C'est dans un même mouvement que le XIXe siècle occidental proclame la souveraineté populaire et donne naissance à une véritable instruction publique. Parce qu'elle exige une citoyenneté éclairée - qu'elle présuppose et réclame les lumières -, la démocratie devient ainsi l'institutrice du peuple. Elle fait de l'instruction, condition de la liberté et de l'égalité, un droit et un devoir du nouveau citoyen-souverain.

Pourquoi cette exigence implique-t-elle l'édification d'un service public d'enseignement? Quels sont, à Genève, les enjeux culturels, politiques, religieux, sociaux, économiques, pédagogiques d'une telle mutation? Quelles sont les conditions d'émergence de l'État enseignant, les potentialités de son développement, mais aussi les contradictions et les limites de son expansion?

Revêtues d'une nouvelle actualité en cette fin de XXe siècle désenchanté, qui interroge volontiers l'importance et le rôle social de l'État, ces questions sont à l'origine du présent ouvrage qui retrace la dynamique de cette mutation à Genève. Jusqu'au début du XIXe siècle, l'école est abandonnée aux initiatives particulières et ajustée sur les divisions sociales, politiques et confessionnelles; avec l'intervention de l'État, les principes de gratuité, de laïcité et d'obligation fondent, en moins de quelques décennies, l'école de la démocratie. L'universalité de l'instruction, désormais garantie par la loi, deviendra-t-elle pour autant une réalité?

Historienne de l'éducation, Rita Hofstetter enseigne à l'Université de Genève. Ses recherches portent actuellement sur l'histoire de l'école et de la formation des enseignants en Suisse, sur l'avènement des sciences de l'éducation comme discipline universitaire et sur les apports psychanalytiques au champ éducatif.

Introduction

I. Les vertus régénératrices de l'alphabétisation une école abandonnée au pluralisme de la société civile (1798-1830)

Préhistoire: une école pour sauvegarder l'héritage calviniste

La Société pour l'instruction religieuse de la jeunesse

Ajuster l'école aux " Lumières du siècle " (1774) ?

Le projet éducatif de la Révolution (1781-1796), concilier rupture et tradition

Rivalités pour la mainmise sur l'enfance

Sous l'Annexion (1798-1813), les vicissitudes de la reconquête catholique

Avec la Restauration (1814-1830), un modus vivendi discordant

La croisade nationaliste et réformatrice de la philanthropie

Le réseau serré des institutions de bienfaisance

Les vertus infinies du savoir

Les innovations pédagogiques d'une bourgeoisie conservatrice

La progression hétéroclite de l'alphabétisation

Disparité des conquêtes scolaires et des niveaux intellectuels

Contrastes entre Églises

Une école " en miettes ", laissée aux initiatives particulières et aux Églises

II. Le savoir, ferment d'une citoyenneté éclairée et productive.
La scolarisation des masses, une affaire d'état (1830-1846)

Vers la sécularisation de l'école

D'une mystique à une politique

L'enfant, un bien d'État

Les lois scolaires de 1834 et 1835

Les Églises jalouses de leurs prérogatives

L'emprise tenace du protestantisme

Résistances catholiques pour Conjurer l'hérésie

Prolifération des écoles congréganistes

Les filles, otages des Églises?

La " flambée passionnelle " de l'enseignement mutuel

Les contradictions scolaires de la régénération

L'essor du privé, face à un réseau étatique quasi stagnant

Une jeune démocratie (1842) confrontée à la délicate gestion de son héritage

III. La force cohésive d'une instruction publique.
Une nouvelle école pour une démocratie naissante (1846-1870)

Forcer des citoyens aptes à assumer la démocratie

Inclusion et exclusion des filles

Deux corollaire de la démocratie: la gratuité et la laïcité (1847-1848)

Une nouvelle culture scolaire pour une éducation toute nationale

La Première loi générale sur l'instruction publique (1848)

Confrontations entre pouvoirs publics, privés et spirituels

Les sociétés philanthropiques en butte au régime radical

Fracture entre les perspectives républicaines et catholiques

Les élites boudent le réseau étatique

L'école de la démocratie tient-elle ses promesses?

Répercussions sociales de la gratuité

Le bilan contrasté du parlement

Les contradictions d'une école unificatrice

IV. Concilier les vertus intégratives et émancipatrices de l'instruction.
L'État enseignant est un état éducateur (1870-1911)

Le Kulturkampf (1870-1878) envahit la scène scolaire

Confrontations socio-culturelles et religieuses

Intransigeances étatiques à l'encontre des écoles congréganistes

Les dérives impérialistes de l'État conquérant

Les ambitions éducatrices et égalisatrices de l'État enseignant

Une nouvelle loi (1872) pour l'État enseignant

L'obligation de l'instruction (1872): conjurer l'ignorance républicaine

La Constitution fédérale (1874) et l'échec du monopole (1878)

Les impératifs socio-économiques d'un État d'abord éducateur

Une culture scolaire aux visées pragmatiques

Vers une école primaire unifiée, préparatoire au secondaire

Raisonner le peuple et en extraire une élite méritante

La nouvelle loi sur l'instruction publique (1886)

Des ajustements (1888-1911) consacrant l'apogée de l'État éducateur

Conclusion