques. Cette posture suppose sans doute une forte envie de remplir sa " mission " et un niveau élevé d’exigence envers soi-même, donc la volonté de comprendre et de dépasser ce qui empêche de réussir, même lorsque nul ne peut rien vous reprocher.

La notion de conscience professionnelle prend ici un sens nouveau : elle passe aussi par un effort soutenu de prise de conscience de la façon dont on affronte les obstacles, aussi longtemps qu’il en reste et qu’on pense pouvoir mieux faire en comprenant mieux comment on s’y prend et en transformant en conséquence ses pratiques.

Mais la prise de conscience et le travail sur l’habitus supposent sans doute aussi un rapport particulier à la vie, le goût du jeu ou du risque, une forme d’identité et de quête de soi…

 


De la prise de conscience au changement

Pourquoi assume-t-on le travail et les risques, si minces soient-ils, de toute prise de conscience ? Par jeu, par curiosité, par narcissisme, par exigence de lucidité ? Parfois. Mais surtout pour avoir prise sur son habitus, le discipliner, le renforcer, le transformer, par exemple pour devenir moins impulsif, moins angoissé, moins agressif, moins maladroit, moins méfiant, moins égocentrique, plus décentré, plus imaginatif, plus audacieux, plus réfléchi, etc.

Si l’on ne peut rien changer à sa façon d’être et de faire, pourquoi se donner la peine de réfléchir ? Pourquoi mettre à nu des mécanismes inconscients, qu’on doit dès lors assumer, si cette lucidité débouche sur l’impuissance ?

Le désir de changer naît de la déception, du mécontentement de ce que l’on fait. Ce qu’une personne veut faire évoluer, c’est d’abord sa pratique, comprise ici comme la répétition d’actes semblables dans des circonstances analogues. Lorsque la répétition persiste en dépit de ses bonnes résolutions et de sa tentative de se maîtriser, se dominer, se discipliner, elle finit par se dire qu’elle est mue par un schème ou plusieurs schèmes de pensée et d’action qui échappent plus qu’elle ne le voudrait à sa conscience et à sa volonté.

C’est alors, mais alors seulement qu’un travail sur l’habitus devient pertinent, qu’on le nomme façon d’être, habitude, routine, automatisme, conduite névrotique, carcan, caractère, personnalité, voire " réflexe ".

Les enjeux du changement sont multiples, de la réussite de l’action la plus technique au rapport au monde. Il arrive que l’on passe insensiblement de l’une à l’autre.

De la routinisation d’une procédure...

Le sens d’un travail sur l’habitus n’apparaît pas de prime abord lorsque l’action se prétend rationnelle, s’affirme comme la mise en œuvre de savoirs et de principes explicites. Dans ce cas, la régulation rationnelle peut sembler n’exiger aucune prise de conscience des schèmes du praticien, mais plutôt un réexamen critique de la théorie ou de la méthode, autrement dit des connaissances déclaratives ou procédurales qui sont censées fonder son action. L’acteur se rallie à une nouvelle procédure, plus prometteuse, qui lui a parfois été proposée comme telle, ou qu’il déduit dans d’autres cas de nouvelles connaissances théoriques.

Il restera à l’incorporer, à la transformer en un schème efficace. Il lui faudra en même temps désactiver les schèmes en place pour traiter le même type de situations, ce qui peut être laborieux. Une personne ne modifie pas d’un jour à l’autre sa façon de lacer ses chaussures, de se moucher ou de marcher, quand bien même elle adhère à ce changement, le souhaite rationnellement et n’y oppose aucune résistance inconsciente. Alors qu’on peut substituer un programme à un autre dans la mémoire d’un ordinateur, il en va autrement dans l’esprit humain : l’effacement des routines anciennes prend du temps ; les schèmes ne disparaissent pas de notre " mémoire inconsciente ", ils sont plutôt désavoués, censurés, inhibés. C’est pourquoi ils peuvent resurgir en situation d’urgence ou de stress et entrer en conflit avec les apprentissages plus récents.

Confronté à un apprentissage pratique, chacun redécouvre que dans chaque action de routine intervient une part d’inconscient pratique, qui assure rapidité et efficacité et procure un sentiment de maîtrise, qui sera provisoirement perdu, le temps d’incorporer de nouvelles procédures.

De plus, même un changement de procédure technique, sans enjeux relationnels, affectifs, idéologiques apparents, suppose certains deuils importants, le renoncement à des routines qui ont fini par former une part d’identité, qui contribuent à donner du sens à notre existence et ont parfois développé une dépendance.

On rencontre ici un paradoxe : l’inconscient pratique dont il s’agit ici est le plus anodin, le plus éloigné de l’inconscient qui intéresse la psychanalyse, de l’ordre du cognitif et du sensori-moteur. Mais, justement parce qu’il cherche à optimiser une procédure rationnelle, l’acteur résistera à l’idée que c’est aussi d’inconscient qu’il s’agit. Peut-être est-ce désormais admis par les sportifs de haut niveau et par leurs entraîneurs, alors que d’autres praticiens souhaitent croire que la raison et le drill volontaire contrôlent leurs moindres gestes.

…à la quête identitaire

 Si la transformation des gestes les plus techniques met en jeu l’habitus, c’est évidemment encore plus vrai des pratiques dans les métiers de l’humain, où les jeux avec l’altérité, le pouvoir, la séduction, l’incertitude, la dépendance placent sans cesse le professionnel aux limites de ce que la raison seule permet de comprendre et de réaliser.

La transformation de l’habitus est encore plus évidente lorsqu’il ne s’agit pas de traduire de nouveaux savoirs en action, mais de faire évoluer son image de soi, sa confiance en soi, son rapport au monde et aux autres, tout ce qui se traduit subjectivement par un manque, des angoisses, un malaise, un mécontentement, un manque d’estime pour ce qu’on est, des doutes sur son identité ou le sens du travail, voire de la vie.

Dans ce cas, le désir de changement ne vise pas forcément, du moins au départ, une action identifiée. Il peut être alimenté par un rapport malheureux au monde, des expériences dont on sort blessé, frustré, honteux ou troublé. Ce n’est qu’à l’issue d’une première analyse que la personne devinera que sa façon d’être au monde est un ensemble de schèmes d’action et de réaction, qui conduisent régulièrement, par exemple à fuir ses responsabilités, à chercher un bouc émissaire, à voir du danger partout, à se montrer agressif ou suspicieux, etc.

Ici encore, le travail sur l’habitus, quelle que soit la façon dont on le nomme, n’est pas le premier projet. On imagine volontiers, dans un premier temps, que tous les problèmes découlent d’un manque ou d’un défaut global, manque de patience ou de tolérance, allergie à l’injustice, goût de tout contrôler ou amour de l’ordre. Il faudra un travail pour imaginer que l’on parle alors de schèmes d’action en référence à des situations d’un certain type et non de traits de caractère, de qualités ou de vices caractérisant la personne dans tous les contextes.

Travailler sur soi

Dans tous les cas, travailler sur l’écart entre ce qu’on fait et ce qu’on voudrait faire, c’est au bout du compte travailler sur soi, que ce soit pour accroître sa performance ou pour transformer un rapport malheureux ou maladroit au monde et aux autres.

Travailler sur soi peut s’entendre dans le sens psychanalytique, ce qui inviterait à aller chercher dans l’enfance et l’inconscient des choses profondément et activement refoulées. Ce modèle est à l’évidence pertinent pour certains aspects des métiers de l’humain. Il l’est d’ailleurs déjà, par exemple, pour le sportif de haut niveau qui s’entraîne intensément. Dans le succès en compétition, le narcissisme, l’agressivité, l’imaginaire, les angoisses ou le goût du risque importent autant que la forme. Travailler sur soi peut aussi s’entendre en un sens moins " freudien ", pour désigner une activité de prise de conscience et de transformation de l’habitus qui, sans être anodine, ne mobilise pas nécessairement d’aussi forts mécanismes de défense que l’analyse freudienne de l’inconscient.

Souvent, on commence ce travail pour accroître sa maîtrise des situations qu’on rencontre ou ses performances dans un registre bien défini : aller plus vite, plus haut, plus loin, avec moins d’hésitations, de détours ou d’erreurs. Le souci d’une action efficace peut progressivement céder la place à la quête de sens et de certitudes : mieux vivre avec soi-même, lutter contre ses doutes, ses angoisses, ses moments de déprime. Dans tous les cas, il s’agit de se développer, au sens le plus large, autrement dit d’affermir son identité, de concevoir et de mener à bien des projets, d’accroître sa capacité d’affronter la complexité du monde et de surmonter les obstacles à nos projets.

Cette intention est rarement dénuée d’ambivalence, car pour mieux maîtriser sa pratique, affermir son identité, élargir ses connaissances, accroître ses compétences, il en coûte ! Du temps, de l’argent, des efforts, des renoncements à d’autres activités, de la patience, de l’insécurité, de l’échec, des humiliations, parfois des tensions avec l’entourage. Ce coût intellectuel, émotionnel, relationnel n’est consenti que si les satisfactions espérées sont suffisantes, dans l’ordre de l’estime de soi ou dans d’autres registres.

C’est cependant le changement lui-même qui coûte le plus, même si on le souhaite : travailler sur soi conduit parfois à devenir un autre. La danse ou le sport de compétition changent les praticiens à travers la discipline de fer et les souffrances qu’ils s’imposent. Dans les métiers de l’humain, le changement de soi est d’une autre nature, il n’est pas le fruit d’un exercice intensif, mais la résultante d’un retour réflexif sur ses façons de faire, assorti de la volonté obstinée de les infléchir. Plutôt que sur son poids ou sa musculature, il est question d’agir sur son agressivité, son rapport au savoir, sa manière de parler ou de bouger en classe, ses préjugés, ses attirances et ses rejets, ses compétences et ses attitudes. De telles transformations des pratiques peuvent passer par un changement identitaire.

Les jeunes prodiges des sports ou des arts, soumis à un entraînement rigoureux, le vivent parfois comme une forme de violence, qui nie leur identité, leur besoin d’autonomie, leur envie de farniente. Même adultes, les sportifs et les artistes ont besoin d’un coach, qui incarne une sorte de Surmoi. Ils peuvent haïr celui qui dit " Recommence, essaie encore, donne-toi plus de mal ".

Dans un métier de l’humain, il est difficile de déléguer ce rôle de Surmoi à autrui. Les superviseurs et les formateurs d’adultes peuvent fonctionner comme des entraîneurs, mais ils refuseront d’exercer une violence symbolique comparable à celle qu’on autorise dans d’autres domaines. Le praticien qui travaille sur soi, même aidé, doit être à la fois victime et bourreau ; en tant que victime, la personne veut demeurer égale à elle-même, parfois confite dans sa médiocrité, toute honte bue ; en tant que bourreau, elle " se force " à devenir quelqu’un d’autre.

Dans certains métiers, la réussite passe par une transformation volontariste de l’apparence physique ou du corps : s’habiller, se maquiller, faire des exercices quotidiens, se priver de manger pour jouer son rôle. L’ambivalence du sujet est visible, car la privation, le travail, la douleur sont tangibles, quand bien même on les subit pour une bonne cause L’ambivalence n’est pas moins grande dans les métiers de l’humain : il est tout aussi douloureux et ascétique de transformer des schèmes de pensée et d’action bien installés, d’ébranler des représentations naïves, mais confortables, de mettre en crise des savoirs qu’on pensait assurés, par exemple dans le domaine de l’éducabilité. 

Travail visible, travail invisible

 La compétence d’un expert consiste à bien faire même lorsque les conditions de la pratique ne sont pas optimales. Le sprinter apprend à courir contre le vent, le soliste à jouer sur un piano désaccordé, le paysan ou le navigateur à faire face aux aléas de la météo. L’enseignant apprend, de même, à faire la classe dans les bruits de la ville, par 30° C à l’ombre ou le vendredi en fin de journée…

L’expert tente s’il le peut d’optimiser les conditions de travail et de se préparer à l’action elle-même, qui reste difficile même dans des conditions favorables, qui ne sont d’ailleurs jamais garanties ni durables. Ainsi, au jour le jour, un enseignant choisit des activités et les prépare pour optimiser son action, en tenant compte de l’histoire et de ce qu’il sait de ses élèves et de leurs familles, de l’école, des espaces de travail, des attentes des collègues, des ressources disponibles.

En dépit de ces préparatifs, l’analyse rétrospective d’une action indique assez souvent que, si les choses se sont mal passées, c’est en raison d’une préparation insuffisante : manque d’informations, d’anticipation, de contacts préalables, de vérification du matériel. Cela ne traduit pas nécessairement un manque de conscience professionnelle ou de compétence. L’enseignement est un métier qui défie une préparation parfaite.

Les pilotes de Formule 1, comme les vedettes du show-business ou les chirurgiens savent bien que dans le feu de l’action, leurs chances seront compromises par une préparation défaillante. Ils investissent donc fortement en amont, entourés par des équipes de conseillers et de spécialistes. Dans une classe, les enjeux paraissent moins importants et les décisions et activités sont si nombreuses et rapprochées qu’on ne peut préparer chacune comme un événement exceptionnel. Les enseignants ne disposent pas d’autant de ressources matérielles et humaines que les professionnels de la compétition et quelques autres. Heureux sont les professeurs qui bénéficient du concours d’un préparateur d’expériences ou de travaux de laboratoire dans les disciplines scientifiques. Les autres sont réduits à leurs propres moyens. Toutefois, la préparation de la classe représente en principe une petite ou une grande moitié de leur temps de travail. Qu’en font-ils ?

Ce travail de préparation ne se fait pas dans le feu de l’action, mais en amont. Relève-t-il pour autant de l’action purement rationnelle ? Il y a plusieurs raisons d’en douter :

On aurait tort, par conséquent, de limiter l’analyse des pratiques et le travail sur l’habitus à ce qui se passe en classe. La pratique, c’est aussi le travail en coulisses, solitaire ou en équipe, dans la salle de classe, la salle des professeurs, le centre de documentation ou chez soi, voire au café ou dans le bus.

C’est un travail mal connu, difficile à déchiffrer et décomposer. On connaît un peu mieux le versant " correction des copies ", parce qu’il relève de l’évaluation. D’autres corrections, plus triviales, échappent au regard docimologique : celles des cahiers et autres productions non notées. À cela s’ajoute la préparation des cours ou des activités, qui relève d’une " ergonomie didactique " encore peu développée. Sans oublier tout ce qui participe des pensées éparses, de la relecture des événements, des rêves et des peurs, de la réflexion sur l’action et ses conditions.

Un professeur peut pratiquer son métier même les mains vides et les yeux dans le vague. Il se pose certaines questions sur ses élèves ou le sens de son travail, il se prépare à certains conflits, il anticipe certaines réactions, il essaie d’expliquer ce qui est arrivé. Dans toutes ces opérations mentales, de la pensée la plus réfléchie à la rêverie, son habitus est à l’œuvre, dans ses composantes conscientes et inconscientes.

Ce qui se joue hors de la classe influence ce qui s’y passe et fait partie de la pratique. Il n’y a donc aucune raison d’exclure ce continent obscur de l’analyse. On tend pourtant à privilégier les moments les plus interactifs et, parmi les temps de préparation, si on en parle, les tâches les plus objectivables. Les travaux sur l’explicitation proposent des outils pour analyser aussi l’inaction apparente, les temps de latence, qui ne sont pas vides de pensées et d’émotions, même si, en apparence, l’enseignant n’est pas " en action ".

L’orchestration des habitus

Les comédiens disent volontiers qu’ils jouent mieux lorsque leurs partenaires ont du talent et les " tirent " vers le meilleur d’eux-mêmes. Les enseignants pourraient en dire autant, mais ils n’ont guère le choix des élèves, ni de leurs parents, ni d’ailleurs celui de leur hiérarchie ou de leurs collègues. Ils doivent, comme on dit, " faire avec ", du moins dans l’immédiat.

À moyen terme, de même qu’un musicien virtuose s’efforce ne pas s’engager dans un médiocre orchestre, un enseignant expérimenté tente de contrôler en partie son environnement professionnel, par exemple en choisissant un établissement ou une filière, en s’intégrant à une équipe ou en faisant des choix tactiques qui préservent son autonomie.

Le choix de ses partenaires relève de l’habitus, tant conscient qu’inconscient, comme l’aménagement des conditions de travail. Il y a toutefois une différence de taille : les partenaires d’un enseignant sont également des sujets et des acteurs, qui fonctionnent comme lui, anticipent, réfléchissent, apprennent de l’expérience, mais sont aussi englués dans des routines et dans une construction singulière, limitée et parfois rigide de la réalité.

Dans la mesure où l’action est inter-action, co-opération, le système d’action entre en crise si l’un des acteurs évolue de façon unilatérale. En effet, il ne répond plus aux attentes de ses partenaires et inversement. Dans les situations les plus banales, au niveau le plus technique, il suffit d’une régulation explicite pour que l’ajustement se fasse. Lorsque les changements sont plus profonds, il est difficile de comprendre pourquoi l’orchestration des habitus se dégrade, faute de disposer d’un tel concept. Il y a malaise, sentiment de discordance, d’inefficacité, de flou, mais la régulation n’est pas évidente. Supposons par exemple qu’un enseignant suive un long stage Gordon (1979) et s’entraîne intensivement à l’écoute active et au " Message-Je ", au point d’infléchir son habitus dans ce sens. Lorsqu’il revient dans sa classe, son équipe, son établissement, sa famille ou son cercle d’amis, il a changé et réagit différemment en cas de conflit, de doute, d’angoisse, de fatigue. S’il en est suffisamment conscient, il peut expliquer ce changement et le faire comprendre, voire y gagner ses partenaires. S’il ne se rend pas compte de son évolution, s’il estime être le même ou ne veut pas comprendre qu’on ne le comprend pas, les groupes concernés peuvent dysfonctionner ou même entrer en crise.

La prise en compte de l’orchestration des habitus peut conduire à des stratégies de formation ou de changement visant des groupes. Un paradigme voisin est à la base des thérapies de groupes ou de familles (Watzlawick, 1978 a et b ; Watzlawick et Weakland, 1981 ; Watzlawick, Helmick Beavin et Jackson, 1972 ; Watzlawick, Weakland et Fish, 1975).

Lorsque ce n’est pas possible, si l’on ne veut pas que le changement soit bloqué ou limité par la rigidité des attentes et des modèles d’interaction établis, il importe que l’acteur qui change prenne en charge sa différence et gère une période de transition, ouvertement, en s’expliquant, en donnant des clés, ou en faisant preuve de patience et en renonçant à mettre en œuvre immédiatement et intégralement ses nouvelles connaissances ou convictions.

Une pratique réflexive, que ce soit en solitaire, en équipe ou dans le cadre d’un groupe d’analyse des pratiques, devrait aider chacun à prendre conscience de la difficulté de changer tout seul. Pour un enseignant, il se peut que les élèves et leurs parents exercent une influence stabilisatrice, voire conservatrice, plus forte que ses collègues ou sa hiérarchie. D’où l’importance d’une formation et d’un recours à la métacommunication. L’orchestration des habitus oblige celui qui change non seulement à un travail sur soi, ce qui n’est pas facile, mais à une renégociation des contrats et coutumes qui régissent ses relations à autrui. Les thérapeutes qui traitent des individus prennent en charge cette dimension. Ils savent que leur patient est pris entre une invitation à changer issue de la thérapie et une interdiction de changer issue du milieu de vie. La contradiction est encore plus forte si le patient est un " patient désigné ", auquel on fait porter le poids du dysfonctionnement d’un groupe. En analyse de pratiques et plus globalement en formation d’adultes, la prise en compte de l’écosystème des formés et de l’orchestre dont ils font partie est encore balbutiante, faute, pour une part, d’être suffisamment théorisée.

De l’analyse de sens commun à un travail maîtrisé

 Si toute pratique réflexive touche inévitablement aux dispositions stables qui sous-tendent l’action, elle peut les faire exister en creux, implicitement, ou porter explicitement sur l’habitus.

Dans la plupart des cas, faute d’une conceptualisation forte et partagée de ce qui sous-tend la pratique d’une personne, on se borne à en traiter au niveau du sens commun, en parlant pêle-mêle de traits de personnalité, d’attitudes, de normes, de valeurs, d’obsessions, de pulsions, de fantasmes, etc. Avec trois conséquences :

  1. Une accentuation des aspects conscients, qui peuvent être nommés, alors qu’il est plus difficile de trouver les mots pour décrire les structures de l’action.
  2. Une centration sur l’événementiel (qui est observable et racontable) par opposition au structurel (qui est caché et abstrait).
  3. Une tendance, dès qu’il s’agit d’inconscient, à faire appel aux interprétations psychanalytiques sauvages plutôt qu’à l’explicitation d’un inconscient pratique ; on passe alors très vite à une " théorie " des désirs, mobiles, pulsions, complexes et autres aspects très généraux de l’économie psychique d’une personne.

On peut en déduire quelques conditions pour que le travail réflexif sur l’habitus dépasse le sens commun :

  1. Une culture théorique minimale en sciences cognitives, en psychanalyse, en anthropologie des pratiques.
  2. Une intention commune et délibérée de travailler à ce niveau, donc d’accorder la priorité aux structures invariantes de l’action, sans s’arrêter à l’anecdotique (même si c’est un point de départ obligé).
  3. Une application à décrire l’action plutôt qu’à en chercher immédiatement les mobiles, une grande prudence dans les interprétations qui la surchargent d’intentionnalité et de sens.
  4. Une éthique sans faille et une grande clarté conceptuelle, permettant de savoir où passe la limite entre une analyse de l’habitus investi dans l’action professionnelle et d’autres démarches telles qu’une psychanalyse collective ou une dynamique de groupe.

À ce jour, les analyses sauvages ne manquent pas, puisqu’il est difficile d’analyser des pratiques sans se référer, au moins implicitement, à l’habitus, quelle que soit la façon dont on le nomme. Il reste à développer des démarches plus rigoureuses.

Analyse de pratiques et travail sur l’habitus

 Dans un groupe d’analyse des pratiques, on ne cesse de s’approcher de l’habitus, mais cette approche reste souvent implicite, pour des raisons à la fois déontologiques, théoriques et méthodologiques :

Un groupe d’analyse des pratiques n’est donc pas le lieu par excellence d’un travail sur l’habitus, même s’il " prépare le terrain ". On saisit là l’un des liens féconds entre les échanges sur les pratiques et la réflexion solitaire. Entendre des questions qu’on ne s’est jamais posées, des hypothèses qui brisent certains tabous peut amorcer une réflexion qui ne se serait pas déclenchée spontanément.

Sans mésestimer le rôle incitatif des groupes d’analyse des pratiques, il importe de mesurer que ce ne sont pas des dispositifs conçus pour travailler sur l’habitus des participants. Le travail en équipe est un cadre encore moins adéquat pour cet exercice à hauts risques.

Le contrat de supervision s’y prête mieux, mais ce n’est pas une formule courante en éducation. Si cette dimension de la pratique réflexive ne doit pas rester une aventure solitaire et exceptionnelle, il n’est pas inutile de réfléchir à des dispositifs qui lui seraient dédiés.

Peut-être, faut-il, en amont, mettre l’accent sur la reconnaissance d’un inconscient pratique dans la sphère professionnelle et sur l’intérêt d’élargir la pratique réflexive dans ce sens. 

Vers l’analyse du travail

Les dispositifs permettant de travailler l’inconscient pratique peuvent prendre appui, en les détournant quelque peu, des travaux sur la vidéoformation mais surtout sur l’explicitation et leurs liens avec la phénoménologie, qui renvoie elle-même à des jonctions possibles entre l'ethnométhodologie (Coulon, 1993 ; Fornel, Ogien et Quéré, 2001) et la théorie de l’habitus.

On pourrait aussi s’inspirer de méthodes d’analyse de l’activité en ergonomie et psychosociologie du travail, par exemple la méthode du sosie (Oddone, 1981) ou la méthode d’autoconfrontation (Clot, Faïta, Fernandez et Scheller, 2001).

Avant de chercher des méthodes précises, peut-être la voie la plus féconde serait-elle de développer une théorie du travail en général et du travail enseignant en particulier, dans ses dimensions conscientes et inconscientes.

Les approches ergonomiques du travail enseignant sont encore assez rares et dispersées. Durand (1996) s’inspire directement de l’ergonomie cognitive. L’approche sociologique de Tardif et Lessard (1999) se centre sur les tâches plus que sur ce qui les sous-tend. J’ai tenté une approche en termes d’habitus et de compétences (Perrenoud, 1996 c et e).

On peut évidemment s’inspirer, en tentant de les transposer à l’enseignement, de travaux d’ergonomie (Leplat, 1997 ; Montmollin, 1996 ; Theureau, 2000), de psychologie du travail (Clot, 1995 ; Guillevic, 1991) ou de sociologie du travail (Terssac, 1992, 1996 ; Jobert, 2000). Ou encore des travaux sur les savoirs d’action (Barbier, 1996) et l’apprentissage par l’analyse du travail (Barbier et al., 1996 ; Clot, 2000, 2001 ; Samurçay et Pastré, 1995 ; Werthe, 1997).

Si nous disposons aujourd’hui de modèles provisoires pour conceptualiser l’inconscient pratique, nous manquons d’outils pour décrire cette partie de l’habitus et plus encore pour accompagner la prise de conscience et la transformation. De ce point de vue, l’élargissement de la pratique réflexive aux dimensions inconscientes de l’action reste à penser et à réaliser. L’envisager permet cependant de dépasser certaines limites des travaux de Schön et Argyris.


Références

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