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Apprendre à lécole à
travers
des projets : pourquoi ? comment ?
Philippe Perrenoud
Faculté de psychologie et des sciences de
léducation
Université de Genève
2002
La démarche de projet a été dabord laffaire de certains courants de pédagogie active. Le projet, comme " lécole du travail ", le " texte libre ", la " correspondance " ou la " classe coopérative ", sinscrivaient dans une opposition à une école publique autoritaire, centrée sur lapprentissage par cur et lexercice.
Aujourdhui, lécole publique est un melting pot de toutes sortes didées de moins en moins neuves qui, à lorigine, se sont développées en marge. Dans les pratiques, le mariage entre pédagogies traditionnelles et pédagogies alternatives reste globalement un pâté de cheval et dalouette, un peu moins déséquilibré à lécole primaire quau second degré. Au niveau des intentions et des discours, en revanche, il est difficile de dire aujourdhui à qui appartient la " démarche de projet ". Elle reste, certes, lune des thèmes forts de certains mouvements pédagogiques, comme le Groupe français déducation nouvelle, mais nimporte qui se sent autorisé à se réclamer de la pédagogie du projet sans saffilier pour autant à un mouvement spécifique.
Lampleur variable des démarches de projet et lensemble de pratiques denseignement-apprentissage dans lesquelles elles sinsèrent accroît dailleurs la confusion. Dans sa vision la plus ambitieuse, la démarche de projet est lépine dorsale dune pédagogie du projet comme mode ordinaire de construction des savoirs dans la classe. A lautre extrême, cest une activité parmi beaucoup dautres, qui jouxte la résolution dénigmes, les mots croisés ou le concours de calcul mental dans la panoplie des démarches qui visent à rendre les apprentissages moins arides et à impliquer les élèves que le " savoir pur " mobilise peu.
Il est donc difficile de se mettre daccord sur ce dont on parle. Chaque enseignant a probablement un rapport personnel aux projets, dans la vie et dans la classe. Les uns, coupés de toute culture en pédagogie active, en sont réduits au sens commun et à lesprit du temps et bricolent à leur usage propre une vision artisanale du projet. Dautres se sentent membres dun mouvement pédagogique et/ou dune équipe dans lesquels la pédagogie et les démarches de projet ont une histoire et une signification identifiables.
Parler de pédagogie du projet comme principe général dorganisation du travail risque de faire fuir assez rapidement tous ceux qui nadhèrent pas à une pédagogie définie, mais " font leur marché " dans léventail des démarches proposées par la tradition, les formateurs, les chercheurs en didactique, les mouvements pédagogiques ou dautres courants, comme la gestion mentale.
Parler de démarches de projet présente lavantage de ne pas écarter demblée tous ceux pour lesquels travailler par projets nest pas une orientation globale, mais une façon parmi dautres de mettre les élèves au travail. Commençons lanalyse à ce niveau, sans doute moins exigeant et moins cohérent, mais qui peut engager le débat dans le cercle, qui va sélargissant, de ceux qui ne voient plus le métier délève comme une succession de leçons magistrales à écouter religieusement et dexercices à faire scrupuleusement.
Quels sont alors les raisons de choisir une démarche de projet ? Si les logiques qui président au choix dun type dactivité ou dun autre étaient claires et partagées, on disposerait dune trame conceptuelle dans laquelle situer la démarche de projet. Hélas, on ne peut tenir un tel repérage pour acquis. Procédons donc à lenvers : étant donnée une définition provisoire de la démarche de projet, essayons de voir à quoi elle sert, ce quon peut en attendre. Une fois cet inventaire établi, il sera temps de se demander si dautres activités remplissent les mêmes fonctions, autrement dit avec quoi les démarches de projet entrent en concurrence direct et dans quels domaines elles sont lunique recours.
La définition provisoire est empruntée à lunité dintégration " Complexité et gestion de projet " de la licence mention Enseignement et notamment au cadrage proposé aux étudiants lorsquils sont invités, en collaboration avec un formateur de terrain, à conduite une démarche de projet sur deux semaines, pour approximativement la moitié du temps de classe.
La démarche est volontairement définie par ses modalités plutôt que par sa philosophie, puisquen formation initiale une partie du travail danalyse ex post consiste justement, sur la base dune expérience, à identifier les raisons de sengager plus ou moins régulièrement dans de telles démarches à lécole primaire.
Les formateurs responsables de cette unité se sont rendus compte, au fil des années, quil fallait probablement en dire un peu plus pour que lanalyse ne se perde pas dans une diversité excessive de démarches.
Cest pourquoi il a paru utile de mieux cerner ce quon peut attendre dune démarche de projet, pour inciter les étudiants et leurs formateurs de terrain à se situer plus clairement à ce niveau, avant de sabsorber dans les contenus et les aspects pratiques.
Que peut-on attendre dune telle démarche ? On voit clairement quelle nest connectée à aucune discipline particulière. Une démarche de projet en sciences, par exemple pour initier à la démarche expérimentale, présente des spécificités. En français, si lon vise à développer une posture dauteur ou une attitude métalinguistique, cela imprégnera la démarche.
Nous nentrerons pas ici, toutefois, dans ce qui particularise la démarche de projet selon les champs disciplinaires. Limitons-nous à esquisser des réponses communes, en sachant que leur validité nest pas égale selon quil sagit de géographie ou déducation physique. Admettons également quune démarche de projet peut rester essentiellement interne à une discipline, quelle peut en concerner plusieurs ou encore viser des apprentissages " non disciplinaires ", de lordre de la socialisation ou des " compétences transversales "
On soutiendra ici quune démarche de projet, dans le cadre scolaire, peut viser un ou plusieurs des objectifs suivants :
1. Entraîner la mobilisation de savoirs et savoir-faire acquis, construire des compétences.2. Donner à voir des pratiques sociales qui accroissent le sens des savoirs et des apprentissages scolaires.
3. Découvrir de nouveaux savoirs, de nouveaux mondes, dans une perspective de sensibilisation ou de " motivation ".
4. Placer devant des obstacles qui ne peuvent être surmontés quau prix de nouveaux apprentissages, à mener hors du projet.
5. Provoquer de nouveaux apprentissages dans le cadre même du projet.
6. Permettre didentifier des acquis et des manques dans une perspective dautoévaluation et dévaluation-bilan.
7. Développer la coopération et lintelligence collective.
8. Aider chaque élève à prendre confiance en soi, renforcer lidentité personnelle et collective à travers une forme dempowerment, de prise dun pouvoir dacteur.
9. Développer lautonomie et la capacité de faire des choix et de les négocier.
10. Former à la conception et à la conduite de projets.
A ces objectifs sajoutent des bénéfices secondaires :
Reprenons ces dix " fonctions " en explicitant ces intitulés et en donnant quelques exemples.
1. Entraîner la
mobilisation de savoirs et
savoir-faire acquis, construire des
compétences
Un projet confronte à de " vrais " problèmes, qui ne sont pas des exercices scolaires, mais des problèmes à résoudre et des obstacles que le groupe doit surmonter pour arriver à ses fins. Une démarche de projet place donc le maçon au pied du mur et loblige à se mesurer à des défis qui ne sont pas organisés pour être exactement à sa mesure, et ne se présentent pas dans les formes du travail scolaire ordinaire.
Du coup, il devient possible dexercer le transfert ou la mobilisation de ressources cognitives jusqualors travaillées et évaluées séparément. Lélève-acteur a ainsi loccasion non seulement de prendre conscience de ce quil sait et de sa capacité de sen servir en situation, mais de développer cette capacité.
On se trouve là, de façon privilégiée, dans un contexte daction nécessaire au développement de compétences (Le Boterf, 1994 ; Perrenoud, 1998), même si la démarche de projet nest pas la seule façon dy contribuer.
2. Donner à voir des
pratiques sociales qui accroissent
le sens des savoirs et des apprentissages
scolaires
Le projet est mobilisateur, pour les élèves, parce que les enjeux leur importent. Or, ces enjeux ne sont pas dabord dapprendre ou de comprendre, mais de réussir, datteindre un but, de recevoir un feed-back positif dun destinataire ou davoir la satisfaction du travail accompli et du défi relevé.
Pour lenseignant, bien entendu, lenjeu principal est en principe de faire apprendre. Les élèves sen doutent, mais le projet ne peut les impliquer autrement que si lapprentissage est un bénéfice secondaire. Sinon, les élèves se retrouvent dans une situation classique de travail scolaire et font appel aux mécanismes de défense habituels.
Lexistence dun véritable enjeu rapproche le travail scolaire de situations quon pourrait rencontrer dans lexistence : mener une enquête, organiser un concours, une fête ou une journée sportive, monter un spectacle, écrire un roman, éditer un journal, faire une expérience scientifique, tourner un film, correspondre avec des partenaires lointains, créer un centre de ressources ou proposer laménagement ou léquipement dun lieu ne sont pas des pratiques purement scolaires. Elles existent dans la société, et les démarches de projet sen inspirent.
Même si personne nest entièrement dupe et sait quon va à lécole pour apprendre, les élèves qui " se prennent au jeu " se comportent comme des acteurs sociaux engagés dans des pratiques sociales assez proches de la vie.
On peut attendre de cette expérience une prise de conscience de lexistence même de certaines pratiques sociales et de leur condition, comprendre par exemple que publier un journal, ce nest pas magique, que cela demande du travail, de la coopération, de la persévérance, de la méthode et surtout des compétences et des savoirs. Cela permet de donner davantage de sens aux notions, méthodes et connaissances quon apprend en classe. Leur appropriation est facilitée parce que, dobjets scolaires, ils deviennent des outils au service dune pratique sociale identifiable.
3. Découvrir de
nouveaux savoirs, de nouveaux mondes,
dans une perspective de sensibilisation ou de
" motivation "
Un projet, même canonique, amène à buter sur des obstacles inattendus et à découvrir de nouvelles facettes de la culture. Un groupe qui veut éditer le roman quil a écrit se rend chez un imprimeur et découvre des mondes insoupçonnés : le monde des matières (divers papiers et formats, les couvertures, les reliures), le monde des machines et des techniques (photocomposition, offset), le monde des compétences professionnelles, le monde des transactions (devis, coût unitaire, prix de vente), le monde des règles juridiques (responsabilités des auteurs et de limprimeur, copyright) et indirectement le monde de lédition, des arts graphiques, de la publicité, de la presse, des libraires.
Ces incursions dans des mondes sociaux, soit directes, soit indirectes, parce quils sont évoqués au fil des opérations, font partie de la construction dune culture générale et dune éducation à la citoyenneté, car comprendre la société, cest entrer en contact avec ses multiples rouages, au moins autant que connaître sa Constitution !
Tous ces mondes offrent des entrées dans les savoirs. Ils donnent à voir des pratiques et des compétences qui mobilisent des savoirs. Y ont cours des mots, des notions, des problèmes, des règles qui justifient une partie des apprentissages scolaires et accroissent donc leur sens.
4. Placer devant des
obstacles qui ne peuvent être surmontés
quau prix de nouveaux apprentissages, à mener hors du
projet
Un projet confronte à des obstacles qui ne peuvent être surmontés par chacun. On sen tire alors parce quun ou deux élèves en savent davantage que les autres ou parce que lenseignant ou dautres adultes donnent un coup de pouce. Cette aide fait partie de létayage de la démarche et nest problématique que si elle devient la règle. Parfois, on renonce, faute de disposer des savoirs et savoir-faire et de pouvoir les acquérir sur le vif, à temps.
Lorsquon ne sait pas faire, on apprend au moins quil existe des tâches utiles, pertinentes, face auxquelles on manque de connaissances ou de savoir-faire opératoires. Il nest pas toujours possible (cf. 5 ci-dessous) de remédier à ce manque dans le cadre du projet, mais on peut au moins les identifier et les transformer en un besoin de formation ou, au minimum, une certaine disponibilité à apprendre ce qui a fait défaut.
Il importe évidemment que ces constats ne soient pas vécus comme des échecs ou des marques dincompétence, mais comme des expériences normales dun sujet en développement, qui se heurte à des limites, mais peut les déplacer.
5. Provoquer de nouveaux
apprentissages
dans le cadre même du projet
Il arrive que lapprentissage requis pour surmonter lobstacle soit possible dans le cadre même du projet. Parfois, on apprend " sur le tas ", par essais et erreurs, en se creusant la tête, en observant, en discutant. On peut aussi suspendre laction et aller demander un complément de formation.
Dans le cadre scolaire, il est possible, et donc tentant, de prendre prétexte de chaque difficulté pour improviser une " petite leçon ". " Maîtrise du français " (Besson et al., 1979) proposait de bâtir une démarche didactique sur larticulation dactivités-cadres très proches de projets et dateliers de structuration travaillant des notions spécifiques. Par exemple, dans lécriture dun récit, on peut buter sur le problème du passé simple ou du dialogue et opérer en quelque sorte un décrochage, pour revenir à la tâche mieux armé.
Il importe simplement de mesurer que labus de tels décrochages fait perdre tout son sel, voire tout son sens au projet, parce quil rompt sa dynamique et donc limplication des acteurs. Mieux vaut donc accepter que tous les manques ne soient pas immédiatement comblés.
6. Permettre didentifier
des acquis et des manques
dans une perspective dautoévaluation et
dévaluation-bilan
Le fonctionnement des élèves dans un projet offre une magnifique occasion dautoévaluation spontanée ou sollicitée. Il est légitime, à condition que cela ne devienne pas pesant ou paralysant, de prendre un temps danalyse des tâches accomplies, des réussites et des échecs dans chacune et de ce quelles disent des acquis. Cette autoévaluation peut, mais ne doit pas systématiquement déboucher sur des offres de formation, encore moins des remédiations ou du soutien pédagogique. En effet, une démarche de projet peut mettre en évidence des lacunes tout à fait légitimes, qui nappellent aucune intervention urgente de lenseignant. Lautoévaluation alimente une forme de lucidité qui peut guider de nouveaux apprentissages, mais aussi, tout simplement, permettre à chacun de repérer ses points forts et ses points faibles et choisir ses investissements et son rôle en conséquence.
Lenseignant peut aussi se servir des projets pour mieux connaître et comprendre ses élèves et pour mieux identifier, parce quil les voit à luvre dans des tâches multiples et complexes, leurs acquis et leurs difficultés. Cest un outil majeur dobservation formative.
7. Développer la
coopération et
lintelligence collective
Un projet oblige à coopérer, donc à développer les compétences correspondantes : savoir écouter, formuler des propositions, négocier des compromis, prendre des décisions et sy tenir. Mais aussi savoir offrir ou demander de laide, partager ses soucis ou ses savoirs ; savoir répartir les tâches et les coordonner ; savoir évaluer en commun lorganisation et lavancement du travail ; gérer ensemble des tensions, des problèmes déquité ou de reconnaissance, des échecs. A cela sajoute un travail sur les compétences de communication écrite (plan, mémos, correspondance, marches à suivre) et orale (argumentation, animation, partage de savoirs, etc.), comme outils fonctionnels de la coopération.
Au-delà des compétences, les élèves prennent conscience de limportance dune intelligence collective ou distribuée, de la capacité dun groupe, sil fonctionne bien, de se fixer des buts quaucun individu ne peut espérer atteindre seul.
Dans une société où la coopération et le travail en réseau deviennent la règle dans les organisations, notamment autour de projets, ce seul objectif pourrait justifier un entraînement intensif dans le cadre scolaire.
8. Aider chaque
élève à prendre confiance en soi,
renforcer lidentité personnelle et collective à
travers
une forme dempowerment, de prise dun pouvoir
dacteur
Dans un projet, à titre individuel ou comme membre du groupe, chacun est acteur et mesure quil a prise sur le monde et sur les autres, quil a un certain pouvoir et que ce pouvoir est fonction de son travail, de sa détermination, de sa conviction, de sa compétence.
Cest une source majeure de confiance en soi et didentité, qui sont à leur tour des ingrédients précieux du rapport au savoir, de lenvie dapprendre et du sentiment den être capable.
On dit volontiers que lécole doit développer la citoyenneté, lidentité, la solidarité, lestime de soi, lesprit critique. On se demande moins souvent dans quel cadre ces apprentissages peuvent prendre place. Les démarches de projets créent des dynamiques de coopération, elles exigent une forte implication et en se heurtent à de vrais obstacles. Cest pourquoi elles confrontent aux autres et au réel " en vraie grandeur ", ce qui aide chacun à se construire comme personne, à se relier aux autres aussi bien quà sen différencier.
Les travaux sur lempowerment (Hargreaves and Hopkins, 1991) montrent à quel point, dans les organisations, les individus ont du mal à se prendre pour des acteurs alors quon les traite comme des agents. Cette identité dacteur vient de loin et si lécole ne la construit pas, elle reste totalement dépendante de léducation familiale, donc très inégale. Ceux qui nont pas la chance de construire dans ce cadre une forte identité personnelle abordent le monde du travail fort démunis !
9. Développer
lautonomie et la capacité
de faire des choix et de les négocier
Dans un projet, chacun risque dêtre emporté par des options collectives quil ne comprend ou ne partage pas, faute davoir su défendre et faire prévaloir au moins quelques-unes de ses idées. Une démarche de projet favorise donc un double apprentissage :
dune part, lapprentissage de lautonomie par rapport au groupe, qui permet de à lindividu de se ménager des zones dans lesquelles il reste maître de son action ou du moins dune partie des modalités, voire des finalités ; pour cela, il faut savoir faire reconnaître sa compétence et se faire déléguer des tâches sans quelles soient prescrites dans leur détail ;
dautre part, lapprentissage des façons concrètes de se faire entendre dans un groupe et dinfluencer les décisions collectives, de sorte à pouvoir sy reconnaître.
Ces deux compétences sont étroitement complémentaires. Lindividu sauvegarde son autonomie en protégeant une sphère dactivité où il est " maître chez soi " aussi bien quen infléchissant les orientations du groupe et les règles du jeu dans le sens de ses propres préférences (Vassilef, 1997 ; Perrenoud, 1999).
10. Former à la
conception et
à laconduite de projets
Dans une " société à projet " (Boutinet, 1993, 1995 ; Courtois et Josso, 1997) une bonne partie des professionnels se trouvent, plus ou moins fréquemment, engagés dans des projets de développement, de restructuration, dinnovation. Dans la vie hors travail, il en va de même dans le domaine associatif, politique, syndical, sportif, culturel.
Apprendre à conduire des projets ou à y contribuer de façon à la fois critique et constructive est donc en soi un apprentissage important lorsque cette forme daction collective devient banale. Or, sil nest pas inutile de disposer de quelques conseils méthodologiques, lessentiel de cet apprentissage reste expérientiel. On apprend en faisant. Les projets qui fonctionnent bénéficient en général de quelques personnes-ressources qui ont développé des savoir-faire danimation et de médiation sans lesquels les divergences risquent de faire éclater nimporte quel groupe confronté à des défis. Dans la classe, cest lenseignant qui joue ce rôle, mais il peut donner à quelques élèves la chance den assumer certains aspects et à dautres, au minimum, loccasion de voire fonctionner des pratiques facilitatrices. Le conseil de classe, instance de régulation plus permanente, crée les mêmes effets de formation.
De tels apprentissages ne sont pas sans lien avec les disciplines et notamment lhistoire et les langues, puisquune partie des transformations politiques et sociales passent par des mouvements sociaux orientés par des projets. Quant aux stratégies argumentatives, aux capacités de reformulation et de recadrage des divergences, des points daccords et du travail à faire, elles sont au cur de la conduite de projets. Il ne sagit donc pas seulement dhabiletés, mais de savoirs sur les institutions, le pouvoir, la décision, les dispositifs de travail efficace.
Bénéfices secondaires
Dans une classe, une démarche de projet nest jamais une démarche anodine, si lenseignant accepte et favorise la dévolution du projet, autrement dit limite son propre pouvoir et en laisse aux élèves.
Certains enseignants commencent lannée scolaire avec un projet : ils ont compris que cest la meilleure manière de créer un lien social, de souder un groupe et aussi de donner aux élèves les moins favorisés loccasion de se présenter comme des acteurs, parfois drôles, efficaces ou conciliateurs, plutôt que dapparaître demblée comme peu scolaires ou porteurs de lacunes
Cette expérience nest pas seulement favorable à une dynamique de classe, elle crée une culture partagée de laction, à laquelle on peut se référer tout au long de lannée scolaire pour donner à certains savoirs un sens. Il importe en effet, dans le travail scolaire, de pouvoir non seulement répondre de façon convaincante à la question " A quoi ça sert ? ", mais de la susciter et de connecter la réponse à des problèmes concrets. Les démarches de projet ne font pas le tour des pratiques sociales, mais elles permettent daccéder à quelques-unes dentre elles de façon plus probante que par une évocation abstraite.
Par exemple, une expérience du projet permet de prendre conscience du fait que toute décision se fonde sur des savoirs théoriques aussi bien que procéduraux et que ceux qui exercent une certaine influence ne sont pas ceux qui crient le plus fort, mais ceux qui analysent les possibilités, les moyens et contribuent à concevoir des stratégies réalistes.
Conclusion
Il nest évidemment pas nécessaire que chaque démarche de projet contribue à des apprentissages décisifs dans chacun de ces dix registres. Mieux vaudrait en viser spécifiquement un ou deux et prendre les autres, sils surviennent, comme dheureux bénéfices secondaires.
Ce référentiel na donc aucune intention de normaliser les projets, encore moins de les accabler de tâches de formation dune ambition démesurée. Il propose simplement des points de repères pour répondre à deux questions complémentaires :
On notera que les acquis évoqués nenferment dans aucune discipline. Certains sont nettement des compétences transversales, dautres apparaissent plus proches dun programme disciplinaire.
Il ny a pas non plus dexclusive quant au type dacquis : connaissances, compétences, mais aussi attitudes, valeurs, postures, rapports au savoir ou à laction, besoins, nouveaux projets, image de soi, représentation du monde et de laction individuelle ou collective.
Bref, la démarche de projet peut poursuivre des objectifs fort divers et il nest pas question de les hiérarchiser. Il importe en revanche de les tirer au clair, pour ne pas succomber à une forme de " romantisme du projet " qui lui prêterait des vertus sans les soumettre à lanalyse.
Références
Besson, M.-J. et al. (1979) Maîtrise du français, Vevey, Delta.
Boutinet, J.-P. (1993) Anthropologie du projet, Paris, PUF, 2e éd.
Boutinet, J.-P. (1993) Psychologie des conduites à projet, Paris, PUF, QSJ.
Boutinet, J.-P. (dir.) (1995) Le projet, mode ou nécessité ?, Paris, LHarmattan.
Courtois, B. et Josso, Ch. (dir.) (1997) Le projet : nébuleuse ou galaxie ?, Neuchâtel et Paris, Delachaux et Niestlé.
Hargreaves, D. H et Hopkins, D. (1991) The Empowered School : The Management and Practice of School Development, London, Cassell.
Le Boterf, G. (1994) De la compétence. Essai sur un attracteur étrange, Paris, Les Éditions dorganisation.
Perrenoud, Ph. (1997) Construire des compétences dès lécole, Paris, ESF (2e éd.1998).
Perrenoud, Ph. (1998) Réussir ou comprendre ? Les dilemmes classiques dune démarche de projet, Genève, Faculté de psychologie et des sciences de léducation.
Perrenoud, Ph. (1999) La clé des champs : essai sur les compétences dun acteur autonome. Ou comment ne pas être abusé, aliéné, dominé ou exploité lorsquon nest ni riche, ni puissant, Université de Genève, Faculté de psychologie et des sciences de léducation.
Rey, B. (1996) Les compétences transversales en question, Paris, ESF.
Vassilef, J. (1997) Projet et autonomie, in Courtois, B. et Josso, Ch. (dir.) Le projet : nébuleuse ou galaxie ?, Neuchâtel et Paris, Delachaux et Niestlé, pp. 93-138.
http://www.unige.ch/fapse/SSE/teachers/perrenoud/php_main/php_2002/2002_30.html
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