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octobre 2001, pp. 26-31 |
Individualisation des parcours
et différenciation des prises en
charge
Faculté de psychologie et des sciences de
léducation
Université de Genève
2001
Lindividualisation des parcours comme simple conséquenceDes dispositifs raisonnablement flexibles
Ressources rares : à qui accorder la priorité ?
Dans larticle précédent, jai plaidé pour deux options indispensables si lon veut que les cycles dapprentissage pluriannuels réduisent léchec scolaire et les inégalités :
1. Renoncer à diversifier les parcours de formation au sein dun cycle essentiellement en jouant sur le temps (nombre dheures, de semaines ou dannées).
2. Redimensionner les objectifs pour quils soient atteignables par tous dans le même temps au prix dune pédagogie différenciée efficace.
À supposer que lon ait, au niveau dun système éducatif, pris des options audacieuses sur la modulation du temps scolaire et sur les objectifs de formation, il resterait à faire lautre moitié du chemin : aménager les parcours de formation de sorte que chacun atteigne ces objectifs redéfinis en un temps égal ou presque.
Aucune rénovation curriculaire ne créera à elle seule les conditions de légalité des acquis. Quels que soient les programmes, il y aura toujours des élèves rapides, intéressés, actifs, soutenus par leur famille, disposant dun important capital culturel, et dautres qui, placés dans les mêmes conditions, apprendront moins vite, moins volontiers, moins sûrement, moins durablement.
Si lon renonce à jouer sur le temps, il faut évidemment jouer sur les moyens, donc accepter lidée dune prise en charge différenciée des élèves, dans lesprit de la discrimination positive et de " à chacun selon ses besoins ".
La pédagogie différenciée nest pas toujours associée à lidée de parcours individualisés. Elle peut se limiter à une prise en charge plus intensive des élèves en difficulté, tous progressant vers les mêmes objectifs de façon synchrone, tous suivant le même parcours de formation, du même pas. Dans un cursus structuré en étapes annuelles, il est assez difficile de diversifier les parcours.
Les cycles pluriannuels rendent possible cette diversification. Mais le jeu en vaut-il la chandelle ? Pourquoi individualiser les parcours ? En quoi cela enrichit-il une pédagogie différenciée " classique " ? La question est pertinente et mérite dêtre prise au sérieux, car lindividualisation des parcours ajoute à la complexité de lorganisation du travail et, si elle est mal maîtrisée, risque daccroître les écarts en fin de cycle ou de cursus. Y a-t-il de bonnes raisons daffronter cette complexité et ce risque ?
Lindividualisation des parcours nest pas un but en soi. Cest une conséquence logique dune conception cohérente et ambitieuse de la pédagogie différenciée. Différencier consiste à proposer à chacun des situations dapprentissage optimales en regard de sa progression vers les objectifs (Perrenoud, 1997 a). Les élèves étant différents, il convient de leur proposer des situations dapprentissage différentes, non seulement de temps à autre, mais chaque fois que cest pertinent.
Or, quest-ce un parcours de formation, sinon la suite des situations de formation que traverse et vit une personne ? Si ces situations sont différentes, au moins en partie, les parcours seront individualisés de facto. Leur individualisation nest alors que la résultante de choix successifs portant sur des situations, des activités, des tâches, donc aussi lattribution des élèves à des dispositifs et à des groupes de travail différents. Certains de ces choix sont faits par les enseignants, dautres, par les élèves eux-mêmes, en quête dune tâche optimale ; dautres encore seront suggérés par un logiciel ou léquivalent dun " centre de bilan ", tel quil en existe en éducation des adultes.
Ne nous enfermons pas davantage dans lidée que des parcours individualisés conduisent à des apprentissages solitaires : pour une part, ces choix portent sur linsertion dans tel, ou tel groupe de niveau, de besoin, de projet (Meirieu, 1989 a et b). Une pédagogie constructiviste a besoin des interactions.
Un parcours de formation prend consistance pas à pas, cest une dimension de lhistoire de vie, qui nest pas écrite avant dêtre vécue. En ce sens, ce nest pas un cursus scolaire au sens classique, car ce dernier préfigure un parcours de formation prescrit, un itinéraire conseillé ou obligatoire. Insistons-y : lindividualisation des parcours de formation nest pas entendue dans le sens dune personnalisation ex ante des parcours prescrits ou conseillés, mais comme une diversification ex post des itinéraires effectivement suivis.
Cela ne veut pas dire que le chemin parcouru résulte du hasard ou dune suite de décisions prises au coup par coup, sans anticipation ni stratégie. Il serait cependant tout aussi réducteur de ne considérer que la part dindividualisation des parcours qui résulte dune orientation vers un cursus pensé davance, vers une voie balisée. Cela reviendrait à constituer au sein dun cycle des filières parallèles, une forme de streaming, dont on sait les effets amplificateurs des inégalités. Cela signifierait surtout quon rompt avec lidée dune optimisation constante des situations dapprentissage : tout cursus programmé, si on sy tient rigidement, confronte tôt ou tard une partie des apprenants à des situations didactiques inadéquates et donc peu fécondes.
Les premiers courants français de pédagogie différenciée ont rêvé (Legrand, 1976) de connaître lélève a priori, pour lattribuer durablement à un traitement pédagogique optimal. On se situait dans la droite ligne des travaux américains sur les interactions aptitudes-traitement. Aujourdhui, grâce notamment aux travaux de Meirieu (1990) et de plusieurs didacticiens, on sait que lidéal est de travailler ce qui fait obstacle à la progression, donc de différencier en fonction de lexpérience, en renonçant définitivement à décider de ce qui est " bon " pour un élève des semaines, voire des mois à lavance.
Contrairement aux apparences, on est alors au cur de ce quon peut appeler avec Tardif (1992) un enseignement stratégique. Une conduite stratégique ne consiste nullement à arrêter un plan et à sy tenir quoi quil arrive. Il sagit au contraire, tout en gardant le cap sur les objectifs finaux, dinfléchir la stratégie et de redessiner le chemin et les étapes qui y conduisent, cela chaque fois que létat de la progression, les obstacles rencontrés et le temps qui reste lexigent.
Lindividualisation des parcours, telle quelle est conçue ici, refuse à la fois le coup par coup et la voie tracée davance. Elle requiert des stratégies, mais des stratégies ouvertes et mobiles. Pensons à un élève qui bute sur un obstacle important, lorsquil sagit dapprendre à lire ou à construire des figures géométriques. Il est inutile de lui proposer un simple exercice de remédiation, une séance de soutien. Mais il serait plus fâcheux encore de lui prescrire un traitement durable, par exemple lattribution, pour un an, au groupe des lecteurs faibles ou des géomètres en difficulté.
Même en médecine, en dépit des technologies, des savoirs scientifiques et dun ratio soignants/patients plus favorable que le ratio enseignants/élèves, il est impossible doptimiser constamment les processus de décision. Certains traitements se prolongent au-delà du nécessaire, certaines réorientations sont envisagées trop tard. Il est impossible de confirmer ou de réorienter une stratégie thérapeutique toutes les cinq minutes, ni même toutes les heures, sauf aux soins intensifs ou dans les moments de crise. Le pilotage stratégique permanent exige des ressources humaines dont on ne dispose que dans les activités à hauts risques ou la compétition de haut niveau. Il est donc inutile denfermer lécole dans une vision maximaliste de lenseignement stratégique.
Rappelons cependant que construire une stratégie néquivaut pas à changer constamment son fusil dépaule. Le suivi conduit, assez souvent, à persister dans la stratégie engagée, soit parce quelle apparaît efficace, soit parce que les doutes sur son efficacité sont encore à étayer. Il y a toutefois une différence immense entre une stratégie dans laquelle on persiste en connaissance de cause et une stratégie qui perdure par inertie, parce que personne na eu le temps ou les moyens de la réévaluer. Optimiser un parcours de formation, cest linfléchir si et seulement cela semble pertinent. Pour le savoir, il faut mobiliser du temps, de lintelligence, de linformation, même si cest pour décider de continuer !
Lécole ne sera jamais en mesure doptimiser constamment toutes les situations. Ce serait dailleurs invivable en regard du besoin de continuité des personnes et des groupes : sintégrer à un groupe ou se joindre à une activité sont des processus psychosociaux et des investissements affectifs quon ne saurait casser nimporte quand, même si la tâche napparaît pas aussi optimale quon limaginait ou perd à vue dil en efficacité. On ne retire pas un enfant dun projet " au milieu du gué " sous prétexte quil napprend plus, on ne le change pas de groupe en larrachant sine die à une activité en cours ou à des engagements coopératifs.
Ce dilemme est en réalité assez rare, car bien avant de devoir arbitrer entre continuité psychique et relationnelle, dune part, efficacité didactique de lautre, on se heurte à limpossibilité matérielle dévaluer constamment la progression de tous les apprenants, de concevoir une éventuelle réorientation optimale de leur activité et plus encore de la mettre concrètement en uvre.
Il importe cependant de défendre une conception de la pédagogie différenciée comme quête dune activité optimale pour chacun, optimale dabord sous langle de sa praticabilité, de son sens, de sa capacité de mobiliser les élèves concernés, optimale aussi et surtout sous langle des apprentissages quelle engendre (Perrenoud, 1999). Quon ny parvienne pas à chaque instant est dans lordre des choses, limportant est dy tendre et de mettre en place lorganisation du travail la plus propice, dans le cadre des moyens existants. Cest dans cet esprit que lhypothèse modulaire et le travail en flux tendus prennent leur sens (Wandfluh et Perrenoud, 1999).
Si lon estime que trop délèves sont trop souvent engagés dans des tâches peu fécondes, cest dabord un manque de ressources stratégiques quil faut mettre en évidence, montrant à travers des exemples concrets que, faute de temps et de forces, les parcours de formation ont été pilotés de façon trop espacée ou incertaine, donc inefficace. Si lon passait des revendications rituelles centrées sur le nombre délèves par classe à une analyse fine des ressources requises pour prendre de bonnes décisions, peut-être sortirait-on du dialogue de sourds autour des " ressources humaines ". Bien entendu, le nombre délève nest pas sans importance, mais on ne peut aujourdhui le dissocier de lorganisation du travail et des compétences des professionnels.
Concevoir lindividualisation des parcours comme la simple conséquence de loptimisation des situations dapprentissage proposées à chacun a de vives implications pour lorganisation du travail dans un cycle dapprentissage pluriannuel.
Cette conception de lindividualisation comme effet dune différenciation bien menée conduit dabord à refuser de penser un cycle comme un ensemble ditinéraires préconstruits, lenjeu majeur étant dattribuer rapidement chaque élève à celui qui serait censé lui convenir le mieux. On évitera même de répartir les élèves entre des groupes de niveaux pour de longues périodes, disons plus de 4 à 6 semaines. À la limite, les groupes de niveaux devraient devenir des groupes de besoin, centrés sur certaines difficultés dapprentissage et certains obstacles rencontrés dans une discipline.
Il nest pas impossible alors que certains élèves, de six semaines en six semaines, se retrouvent dans le même groupe de besoin, finissant par constituer le groupe de ceux réputés " faibles en mathématique ", par exemple. Recomposer les groupes toutes les six semaines pourrait être un simulacre si, dans la tête des enseignants, certains élèves sont définitivement " faibles en maths ". Il importe donc :
Une partie de lindividualisation des parcours ne peut et ne doit se faire que dans le cadre dune activité, qui sera en général collective. Il nest donc pas question de disposer dun arsenal dactivités individuelles, en isolant les élèves. Ce qui veut dire aussi que les décisions optimisant les situations se prennent à plusieurs niveaux (Perrenoud, 2001) :
Il serait donc caricatural de se représenter la gestion dun cycle comme la redistribution quotidienne de lensemble des élèves entre des activités et des groupes constamment recomposés. On voit bien quentre une organisation figée pour un an et une organisation excessivement mouvante, il convient de trouver un moyen terme, non seulement pour que cela soit vivable pour les personnes et compatible avec les forces disponibles, mais aussi et dabord pour que les processus de formation suivent leurs cours. Dans un jeu, un sport, à la bourse ou dans certains métiers, la situation évolue très vite et appelle des réorientations tactiques rapprochées. En pédagogie, on pilote à vue des interactions et des activités, mais les apprentissages eux-mêmes sont des processus plus lents, qui nexigent pas des décisions nouvelles à chaque instant et pourraient au contraire souffrir dun interventionnisme exagéré.
Il sagit donc de trouver une voie médiane entre inertie et activisme, entre un système tellement stable quil installe durablement beaucoup délèves dans des situations dapprentissage inadéquates et un système en constante fibrillation, dans lequel on passerait plus de temps à réorienter les élèves vers dautres activités quà faire fonctionner des situations dapprentissage bien pensées.
À volonté égale de différenciation, la tentation de certaines équipes sera dinvestir dans des dispositifs très mobiles et des décisions rapprochées, alors que dautres feront confiance à des régulations internes aux groupes et aux activités. Ces tendances auront sans doute partie liée avec des orientations pédagogiques et didactiques. Une certaine vision de la pédagogie de maîtrise donne de limportance à lorientation des élèves vers un " traitement " adéquat (groupe et activité), alors quune vision plus constructiviste et interactive fait plutôt crédit aux régulations en cours dactivité.
La conception même des activités pèsera sur lorganisation du travail et loptimisation des situations dapprentissage :
De plus, certaines équipes travailleront sur des objectifs intermédiaires relativement fragmentés, dautres mettront laccent sur des objectifs à longue portée, ce qui induit des contraintes très différentes pour les activités et leur régulation.
La flexibilité des dispositifs, la nature et la densité des décisions dépendent aussi du degré dindividualisme qui convient à une équipe pédagogique. Autant il me semble indéfendable de concevoir un cycle pluriannuel où lon se bornerait à répartir les élèves pour un an entre des enseignants travaillant dès lors chacun dans son coin, autant il serait irréaliste de tout décider en équipe. Une équipe ne survit quen respectant lautonomie de ses membres, donc en conciliant décisions collectives et décisions individuelles. Le degré de décentralisation des décisions varie fortement dune équipe à une autre, mais aussi en cours dannée, avec des temps forts de concertation et des temps de fonctionnement plus autonome. Ici encore, légiférer pour tous. ce serait faire abstraction des différences entre enseignants dans la capacité et la volonté de coopérer, aussi bien que des contraintes et ressources locales.
Enfin, les outils disponibles sont imparfaits et évolutifs. Que faire de spécifique dans le groupe-classe ? Faut-il le concevoir comme groupe dappartenance, port dattache, tour de contrôle, base dorientation ? Que peut-on attendre des " décloisonnements " ? Quelles sont les vertus de groupes hétérogènes ? Pourquoi constituer des groupes homogènes et selon quels critères ? Travailler en modules, est-ce une solution généralisable à lensemble des apprentissages ? À ce stade, aucun système ne simpose comme une organisation optimale dans tous les contextes (Groupe de pilotage de la rénovation, 1999 a et b ; Perrenoud, 1997 a, 2000 ; Wandfluh et Perrenoud, 1998). Lenjeu est plutôt de développer des compétences individuelles et collectives dorganisation du travail en cycles. Cela nexclut pas, au contraire, que le système éducatif mette à disposition de tous des ressources : concepts, exemples, récits, outils, modèles dorganisation, réflexions critiques.
Lessentiel est de ne pas perdre de vue une idée simple, mais constamment menacée : les dispositifs ne sont que des moyens doptimiser les situations dapprentissage pour chaque élève et lindividualisation des parcours nest que le signe dune pédagogie différenciée digne de ce nom. Pour juger dune organisation du travail ou dune autre, il nest pas inutile de scruter sa lisibilité et sa cohérence, dinterroger ses intentions et ses fondements pédagogiques. Mais au bout du compte, la question déterminante est de savoir si les élèves sont, aussi souvent que possible, confrontés à des tâches et des défis qui les font progresser vers les objectifs de formation.
Pour ces diverses raisons, il serait absurde de concevoir une organisation du travail unique, qui ferait abstraction de la diversité des conceptions pédagogiques et didactiques des enseignants aussi bien que des contraintes locales.
Ajoutons une dimension à cette complexité : une organisation du travail qui optimiserait constamment les situations dapprentissages pour tous les élèves engendrerait une formidable aggravation des écarts. Les élèves lents ou en difficulté progresseraient mieux et plus vite que dans une pédagogie frontale, mais il en irait de même pour les élèves rapides. Et ces derniers bénéficieraient davantage de loptimisation, dans la mesure où ils peuvent plus facilement trouver du sens à la tâche et la gérer de façon autonome.
En soi, ce nest pas un problème, sinon sous langle de léventuelle dissonance entre lâge de certains élèves et leur niveau scolaire. Que faire dun élève qui atteint en trois, voire en deux ans, les objectifs dun cycle de quatre ans ? Une pédagogie différenciée efficace et étendue à tous les élèves permettrait certainement à quelques-uns de passer leur bac à quinze ans. Cest dailleurs ce quattendent des cycles pluriannuels certains parents de " très bons élèves ". Sengage alors un débat sur la question de savoir sil est souhaitable de condenser en dix ans une scolarité de base que dautres accomplissent en quinze, si ce quon gagne en acquis scolaires ne se perd pas dans le registre de la socialisation, de lappartenance à un groupe, de la solidarité.
Je prendrai ici le problème sous un autre angle : même avec un ratio maître/élèves favorable, même avec une organisation du travail très efficace et des enseignants très compétents, lécole na pas et naura jamais les moyens dune optimisation des situations dapprentissage pour tous. Doù une question cruciale : à qui accorder la priorité ?
Dans la perspective dune démocratisation de laccès aux savoirs, la réponse va de soi : aux élèves les plus éloignés des objectifs de fin de cycle. Entre deux maux, il faut choisir le moindre : il est moins grave de ne pas amener un bon élève au-delà des objectifs que de ne pas tout faire pour un élève qui pourrait ne pas les atteindre.
Hélas, même les systèmes éducatifs qui instaurent des cycles dapprentissage pour favoriser la lutte contre les inégalités ont intérêt à ne pas mettre les points sur les i. On imagine mal un Ministre annoncer aux parents de bons élèves, surtout si ce sont ses électeurs, que leurs enfants ne sont pas prioritaires.
On remet donc aux enseignants, aux équipes pédagogiques et aux établissements le soin de pratiquer discrètement une discrimination positive. Discrètement veut dire : accorder la priorité aux élèves en difficulté, mais ne jamais lavouer. Sauver les apparences de légalité de traitement, pour ne pas provoquer le mécontentement des privilégiés, de ceux qui nen nont jamais assez.
Si ce rideau de fumée navait aucune conséquence, pourquoi sacharnerait-on à le dissiper ? Il permettrait simplement de lutter efficacement contre léchec scolaire, sans mettre en évidence toutes les implications de ce choix. Lennui, cest que sauver les apparences se paie cher :
Il me semble quil faudra un jour affronter ouvertement ce problème et proposer un contrat de solidarité aux parents de lécole publique. Il suffirait quelle sengage à faire en sorte que chaque élève atteigne les objectifs, ni plus, ni moins, ce qui lautoriserait à inviter fermement et ouvertement les enseignants à ne pas surinvestir dans lencadrement de ceux qui progressent sans grandes difficultés et à sintéresser au contraire plus intensivement à ceux qui ont besoin dune prise en charge plus soutenue.
Dans les hôpitaux publics, il est admis quon réserve les traitements intensifs, les technologies de pointe et les meilleurs spécialistes aux patients qui en ont le plus besoin. Chacun aimerait bénéficier des mêmes ressources pour une affection bénigne, mais il se " fait une raison ", au nom de la raison, justement, dune certaine idée de léquité et de la solidarité. Ou il soriente vers une clinique privée, si lablation dun kyste ou le traitement de sa cellulite lui paraissent aussi importants quune greffe de rein ou une opération cardiaque.
Si lécole publique ne garantit rien de plus que latteinte des objectifs, pourquoi sopposerait-elle à ce que les parents les moins solidaires aillent chercher dans le secteur privé léquivalent des cliniques de luxe ? Il ny a toutefois aucune raison que la collectivité prenne en charge le coût de cette scolarité. Le service public est dune certaine façon un service minimum, même si ce minimum sélève au fil des décennies, pour répondre aux transformations de nos sociétés.
Il est regrettable que ce principe soit perverti par certains " consommateurs décole " dont le seul souci est dobtenir le maximum pour le prix du minimum, au mépris de toute solidarité. Il importerait donc que le développement de cycles dapprentissage soit loccasion de clarifier le droit et le devoir de discrimination positive, en le reformulant dans ce nouveau contexte : linstitution scolaire et les professionnels sengagent à amener tous les élèves à maîtriser les objectifs de fin de cycle, ni plus, ni moins ; ils sautorisent donc tout à fait légitimement et ouvertement à investir moins de force et dintelligence pédagogique et didactique lorsque les apprentissages suivent leur cours normalement.
Pour mettre ces orientations en pratique, au-delà de la volonté politique et de la clarté de la " doctrine ", il reste évidemment à identifier les élèves qui ont besoin dun investissement important et ceux qui progressent sans efforts et atteindront les objectifs dans les temps.
En conclusion ; différencier, à moyens limités, cest optimiser sélectivement les situations dapprentissage et la prise en charge pédagogique, dans la perspective dune discrimination positive. Ce qui mène à accepter, sans que cela fasse scandale, que les élèves les plus favorisés se retrouvent assez souvent dans des groupes de grande taille ou travaillent de façon largement autonome. Que ces conditions ne soient pas optimales nest pas dramatique si elles :
On peut craindre hélas que ce contrat social soit difficile à établir dans une société où les nantis attendent de lÉtat des services à la hauteur des impôts quils paient !
On sen rend compte, ces enjeux sont, pour une part, techniques : construction de situations et de dispositifs dapprentissage efficaces, organisation optimale du travail, évaluation formative, décisions, régulations. Tout cela exige des enseignants une forte expertise pédagogique et didactique, tant individuelle que collective.
Mais les enjeux sont aussi philosophiques et politiques. Il est navrant de voir plusieurs systèmes éducatifs adopter une structuration du cursus en cycle pluriannuels comme si cétait une simple " modernisation ", idéologiquement neutre. Ce qui les conduit, dans les textes, dans le discours public, à dissocier cycles et lutte contre léchec scolaire, ou à maintenir ce lien, mais de façon abstraite, sans quon voie en quoi les cycles tels quils sont mis en place, pourraient infléchir les mécanismes de transformation des différences extrascolaires en inégalités dapprentissages scolaires.
Du coup, certains enseignants ne comprennent pas au nom de quoi on leur imposerait une gestion plus collégiale, des dispositifs plus complexes, des objectifs à plus longue échéance, une évaluation plus formative. Si ces changements apparaissent comme un simple tribut aux idées du moment, un simple alignement sur ce que font les autres systèmes éducatifs, il nest pas conservateur dy résister. Ce qui justifie linnovation, encore et toujours, cest lespoir de mieux former ceux qui napprennent pas tout seuls ou selon nimporte quelle pédagogie.
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Meirieu, Ph. (1990) Lécole, mode demploi. Des " méthodes actives " à la pédagogie différenciée, Paris, Ed. ESF, 5e éd.
Paul, J.-J. (1996) Le redoublement : pour ou contre ?, Paris, ESF.
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Perrenoud, Ph. (1997 c) Concevoir et faire évoluer des dispositifs de différenciation. Voyage autour des compétences 3, Éducateur, n° 13, 7 novembre, pp. 20-25 (repris dans Perrenoud, Ph., Dix nouvelles compétences pour enseigner. Invitation au voyage, Paris, ESF, 1999, ch. 3).
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Perrenoud, Ph. (2000) De la gestion de classe à lorganisation du travail dans un cycle dapprentissage, in Revue des sciences de léducation (Montréal), Vol. XXV, n° 3, pp. 533-570.
Perrenoud, Ph. (2001) Les trois fonctions de lévaluation dans une scolarité organisée en cycles, Éducateur, n° 2, 9 février, pp. 19-25.
Tardif, J. (1992) Pour un enseignement stratégique, Montréal, Éditions Logiques.
Wandfluh, F. et Perrenoud, Ph. (1999) Travailler en modules à lécole primaire : essais et premier bilan, Éducateur, n° 6, 7 mai, pp. 28-35.
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