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septembre 2001, pp. 26-31 |
Objectifs communs et parcours
individualisés dans les cycles
dapprentissage pluriannuels
Faculté de psychologie et des sciences de
léducation
Université de Genève
2001
Individualiser le temps, une solution tentante mais impraticable
Lidée dindividualisation des parcours de formation nest pas nécessairement associée à celle de cycle dapprentissage pluriannuel. Pour certains, les cycles sont simplement de plus longues étapes de la scolarité, les élèves suivant le même rail, éventuellement à des rythmes inégaux. Ce nest pas sans intérêt. Mais je tenterai de montrer que les cycles permettent de diversifier les parcours de formation.
Poursuivre des objectifs à terme de 2, 3 ou 4 ans et assumer la responsabilité des apprentissages tout au long de cette période est en soi un progrès, puisque cela invite à une pédagogie plus orientée vers des compétences et dautres acquisitions de haut niveau, qui ne se construisent pas en un an. La multiplication des échéances annuelles oblige en effet à viser constamment des effets à court terme et à en rendre compte. Lorsque le contrat des enseignants consiste à garantir des apprentissages identifiés, non pas au bout dune année, mais de plusieurs, ils peuvent organiser les progressions autrement et investir moins dénergie pour atteindre des étapes intermédiaires essentiellement aux fins dêtre en règle avec linstitution, et surtout avec les collègues qui accueilleront leurs élèves à la rentrée suivante.
Encore doivent-ils renoncer à recréer, au sein dun cycle, une division traditionnelle du travail, selon laquelle chacun prendrait les élèves en charge durant une seule année. Dans ce cas, on perdrait le bénéfice du long terme, chacun attendrait de ceux qui le précèdent quils installent chez les élèves des acquis bien définis, considérés comme " prérequis " de son propre travail. On aurait ainsi reconstitué informellement des marches annuelles, alors même que le cursus formel prévoit des échéances plus éloignées. Ce serait la plus sûre manière dobliger tous les élèves à suivre, de façon synchrone, un unique parcours de formation.
Suffit-il, pour rompre avec cette tentation, que les enseignants du même cycle travaillent réellement en équipe et soient solidairement responsables de lensemble du parcours pour lensemble des élèves ? Ce nest quune condition nécessaire. Il faut encore trouver les moyens organisationnels, pédagogiques et didactiques de gérer et de piloter des parcours individualisés.
On imagine volontiers quen prenant davantage de temps, les élèves les plus lents parviendraient en fin de compte aux mêmes maîtrises. Cest pourquoi la conception la plus courante dun cycle conduit à réinventer le retard scolaire, non plus à coups de redoublements, mais en allongeant le séjour de certains élèves dans un cycle. Hélas, ce mode dindividualisation présente toutes les limites et tous les effets pervers du redoublement. Je vais donc, dans une première partie, tenter de montrer que cest une fausse piste, quil faut renoncer à jouer sur le temps et faire varier les moyens et la qualité de lencadrement pédagogique.
Dans une seconde partie, je tenterai de crever un abcès : les objectifs de léducation scolaire de base ne sont pas faits pour le plus grand nombre, mais pour les futures élites. Léchec dune fraction importante de chaque génération est donc programmé et il est inutile de sépuiser à développer des cycles et des pédagogies différenciées si on ne sattaque pas au curriculum.
Une fois ces préalables clarifiés, il sera temps denvisager comment une pédagogie différenciée pourrait amener à une individualisation des parcours fondée non sur le temps, mais sur le mode et le degré de prise en charge des élèves.
Lécole entretient un rapport au temps atypique, pour ne pas dire " irrationnel ". Dans toutes les activités visant un objectif, on prend " le temps quil faut ", ni plus, ni moins, pour atteindre le même but, sachant que ce temps dépend de la résistance de la réalité. On accepte quil faille quatre mois pour guérir tel patient et trois semaines pour tel autre. Ou que pour construire quelques kilomètres dautoroute, il faille deux ans ou seulement quelques mois, en fonction du terrain. Ou alors, si le temps est compté, on investit des moyens proportionnels aux obstacles à surmonter.
Il ny a quà lécole quil paraît exclu de proportionner soit le temps de travail, soit les moyens aux obstacles rencontrés. Le temps nest que faiblement extensible :
Il apparaît presque aussi difficile de mettre des moyens inégaux au service dobjectifs semblables. Cest pourtant ce vers quoi il faut tendre, en brisant les normes déquité formelle pour rechercher une égalité des acquis. Pour sy résoudre, peut-être faut-il au préalable se convaincre que la diversification des temps de parcours nest pas la solution. Certes, la création de cycles dapprentissage pluriannuels modifie apparemment les données du problème, puisquelle met fin au redoublement, dont on connaît les limites (Allal et Schubauer-Leoni, 1992 ; Crahay, 1991, 1996, 1997 ; Paul, 1996) pour lui substituer des temps inégaux de progression. Cela ne résout quen apparence le problème.
Jouer sur le nombre dannées ?
Le dilemme du temps est facile à formuler. Raisonnons sur un cycle dont la durée " normale " serait de trois ans :
Dans les deux cas, lélève accumule un retard scolaire qui, sil devrait dépasser un an sur lensemble de la scolarité obligatoire, le stigmatiserait définitivement. Personne ne considère comme équivalents deux élèves qui maîtrisent les mêmes savoirs, mais dont lun à 15 et lautre 18 ans. Ce qui signifie que lallongement du passage dans un cycle ne saurait être répété de cycle en cycle, aboutissant par exemple à trois ans de retard scolaire à lissue de trois cycles de 3 ans, lélève séjournant 4 ans dans chacun. Cest encore plus évident avec des cycles de deux ans.
Or, lexpérience du redoublement nous lapprend, une année supplémentaire ne remet " à niveau " que les élèves qui rencontrent des difficultés passagères, liées à un " accident de parcours " (Allal, 1995 ; Crahay, 1996 : Paul, 1996). Les autres, dont les difficultés naissent dun rapport défavorable au savoir et à lécole et dun capital culturel scolairement peu rentable, ne tirent pas de bénéfices notables dun redoublement. Tout simplement parce que les mêmes causes produisent les mêmes effets.
On se trouve donc pris entre deux feux : allonger la scolarité de base dun an produit des effets détiquetage supportables, même sils ne sont jamais anodins, mais na guère deffets ; à linverse, allonger la scolarité de base de 3 à 5 ans, à supposer que ce soit efficace, est économiquement coûteux, socialement inacceptable et psychologiquement impensable. Comment pourrait-on, à 18 ans, travailler sereinement pour arriver au terme dun parcours de formation que dautres ont achevé à 15 ans avec les mêmes acquis ?
Lallongement ponctuel du passage dans lun des cycles, sans être exclu, fonctionne donc comme un unique joker, quil faut nengager quà coup sûr.
Jouer sur le nombre dheures de présence en classe ?
Plutôt que dajouter des années, on pourrait envisager de jouer sur le nombre de semaines décole durant lannée ou sur le nombre dheures de présence en classe durant la semaine. Comme il paraît hors de question dallonger encore lannée ou la semaine scolaires, il sagirait plutôt dabréger le temps que passent à lécole des élèves les plus rapides.
Cela ne suffirait pas : il faudrait redéfinir les objectifs de fin de cycle et de fin de cursus, de sorte quils deviennent effectivement atteignables :
Ces derniers seraient " libérés " une fois les objectifs atteints, ou on leur demanderait une présence moins soutenue, sachant davance quils auront besoin de moins de temps pour accomplir le même parcours.
On perçoit immédiatement les difficultés dun tel scénario ;
Dans tous les cas, il apparaît que jouer sur le temps pour résoudre un problème pédagogique engendrerait des problèmes psychologiques ou sociaux plus graves encore (Perrenoud, 2001).
Donc, de deux choses lune :
Si lon refuse de saccommoder de linégalité des acquis de base, on explorera la seconde voie. La question est alors de savoir comment gérer des parcours individualisés, en visant les mêmes acquis, grosso modo dans le même temps. Tel est le vrai défi.
Il ne peut être relevé aussi longtemps que lon assigne à la scolarité de base des objectifs inaccessibles à la majorité des élèves, du moins en si peu dannées.
Il existe un conflit dintérêt évident, quil ne faut pas sous-estimer, entre :
La première vision prédomine, car lécole sest construite par le haut, le lycée étant censé préparer aux études universitaires, le collège au lycée et lécole primaire au collège. Ces attentes étaient cohérentes lorsque les voies de scolarisation se séparaient demblée, lorsquà 7 ans, les enfants de la bourgeoisie entraient dans les " petites classes " dun lycée, où ils étaient presque sûrs dobtenir leur bac dix ans plus tard ; les autres allaient à lécole communale, pour en sortir à 12-13 ans et passer à " la vie active ".
Dans tous les systèmes scolaires modernes, les élèves sont désormais réunis jusquà la fin de lécole primaire et parfois jusquà la fin de la scolarité obligatoire. Pourtant, les programmes restent conçus, dans une large mesure, malgré les réformes curriculaires successives, comme une préparation des meilleurs aux études longues. Si bien que les objectifs, les contenus et les niveaux dexigence, à 6, 8, 10 ou 12 ans, sont décidés en fonction des intérêts des élèves les plus favorisés. Eux seuls peuvent espérer tenir le rythme.
Si lon crée des cycles pluriannuels sans contester cet héritage historique, sans réviser certains objectifs de la scolarité de base, on fait peser sur la pédagogie différenciée des attentes disproportionnées.
De là à calquer les objectifs de fin de scolarité obligatoire sur les moyens intellectuels des élèves les plus lents ou les plus défavorisés, il y a un pas à ne pas franchir. Un système scolaire qui veut véritablement démocratiser lenseignement devrait fixer les objectifs de la scolarité obligatoire de sorte que tous les élèves puissent les atteindre en 9 ou 10 ans, moyennant la mise en uvre de pédagogies différenciées venant en aide aux élèves les plus lents.
Des objectifs pour tous
Il nest pas possible de " réserver " la pédagogie différenciée à une fraction des élèves, comme on limite la greffe de rein à certaines catégories de patients. La pédagogie différenciée ne se confond pas avec une pédagogie de soutien, elle restructure lensemble de lorganisation du travail. Il nempêche que la recherche dune optimisation des situations dapprentissage sadresse en priorité à ceux qui napprennent ni très vite ni très bien dans le système éducatif tel quil est.
Ce quil faut affirmer clairement, en terme de curriculum, cest limpérieuse nécessité de ne pas calquer les objectifs de la scolarité de base sur le niveau exigé à lentrée des filières les plus sélectives de lenseignement postobligatoire. Car la proportion dune génération susceptible datteindre un tel niveau à 15-16 ans oscille, selon les systèmes éducatifs, entre un quart et une moitié de chaque classe dâge Si lon fixe la barre aussi haut, tous les autres seront soit mis en échec, soit - façon de masquer un peu les choses - " orientés " vers des filières moins difficiles.
Mon propos nest pas ici dexaminer en détail la question des contenus et des contours dune culture générale pour tous, ni de débattre des diverses conceptions possibles des savoirs et des compétences qui devraient former le cur de cette formation commune. Une chose est sûre : on devrait donner la priorité aux besoins de ceux qui ne feront pas détudes longues, en se demandant de quoi chacun aura besoin dans sa vie, quels que soient sa condition sociale et son métier. Cela supposerait une réelle volonté de démocratisation de laccès aux savoirs de base. Elle est aujourdhui affirmée par tous les gouvernements, parce quelle est " politiquement correcte ", mais sa mise en uvre est très inégale, selon les pays et dans chacun, selon les partis au pouvoir.
Aux rapports de force politiques sajoutent les contradictions internes des systèmes éducatifs et des politiques de léducation. Ainsi, à lheure où divers cantons suisses créent des cycles dapprentissage pluriannuels, ils songent tout aussi sérieusement à introduire une seconde langue étrangère dès lécole primaire. Alors quil faudrait alléger les programmes, on les charge plus encore, fabriquant inévitablement davantage déchecs et dinégalités (Perrenoud, 2000 c). Signe dincohérence, la main droite ignorant ce que fait la main gauche ? Compromis entre des forces opposées, les partisans des élites gagnant sur le curriculum et perdant sur les cycles ? Ou encore, ce qui est hélas le plus probable, profondes divergences dans la conception des cycles et alliance confuse entre ceux qui pensent quils permettront aux bons élèves de traverser plus vite la scolarité de base et ceux qui espèrent que les cycles réduiront les inégalités
Pour dire les choses autrement : linstauration de cycles pluriannuels nest une stratégie crédible de démocratisation que si elle saccompagne dune révision curriculaire qui place la barre moins haut. Cela nest possible que si un gouvernement parvient à développer une politique de démocratisation sans faire dexcessives concessions à ceux qui dénoncent la " baisse du niveau " et la " fin des élites ".
Peut-être nest-ce possible que si un grand nombre de nos concitoyens comprennent :
1. Que cette baisse des exigences durant la scolarité de base na pour les élèves qui se destinent aux études longues que des incidences temporaires ; il suffit pour conserver le niveau final, dallonger dun ou deux ans certains cursus universitaires, ou mieux encore, de les rendre plus efficaces. Cet allongement serait une goutte deau dans locéan des années détudes gaspillées dans lenseignement supérieur, par le jeu de réorientations anarchiques aussi bien quen raison dune pédagogie frontale, dont lexclusion est souvent lunique réponse aux difficultés dapprentissage des étudiants (Frenay, Noël, Parmentier et Romainville, 1998 ; Romainville, 2000).
2. Que lenjeu est la formation de tous, dans une perspective de citoyenneté, mais aussi parce que lavenir des sociétés ne passe pas seulement par des élites capables de faire bonne figure dans la concurrence internationale. Seules les grandes puissances militaro-industrielles peuvent se permettre - jusquà quand ? - de faire coexister une recherche de pointe et près de 20 % dillettrés. Sinstaller dans une société duale est un suicide démocratique, mais aussi, à moyen terme, culturel et économique.
Ne nous cachons pas lampleur des conflits dintérêts et des divergences idéologiques sur ces questions. Ils sont manifestes à propos de lécole moyenne, de lâge et de la sévérité de la première sélection. Les mêmes enjeux parcourent toute lécole primaire, alors même que lorientation semble encore lointaine. Pourquoi estime-t-on indispensable que chacun sache lire à sept ans, en mettant du coup en échec grave et durable ceux qui ny parviennent pas ? La seule réponse est, encore aujourdhui : pour ne pas retarder les meilleurs dans leur marche vers les études longues ! La plupart des apprentissages sont programmés à lâge le plus précoce possible ; la grammaire formelle, la soustraction, le texte argumentatif, les fractions, les langues étrangères, lalgèbre font irruption dans les programmes dès quun tiers des élèves sont capables dapprivoiser ces nouveaux savoirs. Que les autres soient mis en échec pas ces ambitions prématurées, ceux qui ne se soucient que des élites sen moquent.
Lécole fonctionne comme une discipline sportive dont lunique objectif serait dobtenir le plus grand nombre possible de médailles aux Jeux olympiques. À une différence près : même les pays qui font des succès sportifs un enjeu politique ont reconnu que seul un très large bassin de praticiens de bon niveau pouvait faire émerger des champions olympiques. Du coup, former une élite et viser le meilleur niveau du plus grand nombre ne sont plus des stratégies antinomiques. Seul le monde scolaire na pas compris quen construisant lécole de base comme une immense propédeutique aux études universitaires, on appauvrissait la société sans améliorer lélite !
Nous vivons sur des représentations dun autre âge, mais elles sont bien là, nourries par langoisse de la compétition et les stratégies de perpétuation des nantis, qui sous couleur de défendre le bien public, préservent surtout les intérêts de leur progéniture (Berthelot, 1983). Cest pourquoi le sens des cycles pluriannuels ne saurait être le même lorsquils sont instaurés par une majorité de gauche ou par une majorité de droite.
Si les cycles ne saccompagnent daucune révision curriculaire, il est indécent de demander aux enseignants de faire seuls les frais dune réduction de léchec scolaire et des inégalités, alors même que les ressources diminuent et que les publics scolaires et les conditions de travail deviennent plus difficiles. La moindre des choses serait que linstitution fasse une moitié du chemin, ce qui la mettrait en position dinviter fermement les enseignants à faire lautre moitié : concevoir et mettre en uvre une pédagogie différenciée digne de ce nom, à condition den avoir les moyens et les compétences.
Mieux hiérarchiser les objectifs ?
Une autre façon denvisager lindividualisation des parcours de formation consisterait à se replier, pour les élèves les plus lents, sur quelques objectifs dits " fondamentaux ", en travaillant un spectre plus large avec les élèves plus rapides.
Cette hypothèse nest pas absurde, à condition de parvenir à définir les objectifs fondamentaux de façon satisfaisante. Or, dans ce domaine, il faut lutter contre une longue tradition scolaire qui conduit à faire, pour les élèves en difficulté, le deuil des apprentissages de haut niveau taxonomique pour assurer des acquis plus " techniques ". Prenons quelques exemples de ces deuils qui semblent à tort " profiter " aux élèves les plus démunis :
Tous ces " allégements " sont autant dappauvrissements, souvent irréversibles, à coup sûr incompatibles avec lidée dune culture de base commune.
Faut-il inverser la hiérarchie ? Décider par exemple :
On se doute que ce nest pas aussi simple, quon ne peut tout bonnement prendre le contre-pied de la tradition. Pourtant, ces renversements seraient un bon point de départ pour une révision curriculaire, car tous donnent la priorité à des acquis qui modifient durablement le rapport à la pensée, aux savoirs et au monde.
Les pédagogies actives ont montré depuis longtemps quon pouvait aborder des questions complexes dès lenfance, sans rabâcher des rudiments durant des années. Il nest pas nécessaire de savoir transformer des décamètres en décimètres pour résoudre des problèmes mathématiques, ni de maîtriser toutes les subtilités de la conjugaison au conditionnel pour formuler des hypothèses. Les nouvelles approches didactiques ont déjà rompu les amarres, en sciences, en mathématique, en langue maternelle et seconde, en histoire et géographie. On sait désormais quon peut sexprimer très correctement sans maîtriser lanalyse grammaticale formelle, quon peut résoudre des problèmes sans être excellent en calcul mental, quon peut comprendre des évolutions culturelles ou des conflits majeurs sans connaître le nom de tous les rois de France, ni de toutes les batailles.
Si la rupture avec lencyclopédisme est bien avancée dans la recherche en didactique, elle est seulement en cours dans les programmes scolaires. La création de cycles pluriannuels devrait la précipiter. Mais les lobbies disciplinaires veillent au grain, les parents prompts à confondre la culture et lencyclopédisme dénoncent lappauvrissement des programmes et la plupart des enseignants ont du mal à accepter lidée que leur conception de ce qui est important et premier nest pas nécessairement la seule ni la meilleure. Le constructivisme nest pas encore intégré, lhéritage des pédagogies nouvelles nest assumé quen paroles, lécole sait depuis toujours multiplier les exercices de mémorisation et de drill, elle commence à peine à maîtriser les démarches de projet, le travail par problèmes, les conduites de recherche, dispositifs auxquels elle est loin encore de donner un statut banal.
Je me garderai donc daffirmer que nous savons déjà, lorsque nous construisons des objectifs de formation, discerner ce qui est décisif pour lavenir et ce qui relève de la simple tradition scolaire, des incontournables dautant moins interrogés quils paraissent présents " de toute éternité ". La réflexion en termes dobjectifs-noyaux aussi bien que lapproche par compétences devrait en principe favoriser la mise en évidence de lessentiel, mais lusage qui en est fait suggère quon singénie dans maints systèmes scolaires à ne faire aucun deuil et à reprendre les mêmes contenus sous des énoncés plus " modernes ".
Aucun système scolaire nest prêt à ce jour à sen tenir par exemple aux sept " savoirs " proposés par Morin (2000), qui définiraient autant de missions de lécole : 1. faire prendre conscience des cécités de la connaissance ; 2. faire découvrir les principes dune connaissance pertinente ; 3. enseigner la condition humaine ; 4. enseigner lidentité terrienne ; 5. préparer à affronter les incertitudes ; 6. enseigner la compréhension ; 7. initier à léthique du genre humain. Les mêmes qui lisent ou écoutent Morin, fascinés et sûrs, disent-ils, quil trace la voie de lavenir, retombent dans leur volonté de ne renoncer à rien dès quil sagit de programmes scolaires " concrets ". Attestant une fois de plus de lart quont nos contemporains de se référer aux visionnaires dans leur discours et de faire en pratique exactement le contraire de ce quils proposent.
Si lon veut des cycles dans lesquels les élèves les plus lents consacrent le maximum de temps aux objectifs fondamentaux et cessent den perdre sur des enjeux marginaux, il importe de redéfinir ce qui est fondamental et ce qui est marginal dans laccès à la pensée et aux savoirs humains.
Aucune reformulation curriculaire ne créera à elle seule les conditions de légalité des acquis. Il y aura toujours des élèves rapides, intéressés, actifs, soutenus par leur famille, disposant dun important capital culturel, et dautres qui, placés dans les mêmes conditions, apprendront moins vite, moins volontiers, moins sûrement, moins durablement.
À supposer que lon ait, au niveau du système éducatif, pris des options audacieuses sur le temps scolaire et sur les objectifs de formation, il resterait à faire lautre moitié du chemin : aménager les parcours de formation de sorte que chacun atteigne ces objectifs redéfinis en un temps égal ou presque. Ce sera lobjet dun autre article.
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